vendredi, avril 19, 2024
Recherches Lacan

irma

IRMA

XIII, 9 mars 1955
LE RÊVE DE L’INJECTION D’IRMANous en sommes donc toujours à méditer sur le sens des diverses conceptions que Freud s’est faites de l’appareil psychique. Ce travail qu’il a poursuivi au cours de toute son oeuvre, répondait pour lui à une exigence de cohérence interne. Il fut le premier et longtemps le seul à essayer de s’y retrouver, et il poursuivit son effort à travers les modifica­tions, de théorie et de technique, que proposaient ceux qui le suivaient, c’est-à-dire la communauté analytique.

C’est un fait que la difficile question de la régression, à laquelle nous étions confrontés la dernière fois, était d’abord engendrée par les néces­sités mêmes du schéma. Il faut lire les lettres à Fliess pour savoir combien ce travail a été pour Freud d’un engendrement difficile. Et c’est pour lui une exigence qui va au plus profond, que d’obtenir des schémas rigou­reux. Or, faire une hypothèse sur la quantité n’est pas sans retentisse­ment sur la notion de qualité. Et je ne crois pas que l’une et l’autre soient exactement compatibles. Freud a préféré l’une à l’autre pour certaines commodités de formulation, ruais c’est à la relative simplification du premier schéma qu’il doit les difficultés du second, à savoir cette disso­ciation de la perception et de la conscience qui l’oblige à introduire l’hypothèse d’une régression pour rendre compte du caractère figuratif, c’est-à-dire imaginaire, de ce qui se produit dans le rêve.

Évidemment, le terme d’imaginaire, s’il avait pu être employé dès alors, aurait levé bien des contradictions. Mais ce caractère figuratif est ici conçu comme participant du perceptif, et le visuel est promu par Freud comme équivalent du perceptuel. Il est clair que le schéma, tel qu’il est construit dans la Traumdeutung, conduit nécessairement à pro­poser dès le niveau topique une hypothèse comme celle-ci – c’est parce que l’état de rêve ne permet pas aux processus de se poursuivre norma­lement jusqu’à la décharge motrice qu’il y a retour en arrière du proces­sus de l’influx intentionnel, et apparition de son caractère imagé. Les choses peuvent aller à l’envers – voilà le sens du terme de régression, au point où nous en sommes.

C’est ici la première formulation un peu ferme de cette notion qui sera admise par la suite, de façon analogue, tant sur le plan formel que sur le plan génétique. L’idée de la régression de l’individu aux premiers stades de son développement domine, vous le savez, beaucoup de nos concep­tions sur la névrose comme sur le traitement. L’entrée en jeu de cette notion, qui paraît maintenant si familière, ne va pas pourtant de soi, comme vous vous en êtes aperçus.

Pour vous faciliter maintenant le passage de ce schéma de l’appareil psychique à celui qu’implique le développement ultérieur de la pensée de Freud, nommément celui qui se centre sur la théorie du narcissisme, je vais vous proposer aujourd’hui une petite épreuve.

 

1° Le rêve initial, le rêve des rêves, le rêve inauguralement déchiffré, est pour Freud celui de l’injection d’Irma. Il en fait une analyse aussi exhaus­tive que possible, y revenant très souvent dans la Traumdeutung même, chaque fois qu’il a besoin d’un point d’appui, et en particulier, longue­ment, lorsqu’il introduit la notion de condensation.

Eh bien, ce rêve, nous allons le reprendre avec notre point de vue de maintenant. Nous sommes là dans notre droit, à condition de ne pas vouloir faire dire à Freud, qui n’en est qu’à la première étape de sa pensée, ce qui est dans la dernière, à condition de ne pas tenter d’accorder ces étapes les unes avec les autres à notre guise.

On trouve sous la plume d’Hartmann cet aveu assez candide qu’après tout les conceptions de Freud ne s’accordent pas si bien que ça entre elles, et qu’elles ont besoin d’être synchronisées. Les effets de cette synchro­nisation de la pensée de Freud sont précisément ce qui rend nécessaire un retour aux textes. A la vérité, elle me paraît avoir un fâcheux écho de mise au pas. Il ne s’agit pas pour nous de synchroniser les différentes étapes de la pensée de Freud, ni même de les accorder. Il s’agit de voir à quelle unique et constante difficulté répondait le progrès de cette pensée fait des contradictions de ses différentes étapes. Il s’agit, à travers la succession d’antinomies que cette pensée nous présente toujours, à l’intérieur de chacune de ces étapes, et entre elles, de nous affronter à ce qui est proprement l’objet de notre expérience.

Je ne suis pas le seul, parmi les gens qui ont fonction d’enseigner l’analyse et de former des analystes, à avoir eu l’idée de reprendre le rêve de l’injection d’Irma. C’est le cas en particulier d’un homme qui s’appelle Erikson et se qualifie lui-même de tenant de l’école culturaliste-grand bien lui fasse. Ce dit culturalisme consiste à mettre l’accent dans l’analyse sur ce qui, dans chaque cas, relève du contexte culturel dans lequel le sujet est plongé. Cet aspect n’a certes pas été méconnu jusque-là-je ne sache pas que Freud, ni ceux qui peuvent se qualifier de spécifiquement freudiens, l’aient jamais négligé. La question est de savoir si l’on doit donner à cet élément une importance prévalente dans la constitution du sujet. Laissons de côté pour l’instant la discussion théorique que cela peut soulever, et voyons à quoi cela aboutit.

