vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

LXXI LES NON-DUPES ERRENT Leçon VIII 19 février 1974

LES NON-DUPES ERRENT

 

Leçon VIII 19 février 1974

 

 

Alors, cher Rondepierre, je vous l’ai barboté, hein?

Je vous l’ai barboté, c’était vous qui l’aviez commandé, mais je l’ai, je l’ai pris. Voilà.

Alors, ce que j’ai barboté à Rondepierre, c’est un bouquin de Hintikka qui s’appelle Models for Modalities. C’est une très bonne lec­ture. C’est une très bonne lecture qui est bien faite pour démontrer ce qu’il ne faut pas faire. À cet égard, c’est utile. Bon. Voilà. Ouais… Quelle heure est-il ?

Ce Hintikka est un Finlandais, logicien, c’est pas parce qu’il a fait ce qu’il ne faut pas faire, que comme je viens de vous le dire il n’est pas très très très très utile. Il est justement particulièrement démonstratif. Si vous lisez ce que je viens d’écrire au tableau.

Vous voyez peut-être où ça peut se placer, ce qu’il ne faut pas faire, vous le voyez peut-être. Enfin, vous le verrez mieux quand j’en aurai dit un peu plus long. Ouais…

Par contre – puisque j’ai encore une petite minute – par contre, il y a un bon exemple, un bon exemple de ce qu’on peut faire. C’est un autre bouquin. C’est un autre bouquin du même Jaakko, ça se dit, paraît-il – Jaakko Hintikka, Jacques, donc qu’il s’appelle. Jaakko Hintikka a fait un bouquin qui s’appelle Time and Necessity, avec comme sous-titre Étude sur la théorie des modalités d’Aristote. Ça c’est pas mal. C’est pas mal et… ça suppose – je ne viens de l’avoir qu’il n’y a deux jours – ça suppose que quelqu’un, le Hintikka en question, m’avait devancé, m’avait devancé depuis longtemps puisque son bouquin a non seulement été écrit mais est sorti… – m’avait devancé depuis longtemps sur ce que je vous faisais remarquer la dernière fois, que l’Organon d’Aristote, ça vaut la peine d’être lu parce que, parce que le moins qu’on puisse dire, c’est que, c’est que ça vous, c’est que ça vous cassera la tête, et que ce qui est difficile, c’est bien de savoir, chez un frayeur, comme je l’ai appelé, comme Aristote, c’est bien de savoir pourquoi, pourquoi… pourquoi il a choisi ces termes-là et pas d’autres. Voilà. Il a choisi ceux-là et pas d’autres parce que… c’est pas possible en fin de compte; c’est pas pos­sible, c’est pas possible de dire pourquoi si, si je ne commence pas par articuler ce que j’ai à vous dire aujourd’hui.

Ce que j’ai fait la dernière fois, naturellement, c’est pas rien. Il faut le dire! Naturellement ça a passé inaperçu à, j’imagine plus d’une person­ne, mais enfin il y en a quelques-unes qui ont marqué le coup. Bon. Alors, si je n’erre pas, et j’ai pas l’air, comment joue le jeu qui me guide ?

Ça fait un verbe, ça, hein: « jouljeu », tu jouljeux, ça continue, ça tient le coup à « il jouljeut ». Et puis après ça flotte. Nous « jouljouons », ou le verbe jouljouer, ça ne peut pas tenir. Ça prouve qu’on ne jouljeut qu’au singulier. Au pluriel, c’est douteux, ça ne se « conjeugue » pas au pluriel, le jouljeu. Et le fait qu’il n’y ait pas de pluriel n’empêche pas qu’il y ait tout de même plusieurs personnes au singulier. Il y en a trois, justement. C’est à ça que se reconnaît le trois du Réel, qui comme je vous l’ai déjà… essayé de vous le faire sentir : il est trois, hein, et même « étroit » comme la Porte… Donc, ce que j’ai fait la dernière fois déplaçait quelque chose. Quoi? Ce que je prétends, justement, c’est que ça ne déplace pas – tout. Quelque chose, ce pas – tout. C’est même là ma chance d’être sérieux… Ma chance d’être sérieux, c’est que le sérieux ne serre pas tout. Il serre de près la série. Ce que j’ai avancé, c’est ceci, c’est qu’il y a déjà une logique. Et c’est même ce qui peut surprendre. Si Aristote ne l’avait pas commencée, elle ne serait pas là déjà.

