vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

LXXI LES NON-DUPES ERRENT Leçon XI, 9 avril 1974

LES NON-DUPES ERRENT

 

Leçon XI, 9 avril 1974

 

 

Bon, aujourd’hui… – qu’est-ce qu’il y a? – aujourd’hui, pour des raisons, comme ça, de choix personnel, je vais partir d’une question, question bien sûr que je me pose, de croire au moins que la réponse est là – c’est un bateau, vous le savez – et cette question c’est : qu’est-ce que, qu’est-ce que Lacan, ici présent, a inventé ? Vous savez que ce mot « inventé », je l’ai mis en avant, je l’ai fait reconnaître, si je puis dire, par vous, apparemment tout au moins, de le lier à ce qui le nécessite, c’est-­à-dire le savoir. Le savoir s’invente, ai-je dit, ce dont me semble assez bien témoigner l’histoire de la science. Alors, qu’est-ce que j’ai inventé, moi ? Ça ne veut pas dire du tout que, que je fasse partie de l’histoire de la science, parce que mon départ est autre, qu’il est celui de l’expérience analytique.

Quoi? Je répondrai, puisqu’il est entendu que j’ai déjà la réponse – je répondrai, comme ça, pour mettre les choses en train : l’objet petit a. C’est évident que je ne peux pas ajouter l’objet petit a par exemple. Ça, ça se touche tout de suite. C’est pas entre autres, que j’ai inventé l’objet petit a, entre autres machins, comme certains s’imagi­nent. Parce que l’objet petit a est solidaire, est solidaire tout au moins au départ, du graphe, vous savez peut-être ce que c’est, j’en suis même pas sûr, mais enfin c’est un truc qui a une forme comme ça, avec deux machins qui traversent, là, et puis en plus, ça : je dis ça, parce que au point où nous en sommes c’est nécessai­re. Du graphe, donc, dont il est une détermination, et, nommément au point où la question se pose : qu’est-ce que c’est que le désir, si le désir est le désir de l’Autre ? Enfin, c’est là que c’est sorti. Ça ne veut pas dire bien sûr, qu’il ne soit pas ailleurs. Il est ailleurs aussi, il est aussi dans le schéma dit schéma L et puis il est aussi dans les quadripode des discours à quoi j’ai cru devoir faire place, enfin, il y a quelques années. Et puis, qui sait, peut-être est-il question qu’il vienne se mettre à la place du x dans les déjà célèbres formules quantiques que j’appellerai aujourd’hui comme ça parce que en me réveillant ce matin j’ai écrit quelques notes, que j’appellerai de la sexuation. Et pendant que j’y étais, en prenant ces notes, il m’est surgi ceci, ceci qui, dont c’est curieux, enfin, que je n’en­tende jamais les échos, n’est-ce pas, j’ai évidemment, même, même à Rome où j’ai été faire un petit tour, on a entendu parler de ces formules quantiques, ce qui prouve déjà une assez bonne diffusion. Et on m’a posé des questions, à savoir si les formules quantiques, parce qu’elles sont quatre, pourraient bien se situer quelque part d’une façon qui, qui aurait des correspondances avec les formules des quatre discours. C’est… c’est pas forcément infécond, puisque ce que j’évoque, enfin, c’est que le petit a vienne à la place des x des formules que j’appelle « for­mules quantiques de la sexuation », est-ce que j’ai besoin de les réécrire, ce n’est sûrement pas inutile, j’évoque ceci, c’est que c’est celles qui se marquent de $x . Fx à gauche, et qui se continuent par quatre autres for­mules qui sont comme ça en carré, bon.

 

Il aurait pu m’en revenir quelque chose si bien sûr ça ne demandait pas un peu de peine; mais s’il est quelque chose que je voudrais vous faire remarquer, c’est que ces formules dites quantiques de la sexuation pourraient s’exprimer autrement, et ça permettrait peut-être d’avancer. je vais vous en donner ce qui s’en implique. Ça pourrait se dire comme ça : « l’être sexué ne s’autorise que de lui-même ». C’est en ce sens que, qu’il a le choix, je veux dire que ce à quoi on se limite, enfin, pour les classer mâle ou féminin, dans l’état civil, enfin, ça, ça n’empêche pas qu’il a le choix. Ça, bien sûr, tout le monde le sait. Il ne s’autorise que de lui-même – j’ajouterai : « et de quelques autres ».