A propos du rêve de l’injection d’Irma, cela aboutit à certaines remar­ques que j’essaierai de vous pointer, au fur et à mesure que j’aurai à les rencontrer dans la ré-analyse que j’essaierai de faire aujourd’hui. Vous serez étonnés de voir que ce culturalisme converge assez singulièrement avec un psychologisme qui consiste à comprendre tout le texte analy­tique en fonction des différentes étapes du développement de l’ego. Vous voyez que ce n’est pas le simple désir de persifler sa synchronisation qui m’a fait nommer Hartmann.

Le rêve de l’injection d’Irma, on cherchera donc à le situer comme une étape du développement de l’ego de Freud, ego qui a droit à un respect particulier car c’est celui d’un grand créateur, à un moment éminent de sa capacité créatrice. A la vérité, on ne peut pas dire que ce soit un idéal faux. Il doit bien sûr y avoir une psychologie du créateur. Mais est-ce la leçon que nous avons à tirer de l’expérience freudienne, et plus spéciale­ment, si nous la regardons à la loupe, de ce qui se passe dans le rêve de l’injection d’Irma?

Si ce point de vue est vrai, nous devons abandonner la notion que je vous dis être l’essence de la découverte freudienne, le décentrement du sujet par rapport à l’ego, et revenir à la notion que tout se centre sur le développement typique de l’ego. Il y a là une alternative sans médiation – si c’est vrai, tout ce que je dis est faux.

Seulement, si ce que je dis est faux, il devient extrêmement difficile de lire le moindre texte de Freud en y comprenant quelque chose. Nous allons en faire l’épreuve sur le rêve de l’injection d’Irma.

Pourquoi Freud donne-t-il une telle importance à ce rêve? Au premier abord, on pourrait s’en étonner. Qu’est-ce que Freud, en effet, tire de l’analyse de ce rêve? Cette vérité, qu’il pose comme première, que le rêve est toujours la réalisation d’un désir, d’un souhait.

3- Je vais vous lire le contenu du rêve, espérant que cela suffira à vous évoquer l’analyse qui y est attachée.

Un grand hall -beaucoup d’invités, nous recevons. Parmi ces invités, Irma, que je prends tout de suite à part, pour lui reprocher, en réponse à sa lettre, de ne pas avoir encore accepté ma « solution ». Je lui dis : « Si tu as encore des douleurs, c’est réellement de ta faute. » Elle répond : « Si tu savais comme j’ai mal à la gorge, à l’estomac et au ventre, cela m’étrangle. »Je prends peur et je la regarde. Elle a un air pâle et bouffi; je me dis : n’ai je pas laissé échapper quelque symptôme organique? Je l’amène près de la fenêtre et j’examine sa gorge. Elle manifeste une certaine résistance comme les femmes qui portent un dentier. Je me dis : pourtant elle n’en a pas besoin. Alors, elle ouvre bien la bouche, et je constate, à droite, une grande tache blanche, et d’autre part j’aperçois d’extraor­dinaires formations contournées qui ont l’apparence des cornets du nez, et sur elles de larges escarres blanc grisâtre. J’appelle aussitôt le docteur M., qui, à son tour, examine la malade et confirme. Le docteur M. n’est pas comme d’habitude, il est       ‘ très pâle, il boite, il n’a pas de barbe… Mon ami Otto est également là, à côté d’elle, et mon ami Léopold la percute par-dessus le corset; il dit : « Elle a une matité à la base gauche », et il indique aussi une région infiltrée de la peau au niveau de l’épaule gauche (fait que je constate comme lui malgré les vêtements). M. dit: « Il n’y a pas de doute, c’est une infection, mais ça ne fait rien; il va s’y ajouter de la dysenterie et le poison va s’éliminer. » Nous savons également, d’une manière directe, d’où vient l’infection. Mon ami Otto lui a fait récemment, un jour où elle s’était sentie souffrante, une injection avec une préparation de propyle, propylène… acide proprionique… triméthylamine (dont je vois la formule devant mes yeux, imprimée en caractère gras)… Ces injections ne sont pas faciles à faire… il est probable aussi que la seringue n’était pas propre.

 

2° Irma est une malade amie de la famille de Freud. Celui-ci est donc vis-à-vis d’elle dans cette situation délicate, toujours à éviter, où est l’analyste qui soigne quelqu’un du cercle de ses connaissances. Nous sommes beaucoup plus avertis que ne l’était Freud à cet état préhis­torique de l’analyse, des difficultés, dans ce cas, d’un contre-transfert.