Et alors, j’arrive là et je dis : c’est le savoir du Réel. Je le démontre à tout bout de champ, c’est le cas de le dire. J’y reconnais le trois. Mais le trois comme nœud. Ma chère structure, hein, ma structure à la noix! s’avère nœud borroméen. Naturellement, il ne suffit pas de le nommer, de l’appeler comme ça; parce qu’il ne suffit pas que vous sachiez que ça s’appelle nœud borroméen pour que vous sachiez en faire quelque chose. C’est le cas de le dire, n’est-ce pas : faut l’faire. Ici point une peti­te lumière sur ce que je fais, puisque c’est de là que je suis parti, je vais dire la vérité. Ça prouve déjà que ça ne suffit pas de la dire, pour y être, dans le vrai. Et j’avance tout de suite, n’est-ce pas, un des points-pivots de ce dans quoi aujourd’hui j’entends avancer, dans ce que je fais ici, comme analyste, puisque c’est de là que je parle : je ne découvre pas la vérité, je l’invente. À quoi j’ajoute que c’est ça, le savoir.

Parce que, chose drôle, hein, c’est marrant : personne ne s’est jamais demandé ce que c’était, le savoir! Ah! moi non plus. Sauf le premier jour où comme ça, happé par le bras, enfin, dans cette thèse, dans cette thèse qu’entre nous, hein – où il est François Wahl ? Je sais pas mais enfin qu’importe, il est peut-être là, il n’y est peut-être pas, mais enfin, s’il est là je fais remarque que j’ai promis un jour publiquement, comme ça, cédant à une, à une pression tendre, que je la republierais, cette thèse. Je l’ai dit, ça leur suffit, au Seuil. Pour la publier… naturellement ils ne ces­saient de me mordiller les talons au départ, au moment où j’ai sorti les Écrits, pour que je la republie, cette thèse, j’ai dit à ce moment-là que je voulais pas, j’ai changé d’avis, mais eux maintenant ils ne sont pas pres­sés. Bref, qu’importe, après tout, j’ai promis, mais si ça ne se réalise pas, hein, c’est évidemment pas de ma faute. Enfin c’est quand même comme ça que j’ai été mordillé par quelque chose, par quelque chose qui m’a comme ça, doucement, fait glisser… vers Freud. C’était quelque chose qui avait d’ores et déjà, le plus grand rapport avec la question, enfin que je formule aujourd’hui.

C’est singulier – ça peut paraître frappant, n’est-ce pas que, que ce soit comme ça, à propos de la psychose, n’est-ce pas que j’ai, que j’ai glissé vers cette question du… qu’il a fallu Freud enfin, pour que je me la pose vraiment, c’est : qu’est-ce que c’est que… qu’est-ce que c’est que le savoir ?

Le savoir, ça a l’air de découvrir, de révéler comme on dit, alétheia, ma bien-aimée. Je te montre au monde. Toute nue. Je te dévoile. Le monde n’en peut mais, bien sûr ! Puisque c’est de lui qu’il s’agit : quand je la montre, cette vérité-là, la bien-aimée, c’est lui que je montre. Si j’ai dit que la logique est la science du Réel, ça a bien évidemment un rap­port, un rapport très serré avec ceci, que la science peut être sans conscience. Parce que justement, ça ne se dit guère, hein, que la logique c’est la science du Réel. Que ça ne se dise guère, c’est quand même un signe, hein, c’est un signe qu’on ne prend pas ça pour vrai… Ce qu’il y a de curieux c’est que, faute de le dire, on n’est pas foutu de dire quoi que ce soit qui vaille, sur ce que c’est que la logique. Ça se démontre en cours, mais quand on l’annonce, là, au départ, ouvrez n’importe quel livre de logique, vous verrez le vasouillage. C’est même tout à fait curieux. C’est certainement d’ailleurs pour ça que… qu’Aristote n’a pas du tout appelé son Organon « Logique », et il est rentré dans le truc… L’étonnant est qu’il ait appelé ça Organon.