Quel est le statut de ces autres, dans l’occasion, si ce n’est que c’est quelque part, je ne dis pas au lieu de l’Autre, c’est quelque part qu’il s’agit de bien situer, savoir où ça s’écrit, où ça s’écrit, mes formules quantiques de la sexuation. Parce que je dirai même ceci, je vais assez loin : si je ne les avais pas écrites, est-ce que ça serait aussi vrai que l’être sexué ne s’autorise que de lui-même?

Ça paraît difficile de le contester, étant donné qu’on n’a pas attendu que j’écrive les formules, les formules quantiques de la sexuation pour qu’il y ait, enfin, une sérieuse lampée de gens qu’on épingle de… comme on peut, enfin, qu’on épingle de l’homosexualité. Ni d’un côté ni de l’autre. Ce serait donc incontestablement vrai, si ce n’est que, chose curieuse, enfin, il semble, qu’encore que ça se soit étalé depuis le com­mencement des siècles, qu’on ait mis un bout de temps justement à l’épingler de ces termes comme par hasard impropres, de ces termes d’« homosexuel » par exemple. C’est curieux que, que je puisse les dire impropres, enfin, c’est impropre tout à fait, comme nomination. Bien avant, on n’avait pas ces termes-là, enfin, on appelait ça, par exemple – enfin, pour un côté, et le fait qu’on les distinguât d’une façon sérieuse jusqu’à leur donner une place différente sur la carte géographique est déjà suffisamment indicatif, on appelait ça pour un côté des sodomites

« Sumus enim sodomitae », écrivait un prince qui, je crois était lui-même de la famille des Condé : « Sumus enim sodomitae igne tantum perituri ». Il disait ça pour rassurer ses compagnons au moment où ils traversaient une rivière : il ne peut rien nous arriver, on ne va pas se noyer puisque nous sommes igne tantum perituri, on ne doit périr que par le feu, donc on est à l’abri. Bon.

En attendant, est-ce qu’il n’aurait pas pu venir à l’idée dans mon École que c’est ça qui équilibre mon dire que l’analyste ne s’autorise que de lui-même ? Ça ne veut pas dire pour autant qu’il soit tout seul à le décider, comme je viens de vous le faire remarquer, de vous le faire remar­quer pour ce qui est de l’être sexué. Je dirai même plus, enfin, ce que j’ai écrit dans les formules implique au moins que, pour faire l’homme, il faut qu’au moins quelque part soit écrite la formule quantique que je viens là d’écrire, et qu’il existe – c’est une écriture – qu’il existe, cet x qui dit que n’est pas vrai, que n’est pas vrai, comme fondement d’excep­tion, que n’est pas vrai que (Dx à savoir que ce qui supporte dans l’écri­ture la fonction propositionnelle où nous pouvons écrire ce qu’il en est de ce choix de l’être sexué, qu’il n’est pas vrai qu’elle tienne, qu’elle tien­ne toujours, que même la condition pour que le choix puisse en être fait au positif, c’est-à-dire qu’il y ait de l’homme, c’est qu’il y ait quelque part de la castration.

Si je dis donc que l’analyste ne s’autorise que de lui-même, ce qui est quelque chose, enfin, de tellement accablant, enfin, à y penser, que si l’analyste est quelque chose qui est sur le mode de la… d’être nommé-à, à l’analyse, si je puis dire, à l’analyse sous cette forme qui veut dire, enfin membre associé, membre titulaire, membre je ne sais pas quoi; tout ce que j’ai essayé comme ça dont j’ai essayé de faire rire dans un petit article en y marquant l’échelon de ce que j’ai appelé les Suffisances, les Petits Souliers, voire les Béatitudes, être nommé à la Béatitude, est-ce que ce n’est pas quelque chose en soi qui peut un peu faire rire ? Ça a fait rire, mais, mais pas très, parce que dans ce temps, quand )’ai écrit ça, ça n’in­téressait que les spécialistes, qui eux, ne riaient guère, bien sûr, parce qu’ils étaient dans le système.