C’est bien en effet ce qui se passe. Freud a de grandes difficultés avec Irma. Comme il nous le signale dans les associations du rêve, il en est encore à ce moment à penser que, quand le sens inconscient du conflit fondamental de la névrose est découvert, on n’a qu’à le proposer au sujet, qui accepte ou n’accepte pas. S’il n’accepte pas, c’est sa faute, c’est un vilain, un méchant, un mauvais patient. Quand il est bon, il accepte, et tout va bien. Je ne force rien – il y a les bons et les mauvais patients. Cette notion, Freud nous la rapporte avec un humour voisin de l’ironie un peu sommaire que je fais sur ce sujet. Il dit qu’il peut bénir le ciel d’avoir eu cette conception à cette époque, car elle lui a pertuis de vivre.

Donc, il est en grande difficulté avec Irma, qui est certainement améliorée, mais qui conserve certains symptômes et particulièrement une tendance au vomissement. Il vient d’interrompre le traitement, et c’est son ami Otto qui lui apporte des nouvelles de son ancienne pa­tiente.

Otto est celui dont, autrefois, j’ai souligné qu’il est très proche de Freud. Mais ce n’est pas un ami intime, au sens où il serait familier des pensées de celui qui est déjà un maître. C’est un brave, Otto, il soigne un peu toute la famille, quand on a des rhumes, des choses qui ne vont pas très bien, et il joue dans le ménage le rôle du célibataire sympathique, bienfaisant, donneur de cadeaux. Ce n’est pas sans provoquer une cer­taine ironie amusée de la part de Freud.

L’Otto en question, pour lequel il a donc une estime de bon aloi, tuais moyenne, lui rapporte des nouvelles de la nommée Irma, et lui dit que, somme toute, ça va, tuais pas si bien que ça. Et à travers ses intonations, Freud croit sentir que le cher ami Otto le désapprouve quelque peu, ou plus exactement que celui-ci a dû participer aux gorges chaudes de l’entourage, voire à l’opposition qu’il a rencontrée à propos de cette cure imprudemment entreprise sur un terrain où il n’est pas pleinement maître de manoeuvrer comme il l’entend.

Freud, en effet, a le sentiment d’avoir bien proposé à Irma la bonne solution – Lösung. Ce mot a la même ambiguïté en allemand qu’en français – c’est aussi bien la solution qu’on injecte que la solution d’un conflit. En cela, le rêve de l’injection d’Irma prend déjà son sens symbo­lique.

Au départ, Freud est fort mécontent de son ami. C’est qu’il est encore bien plus mécontent de lui-même. Il va jusqu’à mettre en doute le bien-fondé de cette solution qu’il apporte et peut-être le principe même de son traitement des névroses.

En cette année 1895, il en est encore à ce stade expérimental où il fait ses découvertes majeures, parmi lesquelles l’analyse de ce rêve lui paraî­tra toujours si importante, qu’en 1900, dans une lettre à Fliess, juste après la parution du livre où il la rapporte, il s’amusera – tuais ses façons de s’amuser ne sont jamais si gratuites – à évoquer qu’un jour on mettra peut-être sur le seuil de la maison de campagne de Bellevue où se passe ce rêve – Ici, le 24 juillet 1895, pour la première fois l’énigme du rêve a été dévoilée par Sigmund Freud.  181

En même temps que mécontent, il est donc à cette date plein de confiance. C’est, notez-le, avant la crise de 1897, dont nous trouvons trace dans la lettre à Fliess, où il devait penser un moment que toute la théorie du trauma à partir de la séduction, centrale dans la genèse de sa conception, était à rejeter, et que tout son édifice s’écroulait. Il est en 1895 dans une période créatrice, ouvert à la certitude comme au doute – ce qui caractérise tout le progrès de la découverte.

Ce qui est perçu, à travers la voix d’Otto, de désapprobation, est le petit choc qui va mettre en branle son rêve.

Dès 1882, je vous le signale, Freud, dans une lettre à sa fiancée, remarquait que ce n’était pas tellement les grandes préoccupations du jour qui apparaissaient dans les rêves, que les thèmes amorcés, puis interrompus – quand vous avez le sifflet coupé. Le sifflet coupé de la parole a frappé Freud précocement, et nous le retrouvons sans cesse dans ses analyses de la Psychopathologie de la vie quotidienne. Je vous ai déjà parlé de l’oubli du nom de l’auteur de la fresque d’Orvieto s’agissait là aussi de quelque chose qui n’était pas complètement sorti pendant la journée.

Ici, pourtant, c’est bien loin d’être le cas. Freud s’est mis au travail le soir après dîner, et a rédigé tout un résumé à propos du cas d’Irma, de façon à remettre les choses au point, et justifier au besoin la conduite générale du traitement.

Là-dessus, la nuit vient. Et ce rêve.

Je vais tout de suite au résultat. Freud considère comme un grand succès d’avoir pu expliquer ce rêve dans tous ses détails, par le désir de se décharger de sa responsabilité dans l’échec du traitement d’Irma. Il le fait dans le rêve – lui comme artisan du rêve – par des voies tellement multiples que, comme il le remarque avec son humour habituel, cela ressemble beaucoup à l’histoire de la personne à qui on reproche d’avoir rendu un chaudron percé, et qui répond que premièrement, il l’a rendu intact, que deuxièmement, le chaudron était déjà percé quand il l’a emprunté, et que troisièmement il ne l’a pas emprunté. Chacune de ces explications séparément serait parfaitement valable, tuais l’ensemble ne peut nous satisfaire en aucune façon.

