AINSI
L0I 18 novembre 1953.p.8
Ceci constitue un retour aux sources et mérite à peine le titre de science. Il en va comme du bon cuisinier, qui sait bien découper l’animal, détacher l’articulation avec la moindre résistance. Pour chaque structure, on admet un mode de conceptualisation qui lui est propre. On entre toutefois par là dans la voie des complications et l’on préfère revenir à la notion moniste plus simple de déduction du monde. Néanmoins, il faut bien s’apercevoir que ce n’est pas avec le couteau que nous disséquons mais avec des concepts : le concept a son ordre de réalité original. Les concepts ne surgissent pas de l’expérience humaine, sinon ils seraient bien faits. (protase) Les premières dénominations sont faites à partir des mots; ce sont des instruments pour délinéer les choses.
Ainsi, (apodose), toute science reste longtemps dans la nuit, empêtrée dans le langage. Lavoisier, par exemple, en même temps que son phlogistique, apporte le bon concept, l’oxygène.
L01 20 janvier 1954 ???
Dans le livre d’Anna Freud, les défenses du Moi sont bien toujours contre l’id. Si on lit le passage qui se rapporte à ces questions, dans Analyse terminable et interminable, on commence à
« Ce ne sont pas des obstacles qui isolent des parties du Moi des autres parties du Moi. »
Mais bien avant qu’on puisse dire ce que je n’ose pas moi-même dire… La résistance, c’est le Moi. Dont je ne sais pas ce que notre maître pensera ? Avant qu’on ait pu dire cela, Freud a dit : La résistance, c’est le transfert.
En y réintroduisant la notion de transfert, il me semble que je la réintroduis dans le magasin de porcelaines de la métapsychologie. Il faut revenir en arrière, dans le terrain interpersonnel des considérations cliniques.
La question peut se poser ainsi:
(protase) si c’est le patient en tant que « personne naturelle », comme on disait autrefois, qui résiste à l’analyste au nom de ses propres intentions, et en un sens de tous ses moyens, à la façon de Protée devant Ménélas, par des simulations de guérison ou la simulation de l’imbécillité complète (apodose), il semble que l’analyste n’ait le choix qu’entre deux tactiques : ou agir comme Ménélas, appliquer les conseils de la nymphe, c’est-à-dire : tenir ferme! Et Freud (p. 97) préconise ce moyen : accepter le défi, tenir tête, affirmer sans relâche qu’il s’agit d’une résistance, s’encourager lui-même. ou L’autre moyen, c’est de faire que cette résistance soit remplacée chez le sujet par de la bonne volonté, c’est-à-dire, on pourrait le croire, profiter du transfert positif.
*Une telle bonne volonté est quelque chose de tellement utile que Freud conseille de ne jamais toucher au transfert aussi longtemps qu’il ne s’est pas changé en résistance
« Ce changement de transfert en résistance ne peut pas manquer de se produire, et c’est le transfert qui fournit la plus redoutable des résistances, »
L01 27 janvier 1954p.42 Seuil
Annie Reich
C’est parce qu’il a cru devoir chercher d’abord dans l’hic et nunc la raison (protase) d’une certaine attitude du patient qu’il a cru devoir la trouver dans quelque chose qui existait effectivement là, dans le champ intersubjectif des deux personnages. Il était bien placé pour le connaître, parce qu’il éprouvait en effet que c’est bien ainsi (apodose), qu’il éprouvait le sentiment d’hostilité, ou tout au moins d’agacement vis-à-vis du succès de son patient.
L01 27 janvier 1954 p.45-46 Seuil
Je voudrais encore, pour ceux qui ne sont pas familiers avec toute cette dialectique que j’ai abondamment développée, tâcher de vous donner un certain nombre de notions. Il faut toujours être au niveau de l’alphabet – je m’excuse pour ceux à qui ça paraîtra des redites. Je vais vous donner un exemple. Pour bien vous faire comprendre ce que pose le problème de la reconnaissance, les questions qu’elle pose; combien vous ne pouvez pas noyer cela dans des notions aussi confuses que celles de mémoire, de souvenir, si en allemand ça peut encore avoir un sens, Erlebnis, la notion française de souvenir, vécu ou pas vécu, prête à toutes les ambiguïtés. Je vais vous donner une petite histoire.
