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Recherches Lacan

HONTE 2

HONTE 2

Leçon VII,  26 février 1964

Est-ce là une analyse phénoménologique qui puisse être tenue pour effectivement juste? Il n’est pas vrai que quand je suis sous le regard, que quand je demande un regard, que quand je l’obtiens, je ne m’intéresse point, je ne le vois point comme regard.

Cette sphère qui peut s’étendre assez loin (et il s’agit justement de savoir jusqu’où elle s’étend), cette sphère du masque que j’appelle le regard — des peintres ont été éminents à saisir ce regard comme tel dans le masque, et je n’ai besoin que d’évoquer Goya, par exemple, pour vous le faire sentir.

Le regard se voit, ce regard dont parle Sartre, ce regard qui me sur­prend et me réduit à quelque honte, puisque c’est là le sentiment qu’il dessine comme le plus accentué. La raison de cette rencontre du regard, c’est curieusement, à repérer dans le texte même de Sartre, non point dans un regard vu qu’un regard par moi imaginé au champ de l’Autre. Car si vous vous reportez à son texte, vous verrez que loin de parler de l’entrée en scène de ce regard comme de quelque chose qui concerne ce que nous appelons un regard, c’est à un bruit de feuilles soudain entendu tandis que je suis à la chasse, qu’il se reporte, c’est à un pas surgi dans le couloir et à quel moment? Au moment où lui-même s’est présenté dans l’action de regarder et pas n’importe comment, par un trou de serrure. C’est un regard qui, le surprenant dans sa fonction imaginée de voyeur qu’il sou­tient, le déroute, le chavire et le réduit à ce sentiment de la honte.

Le regard dont il s’agit est bien présence d’autrui comme tel et sans doute rapport à quelque chose dont il n’est point fondamentalement erroné de l’appeler le regard. Mais est-ce bien dire qu’originalement c’est dans ce rapport de sujet à sujet, dans la fonction de l’existence d’autrui comme me regardant, que nous saisissons bien ce dont il s’agit d’origi­nal dans le regard?

Leçon XIV, 13 mai 1964

L’objet est ici regard, et regard qui est le sujet, qui l’atteint, qui fait mouche dans le tir à la cible, et je n’ai qu’à vous rappeler ce que j’ai dit en son temps de l’analyse de Sartre. Si cette analyse fait surgir l’instance du regard, ça n’est pas au niveau de l’autre dont le regard surprend le sujet en train de voir par le trou de la serrure, c’est que l’autre le sur­prend, lui, sujet, comme tout entier regard caché.

Et vous saisissez là l’ambiguïté de ce dont il s’agit quand nous parlons de la pulsion scopique. Le regard est cet objet perdu et soudain retrou­vé, dans la conflagration de la honte, par l’introduction de l’autre. Jusque-là, qu’est-ce que le sujet cherche à voir? Ce qu’il cherche à voir, sachez-le bien, c’est l’objet en tant qu’absence. Ce que le voyeur cherch et trouve, ce n’est qu’une ombre, une ombre derrière le rideau. Il y fan­tasmera n’importe quelle magie de présence, la plus gracieuse des jeunes filles, même si de l’autre côté il n’y a qu’un athlète poilu; ce qu’il cherche, ce n’est pas, comme on le dit, le phallus, mais justement son absence, d’où la prééminence, précisément, de certaines formes comme objet de sa recherche.

Leçon XX 26 mai 1965 (séminaire fermé)

idée; elle ne tirera, de ce qu’on lui peut ingérer de sciences, aucun bénéfice jus­qu’à ce qu’on l’ait soumise à la réfutation et que, par cette réfutation, lui faisant honte d’elle-même, on l’ait débarrassée des opinions qui ferment les voies à l’en­seignement, amenée à l’état de pureté manifeste et à croire savoir tout juste ce qu’elle sait, mais pas davantage. »

Croire savoir tout juste ce qu’elle sait, mais pas davantage. »

N’est-ce pas ici l’expression la plus frappante d’une tautologie sur laquelle nous aurons à revenir?

Ici va commencer un cheminement logique auquel je vous prie de donner toute votre attention et dont je ne veux pas donner une illustration trop lourde en me référant sans cesse au texte. Je vous la résume donc

1 – Pour instruire la jeunesse sur toute chose, il faut connaître toutes choses. 2 – Or, être omniscient est impossible. C’est donc chez le sophiste, un faux-semblant.

Leçon VII 19 janvier 1966 Séminaire fermé

De ces images, Dante a à se détourner, ne pas prendre ces images pour la réa­lité et apprendre à se détourner, tel est le sens que Virgile donne au chemin que Dante parcourt avec lui. Prendre garde à ce danger de capture, c’est veiller à la vérité.

Dante en effet s’éveille mais il lui faudra plus qu’une mise en garde pour s’éveiller vraiment. Voilà le texte dans la traduction de Madame A. Masseron. C’est Dante qui parle :

« Je me tournai vers lui plein d’une honte telle qu’elle vit encore en ma mémoire et pareil à celui qui rêve son dommage, et rêvant souhaite rêver, si bien qu’il désire ardemment ce qui est, comme si cela n’était point, tel je me vis ne pouvant pas parler car j’eusse souhaité m’excuser et je m’excusais en vérité tout en ne croyant point le faire ».

La voix de Virgile amène Dante à la vérité et ce, dans la honte. Mais cet éveil est bref. Né à la vérité dans la honte, Dante s’arrête. Il s’arrête pour réfléchir la honte en voulant l’exprimer. En voulant parler pour s’excuser, Dante cesse de voir la réalité qui parle par elle-même dans le silence de la honte. Et son désir d’expression fait qu’il méconnaît cette vérité même au moment où elle s’accom­plit. Il tombe à nouveau dans la réflexion brisée qu’il assimile à un sommeil.