C’est ainsi qu’est conçu ce rêve, nous dit Freud. Et, bien entendu, il y a là la trame de tout ce qui apparaît dans le rêve. Mais la question à mon sens est plutôt celle-ci – comment se fait-il que Freud, qui développera plus loin la fonction du désir inconscient, se contente ici, pour le premier pas de sa démonstration, de présenter un rêve entièrement expliqué par la satisfaction d’un désir qu’on ne peut pas appeler autrement que pré­conscient, et même tout à fait conscient? Freud, n’est-ce pas, a passé la veille au soir à essayer de se justifier noir sur blanc aussi bien de ce qui va que de ce qui peut ne pas aller.  182

Pour établir sa formule, qu’un rêve est dans tous les cas la satisfaction d’un désir, Freud ne semble pas, au premier abord, avoir exigé autre chose que la notion la plus générale du désir, sans se soucier plus avant de savoir ce qu’est ce désir, ni même d’où il vient – de l’inconscient ou du préconscient.

Freud pose ainsi la question dans la note que j’ai lue la dernière fois – qui est-il, ce désir inconscient? Qui est-il, lui qui est repoussé et fait horreur au sujet? Quand on parle d’un désir inconscient, qu’est-ce qu’on veut dire? Pour qui ce désir existe-t-il?

C’est à ce niveau que va s’éclairer pour nous cette immense satisfaction qu’apporte à Freud la solution qu’il donne au rêve. Pour donner nous-même son plein sens au fait que ce rêve joue un rôle décisif dans l’exposé de Freud, il nous faut tenir compte de l’importance que lui accorde Freud, d’autant plus significative qu’elle nous apparaît paradoxale. Au premier abord, on pourrait dire que le pas décisif n’est pas fait, puisqu’il ne s’agit en fin de compte que de désir préconscient. Mais s’il tient ce rêve pour le rêve des rêves, le rêve initial, typique, c’est qu’il a le sentiment de l’avoir fait, ce pas, et il ne démontre que trop par la suite de son exposé qu’il l’a fait effectivement. S’il a le sentiment de l’avoir fait, c’est qu’il l’a fait.

Je ne suis pas en train de refaire l’analyse du rêve de Freud après Freud lui-même. Ce serait absurde. Pas plus qu’il n’est question d’analyser des auteurs défunts, il n’est question d’analyser son propre rêve mieux que Freud. Quand Freud interrompt les associations, il a ses raisons pour cela. Il nous dit – Ici, je ne peux pas vous en dire plus long, je ne veux pas vous raconter les histoires de lit et de pot de chambre – ou bien – Ici je n’ai plus envie de continuer à associer. Il ne s’agit pas d’exégéter là où Freud s’inter­rompt lui-même, mais de prendre, nous, l’ensemble du rêve et de son interprétation. Là, nous sommes sur une position différente de celle de Freud.

Il y a deux opérations – faire le rêve, et l’interpréter. Interpréter, c’est une opération dans laquelle nous intervenons. Mais n’oubliez pas que dans la plupart des cas, nous intervenons aussi dans la première. Dans une analyse, nous n’intervenons pas seulement en tant que nous inter­prétons le rêve du sujet – si tant est que nous l’interprétions -, mais comme nous sommes déjà, à titre d’analyste, dans la vie du sujet, nous sommes déjà dans son rêve.

Rappelez-vous ce que, dans la conférence inaugurale de cette société, je vous évoquais à propos du symbolique, de l’imaginaire et du réel. Il s’agissait d’user de ces catégories sous forme de petites et de grandes lettres.  183

iS – imaginer le symbole, mettre le discours symbolique sous forme figurative, soit le rêve.

sI – symboliser l’image, faire une interprétation de rêve.

 

Seulement, pour cela il faut qu’il y ait une réversion, que le symbole soit symbolisé. Au milieu, il y a la place pour comprendre ce qui se passe dans cette double transformation. C’est ce que nous allons essayer de faire – prendre l’ensemble de ce rêve et l’interprétation qu’en donne Freud, et voir ce que cela signifie dans l’ordre du symbolique et de l’imaginaire.

Nous avons la chance que ce fameux rêve, dont vous ne constaterez que trop que nous ne le manions qu’avec le plus grand respect, n’est pas, parce qu’il s’agit d’un rêve, dans le temps. C’est très simple à remarquer, et ça constitue précisément l’originalité du rêve-le rêve n’est pas dans le temps.

Il y a quelque chose de tout à fait frappant – aucun des auteurs en question ne fait remarquer ce fait dans sa pureté. M. Erikson s’en approche, mais malheureusement, son culturalisme n’est pas pour lui un instrument très efficace. Ledit culturalisme le pousse à poser soi-disant le problème de l’étude du contenu manifeste du rêve. Ce contenu mani­feste du rêve, nous dit-il, mériterait d’être remis au premier plan. Là-dessus, discussion fort confuse, qui repose sur cette opposition du superficiel et du profond, dont je vous supplie toujours de vous débar­rasser. Comme Gide le dit dans les Faux-Monnayeurs, il n’y a rien de plus profond que le superficiel, parce qu’il n’y a pas de profond du tout. Mais ce n’est pas la question.