Mais ça impliquerait quand même que cette formule que j’ai faite dans une certaine Proposition tout à fait axiale, que cette formule reçoive les quelques compléments, les quelques compléments qu’implique que si, assurément on ne peut pas être nommé à la psychanalyse, ça ne veut pas dire que n’importe qui puisse rentrer là-dedans comme un rhinocéros dans la porcelaine, c’est-à-dire sans tenir compte de ceci, c’est qu’il fau­drait bien que s’inscrive, que s’inscrive ce dont moi j’attends que ça vien­ne à s’inscrire, parce que c’est pas comme quand j’invente, comme quand j’invente ce qui préside au choix de l’être sexué, là, je peux pas inventer, je peux pas inventer pour une raison que, qu’un groupe, qu’un groupe c’est réel. Et même c’est un Réel que je ne peux pas inventer de ce fait que c’est un Réel nouvellement émergé. Puisque tant qu’il n’y avait pas de discours analytique, il n’y avait pas du psychanalyste. C’est pour ça que j’ai énoncé qu’il y a du psychanalyste, dont par exemple, moi, j’étais le témoignage, mais ça ne peut pas vouloir dire pour autant qu’il y a un psychanalyste. C’est une visée proprement hystérique que de dire qu’il y en a au moins un, par exemple; je ne suis pas du tout sur cette pente, n’étant pas de nature dans la position de l’hystérique. je ne suis pas Socrate, par exemple. Où je me situe, enfin, nous verrons ça éventuelle­ment, pourquoi pas, enfin, mais pour aujourd’hui je n’ai pas besoin d’en dire plus long.

Donc, il y a des choses, il y a des choses au niveau de ce qui émerge de réel, sous la forme d’un fonctionnement différent, de quoi? de ce qu’il en est en fin de compte des lettres, parce que les lettres, les lettres c’est de ça qu’il s’agit, c’est ça que j’ai voulu produire dans mes quadri­podes, il peut y avoir une façon dont un certain lien s’établit dans un groupe, il peut y avoir quelque chose de nouveau et qui ne consiste qu’en une certaine redistribution des lettres. Ça je peux l’inventer.

Mais la façon de donner suite à ce nouvel arrangement de lettres pour en épingler un discours, ça suppose, ça suppose une suite, justement, et pourquoi pas, comme on me l’a demandé, demandé à Rome, quand on m’a posé la question de savoir quelle était la liaison des quatre formules quantiques dites de la sexuation, quelle était leur liaison avec la formule – c’est de celle-là qu’il s’agit – la formule du discours analytique telle que j’ai cru devoir d’abord l’avancer. Les brancher, ça serait en donner ce développement qui ferait dans une école, la mienne pourquoi pas, avec un peu de chance, que dans une école s’articulerait cette fonction dont le choix de l’analyste, le choix de l’être, ne peut que dépendre. Car tout en ne s’autorisant que de lui-même, il ne peut par là que s’autoriser d’autres aussi. je m’en réduis à ce minimum parce que, précisément, j’at­tends que quelque chose s’invente, s’invente du groupe sans reglisser dans la vieille ornière, celle dont il résulte qu’en raison de vieilles habi­tudes contre lesquelles après tout on est si peu prémuni que ce sont elles qui font la base du discours dit universitaire, qu’on est nommé-à, à un titre.