Leçon du 19 janvier 1966

L’objet de la psychanalyse

Cette comparaison fixe en quelque sorte l’impuissance radicale de la raison à jamais retrouver par elle-même la vérité. Dante, le dormeur, désire ce qui est comme si cela n’était pas. Le fait réel, à savoir la vérité parlant par elle-même à travers la honte, est transmuée en irréel, l’impossibilité de parler. La réalité est prise pour l’irréel.

Virgile intervient à toute vitesse à ce moment-là et il dit :

« Moins de honte efface un manquement plus grave que ne l’a été le tien. C’est pourquoi, de toute tristesse, allège-toi».

 

De tristesse il s’agit. Et là, Virgile met l’accent sur ce qui, par delà la honte, pèse sur Dante, un résidu de pesanteur, un résidu de mauvais désir. Cette deuxième intervention semble avoir plus que la valeur de mise en garde de la première. On pourrait peut-être le dire, l’assimiler à une intervention. En tout cas, il en apparaît que la conscience originellement mordue est incapable, livrée à elle-même, de réagir contre le mauvais désir, la basse envie. Dante clôt ce chant XXX par ces paroles de Virgile. Il pose Virgile en quelque sorte comme mémoire de présence. Virgile dit

« Et dis toi bien que je suis toujours à ton côté s’il arrive encore que le hasard te mène en quelque lieu où se trouvent des gens de semblable liti­ge. Vouloir ouir de telles choses est une basse envie ».

Annexe I Conférence du 19 juin 1968

Il ne faut pas vous figurer que ce qui s’ouvre, ce qui s’est ouvert comme question dans ce lieu, ce soit de notre tissu national le privilège. J’ai été, histoire de prendre l’air, passer deux jours à Rome où des choses sem­blables ne sont pas concevables simplement parce qu’à Rome il n’y a pas de Quartier Latin. Ce n’est pas un hasard! C’est drôle mais enfin c’est comme ça.

J’ai eu comme ça des choses qui m’ont bien plu. C’est plus facile de les repérer là-bas, ceux qui savent ce qu’ils font. Un petit groupe. Je n’en ai pas vu beaucoup mais je n’en aurais vu qu’un que ça suffirait. Ils s’appel­lent les Oiseaux, Uccelli.

Comme je l’ai dit à quelques uns de mes familiers, je suis en Italie – à ma stupeur, il faut bien le dire, c’est le terme qu’on emploie : (j’ai honte!) – populaire. Ça veut dire qu’ils savent mon nom. Ils ne savaient bien sûr rien de ce que j’ai écrit! Mais, c’est ça qui est curieux, ils savent que les Écrits existent.

Il faut croire qu’ils n’en ont pas besoin, pour que les Uccelli, les Oiseaux en question, par exemple sont capables d’actions comme celle-là qui évidemment a avec l’enseignement lacanien le rapport qu’ont les affiches des Beaux-Arts avec ce dont il s’agit politiquement, vraiment, mais ça veut dire qu’ils ont un rapport tout à fait direct : quand le doyen de la Faculté de Rome, accompagné d’un représentant éminent de l’intel­ligence vaticane, va leur faire à tous réunis parce qu’il y a des assemblées générales aussi là-bas où on leur parle, on est pour le dialogue, du côté bien entendu où ça sert – alors les Uccelli viennent avec un de ces grands machins comme il y en a, quand on va dans des restaurants à la campagne, au centre d’une table ronde, c’est un énorme parapluie, ils se mettent tous dessous à l’abri, disent-ils, du langage!

LEÇON XV 19, MARS 1969

R, ne s’est peut-être pas aperçue assez tôt que c’est lié à quelque chose de nouveau qui se pointe du côté d’une certaine fonction du savoir, quelque chose qui se passe, qui le rend à vrai dire peu maniable de la façon traditionnelle.

Pour tout de même un petit peu indiquer ce que je veux dire par là, je le ramènerai à ce quelque chose que j’avais indiqué tout à l’heure, à ce qui peut se produire de fascination concernant un travail dont on ne sait pas ce qu’il veut dire, ni où il mène. De façon à exemplifier, pris dans le modèle que vous donne ce qui motiverait, dans ce supposé, votre présence ici, parce qu’évidemment, d’un certain côté, la référence que j’ai prise dans le rapport ouvrier-patron, il a aussi là ses prolongements. Le patron sait ce que fait l’ouvrier, au sens qu’il va lui rapporter des bénéfices, mais il n’est pas sûr qu’il ait une idée plus nette que l’ouvrier du sens de ce qu’il fait.

Quand il s’agit de la chaîne chez Fiat, ou ailleurs, je parle de celle de Fiat parce que je l’ai déjà évoquée, ici ou ailleurs; j’y ai été; j’ai eu vivement ce sentiment, en effet, de voir des gens occupés à un travail sans que je sache absolument ce qu’ils faisaient. Moi ça m’a fait honte. A vous ça ne vous le fait pas, tant mieux. Mais enfin, j’ai été très gêné. J’étais justement avec le patron, Johnny, comme on l’appelle, comme je l’appelle. Johnny était aussi manifestement … enfin, lui aussi avait honte. Ça s’est traduit, après, par des questions qu’il m’a posées, qui avaient toutes cette visée apparente destinée à dissimuler son embarras, cette visée apparente de me faire dire que, selon toute apparence, ils étaient plus heureux là, chez lui, que chez Renault.