Il faut partir du texte, et en partir, ainsi que Freud le fait et le conseille, comme d’un texte sacré. L’auteur, le scribe, n’est qu’un scribouillard, et il vient en second. Les commentaires des Écritures ont été irrémédia­blement perdus le jour où on a voulu faire la psychologie de Jérémie, d’Isaïe, voire de Jésus-Christ. De même, quand il s’agit de nos patients, je vous demande de porter plus d’attention au texte qu’à la psychologie de l’auteur – c’est toute l’orientation de mon enseignement.

Prenons ce texte. M. Erikson attache une grande importance au fait qu’au départ, Freud dit – nous recevons. Ainsi, il serait un personnage double – il reçoit avec sa femme. Il s’agit d’une petite fête, attendue, d’un anniversaire, où Irina, l’amie de la famille, doit venir. Je veux bien, en effet, que le nous recevons pose Freud dans son identité de chef de famille, ruais ce ne me paraît pas impliquer une bien grande duplicité de sa fonction sociale, car on ne voit absolument pas apparaître la chère Frau Doktor, pas une minute.

Dès que Freud entre dans le dialogue, le champ visuel se rétrécit. Il prend Irina et commence à lui faire des reproches, à l’invectiver – C’est bien de ta faute, si tu m’écoutais ça irait mieux. Inversement, Irma lui dit – Tu ne peux pas savoir comme ça fait mal ici et là, et là, gorge, ventre, estomac. Et puis elle dit que cela lui zusammenschnüren, que ça l’étouffe. Ce zusammenschnüren me paraît vivement expressif.

 

MME X : – Autrefois, on avait trois ou quatre personnes qui tiraient sur les cordons du corset pour le serrer.

 

Freud est alors assez impressionné, et commence à manifester quelque inquiétude. Il l’attire vers la fenêtre et lui fait ouvrir la bouche.

Tout cela se passe donc sur un fond de discussion et de résistance – résistance non seulement à ce que Freud propose, mais aussi à l’examen. Il s’agit là en fait de résistance du type résistance féminine. Les auteurs passent là-dessus en mettant en jeu la psychologie féminine dite victo­rienne. Car il est bien entendu que les femmes ne nous résistent plus – ça ne nous excite plus, les femmes qui résistent, et quand il s’agit de résistance féminine, c’est toujours ces pauvres victoriennes qui sont là à concentrer sur elles les reproches. C’est assez amusant. Conséquence du culturalisme qui ne sert pas ici à ouvrir les yeux à M. Erikson.

C’est pourtant autour de cette résistance que tournent les associations de Freud. Elles mettent en valeur qu’Irma est loin d’être la seule en cause, bien qu’elle seule apparaisse dans le rêve. Parmi les personnes qui sont sich streichen, il y en a deux en particulier qui, pour être symétriques, n’en sont pas moins assez problématiques – la femme de Freud lui-même qui, à ce moment-là, comme on le sait par ailleurs, est enceinte, et une autre malade.

Nous savons l’importance extrême du rôle que sa femme a joué dans la vie de Freud. Il avait pour elle un attachement non seulement familial, mais conjugal, hautement idéalisé. Il semble bien pourtant, à certaines nuances, qu’elle n’ait pas été sans lui apporter, sur certains plans instinc­tuels, quelque déception. Quant à la malade, c’est pour ainsi dire la malade idéale, parce qu’elle n’est pas une malade de Freud, qu’elle est assez jolie, et certainement plus intelligente qu’Irma, dont on a plutôt tendance à noircir les facilités de compréhension. Elle a aussi cet attrait qu’elle ne demande pas le secours de Freud, ce qui laisse celui-ci souhai­ter qu’elle puisse un jour le lui demander. Mais à vrai dire il n’en a pas grand espoir. Bref, c’est dans un éventail qui va de l’intérêt professionnel le plus purement orienté, jusqu’à toutes les formes de mirage imaginaire, que se présente ici la femme et que se situe la relation avec Irma.

Dans le rêve lui-même, Freud se montre tel qu’il est, et son ego s’y trouve parfaitement au niveau de son ego vigile. En psychothérapeute, il s’entretient de façon directe des symptômes d’Irma, qui sont un peu modifiés sans doute par rapport à ce qu’ils sont dans la réalité, mais légèrement. Irina elle-même est à peine distordue. Ce qu’elle montre, elle le montrerait aussi bien si on y regardait de près à l’état de veille. Si Freud analysait ses comportements, ses réponses, ses émotions, son transfert à tout instant dans le dialogue avec Irma, il verrait tout aussi bien que derrière Irma, il y a sa femme, qui est son amie assez intime, et aussi bien la jeune femme séduisante qui est à deux pas et ferait une bien meilleure patiente qu’Irina.

Nous sommes là à un premier niveau, où le dialogue reste asservi aux conditions de la relation réelle, en tant qu’elle est elle-même entièrement engluée dans les conditions imaginaires qui la limitent, et qui font, pour l’instant, difficulté à Freud.