Quoi qu’il en soit, science donc, sans conscience, il y a quelqu’un qui a dit, un jour – il s’appelait Rabelais, comme ça c’était quelqu’un de particulièrement astucieux, et il suffit de lire ce qu’il a écrit pour s’en apercevoir. Écrire ce qu’a écrit Rabelais, c’est comme pour ce que je dis

il faut le faire. Science sans conscience, a-t-il dit, n’est que ruine de l’âme. Eh ben, c’est vrai. C’est à prendre, seulement, non pas comme les curés le prennent, à savoir que ça fait des ravages, dans cette âme qui comme chacun sait n’existe pas, mais ça fout l’âme par terre ! Vous ne vous aper­cevez sans doute pas que, que je dise que ça fout l’âme par terre, c’est-à-­dire que ça la rend complètement inutile, c’est exactement la même chose que ce que je viens de vous dire en vous disant que révéler la vérité au monde, c’est révéler le monde à lui-même. Ça veut dire qu’il n’y a pas plus de monde que d’âme. Et que par conséquent, enfin, chaque fois qu’on part de… d’un état du monde, comme on dit, pour y pointer la vérité, on se fout le doigt dans l’œil ! Parce que le monde, eh ben, ça suf­fit déjà de l’affirmer, c’est une hypothèse qui emporte tout le reste. Y compris l’âme. Et ça se voit bien à lire Aristote; le De l’âme, c’est comme pour Hintikka, je vous en conseille beaucoup la lecture.

S’il y a savoir, si la question peut se poser de ce que c’est que le savoir, ben c’est tout à fait naturel, bien sûr, que j’y aie été happé, parce que la patiente de ma thèse, le cas Aimée, ben elle savait, simplement elle confirme, elle confirme ce dont vous comprendrez que j’en sois parti. Elle inventait, bien sûr ça ne suffit pas à assurer, à confirmer que le savoir ça s’invente, parce que comme on dit, elle débloquait… Seulement, c’est comme ça que le soupçon m’en est venu. Naturellement, je ne le savais pas! C’est bien pour ça qu’il y faut un pas de plus dans la logique, et s’apercevoir que le savoir, contrairement à ce qu’avance la logique épis­témique, qui part de ceci : de l’hypothèse, c’est même là-dessus que repose le balayage qu’elle constitue, c’est de voir ce que ça va donner si vous écrivez, c’est comme ça qu’ils écrivent, là-dedans, savoir de a, petit a – c’est pas si mal choisi, ce petit a, enfin, c’est un hasard si c’est le même que le mien – savoir de petit a, il faudrait évidemment le com­menter, là il désigne le sujet; bien sûr qu’ils ne savent pas que le sujet c’est ce dont petit a est la cause, mais enfin c’est un fait qu’ils l’écrivent comme ça.

La logique épistémique part de ceci que le savoir c’est forcément savoir le vrai. Vous ne pouvez pas imaginer où ça mène. À des folies… ne serait-ce que celle-ci, enfin, en faux, en faux duquel s’inscrit le savoir inconscient, qu’il est impossible de savoir quoi que ce soit supposé vrai comme tel, sans le savoir. Je veux dire savoir qu’on sait.

D’où il résulte qu’il est tout à fait impossible, c’est pas très difficile à obtenir, mais enfin il y a un mathématicien très sympathique, qui se rompt à Hintikka, et qui en effet fait la très jolie démonstration – on m’en a communiqué les notes – que le savoir qui se supporterait de ce qu’on ne sache pas qu’on sait est strictement inconsistant, enfin impos­sible à énoncer dans la logique épistémique. Ouais.

Vous pouvez là toucher du doigt que le savoir, ça s’invente! puisque cette logique, c’est un savoir. Un savoir comme un autre – et là je vou­drais vous ramener, comme ça, un peu les pieds sur terre – c’est sim­plement vous rappeler, enfin, ce que c’est que le savoir inconscient. Ça mérite pleinement le titre de savoir, hein! Et son rapport à la vérité, il faut bien le dire, Freud s’en inquiète, c’est même au point que ça le chamboule quand une de ses… – on appelait ça patiente à ce moment­-là, on n’avait pas encore trouvé le terme d’analysant – quand une de ses patientes lui apporte un rêve qui ment délibérément.

C’est que c’est là qu’est la faille.