LES SILLONS DE L’ALETHOSPHÉRE

20 mai 1970

D’affect, il n’y en a qu’un.

L’objet a et le cogito.

Science et perception.

La multiplication des lathouses.

L’IMPUISSANCE DE LA VÉRITÉ

Freud et les quatre discours.

Capitalisme et Université.

L’entourloupette de 1-legel.

Impuissance et impossibilité.

Que peut faire la fausse-couche?

LE POUVOIR DES IMPOSSIBLES

Un peu de honte dans la sauce.

Le lait de la vérité endort.

Le lustre du réel.

L’étudiant, frère du sous-prolétariat.

Un petit abri.

 Il faut bien le dire, mourir de honte est un effet rarement obtenu.

C’est pourtant le seul signe — je vous ai parlé de cela depuis un moment, comment un signifiant devient un signe —, le seul signe dont on puisse assurer la généalogie, soit qu’il descende d’un signifiant. Un signe quelconque, après tout, peut toujours tomber sous le soupçon d’être un pur signe, c’est-à-dire obscène, vinscène, si j’ose dire, bon exemple pour rire.

Mourir de honte, donc. Ici, la dégénérescence du signifiant est sûre — sûre d’être produite par un échec du signifiant, soit l’être pour la mort, en tant qu’il concerne le sujet — et qui pourrait-il concerner d’autre ? L’être pour la mort, soit la carte de visite par quoi un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant — vous commencez à savoir ça par cœur, j’espère.

Cette carte de visite n’arrive jamais à bon port, pour la raison que pour porter l’adresse de la mort, il faut que cette carte soit déchirée. C’est une honte, comme disent les gens, et qui devrait produire une hontologie. orthographiée enfin correctement.

En attendant, mourir de honte est le seul affect de la mort qui mérite — qui mérite quoi ? — qui la mérite.

On s’en est longtemps tu. En parler en effet, c’est ouvrir ce réduit, pas le dernier, le seul dont tienne ce qui peut se dire honnêtement de l’hon­nête, honnête qui tient à l’honneur — tout ça. c’est honte et compagnon — de ne pas faire mention de la honte. Justement de ce que mourir de honte est pour l’honnête l’impossible. Vous savez de moi que cela veut dire le réel.

Ça ne mérite pas la mort, dit-on à propos de n’importe quoi, pour ramener tout au futile. Dit comme c’est dit, à cette fin, ça élide que la mort, ça puisse se mériter.

Or, ce n’est pas d’élider l’impossible qu’il devrait s’agir en l’occasion, mais d’en être l’agent. Dire que la mort, ça se mérite — le temps au moins de mourir de honte qu’il n’en soit rien, que ça se mérite.

Si ça arrive maintenant, eh bien, c’était la seule façon de la mériter. C’était votre chance. Si ça n’arrive pas, ce qui, au regard de la surprise précédente, fait malchance, alors il vous reste la vie comme honte à boire, de ce qu’elle ne mérite pas qu’on en meure.

Cela vaut-il que j’en parle ainsi ? — quand, à partir du moment où on en parle, les vingt-scènes que j’ai dites plus haut ne demandent qu’à le reprendre en bouffonnerie

Justement, Vincennes.

On y a, paraît-il, été content de ce que j’ai dit, content de moi. Ce n’est pas réciproque. Moi, je n’ai pas été très content de Vincennes.

Il y a eu beau y avoir une personne gentille qui a essayé de meubler au premier rang, de faire Vincennes, il n’y avait manifestement personne de Vincennes, ou très peu, juste les oreilles les plus dignes de me décerner un bon point. Ce n’est pas tout à fait ce que j’attendais, surtout après qu’on y eut, paraît-il, propagé mon enseignement. Il y a des moments où je peux être sensible à un certain creux.

Mais enfin, il y avait tout de même juste ce qu’il fallait pour nous indi­quer le point de concours qu’il peut y avoir entre Minute et Les Temps modernes. Je n’en parle que parce que, vous allez le voir, cela touche à notre sujet d’aujourd’hui — comment se comporter avec la culture?

Il suffit quelquefois d’une petite chose pour faire trait de lumière, ici d’un souvenir dont on ne sait pas comment j’ai eu moi-même conscience. Une fois que vous vous souvenez de la publication d’un cer­tain enregistrement au magnétophone dans Les Temps modernes, le rap­port avec Minute est éclatant. Essayez, c’est fascinant, je l’ai fait. Vous découpez des paragraphes dans les deux journaux, vous les touillez quelque part, et vous tirez. Je vous assure qu’au papier près, vous ne vous y retrouverez pas si facilement.

C’est ce qui doit nous permettre de prendre la question autrement qu’à partir de l’objection que j’ai faite tout à l’heure à toucher les choses d’un certain ton, d’un certain mot, de crainte que la bouffonnerie ne les entraîne. Partons plutôt de ceci, que la bouffonnerie est déjà là. Peut-être, à mettre un peu de honte dans la sauce, qui sait, ça pourra la retenir.

Bref, je joue le jeu de ce que vous m’entendez, puisque je m’adresse à vous. Autrement, il y aurait plutôt à ce que vous m’entendiez une objec­tion, puisque dans bien des cas, cela vous empêche d’entendre ce que je dis. Et c’est dommage, car au moins les jeunes parmi vous, il y a beau temps que vous êtes, pour ce que je dis, aussi bien capables de le dire sans moi. Il ne vous manque pour cela justement qu’un peu de honte. Ça pourrait vous venir.