Ceci nous pousse, nous pousse parce que je choisis d’y être poussé – mais vous pousse en même temps puisque vous m’écoutez – à tenter de préciser la liaison qu’il y a entre ce que j’appelle l’inventer du savoir, et ce qui s’écrit. Il est tout à fait clair qu’il y a un lien, il s’agirait, ce lien, de le préciser. Autrement dit, ce qui se touche du doigt, s’apercevoir, se poser la question : où se situe, où se situe l’écriture ? C’est bien ce dont j’essaie de vous donner depuis longtemps l’indication, en substituant, ce que j’ai fait très tôt, en subs… glissant, si je puis dire, dans l’énoncé que j’ai tenté de donner de Fonction et Champ de la parole et du langage, je n’ai quand même pas intitulé un certain article, comme ça, un écrit pivot, je ne l’ai pas intitulé « L’instance du signifiant dans l’inconscient », je l’ai intitulé L’Instance de la lettre et c’est autour de lettres, comme vous vous souvenez peut-être un peu, enfin, comme ça, dans la brume, que S, Si, SZ, etc., sur s, sur petit s, enfin, c’est tout ce que, tout ceci impliquant une certaine relation que j’ai épinglée de la métaphore, une autre de la méto­nymie, c’est autour de ça que j’ai fait tourner un certain nombre de pro­positions qui peuvent être considérées comme un forçage, je veux dire de donner une certaine instance non pas de la lettre, mais de la linguis­tique, mais je vous fais remarquer que la linguistique ne procède pas autrement que les autres sciences, c’est-à-dire qu’elle ne procède que de l’instance de la lettre, d’où l’instance de la linguistique, passant par la lettre, enfin, pour proposer quelques remarques à ceux qui pratiquent l’analyse.

Ça n’empêche pas que bien sûr, parce que je croyais qu’avec le temps, enfin, n’est-ce pas, il y a ces surréalistes, n’est-ce pas, dont on me tanne, enfin, quand on veut écrire sur moi des articles, ces surréalistes, j’en connaissais un qui survivait alors, c’était Tristan Tzara, je lui ai refilé l’Instance de la lettre bien sûr, ça ne lui a fait ni chaud ni froid, pourquoi ? parce que c’est bien là ce qui démontre ce que je vous faisais remarquer – vous l’avez peut-être entendu – à mon dernier séminaire, ce que je vous ai fait remarquer, c’est à savoir qu’en fin de compte, avec tout ce chambard, n’est-ce pas, ils ne savaient pas très bien ce qu’ils faisaient.

Mais ça, c’est, ça tient du fait qu’en somme, ils étaient poètes, et comme l’a fait remarquer depuis longtemps Platon, il n’est pas du tout forcé, il est même préférable que le poète ne sache pas ce qu’il fait. C’est ce qui, c’est ce qui donne, c’est ce qui donne à ce qu’il fait sa valeur pri­mordiale. Et devant quoi il n’y a vraiment, il n’y a vraiment qu’à cour­ber la tête, je veux dire que si on peut faire une certaine analogie, enfin une certaine homologie, disons – mais avec pour le mot « homo » ce sens approximatif qui est celui que je vous ai déjà souligné tout à l’heu­re – une certaine homologie entre, entre ce qu’on a comme oeuvres, œuvres de l’art, et ce que nous recueillons dans l’expérience analytique.

Interpréter l’art, c’est ce que Freud a toujours écarté, toujours répudié, ce qu’on appelle, ce qu’on appelle psychanalyse de l’art, enfin, c’est encore plus à écarter que la fameuse psychologie de l’art qui est une notion délirante. De l’art, nous avons à prendre de la graine. À prendre de la graine, à prendre de la graine pour autre chose, c’est-à-dire, pour nous, en faire ce tiers qui n’est pas encore classé, en faire ce quelque chose qui est, qui est accoté à la science, d’une part, qui prend de la grai­ne de l’art de l’autre, et j’irai même plus loin, qui ne peut le faire que dans l’attente de devoir à la fin donner sa langue au chat.