Il y a quelque chose, dans Freud, qui prêtait à cette confusion qu’on a faite, en fin de compte, en traduisant Trieb par « instinct ». Chacun sait que l’instinct c’est… c’est un savoir, comme ça, supposé naturel. Mais il y a quelque chose quand même qui fait un pli, pour ce qui est de Freud, c’est l’instinct de mort. Bien sûr, moi j’ai fait un petit pas de plus que lui. Mais c’est dans le mauvais sens. Lui tourne autour. Lui, lui se rend bien compte. Il faut que vous lisiez pour ça le fameux Au-delà, oui, Au-delà du principe du plaisir, comme par hasard. Dans cet Au-delà, enfin,… il se tracasse, comment quelque chose dont le module c’est de rester à un certain seuil; le moins de tension possible, c’est ça qui plaît à la vie, qu’il dit. Seulement, il s’aperçoit dans la pratique que ça ne marche pas. Alors il pense que ça passe plus bas que le seuil. À savoir que cette vie qui maintient la tension à un certain seuil, elle se met tout d’un coup à lâcher, et que sous le seuil, la voilà qui succombe, qui suc­combe jusqu’à rejoindre la mort. C’est comme ça qu’à la fin du comp­te, il fait passer le machin. La vie c’est, c’est quelque chose qui s’est levé un jour Dieu sait pourquoi, c’est le cas de le dire, et puis qui ne deman­de qu’à faire retour, comme tout le reste. Il confond le monde inanimé avec la mort. Il est inanimé, ça veut dire qu’il est supposé ne rien savoir. Ça ne veut rien dire de plus pour quiconque donne à l’âme son équiva­lent sensé. Mais ce fait qu’il ne sache rien, ça ne prouve pas qu’il est mort. Pourquoi que le monde inanimé serait, serait un monde mort ? Ça ne veut pas dire grand-chose, certes, mais poser la question a aussi bien son sens…

Quoi qu’il en soit, corrélativement à cette question de l’Au-delà du principe du plaisir, Freud nage dans ceci, qui est beaucoup plus près de la question de la mort, à savoir de ce que c’est; il part, il part et puis il lâche le truc, et c’est bien embêtant. Il part de la question du germen et du soma. Il l’attribue à Weismann. Je ne peux pas m’étendre. C’est pas tout à fait ça qu’a dit Weismann. Celui qui est parti de la séparation du germen et du soma, c’est un type qui vivait un peu avant, et qui s’appelait Nussbaum. D’ailleurs, pour ce que vous en faites, restons-en là, ça n’a pas grande importance.

Ce qui est important, et ce qu’a frôlé Freud à cette occasion, c’est qu’il n’y a de mort que là où il y a reproduction de type sexuel. C’est tout. Si nous employons le terme d’Aristote, l’uparkein en question, l’ap­partenir à, et si nous l’employons de la bonne façon, de la façon dont Aristote l’emploie, c’est-à-dire sans savoir par quel bout l’attraper, nous voyons que le sexe uparkei appartient à la mort, à moins que la mort n’appartienne au sexe, et nous restons là, avec dans la main, précisément, le manche par où nous avons attrapé la chose. Ouais.

Là où la faille se démontre dans ses conséquences, c’est que c’est à ce propos que Freud, sous ce prétexte qu’il y a quelque chose dans le monde qui montre que la vie quelquefois va à la mort, il conjoint, il y conjoint ce qu’il est quand même difficile de, d’éliminer du sexe, c’est la jouissance; et que, faisant le glissement qu’il n’aurait pas fait s’il avait tenu ferme dans ses mains le nœud borroméen, il désigne de masochis­me la prétendue conjonction de cette jouissance, jouissance sexuelle, et de la mort. C’est un collapsus. Ouais.

S’il y a un endroit où la clinique, la pratique, nous montrent bien quelque chose – et c’est pourquoi j’en ai félicité, comme ça au tournant, quelqu’un qui depuis a mal tourné – s’il y a quelque chose qui est bien évident, c’est que le masochisme, c’est du chiqué. C’est un savoir, certes, un savoir-faire, même! Mais s’il y a alors un savoir dont ça se touche du doigt que ça s’invente, que c’est pas à la portée de tout le monde, c’est bien là! Faut dire que le personnage en question, là, que j’ai félicité au tournant, c’était pas un clinicien, mais il avait seulement lu Sacher-masoch. Si c’est là que ça se voit, enfin, que le masochisme ça s’invente, et que c’est pas à la portée de tout le monde, que c’est une façon d’éta­blir un rapport là où il n’y en a pas le moindre, entre la jouissance et la mort, c’est bien clairement manifesté par le fait que, quand même, hein, on n’y met que le petit bout du petit doigt, hein, on se laisse pas happer comme ça dans la machine. Bon.