Evidemment, ça ne se trouve pas sous le pied d’un cheval, et encore moins d’un dada, mais les sillons de l’alèthosphère, comme j’ai dit, qui vous soignent et même vous soyousent tout vifs déjà, ça serait peut-être déjà pas mal suffisant comme prise de honte.

Reconnaissez pourquoi Pascal et Kant se trémoussaient comme deux valets en passe de faire Vatel à votre endroit. Ça a manqué de vérité là-haut, pendant trois siècles. Le service est tout de même arrivé, réchauf­fant à souhait, le musicien même de temps en temps, comme vous le savez. Ne rechignez pas, vous êtes servis, vous pouvez dire qu’il n’y a plus de honte.

Ces pots dont, à ce que je les dise vides de moutarde, vous vous demandiez ce qui me tracassait — eh bien, faites-y vite provision d’assez de honte pour que la fête, quand elle viendra, ne manque pas trop de piment.

Vous allez me dire — La honte, quel avantage? Si c’est ça, l’envers de la psychanalyse, très peu pour nous. Je vous réponds — Vous en avez à revendre. Si vous ne le savez pas encore, faites une tranche, comme on dit. Cet air éventé qui est le vôtre, vous le verrez buter à chaque pas sur une honte de vivre gratinée.

C’est ça, ce que découvre la psychanalyse. Avec un peu de sérieux, vous vous apercevrez que cette honte se justifie de ne pas mourir de honte, c’est-à-dire de maintenir de toutes vos forces un discours du maître perverti — c’est le discours universitaire. Rhégélez-vous, dirai-je.

Je suis retourné dimanche à ce sacré libelle de la Phénoménologie de l’esprit, en me demandant si je ne vous avais pas gourés la dernière fois en vous entraînant à mes réminiscences dont je me serais moi-même fait régal. Pas du tout. C’est étourdissant.

Vous y verrez par exemple — la conscience vile est la vérité de la conscience noble. Et c’est envoyé de façon à vous faire tourner la tête. Plus vous serez ignoble je n’ai pas dit obscène, il n’en est plus ques­tion depuis longtemps -, mieux ça ira. Ça éclaire vraiment la réforme récente de l’Université, par exemple. Tous, unités de valeur — à avoir dans votre giberne le bâton de culture, maréchal en diable, plus des médailles, comme dans les comices à bestiaux, qui vous épingleront de ce qu’on ose appeler maîtrise. Formidable, vous aurez ça à profusion.

ensemble. La multiplication des pains, ce n’est pas pareil que le rassem­blement des pains. Il s’agit de faire qu’une de ces relations s’applique sur l’autre. Vous inventez le logarithme. Il commence à cavaler vachement dans le monde, sur des petites règles qui n’ont l’air de rien, mais dont ne croyez pas que le fait qu’elles existent vous laisse, aucun de ceux qui sont ici, dans le même état qu’avant qu’elles sortent. Leur présence est tout ce qui importe.

Eh bien, ces petits termes plus ou moins ailés, S1, S2, a, $, je vous dis qu’ils peuvent servir dans un très grand nombre de relations. Il faut sim­plement se familiariser avec leur maniement.

Par exemple, à partir du trait unaire, pour autant qu’on peut s’en contenter, on peut essayer de s’interroger sur le fonctionnement du signifiant-maître. Eh bien, c’est tout à fait utilisable, si, de seulement le bien fonder structuralement, vous vous apercevez qu’il n’y a pas besoin d’en remettre, de toute la grande comédie de la lutte à mort de pur pres­tige et de son issue. Contrairement à ce qu’on a conclu à interroger les choses au niveau du vrai de nature, il n’y a pas de contingence dans la position de l’esclave. Il y a la nécessité que, dans le savoir quelque chose se produise qui fait fonction de signifiant-maître.

On ne peut pas s’empêcher de rêver, bien sûr, et de chercher à savoir qui a fait ça le premier, et alors, on trouve la beauté de la balle qu’on se renvoie du maître à l’esclave. Mais c’est peut-être simplement quelqu’un qui avait honte, qui s’est poussé comme ça en avant.

Je vous ai apporté aujourd’hui la dimension de la honte. Ce n’est pas commode à avancer. Ce n’est pas de cette chose dont on parle le plus aisément. C’est peut-être bien ça, le trou d’où jaillit le signifiant-maître. Si c’était ça, ce ne serait peut-être pas inutile pour mesurer jusqu’à quel point il faut s’en rapprocher, si l’on veut avoir quelque chose à faire avec la subversion, voire seulement le roulement, du discours du maître.

Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, cette introduction du S1, du signifiant-maître, vous l’avez à votre portée dans le moindre discours — c’est ce qui définit sa lisibilité.

Il y a, en effet, le langage et la parole et le savoir, et tout ça semble avoir marché au temps du néolithique, mais nous n’avons aucune trace qu’une dimension existât qui s’appelle lecture. Pas encore besoin qu’il y ait d’écrit, ni d’impression, non pas qu’il ne soit pas là depuis longtemps, honte, c’est-à-dire de maintenir de toutes vos forces un discours du maître perverti — c’est le discours universitaire. Rhégélez-vous, dirai-je.

Je suis retourné dimanche à ce sacré libelle de la Phénoménologie de l’esprit, en me demandant si je ne vous avais pas gourés la dernière fois en vous entraînant à mes réminiscences dont je me serais moi-même fait régal. Pas du tout. C’est étourdissant.