Cela va très loin. Ayant obtenu que la patiente ouvre la bouche – c’est de cela qu’il s’agit justement dans la réalité, qu’elle n’ouvre pas la bouche -, ce qu’il voit au fond, ces cornets du nez recouverts d’une membrane blanchâtre, c’est un spectacle affreux. Il y a à cette bouche toutes les significations d’équivalence, toutes les condensations que vous voudrez. Tout se mêle et s’associe dans cette image, de la bouche à l’organe sexuel féminin, et passant par le nez – Freud, juste avant ou juste après, se fait opérer, par Fliess ou un autre, des cornets du nez. Il y a là une horrible découverte, celle de la chair qu’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, les secrétats par excellence, la chair dont tout sort, au plus profond même du mystère, la chair en tant qu’elle est souffrante, qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. Vision d’angoisse, identification d’angoisse, dernière révélation du tu es ceciTu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe. C’est devant cette révélation du type Mané, Thecel, Phares que Freud arrive, au sommet de son besoin de voir, de savoir, qui s’exprimait jusqu’alors dans le dialogue de l’ego avec l’objet.

Ici, Erikson fait une remarque qui, je dois l’avouer, est excellente – normalement un rêve qui aboutit à ça doit provoquer le réveil. Pourquoi Freud ne se réveille-t-il pas? Parce que c’est un dur.

Moi, je veux bien – c’est un dur. Alors, ajoute Erikson, comme son ego est coincé salement devant ce spectacle, cet ego régresse – toute la suite de l’exposé est pour nous le dire. Erikson fait alors toute une théorie des différents stades de l’ego, dont je vous donnerai connaissance. Ce sont des amusettes psychologiques certainement fort instructives, mais qui me paraissent à la vérité aller contre l’esprit même de la théorie freudienne. Car, enfin, si l’ego est cette succession d’émergences, de formes, si cette double face de bien et de mal, de réalisations et de modes d’irréalisations en constitue le type, on voit mal ce que vient faire là-dedans ce que dit Freud en mille, deux mille endroits de ses écrits, que le moi est la somme des identifications du sujet, avec tout ce que cela peut comporter de radicalement contingent. Si vous me permettez de l’ima­ger, le moi est comme la superposition des différents manteaux empruntés à ce que j’appellerai le bric-à-brac de son magasin d’acces­soires.

Pouvez-vous vraiment, vous autres analystes, en toute authenticité, m’apporter des témoignages de ces superbes développements typiques de l’ego des sujets? Ce sont des histoires. On nous raconte la façon dont se développe somptueusement ce grand arbre, l’homme, qui à travers son existence triomphe d’épreuves successives grâce auxquelles il arrive à un merveilleux équilibre. C’est tout à fait autre chose, une vie humaine! J’ai déjà écrit cela autrefois dans mon discours sur la psychogenèse.

 

3° Est-ce vraiment d’une régression de l’ego qu’il s’agit au moment où Freud évite le réveil? Ce que nous voyons, c’est qu’à partir de ce moment-là, plus question de Freud. Il appelle le professeur M. au secours parce qu’il y perd son latin. Ce n’est pas pour autant qu’on va lui en donner un meilleur, de latin.

Le docteur M., personnalité prédominante du milieu, comme il l’appelle – je n’ai pas identifié qui c’est -, est un type tout à fait estimable dans la vie pratique. Il n’a certainement jamais fait beaucoup de mal à Freud, ruais il n’est pas toujours de son avis, et Freud n’est pas homme à l’admettre aisément.

Il y a aussi Otto et le camarade Léopold, qui darne le pion au camarade Otto. Aux yeux de Freud, ça lui fait un mérite considérable, et il les compare tous les deux à l’inspecteur Bräsig et à son ami Karl. L’inspec­teur Bräsig est un type futé, ruais qui se trompe toujours, parce qu’il omet de bien regarder les choses. Le camarade Karl, qui est à ses côtés, les remarque, et l’inspecteur n’a plus qu’à suivre.

Avec ce trio de clowns, nous voyons s’établir autour de la petite Irma un dialogue à bâtons rompus, qui tient plutôt du jeu des propos inter­rompus, et même du dialogue bien connu de sourds.

Tout cela est extrêmement riche et je ne fais que résumer. Apparais­sent les associations qui nous montrent la véritable signification du rêve.

Freud s’aperçoit qu’il se trouve là innocenté de tout, selon le raisonne­ment du seau percé. Les trois sont si ridicules que n’importe qui aurait l’air d’un dieu auprès de pareilles machines à absurdité. Ces personnages sont tous significatifs, en ce qu’ils sont des personnages de l’identifica­tion où réside la formation de l’identification où réside la formation de l’égo.

Le docteur M. -répond à une fonction qui a été capitale pour Freud, celle de son demi-frère Philippe, dont je vous disais dans un autre contexte que c’était le personnage essentiel pour comprendre le com­plexe oedipien de Freud. Si Freud a été introduit à l’Œdipe d’une façon aussi décisive pour l’histoire de l’humanité, c’est évidemment qu’il avait un père, lequel, d’un premier mariage, avait déjà deux fils, Emmanuel et Philippe, d’un âge voisin, à trois années près, mais qui étaient déjà en âge d’être chacun le père du petit Freud Sigmund, né, lui, d’une mère qui avait exactement le même âge que ledit Emmanuel. Cet Emmanuel a été pour Freud l’objet d’horreur par excellence. On a même cru que toutes les horreurs étaient concentrées sur lui – à tort, car Philippe en a pris sa part. C’est lui qui a fait coffrer la bonne vieille nourrice de Freud, à laquelle on attache une importance démesurée, les culturalistes ayant voulu annexer Freud au catholicisme par son intermédiaire.