Alors c’est ce qui, quand même, permet d’envisager la portée de ce que j’énonce, c’est que le savoir, le savoir là où nous le saisissons pour la première fois, comme ça, maniable; maniable parce que, parce que c’est pas nous qui savons – c’est pas nous qui savons, que dit un de mes élèves, et qu’il appelle ça le non-savoir, pauvre gars! Il s’imagine qu’il ne sait pas! Quelle drôle d’histoire… Mais nous savons tous parce que tous, nous inventons un truc pour combler le trou dans le Réel. Là où il n’y a pas de rapport sexuel, ça fait « troumatisme ». On invente. On invente ce qu’on peut, bien sûr. Quand on est pas malin, on invente le masochisme. Sacher-Masoch était un con. Il faut voir aussi avec quelles pincettes, enfin n’est-ce pas, la personne qui voulait bien jouer le machin, comme ça, pour lui répondre, avec quelles pincettes elle le pre­nait, le Sacher-Masoch ! Elle ne savait pas qu’en faire. Il n’avait que le Figaro pour s’exprimer, hein, c’est tout dire! Enfin, laissons Sacher-masoch ! Il y a des savoirs plus intelligemment inventés. Et c’est bien en ça que je dis que le Réel, non seulement là où il y a un trou, ça s’inven­te, mais que c’est pas impensable que ce soit pas par ce trou que nous avancions dans tout ce que nous inventons du Réel, qui n’est pas rien parce qu’il est clair qu’il y a un endroit où ça marche, le Réel, c’est quand nous le faisons entrer comme trois, cette chose bâtarde, parce qu’il est sûr que c’est difficile à manipuler logiquement, cette connotation « trois » pour le Réel.

Tout ce que nous savons c’est que « un » connote fort bien la jouis­sance, et que « zéro » ça veut dire « y en a pas », ce qui manque, et que si zéro et un ça fait deux, c’est pas ça qui rend moins hypothétique la conjonction de la jouissance d’un côté avec la jouissance de l’autre. Ouais.

Non seulement ça ne la rend pas plus sûre, mais ça l’abîme. Dans un monde ni fait ni à faire, un monde totalement énigmatique, dès qu’on essaie d’y faire entrer ce quelque chose qui serait modelé sur la logique, et dont se fonderait que dans l’espèce dite humaine on est ou homme ou femme. C’est très spécialement ce contre quoi s’élève l’expérience – et je n’ai pas besoin d’aller loin, quelqu’un m’a rapporté, pas plus tard qu’il y a quelques heures, sa rencontre avec un chauffeur de taxi – ça court les rues, hein, c’est le cas de le dire – dont non seulement il lui était impossible, à la personne qui parlait, de dire si c’était un homme ou une femme, mais même elle lui a demandé et lui n’a pas pu lui répondre. Quand je dis que ça court les rues, hein quand même, c’est pas rien! Et même c’est de là que Freud part.

Il part, comme ça, en commentaire, l’expérience ne lui suffit pas parce qu’il faut qu’il s’accroche un peu partout, à la science, hein, du moment qu’il n’y a rien, il n’y a rien qui ressemble plus à un corps masculin qu’un corps féminin, si on sait regarder à un certain niveau, au niveau des tissus, hein. Ça n’empêche pas qu’un oeuf c’est pas un spermatozoïde, que c’est là que gît le truc du sexe. C’est tout à fait superflu, hein, de faire remar­quer que pour le corps, enfin, ça peut être ambigu comme dans le cas du chauffeur de tout à l’heure. C’est tout à fait superflu. Parce qu’on voit bien que ce qui détermine, c’est même pas un savoir, c’est un dire. Ce n’est un savoir que parce que c’est un dire logiquement inscriptible. C’est celui que je vous ai écrit, en toutes lettres, c’est le cas de le dire avec mon :

$x . -Φx

 

À savoir l’exception autour de quoi pivote que c’est dans la mesure où cette exception porte conséquence pour tous ceux qui croient qu’ils l’ont, qu’ils l’ont quoi? ce que nous n’osons même pas appeler la queue, nous appelons ça le phallus, et c’est ce qui reste à déterminer.