Vous y verrez par exemple — la conscience vile est la vérité de la conscience noble. Et c’est envoyé de façon à vous faire tourner la tête. Plus vous serez ignoble je n’ai pas dit obscène, il n’en est plus ques­tion depuis longtemps -, mieux ça ira. Ça éclaire vraiment la réforme récente de l’Université, par exemple. Tous, unités de valeur — à avoir dans votre giberne le bâton de culture, maréchal en diable, plus des médailles, comme dans les comices à bestiaux, qui vous épingleront de ce qu’on ose appeler maîtrise. Formidable, vous aurez ça à profusion.

Avoir honte de ne pas en mourir y mettrait peut-être un autre ton, celui de ce que le réel soit concerné. J’ai dit le réel et pas la vérité, car, comme je vous l’ai déjà expliqué la dernière fois, c’est tentant, sucer le lait de la vérité, mais c’est toxique. Ça endort, et c’est tout ce qu’on attend de vous.

J’ai recommandé à quelqu’un de charmant de relire Balthazar Gracian, qui, comme vous le savez, était un jésuite qui vivait au joint du XVI° siècle. Il a écrit ses grands morceaux au début du XVII° siècle. Somme toute, c’est là qu’est née la vue du monde qui nous convient. Avant même que la science fût montée à notre zénith, on l’avait sentie venir. C’est curieux, mais c’est comme ça. C’est même à enregistrer pour toute appréciation vraiment expérimentale de l’histoire, que le baroque qui nous convient si bien — et l’art moderne, figuratif ou pas, c’est la même chose — ait commencé avant, ou juste en même temps que les pas initiaux de la science.

Dans le Criticon, qui est une sorte d’apologue où se trouve déjà incluse par exemple l’intrigue de Robinson Crusoé — la plupart des chefs­ d’œuvre sont des miettes d’autres chefs-d’œuvre inconnus — à la troi­sième partie, sur le penchant de la vieillesse — puisqu’il prend ce graphe aux âges —‘ au deuxième chapitre on trouve quelque chose qui s’a2pelle la vérité en couches.

La multiplication des pains, ce n’est pas pareil que le rassem­blement des pains. Il s’agit de faire qu’une de ces relations s’applique sur l’autre. Vous inventez le logarithme. Il commence à cavaler vachement dans le monde, sur des petites règles qui n’ont l’air de rien, mais dont ne croyez pas que le fait qu’elles existent vous laisse, aucun de ceux qui sont ici, dans le même état qu’avant qu’elles sortent. Leur présence est tout ce qui importe.

Eh bien, ces petits termes plus ou moins ailés, S1, S2, a, $, je vous dis qu’ils peuvent servir dans un très grand nombre de relations. Il faut sim­plement se familiariser avec leur maniement.

Par exemple, à partir du trait unaire, pour autant qu’on peut s’en contenter, on peut essayer de s’interroger sur le fonctionnement du signifiant-maître. Eh bien, c’est tout à fait utilisable, si, de seulement le bien fonder structuralement, vous vous apercevez qu’il n’y a pas besoin d’en remettre, de toute la grande comédie de la lutte à mort de pur pres­tige et de son issue. Contrairement à ce qu’on a conclu à interroger les choses au niveau du vrai de nature, il n’y a pas de contingence dans la position de l’esclave. Il y a la nécessité que, dans le savoir quelque chose se produise qui fait fonction de signifiant-maître.

On ne peut pas s’empêcher de rêver, bien sûr, et de chercher à savoir qui a fait ça le premier, et alors, on trouve la beauté de la balle qu’on se renvoie du maître à l’esclave. Mais c’est peut-être simplement quelqu’un qui avait honte, qui s’est poussé comme ça en avant.

Je vous ai apporté aujourd’hui la dimension de la honte. Ce n’est pas commode à avancer. Ce n’est pas de cette chose dont on parle le plus aisément. C’est peut-être bien ça, le trou d’où jaillit le signifiant-maître. Si c’était ça, ce ne serait peut-être pas inutile pour mesurer jusqu’à quel point il faut s’en rapprocher, si l’on veut avoir quelque chose à faire avec la subversion, voire seulement le roulement, du discours du maître.

Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, cette introduction du S1, du signifiant-maître, vous l’avez à votre portée dans le moindre discours — c’est ce qui définit sa lisibilité.

Il y a, en effet, le langage et la parole et le savoir, et tout ça semble avoir marché au temps du néolithique, mais nous n’avons aucune trace qu’une dimension existât qui s’appelle lecture. Pas encore besoin qu’il y ait d’écrit, ni d’impression, non pas qu’il ne soit pas là depuis longtemps, du tout négligeables, mais qui apparaissent d’autant mieux qu’on se reporte à mes petites lettres, se trouvent en position de vouloir subvertir quelque chose dans l’ordre de l’Université, où peuvent-ils chercher ?

Ils peuvent chercher du côté où tout s’enfile sur un petit bâton, où on peut mettre le petit tas qu’ils sont, et puis d’autres, qui sont, dans la nature de la progression du savoir, dominés.

De ce côté, on laisse entrevoir qu’il pourrait y avoir un savoir-vivre. Depuis le temps, c’est comme un mythe. Je ne suis pas là pour vous prê­cher ça. Moi, je vous ai dit la honte de vivre.

S’ils cherchent de ce côté-là, ils peuvent trouver à justifier avec mes petits schémas, que l’étudiant n’est pas déplacé à se sentir frère, comme on dit, non pas avec le prolétariat, mais avec le sous-prolétariat.

Le prolétariat, il est comme la plèbe romaine c’étaient des gens très distingués. La lutte de classe contient peut-être cette petite source d’erreur au départ, que ça ne se passe absolument pas sur le plan de la vraie dialectique du discours du maître ça se place sur le plan de l’identification. Senatus Populusque Romanus. Ils sont du même côté. Et tout l’Empire, c’est les autres en plus.