Ce dont témoigne pour nous l’expérience analytique, c’est que nous avons affaire, je dirais à des vérités indomptables, à des vérités indomp­tables que nous… dont nous avons à témoigner, pourtant, comme telles, est-ce que ce sont les seules qui peuvent nous permettre de définir com­ment, dans la science, ce qu’il en est du savoir, du savoir inconscient, com­ment, dans la science, ceci peut constituer ce que j’appellerai un bord, c’est-à-dire ce dont la science même, comme telle, est, faute d’un meilleur mot, je dirai structurée. Si ce que j’avance pour vous répond à quelque chose, je veux dire que vous m’ayez assez attendu avant de ce que j’énon­ce de ce qu’il n’y a pas de rapport sexuel, c’est ça que ça veut dire.

Là encore je souligne que ça ne va pas jusqu’à dire que le peu de Réel que nous savons, qui se réduit au nombre, que le peu de Réel que nous savons, s’il est si peu, ça tient au fameux trou, au fait qu’au centre il y a ce topos, qu’on ne peut que boucher; qu’on ne peut que boucher avec quoi ? avec l’Imaginaire, mais ça ne veut pas dire pour autant que l’objet petit a, ce soit de l’Imaginaire. Il est un fait que ça s’imagine, ça s’imagi­ne avec ce qu’on peut, à savoir avec ce qui se suce, ce qui se chie, ce qui fait le regard, ce qui dompte le regard, et puis, et puis la voix. Les deux derniers dans le nombre, en tout cas sûrement le dernier, c’est moi qui l’ai ajouté à la liste, en tant que ça s’imagine.

Mais le fait que ça s’imagine n’ôte rien de la portée de l’objet petit a en tant que topos, je veux dire, en tant que ce qui se squeeze pour en donner l’image, rien de plus ai-je fait, pour en donner l’image qui n’a qu’un avantage, c’est que c’est une image écrite, celle que j’ai donnée dans le nœud borroméen. L’objet petit a c’est là que ça se noue. Il y a donc deux faces, ici, à l’objet a, une face qui est aussi réelle que possible, seulement de ce fait que ça s’écrit. Vous voyez ce que j’essaye de faire, là, j’essaye de vous situer l’écrit, et ça va loin d’avancer çà, comme ce bord du Réel, situé sur ce bord.

Pour, parce qu’il faut bien, enfin, vous donner d’autre pâture que cette abstraction, comme vous diriez, car justement ce qui est là sensible, c’est que ça n’est pas de l’abstraction. C’est dur comme fer. C’est pas parce qu’une chose n’est pas succulente qu’elle est abstraite. Il est évidemment amusant que j’éprouve là le besoin, pour vous, le désir de l’homme étant le désir de l’Autre, que j’éprouve là le besoin pour vous d’avoir une peti­te scansion rigolarde, pour vous faire remarquer que c’est amusant, enfin, une chose, un petit échantillon anecdotique que je vais vous donner, n’est-ce pas. C’est assez curieux, par exemple, que le savoir, en tant qu’il s’invente, ça se passe comme ça, comme je vais vous dire: quand Galilée a aperçu, enfin, certaines de ses inventions, enfin, qui bouleversaient tout à fait le savoir concernant le Réel céleste, il a pris soin de le noter, sous la forme suivante. Il a envoyé à quelques personnes un certain nombre de distiques latins, pas plus, deux vers, dans lesquels, par lesquels il pouvait en quelque sorte prendre date, et en prenant un certain nombre de lettres de trois en trois, par exemple, démontrer qu’il avait inventé la chose impossible à faire avaler à son époque, qu’il l’avait inventée déjà à telle date. Je veux dire que c’était inscrit indiscutablement par la façon même dont il avait fait ces distiques, dont peu importe par ailleurs le contenu, étant donné bien sûr que, on peut dans ce genre, enfin, écrire n’importe quoi, ça ne fait rien à personne, tout ce qui intéresse quelqu’un, quand on reçoit une lettre d’un personnage comme Galilée, ce n’est pas ce qu’il a voulu dire, c’est qu’on a un autographe. Et la façon dont sous, en quelque sorte, ce que nous appellerons l’apparente connerie des deux vers, était inscrite, enfin, la date, la date de telle chose, la chose dont il s’agissait, à savoir sur le ciel et le principe des trajets qu’il offre à voir, est-ce que là ne s’illustre pas d’une façon certes seulement amusante, mais vous en avez bien d’autres illustrations, puisque comme je l’ai fait, j’y ai insisté avec des pieds de plomb, il est bien évident que si la logique est ce que je dis, la science du Réel, et pas autre chose, si justement le propre de la logique, et en tant que science du Réel, c’est justement de ne faire de la vérité qu’une valeur vide, c’est-à-dire exactement rien du tout, quelque chose dont vous pouvez simplement inscrire que non-V c’est F, c’est-à-dire que c’est faux, c’est-à-dire que c’est une façon de traiter la vérité qui n’a aucu­ne espèce de rapport avec ce que nous appelons communément vérité; cette science du Réel, la logique, s’est frayée, n’a pu se frayer qu’à partir du moment où on a pu assez vider des mots de leur sens pour leur sub­stituer des lettres purement et simplement. La lettre est en quelque sorte inhérente à ce passage au Réel. Là c’est amusant de pouvoir dire que l’écrit était là pour faire preuve, faire preuve de quoi, faire preuve de la date de l’invention. Mais en faisant preuve de la date de l’invention, il fait preuve aussi de l’invention elle-même, l’invention, c’est l’écrit, et ce que nous exigeons dans une logique mathématique, c’est très précisément ceci que rien ne repose de la démonstration que sur une certaine façon de s’imposer à soi-même une combinatoire parfaitement déterminée d’un jeu de lettres.