« Je me réveille le matin, dans mon rideau, comme Sémiramis. J’ouvre 1’œil; c’est un rideau que je ne vois pas tous les jours, parce que c’est le rideau de ma maison de campagne, je ne le vois que tous les huit ou quinze jours, et je remarque dans les traits que fomente la frange du rideau une fois de plus, je dis une fois de plus,
(protase) je ne l’ai jamais vu qu’une fois dans le passé comme ça, le pro-72-
fil disons d’une espèce de visage, à la fois aigu, caricatural et vieillot de ce qui pour moi représente vaguement le style d’une figure de marquis XVIII° siècle, pour donner les fabulations toutes niaises auxquelles se livre l’esprit au réveil. Eh bien, c’est à cause de cela, de cette cristallisation, gestaltiste comme on dirait de nos jours, de cette reconnaissance d’une figure que l’on connaît depuis longtemps, ç’aurait été une tache sur le mur, ç’aurait été la même chose, c’est à cause de cela je puis dire, que je puis dire que
(apodose) le rideau n’a pas bougé d’une ligne, car exactement huit jours avant, au réveil, j’avais vu la même chose. Je l’avais bien entendu complètement oublié. Mais c’est à cause de cela que je sais que le rideau n’a pas bougé. Il est toujours là, exactement à la même place ».
Ceci est un apologue, ça se passe sur le plan imaginaire, encore qu’il ne serait pas difficile… et que toutes les coordonnées symboliques qui représentent, autour de cela, des niaiseries : marquis du XVIII° siècle, etc., jouent un rôle très important, car si je n’avais pas un certain nombre de fantasmes sur le sujet de ce que représente le profil, je ne l’aurais pas non plus reconnu dans la frange de mon rideau.
Ceci est un apologue, ça se passe sur le plan imaginaire, encore qu’il ne serait pas difficile… et que toutes les coordonnées symboliques qui représentent, autour de cela, des niaiseries : marquis du XVIII° siècle, etc., jouent un rôle très important, car si je n’avais pas un certain nombre de fantasmes sur le sujet de ce que représente le profil, je ne l’aurais pas non plus reconnu dans la frange de mon rideau.
Mais, laissons cela…
Ce que cela comporte sur le plan de la reconnaissance, à savoir que c’était bien comme ça huit jours auparavant, est lié à un phénomène de reconnaissance dans le présent.
C’est exactement ce que Freud, dans les Studien über Hysterie, emploie. Je dis emploie, quand il dit qu’il y avait quelques études sur la mémoire à cette époque, et s’y référait sur les souvenirs évoqués et sur la reconnaissance, la force actuelle et présente qui lui donne non pas forcément son poids et sa densité, mais tout simplement sa possibilité. Freud procède ainsi. Quand il ne sait plus à quel saint se vouer pour obtenir la reconstruction du sujet, il la prend toujours là avec la pression des mains sur le front, et il lui énumère toutes les années, tous les mois, toutes les semaines, voire tous les jours, les nommant un par un, « le mardi 17, le mercredi 18, etc. ». C’est-à-dire qu’il fait assez de confiance à ce qui depuis a été défini dans ses analyses qui ont été faites sur le sujet de ce que c’est que la mémoire, ce qu’on appelle le « temps socialisé », sur la structuration implicite du sujet par ce temps socialisé, pour penser que, quand il va arriver au point où l’aiguille de l’horloge croisera effectivement, à travers cette symbolisation qu’il en fait, le moment critique du sujet, le sujet dira: « ah oui, justement, ce jour-là, je me souviens de quelque chose ».
Je ne suis pas en train de confirmer si ça a réussi ou non. Freud nous dit que ça réussissait.