Il s’agit de savoir pourquoi les étudiants se sentent avec les autres en plus. Ils ne semblent pas du tout voir clairement comment en sortir.

Je voudrais leur faire remarquer qu’un point essentiel du système est la production la production de la honte. Cela se traduit — c’est l‘impudence.

C’est pour cette raison que ce ne serait peut-être pas un très mauvais moyen que de ne pas aller dans ce sens-là.

Je ne vais pas aujourd’hui, par cette chaleur, prolonger plus longtemps ce discours, qui est le dernier que je vous fais cette année.

Il est clair que beaucoup de choses y manquent, mais ceci assurément n’est pas vain à être précisé — si, pour s’exprimer comme Hegel, il y a à votre présence ici, si nombreux, qui si souvent m’embarrasse, des raisons un eu moins u ignobles — c’est évidemment une question de tact comme dirait Goethe j’en fais, semble-t-il, pas trop mais juste assez —, si ce phénomène a lieu, incompréhensible à la vérité, vu ce qu’il en est de ce que j’avance pour la plupart d’entre vous, c’est que, pas trop, mais justement assez, il m’arrive de vous faire honte.

17 JUIN 1970.

 

Leçon 6 17 mars 1971

trop me demander. Mais enfin, je prends ça au hasard. Je suis un tout petit peu étonné quand même, je suis un tout petit peu étonné, de ne pas pouvoir, sauf à entrer dans l’ordre de la taquinerie, obtenir une réponse. Oui! c’est tout de même très ennuyeux. Je ne parle très précisément dans ces pages, que de la fonc­tion du phallus en tant qu’elle s’articule, qu’elle s’articule dans un certain dis­cours, et ce n’était pourtant pas le temps où j’avais encore même ébauché de construire toute cette variété, cette combinaison tétraédrique, à quatre sommets, que je vous ai présentée l’année dernière, et je constate pourtant que, dès ce niveau on ne peut pas dire, dès ce niveau, dis-je, de ma construction, dès ce temps si vous voulez aussi, j’ai dirigé mon coup, si je puis dire, j’ai dirigé mon coup —c’est beaucoup dire, pouvoir tirer, c’est déjà ça, de façon telle qu’il ne me paraisse pas maintenant porter à faux. Je veux dire dans un stade plus avancé de cette construction. Bien sûr, quand j’ai dit la dernière fois, je me laisse aller comme ça, surtout quand il faut un peu faire semblant de respirer, j’ai dit la dernière fois que je m’admirai, j’espère que vous n’avez pas pris ça au pied de la lettre. Ce que j’admirais, c’était en effet plutôt le tracé que j’avais fait dans le temps où je com­mençais seulement à faire un certain sillon en fonction de repère, qui ne soit pas maintenant nettement à rejeter, qui ne me fasse pas honte. C’est là-dessus que j’ai terminé l’année dernière, et c’est assez remarquable. Voire même on peut peut-être y prendre un petit quelque chose, une ébauche, comme ça, un encou­ragement à continuer. Qu’il soit tout à fait frappant que tout ce qui y est péchable si je puis dire, de signifiant, et là, c’est bien de ça qu’il s’agit, je suis venu à la pêche de ce séminaire sur la Lettre volée, dont je pense qu’après tout depuis un temps, le fait que je l’aie mis en tête n’est-ce pas, en dépit de toute chronolo­gie, montrait peut-être qu’il fallait, 9ue j’avais l’idée, que c’était en somme la meilleure façon d’introduire à mes Ecrits. Alors la remarque que je fais sur ce fameux homme who dares all things, those unbecoming as well as those beco­ming a man, il est bien certain que si j’insiste à ce moment-là pour dire que de ne pas le traduire littéralement « ce qui est indigne aussi bien que ce qui est digne d’un homme », montre que c’est dans son bloc que le côté indicible, honteux, qui ne se dit pas, quant à ce qui concerne un homme, est bien là pour tout dire le phallus, et que il est clair que le traduire n’est-ce pas, en le fragmentant en deux: « ce qui est digne d’un homme aussi bien que ce qui est indigne de lui», que ce que sur quoi j’insiste ici, que ce n’est pas la même chose de dire « the rob­ber’s knowledge of the loser’s knowledge of the robber», la connaissance qu’a le voleur de la connaissance qu’a le volé de son voleur, que cet élément de savoir qui sait, à savoir d’avoir imposé un certain fantasme de soi, justement l’homme

Leçon I, 08.12.1971

Vu l’heure, je ne pourrai qu’indiquer rapidement ceci que, pour ce qu’il en est de tout ce qui se pose comme, ce rapport sexuel l’instituant par une sorte de fiction qui s’appelle le mariage, la règle serait bonne que le psychanalyste se dise : sur ce point, qu’ils se débrouillent comme ils pourront. C’est ça qu’il suit, dans la pratique. Il ne le dit pas, ni même ne se le dit par une sorte de fausse honte, car il se croit en devoir de pallier à tous les drames. C’est un héritage de pure superstition : il fait le médecin. Jamais le médecin ne s’était mêlé d’assurer le bonheur conjugal et, comme le psychanalyste ne s’est pas encore aperçu qu’il n’y a pas de rapport sexuel, naturellement le rôle de providence des ménages le hante.

 

Tout ça : la fausse honte, la superstition et l’incapacité de formuler une règle précise pour ce point — celle que je viens d’énoncer là, « qu’ils se débrouillent » — relève de la méconnaissance de ceci que son expérience lui répète, mais, je pourrais même dire, lui serine, qu’il n’y a pas de rapport sexuel… Il faut dire que l’étymologie de « seriner »nous conduit tout droit à « sirène ». C’est textuel, c’est dans le diction­naire étymologique, c’est pas moi qui me livre ici tout d’un coup à un chant analogue.