Alors que de l’autre côté c’est du dire, du dire formel quoique dire de personne non-existe x, c’est-à-dire que ce n’est que pour tout autre qu’est niée la fonction Φx, que la négation, disons, pour illustrer, est lais­sée, je ne vais quand même pas dire à Dieu, parce que ça nous emmerde, cette histoire, le collage de l’Autre à Dieu, mais quand même, pour qui réalise cette sorte d’universalité qu’il n’y a pas la négation de la fonction Φx, et c’est la seule forme d’universalité du dire d’une femme, quelle qu’elle soit. Il n’en reste pas moins – je pense que vous vous souvenez quand même de ce que j’ai écrit au tableau, et que je ne vais pas être forcé de le récrire, là – il n’en reste pas moins que dans cet ensemble, ce n’est pas tout dire qui formule la fonction Φx. En d’autres termes, qu’à ma petite barre que je mets sur le A inversé, signe du quantificateur univer­sel, la petite barre par quoi s’inscrit le pas-tout, ce qu’il faudrait substi­tuer, c’est le signe du dénombrable, à savoir.

 

Ce qui s’oppose à l’un du tout de l’homme – et il n’y en a qu’un comme chacun sait, la preuve c’est qu’on le désigne par l’article défini – ce qui s’oppose au « tout » de l’homme, là, c’est, c’est, il faut bien le dire, « les» femmes, en tant qu’il n’y a pas moyen d’en venir à bout, sinon à les énumérer, je peux pas dire toutes parce que le propre du dénom­brable, c’est justement qu’on n’en vient jamais au bout. Et si je vous donne ce repérage, c’est que ça vous – faut que ça vous serve à quelque chose, faut que ça illustre ce que j’ai dit la dernière fois du dire vrai. Le dire vrai c’est ce qui achoppe, c’est ce qui achoppe sur ceci : que pour, dans un ou-ou intenable qui serait que tout ce qui n’est pas homme est femme et inversement, ce qui décide, ce qui fraye, n’est rien d’autre que ce dire, ce dire qui s’engouffre dans ce qu’il en est du trou par où manque au Réel ce qui pourrait s’inscrire du rapport sexuel.

Alors, alors. Qu’est-ce qu’il en est du savoir ?

Bien sûr, je ne suis pas arrivé à cette heure-ci, c’est-à-dire une heure vingt, ou quelque chose comme ça… vingt-quatre, je ne suis pas arrivé à cette heure-ci, à même vous dire le quart de ce qu’il faut que je vous fasse passer dans les tripes, parce que c’est la fonction du dire, si je vous le dis pas il ne suffira pas que je l’écrive, mais je vais quand même vous don­ner un petit échantillon de ce qui peut s’écrire, puisque sans cette réflexion sur l’écrit, sans ce qui fait que le dire ça vient à s’écrire, il n’y a pas moyen que je vous fasse sentir la dimension dont subsiste le savoir inconscient. Et ce qu’il faut que vous fassiez comme pas supplémentai­re, c’est de vous apercevoir que si ce que je vous rends sensible en vous disant que l’inconscient ça ne découvre rien, puisqu’il n’y a rien à décou­vrir, il n’y a rien à découvrir dans le Réel, puisque là il y a un trou, si l’in­conscient, là, invente, c’est d’autant plus précieux de vous apercevoir que dans la logique c’est la même chose, à savoir que si Aristote ne l’avait pas inventé, son premier frayage, à savoir fait passer du dire dans ce concas­sage de l’être grâce à quoi il fait des syllogismes – bien sûr on avait fait du syllogisme avant lui, simplement on ne savait pas que c’étaient des syllogismes. Pour s’en apercevoir, il faut l’inventer : pour voir où est le trou, il faut voir le bord du Réel.

Et comme nous sommes déjà bien avant, et que je suis pas arrivé à vous en dire le quart – ça sera tant pis, ça meublera, enfin, ce qui vien­dra ensuite – il faut quand même que je vous fasse sentir la portée d’une certaine façon dont moi je fraye la logique modale.