Je pose là la question: est-ce que, donc, l’anagramme, puisque c’est de ça qu’il s’agissait dans les vers de Galilée, que l’anagramme au niveau où le cher Saussure s’en cassait la tête en privé, est-ce que l’anagramme n’est pas là simplement pour faire preuve que c’est là la nature de l’écrit, même quand on n’a pas encore l’idée de rien à prouver. Est-ce que l’ana­gramme au niveau où Saussure s’en interrogeait, à savoir au niveau où dans les vers dits saturniens, on peut retrouver justement le nombre de lettres qu’il faut pour désigner un dieu sans que rien du ciel ne puisse nous secourir pour savoir si c’était l’intention, là, du poète, d’avoir truf­fé ce qu’il avait à écrire, puisque l’écrit, déjà, fonctionnait, de l’avoir truf­fé d’un certain nombre de lettres qui fondent le nom d’un dieu.

Est-ce que là on ne sent pas que même quand il n’est supporté par rien, par rien dont nous puissions témoigner, il nous faut bien admettre que c’est l’écrit qui supporte, qu’il y a, qu’il y a là une sorte d’entité de l’écrit. Comment traduirons-nous « entité », est-ce que nous la pousse­rons du côté de l’être ou du côté de l’étant, est-ce que c’est ousia ou est­-ce que c’est ón ? Je crois qu’il vaut mieux abandonner cette direction.

Et je vous propose quelque chose qui a son intérêt d’aller dans le même sens que ce que j’avais déjà tracé; comme l’a fait remarquer, comme ça, un vieux sage, du temps où on savait quand même déjà écri­re ce qui s’imposait du langage, n’est-ce pas, une route qui monte c’est la même que celle qui descend, alors, je pourrais vous proposer comme formule de l’écrit, le savoir supposé sujet. Qu’il y ait quelque chose qui atteste qu’une formule pareille puisse avoir sa fonction, c’est en tout cas aujourd’hui ce que je trouve de mieux pour vous situer la fonction de l’écrit, pour ceci et que… à quoi nous a introduit notre question sur l’en­tité de l’écrit, ousia ou ón, pour situer ceci qu’il se définit avant tout d’une certaine fonction, d’une place de bord.