 

C’est sans doute pour ça que le psychanalyste, comme Ulysse le fait en telle conjoncture, reste attaché à un mât… oui ! … natu­rellement, pour que ça dure, ce qu’il entend comme le chant des sirènes, c’est-à-dire en restant enchanté, c’est-à-dire en l’entendant tout de travers, eh bien, le mât, ce fameux mât dans lequel naturellement vous ne pouvez pas ne pas

 

Ce que j’ai écrit, ça se lit. C’est même curieux que ce soit une des choses qui forcent à le relire. C’est même pour ça que c’est fait. Et quand on le relit, on s’aperçoit que je parle pas de la Chose, parce qu’on peut pas en parler, en parler; je la fais parler elle-même. La Chose dont il s’agit énonce : Moi, la vérité, je parle. Et elle le dit pas, bien sûr, comme ça, mais ça doit se voir. C’est même pour ça que j’ai écrit, elle le dit de toutes les manières et j’oserais dire que ce n’est pas un mauvais morceau, je ne suis appréhendable que dans mes cachotteries. Ce qu’on en écrit, de la Chose, il faut le considérer comme ce qui s’en écrit venant d’elle, non pas de qui écrit. C’est bien ce qui fait que l’ontologie, autrement dit la considération du sujet comme être, l’ontologie est une honte si vous me le permettez.

Vous l’avez donc bien entendu, il faut savoir de quoi on parle. Ou le donc je suis n’est qu’une pensée, à démontrer que c’est l’impensable qui pense, ou c’est le fait de le dire qui peut agir sur la Chose, assez pour qu’elle tourne autrement. Et c’est en cela que toute pensée se pense, de ses rapports à ce qui s’en écrit. Autrement, je le répète, pas de psychana­lyse. Nous sommes dans l’i.n.a.n. qui est actuellement ce qu’il y a de plus répandu, l’inan-analysable. Il ne suffit pas de dire qu’elle est impossible, parce que ça n’exclut pas qu’elle se pratique. Pour qu’elle se pratique sans être inan, c’est pas la qualification d’impossible qui importe, c’est son rapport à l’impossible qui est en cause, et le rapport à l’impossible est un rapport de pensée. Ce rapport ne saurait avoir aucun sens si l’im­possibilité démontrée n’est pas strictement une impossibilité de pensée parce que c’est la seule démontrable.

Si nous fondons l’impossible dans ce rapport au Réel, il nous reste à dire ceci que je vous donne en cadeau, je le tiens d’une charmante femme, lointaine dans mon passé, restée pourtant marquée d’une char­mante odeur de savon, avec l’accent vaudois qu’elle savait prendre pour, tout en s’en étant purifiée, savoir le rattraper, rien n’est impossible à l’homme qu’elle disait, je peux pas vous imiter l’accent vaudois, moi je suis pas né là-bas, ce qu’y peut pas faire, il le laisse. Ceci pour vous cen­trer ce qu’il en est de l’impossible en tant que ce terme, enfin, est rece­vable pour quelqu’un de sensé.

Eh bien! cette annulation de l’Autre ne se produit qu’à ce niveau où s’inscrit de la seule façon qu’il se peut, à savoir comme je l’inscris, Φ de x, et la barre dessus -Φ. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas écrire que ce qui y fait obstacle, à la fonction phallique, ne soit pas vrai. Alors, qu’est-ce que ça veut dire il existe un x? A savoir il existe x, tel qu’il pourrait s’inscri­re dans cette négation de la vérité de la fonction phallique?

Quoi qu’il en soit, la constitution de par le fait que l’étant, dont nous parlions tout à l’heure, que cet étant parle, le fait que ce n’est que de la parole que procède ce point essentiel est tout à fait, dans l’occasion, à distinguer du rapport sexuel, qui s’appelle la jouissance, la jouissance qu’on appelle sexuelle et qui seule détermine chez l’étant dont je parle ce qu’il s’agit d’obtenir, à savoir l’accouplement. La psychanalyse nous confronte à ceci que tout dépend de ce point pivot qui s’appelle la jouissance sexuelle et qui se trouve – c’est seulement les propos que nous recueillons dans l’expérience psychanalytique qui nous permettent de l’affirmer – qui se trouve ne pouvoir s’articuler dans un accouplement un peu suivi, voire même fugace qu’à exiger de rencontrer ceci qui n’a dimension que de « lalangue» et qui s’appelle la castration.

 

L’opacité de ce noyau qui s’appelle jouissance sexuelle et dont je vous ferai remarquer que l’articulation dans ce registre à explorer qui s’appelle la castration ne date que de l’émergence historiquement récente du discours psy­chanalytique, voilà, me semble-t-il, ce qui mérite bien qu’on s’emploie à en for­muler le mathème, c’est-à-dire à ce que quelque chose se démontre autrement que de subi, subi dans une sorte de secret honteux, qui, pour avoir été par la psychanalyse

 