Le plus fort, hein, c’est que bien sûr, pour ce qui est de construire, pour ce qui est d’inventer – et voyez là tous les échos d’intuitionnisme qu’il vous plaira, si tant est que vous sachiez ce que c’est, je vous ai tra­duit un jour le nécessaire, hein, par ce qui ne cesse pas de s’écrire. Bon. Sachez-le, il y a une trace dans Aristote, que la logique propositionnel­le, à savoir que quelque chose est vrai ou faux, ce qui se note zéro ou un, selon les cas, il y a une petite trace, il y a un endroit où Aristote dérape – je vous montrerai ça quand vous voudrez – dans le peri ermeneias, comme par hasard, De l’interprétation, pour ceux qui ne l’entravent pas

il y a un endroit où ça fuse, que la logique propositionnelle est tout aussi modale que les autres. Il est vrai que, si c’est vrai que ça ne se situe que là où je vous le dis, c’est-à-dire là où la contradiction n’est en fin de compte qu’artifice, artifice de suppléance, mais qui n’en reste pas pour ça moins vrai, le vrai jouant là le rôle de quelque chose dont on part pour inventer les autres modes. C’est à savoir que « nécessaire que : p », quelque vérité que ce soit, ne peut se traduire que par que ça « ne cesse pas de s’écrire ». Chacun voit entre ce fait, ce fait que quelque chose ne cesse pas de s’écrire – entendez par là que ça se répète, que c’est tou­jours le même symptôme, que ça tombe toujours dans le même godant. Vous voyez bien qu’entre le « ne cesse pas de s’écrire : p » et le « ne cesse pas de s’écrire : non -p », nous sommes là dans l’artefact dont témoigne justement, et qui témoigne en même temps de cette béance concernant la vérité et que l’ordre du possible est comme l’indique Aristote, connecté au nécessaire. Ce qui cesse de s’écrire, c’est p ou non-p. En ce sens, le possible témoigne de la faille de la vérité. À ceci près qu’il n’y a rien à en tirer. Il n’y a rien à en tirer et Aristote lui-même en témoigne. Il y témoigne de sa confusion à tout instant entre le possible et le contingent. Ce qu’écrit ici mon V vers le bas : A – car après tout, ce qui cesse de s’écrire peut aussi bien cesser de ne pas s’écrire, à savoir venir au jour comme vérité du truc… Il peut arriver que j’aime une femme comme un chacun d’entre vous – c’est ces sortes d’aventures dans lesquelles vous pouvez glisser – ça ne donne pourtant aucune assurance concernant l’identification sexuelle de la personne que j’aime pas plus que la mien­ne. Seulement il y a quelque chose qui, entre toutes ces contingences, pourrait bien témoigner de la présence du Réel. Et ça c’est bien ce qui ne s’avance que du dire pour autant qu’il se supporte du principe de contra­diction. Ce qui bien sûr, naturellement, n’est pas du dire courant de tous les jours, non seulement dans le dire courant de tous les jours vous vous contredisez sans cesse, c’est-à-dire que vous ne faites aucune attention à ce principe de contradiction, mais il n’y a vraiment que la logique qui l’élève à la dignité d’un principe, et qui vous permette, non pas bien sûr d’assurer aucun Réel, mais de vous y retrouver dans ce qu’il pourrait être quand vous l’aurez inventé.

Et c’est bien en quoi ce que j’ai marqué concernant l’impossible, c’est­-à-dire ce qui sépare, mais autrement que ne fait le possible, ce n’est pas un ou-ou, c’est un et-et. En d’autres termes, que ce soit à la fois p et non­p, c’est impossible, c’est très précisément ce que vous rejetez au nom du principe de contradiction. C’est pourtant le Réel puisque c’est de là que je pars, à savoir que pour tout savoir il faut qu’il y ait invention, que c’est ça qui se passe dans toute rencontre, dans toute rencontre première avec le rapport sexuel.

La condition pour que ça passe au Réel, la logique, et c’est en ça qu’el­le s’invente, et que la logique c’est le plus beau recours de ce qu’il en est du savoir inconscient. À savoir de ce avec quoi nous nous guidons dans le pot au noir. Ce que la logique est arrivée à élucubrer, c’est non pas de s’en tenir à ceci : qu’entre p et non p, il faut choisir, et qu’à cheminer selon la veine du principe de contradiction, nous arriverons à en sortir quant au savoir. Ce qui est important, ce qui constitue le Réel, c’est que, par la logique, quelque chose se passe, qui démontre non pas qu’à la fois p et non -p soient faux, mais que ni l’un ni l’autre ne puissent être vérifié logiquement d’aucune façon. C’est là le point, le point de re-départ, le point sur lequel la prochaine fois je reprendrai : cet impossible de part et d’autre, c’est là le Réel tel que nous le permet de le définir la logique, et la logique ne nous permet de le définir que si nous sommes capables, cette réfutation de l’un et de l’autre, de l’inventer.

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