Il n’en reste pas moins que les personnages de la génération intermé­diaire ont joué un rôle considérable. C’est une forme supérieure qui permet de concentrer les attaques agressives contre le père sans trop toucher au père symbolique, qui, lui, est vraiment dans un ciel qui, sans être celui de la sainteté, n’en a pas moins son extrême importance. Le père symbolique reste intact grâce à cette division des fonctions.

Le docteur M. représente ce personnage idéal constitué par la pseudo-image paternelle, le père imaginaire. Otto correspond à ce per­sonnage qui a joué un rôle constant dans la vie de Freud, le familier et proche intime qui est à la fois ami et ennemi, qui, d’une heure à l’autre, devient d’ami ennemi. Et Léopold joue le rôle du personnage utile pour toujours contrer le personnage de l’ami-ennemi, de l’ennemi chéri.

Voilà donc une tout autre triade que la précédente, mais qui est aussi bien dans le rêve. L’interprétation de Freud nous sert à en comprendre le sens. Mais quel est son rôle dans le rêve? Elle joue avec la parole, la parole décisive et judicative, avec la loi, avec ce qui tourmente Freud sous la forme-Ai je tort ou raison? Où est la vérité? Quel est le sort du problème? Où suis-je situé?

Nous avons vu la première fois, accompagnant l’ego d’Irma, trois personnages féminins. Freud note qu’il y a là une telle abondance de recoupements qu’à la fin les choses se nouent, et qu’on arrive à on ne sait quel mystère.

Quand nous analysons ce texte, il faut tenir compte du texte tout entier, y compris des notes. A cette occasion, Freud évoque ce point des associations -où le rêve prend son insertion dans l’inconnu, ce qu’il appelle son ombilic.

Nous arrivons à ce qu’il y a derrière le trio mystique. Je dis mystique parce que nous en connaissons maintenant le sens. Les trois femmes, les trois sueurs, les trois coffrets, Freud nous en a depuis démontré le sens. Le dernier terme est la mort, tout simplement.

C’est bien de cela qu’il s’agit. Nous le voyons même apparaître au milieu du vacarme des paroles dans la seconde partie. L’histoire de la membrane diphtérique est directement liée à la menace, qui a été extrê­mement loin, portée deux ans auparavant sur la vie d’une des filles de Freud. Freud en a senti la valeur comme d’un châtiment pour une maladresse thérapeutique qu’il a commise en donnant trop d’un médi­cament, le sulfonal, à une de ses patientes, ignorant que son usage continu n’était pas sans effets nocifs. Il a cru voir là le prix payé de sa faute professionnelle.

Dans la seconde partie, les trois personnages jouent entre eux ce jeu dérisoire de se renvoyer la balle à propos de ces questions fondamentales pour Freud – Quel est le sens de la névrose? Quel est le sens de la cure? Quel est le bien-fondé de ma thérapeutique des névroses? Et derrière tout cela, il y a le Freud qui rêve en étant un Freud qui cherche la clé du rêve. C’est pourquoi la clé du rêve doit être la même chose que la clé de la névrose et la clé de la cure.

De même qu’il y a dans la première étape une adné, quand émerge la révélation d’apocalypse de ce qui était là, il y a aussi un sommet dans la seconde partie. D’abord, immédiatement, unmittelbar, comme dans la conviction délirante où tout d’un coup vous savez que c’est celui-là qui vous en veut, ils savent que c’est Otto le coupable. Il a fait une injection. On cherche – … propyle… propylène… A cela s’associe l’histoire si comique du jus d’ananas dont, la veille, Otto a fait cadeau à la famille. On a débouché, ça sentait une odeur de riquiqui. On a dit-Donnons-le aux domestiques. Mais Freud, plus humain, dit-il, remarque gentiment: – Mais non, eux aussi, ça pourrait leur faire du mal. Il en sort écrit en caractères gras, au-delà de ce vacarme des paroles, comme le Mané, Thecel, Phares de la Bible, la formule de la triméthylamine. Je vais vous l’écrire cette formule.

 triméthylamine

 

Cela éclaire tout, triméthylamine. Le rêve ne prend pas seulement son sens de la recherche de Freud sur le sens du rêve. S’il peut continuer de se poser la question, c’est qu’il se demande si tout cela communique avec Fliess, dans les élucubrations duquel la triméthylamine joue un rôle à propos des produits de décomposition des substances sexuelles. En effet -je me suis informé-la triméthylamine est un produit de décomposi­tion du sperme, et c’est ce qui lui donne son odeur ammoniacale quand on le laisse se décomposer à l’air. Le rêve, qui a culminé une première fois, alors que l’ego était là, sur l’image horrifique que j’ai dite, culmine la seconde fois à la fin dans une formule écrite, avec son côté Mané, Thecel, Phares, sur la muraille, au-delà de ce que nous ne pouvons pas ne pas identifier comme la parole, la rumeur universelle.