2 Décembre 1971

p. 35

publié, n’en demeure pas moins aussi honteux, aussi dépourvu d’issue, c’est à savoir que la dimension entière de la jouissance, à savoir le rapport de cet être parlant avec son corps – car il n’y a pas d’autre définition possible de la jouissance – per­sonne ne semble s’être aperçu que c’est à ce niveau-là qu’est la question. Qu’est­ ce qui, dans l’espèce animale, jouit de son corps et comment, certainement nous en avons des traces chez nos cousins les chimpanzés qui se déparasitent l’un l’autre avec tous les signes du plus vif intérêt. Et après ? A quoi est-ce que tient que chez l’être parlant, ce soit beaucoup plus élaboré, ce rapport de la jouissance qu’on appelle, au nom de ceci qui est la découverte de la psychanalyse, que la jouissance sexuelle émerge plus tôt que la maturité du même nom. Ça semble suffire à faire infantile tout ce qu’il en est de cet éventail, court sans doute, mais non sans varié­té, des jouissances que l’on qualifie de perverses. Que ceci soit en relation étroite, avec cette curieuse énigme qui fait qu’on ne saurait en agir avec ce qui semble directement lié à l’opération à quoi est supposée viser la jouissance sexuelle, qu’on ne saurait d’aucune façon s’engager dans cette voie dont la parole tient les chemins, sans qu’elle s’articule en castration, il est curieux que ce n’est jamais avant un …., je ne veux pas dire un essai, parce que, comme disait Picasso : «Je ne cherche pas: je trouve», « je n’essaie pas, je tranche», avant que j’aie tranché que le point clé, le point nœud, c’était «lalangue» et dans le champ de « lalangue», l’opération de la parole. Il n’y a pas une interprétation analytique qui ne soit pour donner à quelque proposition qu’on rencontre sa relation à une jouissance, à quoi … qu’est-ce que veut dire la psychanalyse ? Que cette relation à la jouissance, c’est la parole qui assure la dimension de vérité. Et encore n’en reste-t-il pas moins assuré qu’elle ne peut d’aucune façon la dire complètement. Elle ne peut, comme je m’exprime, que la mi-dire, cette relation, et en forger du semblant, très précisément ce qu’on appelle – sans pouvoir en dire grand chose justement : on en fait quelque chose, mais on ne peut pas en dire long, semble-t-il, sur le type – le semblant de ce qui s’appelle un homme ou une femme.

Il y a quand même quelqu’un, comme ça, qui un jour, vous ne vous en souvenez pas, bien sûr, parce que vous avez pas lu tout Aragon, – qui est-ce qui lit tout Aragon! – il y a un passage d’Aragon, jeune, qui s’est mis à fumer, je veux dire à s’échauffer, à prétendre qu’un temps… qui a été jusqu’à supprimer les carrefours, quadrivii. Il pensait aux autoroutes, parce que c’est un mot assez marrant autoroute hein! Qu’est-ce que ça veut dire une auto-route ? Une route en soi ou une route pour soi? Enfin, qui trouvait ce temps, il y a encore beaucoup de carrefours, beau­coup de coins de rues, bien sûr! Enfin, je ne sais pas ce qui lui a pris, comme ça, de penser qu’il n’y aurait plus de carrefours, qu’il y aurait toujours des passages souterrains, que ce temps mériterait un meilleur sort que de rester dans la théologie générale ? Ce qu’il y a de curieux c’est qu’il n’en a pas du tout tiré de conclusion. C’est le mode surréaliste, n’est-ce pas ? Ça n’a jamais abouti à rien. Il n’a pas spatialisé le nœud borroméen de la bonne façon. Grâce à quoi, n’est-ce pas, nous en sommes toujours, à être, comme me le disait Heidegger, là, que j’ai extrait tout à l’heure de sa boîte, à être In-der-Welt, à l’In-der-Welt-sein. C’est une cosméticologie, cosméticuleuse en plus. C’est une tradition comme ça, grâce à quoi? Grâce à ce Welt : il y a l’Umwelt et puis il y a l’Innenwelt. Ça devrait faire suspect, cette répétition de la bulle. Oui, j’ai appris que dans les bandes dessinées c’est par des bulles, je ne m’en étais jamais aperçu, parce que, je dois dire la vérité, je ne regarde jamais les bandes dessinées. J’ai honte enfin! j’ai honte parce que c’est merveilleux n’est-ce pas? C’est même pas des bandes dessinées, c’est des photo­montages, enfin c’est sublime! C’est des photo-montages, j’ai lu ça dans Nous deux; des photo-montages avec paroles! Et alors les pensées, c’est quand il y a des bulles!

Je ne sais pas pourquoi vous riez, parce que vous, ça vous est familier! Du moins, je le suppose, parce que… Oui! La question que le pose là sous cette forme de bulle, c’est: qu’est-ce qui prouve que le Réel fait uni­vers ? C’est là, la question que je pose, c’est celle qui est posée à partir de Freud; en ceci qui n’est qu’un commencement, c’est que Freud suggère que cet univers a un trou. Par-dessus le marché, un trou qu’il n’y a pas moyen de savoir. Alors je suis ce trou à la trace, si je puis dire, et je ren­contre, c’est pas moi qui l’ai inventé, je rencontre le nœud borroméen qui, comme on dit toujours, me vient là comme bague au doigt… Nous voilà encore dans le trou!

Seulement il y a quand même quelque chose, quand on y va comme ça à suivre les choses à la trace, c’est qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas qu’un truc pour faire un cycle. C’est pas forcément et seulement le trou.

Oui si vous en prenez deux, de ça, de ces cycles, de ces choses qui tournent, de ce cercle en question [figure IX-2], et si vous les nouez tous les deux, de la bonne façon… Faut pas se tromper bien sûr – et je dois vous dire que je me trompe tout le temps, il n’y a pas que Jacques Alain Miller ! La preuve que… Regardez ça! Quand j’ai voulu tout à l’heure vous faire le nœud borroméen, celui-ci, là, à la noix, je me suis…

 

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