Voilà. Il est bien évident, n’est-ce pas, que comme – je l’ai souligné comme ça, incidemment parce que je passe pas mon temps à m’expliquer avec les philosophes – il est bien évident que c’est mon matérialisme à moi. Ouais. je le dis à peine, je le dis à peine parce que je m’en fous du matérialisme. Ce certain matérialisme, comme ça, qui est là de toujours, qui consiste à baiser le cul de la matière au nom de ceci que ce serait quelque chose de plus réel que la forme, enfin ça, bien sûr, on l’a déjà maudit. On l’a maudit à partir du matérialisme historique qui n’est stric­tement rien d’autre qu’une résurgence de la Providence de Bossuet. Ouais. En tous les cas, cette matière de l’écrit, enfin, de l’écrit supposé, comme ça, comme c’est un peu nouveau, enfin, ça mériterait qu’on lui tire un peu sur les tétines, pour en revenir à notre objet petit a fonda­mental. Qu’on l’exploite un peu, tout au moins un temps, hein.

Qu’elle devienne possible, n’est-ce pas, cette exploitation, c’est… ça veut dire justement, si vous traduisez la modalité comme je vous l’ai appris à le faire, ça veut dire que ça cesse de s’écrire, et pas du tout le contraire. Il faut que ça cesse de s’écrire pour que ça prouve quelque chose. C’est-à-dire que ça ne cesse pas de repartir. Mais justement c’est là cette scansion dont j’essaie, dont j’essaie de vous donner l’idée, c’est une scansion qui est curieuse. Parce que la pulsation que ça implique, à savoir ce que chacun sait, que ne peut être nécessaire que le possible, à savoir ce que je situe du «cesser de s’écrire», est justement ceci qui ne cesse pas de se répéter, ce qui est là quelque chose que nous avons bien su toucher, n’est-ce pas, dans cette fonction produite génialement par Freud de la répétition.

Ça c’est une chose fondamentale et dont j’essaie ici pour vous l’ap­proche, l’approche en ce sens que ça institue un temps deux. Loin de faire le temps linéaire, ça institue un temps deux comme tout à fait fon­damental. Et j’irai même jusqu’à poser la question à ceux qui pourraient m’en dire un petit bout, et ça m’amuserait bien qu’on m’y réponde, là-dessus, c’est que, à prendre un ensemble de dimensions, ensemble ne supposant rien de cardinal, mais disons un ensemble fini – comment déterminer sur cet ensemble de dimensions, pourquoi ne pas imaginer la dimension telle que je la définis, c’est-à-dire là où se situe le dire, com­ment arriver à formuler ceci : que si nous partons de l’idée que la fonc­tion du deux, deux dimensions s’y situent d’un côté de la surface, mais du « cesser » et « non-cesser » comme je viens de vous le dire, est-ce que ce n’est pas là ce qui fait très exactement la portée de l’écrit? Autrement dit, sur un ensemble de dimensions, que nous ne déterminerons pas d’avance, comment trouver ce qui fait fonction-surface et ce qui à mon dire ferait fonction-temps du même coup ? Ce qui de toute façon est très proche, très proche du nœud que je vous suggère.

J’avais autrefois commis un truc qui s’appelait Le Temps logique. Et c’est curieux que j’y aie mis au second temps, le temps pour comprendre, le temps pour comprendre ce qu’il y a à comprendre. C’est la seule chose dans cette forme que j’ai faite aussi épurée que possible, c’est la seule chose qu’il y avait à comprendre. C’est que le temps pour comprendre ne va pas s’il n’y a pas trois. À savoir ce que j’ai appelé l’instant de voir, puis la chose à comprendre, et puis le moment de conclure. De conclu­re, comme je crois l’avoir assez suggéré dans cet article, de conclure de travers. Sans quoi, s’il n’y a pas ces trois, il n’y a rien qui motive ce qui manifeste avec clarté le deux, à savoir cette scansion que j’ai décrite, qui est celle d’un arrêt, d’un cesser et d’un re-départ. Grâce à quoi il est évi­dent que ce sont les seuls mouvements convaincants, qui ne valent comme preuve n’est-ce pas, que quand les trois personnages dont vous savez qu’il s’agit qu’ils sortent de prison, comme par hasard, que ce n’est que dans l’après-coup de ces scansions qu’ils peuvent les faire fonction­ner comme preuve, c’est-à-dire faire ce qui leur est demandé, non pas seulement qu’ils soient sortis, ce qui est d’un mouvement bien naturel, mais à quoi ils sont identiques, à savoir chacun strictement aux deux autres. Ils ont le même, la même rondelle noire ou blanche, dans le dos. Ils ne peuvent, ce qui leur est demandé, en donner l’explication que de ceci qu’ils ont fait tous le même ballet pour sortir. C’est là la seule expli­cation.