Tel un oracle, la formule ne donne aucune réponse à quoi que ce soit. Mais la façon même dont elle s’énonce, son caractère énigmatique, hermétique, est bien la réponse à la question du sens du rêve. On peut la calquer sur la formule islamique – Il n’y a d’autre Dieu que Dieu. Il n’y a d’autre mot, d’autre solution à votre problème, que le mot.

Nous pouvons nous pencher sur la structure de ce mot, qui se présente là sous une forme éminemment symbolique, puisqu’il est fait de signes sacrés.

 

Ces trois que nous retrouvons toujours, c’est là que, dans le rêve, est l’inconscient – ce qui est en dehors de tous les sujets. La structure du rêve nous montre assez que l’inconscient n’est pas l’ego du rêveur, que ça n’est pas Freud en tant que Freud continuant sa conversation avec Irma. C’est un Freud qui a traversé ce moment d’angoisse majeure où son moi s’identifiait au tout sous sa forme la plus inconstituée. Il s’est littérale­ment évadé, il a fait appel, comme il l’écrit lui-même, au congrès de tous ceux qui savent. Il s’est évanoui, résorbé, aboli derrière eux. Et enfin une autre voix prend la parole. On peut s’amuser sur l’alpha et l’oméga de la chose. Mais quand bien même nous aurions N au lieu de AZ ce serait la même calembredaine – nous pourrions appeler Nemo ce sujet hors du sujet qui désigne toute la structure du rêve.

Ce rêve nous enseigne donc ceci – ce qui est enjeu dans la fonction du rêve est au-delà de l’ego, ce qui dans le sujet est du sujet et n’est pas du sujet, c’est l’inconscient.

Peu nous importe à ce moment-là l’injection faite par Otto avec une seringue qui est sale. On peut beaucoup s’amuser sur cette seringue d’un usage familier, qui en allemand s’accompagne de toutes sortes de réso­nances données en français par le verbe gicler. Nous savons assez, par toutes sortes de petits indices, l’importance de l’érotisme urétral dans la vie de Freud. Un jour que je serai bien luné, je vous montrerai que jusqu’à un âge avancé, Freud a eu de ce côté-là quelque chose qui fait nettement écho au souvenir de son urination dans la chambre de ses parents -à laquelle Erikson attache tellement d’importance. Il nous fait remarquer qu’il y avait sans aucun doute un petit pot de chambre et qu’il n’a pu faire pipi par terre – Freud ne précise pas s’il l’a fait dans le pot de chambre maternel ou sur le tapis ou le parquet. Mais cela est de second ordre.

L’important, et ce rêve nous le montre, c’est que les symptômes analytiques se produisent dans le courant d’une parole qui cherche à passer. Elle rencontre toujours la double résistance de ce que nous appellerons pour aujourd’hui, parce qu’il est tard, l’ego du sujet et son image. Tant que ces deux interpositions offrent une suffisante résistance, elles s’illuminent, si je puis dire, dans l’intérieur de ce courant, elles phosphorescent, elles fulgurent.

C’est ce qui se passe dans la première phase du rêve, pendant laquelle Freud est sur le plan de la résistance, en train de jouer avec sa patiente. A un moment, parce qu’il a dû aller assez loin, ça cesse. Il n’a pas tout à fait tort, M. Erikson, c’est bien parce que Freud est pris par une telle passion de savoir qu’il passe outre.

Ce qui fait la véritable valeur inconsciente de ce rêve, quels que soient ses échos primordiaux et infantiles, c’est la recherche du mot, l’affron­tement direct à la réalité secrète du rêve, la recherche de la signification comme telle. C’est au milieu de tous ses confrères, de ce consensus de la république de ceux qui savent – car si personne n’a raison, tout le monde a raison, loi paradoxale et rassurante à la fois-, c’est au milieu de ce chaos que se révèle à Freud, en ce moment originel où sa doctrine naît, le sens du rêve – qu’il n’y a pas d’autre trot du rêve que la nature même du symbolique.

La nature du symbolique, je veux moi aussi vous y introduire en vous disant, pour vous servir de repère – les symboles n’ont jamais que la valeur de symboles.

-11-  Un franchissement s’accomplit. Après la première partie, la plus chargée, imaginaire, il entre à la fin du rêve ce que nous pourrions appeler la foule. Mais c’est une foule structurée, comme la foule freu­dienne. C’est pourquoi j’aimerais mieux introduire un autre terme, que je laisserai à votre méditation avec tous les doubles sens qu’il comporte – l’immixtion des sujets.

Les sujets entrent et se mêlent des choses – cela peut être le premier sens. L’autre est celui-ci – un phénomène inconscient qui se déroule sur un plan symbolique, comme tel décentré par rapport à l’ego, se passe toujours entre deux sujets. Dès lors que la parole vraie émerge, média­trice, elle en fait deux sujets très différents de ce qu’ils étaient avant la parole. Cela veut dire qu’ils ne commencent à être constitués comme sujets de la parole qu’à partir du moment où la parole existe, et il n’y a pas d’avant.

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