C’est une voie qui est tout à fait, enfin, tout à fait charmante, enfin, n’est-ce pas, à expliquer ceci, ceci qui est en plus bien évident, c’est que ça ne comporte entre eux aucune espèce d’identité de nature, que l’illus­tration, le commentaire en marge que j’en donne, c’est à savoir que c’est comme ça que les êtres s’imaginent une universalité quelconque, il n’y a pas trace dans cet apologue – puisque d’un apologue il s’agit – il n’y a pas de trace dans cet apologue du moindre rapport entre les prisonniers puisque c’est justement ce qui leur est interdit : c’est de communiquer entre eux; ils sont simplement, s’identifiant ou se distinguant d’avoir ou de n’avoir pas un disque blanc ou un disque noir dans le dos. Je m’excu­se d’avoir été si long pour les personnes qui n’ont jamais ouvert les Écrits, il doit y en avoir pas mal ici dans ce cas, bien sûr. Définir donc ce qui, dans un ensemble de dimensions, fait du même coup surface et temps, voilà ce que je vous propose comme suite, mon Dieu, comme suite, à ce que je vous ai proposé de temps logique de mes Écrits. Bon. Ouais.

Est-ce que je suis, est-ce que je suis mauvais juge, quand j’ai répondu que l’objet petit a c’était peut-être ce que j’avais inventé… Peut-être, c’est sûrement, en tout cas… personne ne l’a inventé à part moi. Bon. Mais je peux être quand même mauvais juge. Et c’est en ça qu’il n’est pas sans rapport avec l’ousia comme ça, dont je faisais tout à l’heure usage de chiffon, c’est que si mon schéma du discours analytique est vrai, cet objet petit a, je dois le devenir, c’est ce que j’ai à faire advenir. C’est pas le « je », dans mon cas, c’est-à-dire là au moment où je suis devant vous. C’est le petit a. Oui. Cette place de personne est bien entendu, comme le nom de personne l’indique, une place de rang à tenir, n’est-ce pas, de semblant. Il s’agit de tenir le rôle de l’analyste. Et c’est bien en cela que j’ai avancé un certain quelque chose, c’est que c’est celle qui se pose de la question toujours la même : «Puis-je l’être? » M’autoriser, ça peut encore aller, hein, mais l’être, c’est une autre affaire. C’est là, qu’évidem­ment, se forge ce que j’ai énoncé du verbe « désêtre ». L’analyste, je le « dé-suis »; l’objet petit a n’a pas d’être.

J’ai suffisamment insisté, n’est-ce pas, j’ai suffisamment insisté en son temps sur ce dont les psychanalystes jubilent, n’est-ce pas, à savoir cette face, ce support, ce pathétisme de l’objet petit a quand il prend la forme du déchet. J’y ai insisté beaucoup, un jour, je me suis comme ça pointé à Bordeaux, et je leur ai expliqué que la civilisation c’était l’égout, qu’il n’y en a strictement aucune espèce d’autre trace, et que c’est tout de même quelque chose de bien étrange, qu’il faut s’y appliquer. Parce qu’on ne sache pas que tous les autres animaux qui existent encombrent la terre de leurs déchets, alors qu’il est tout à fait singulier que, que tout ce que fait l’homme, finit toujours dans le déchet, n’est-ce pas. Une seule chose, qui garde une petite dignité, c’est les ruines, mais sortez quand même un tout petit peu de vos coquilles pour vous apercevoir du nombre d’autos à la casse qui s’empilent dans des endroits, et de vous apercevoir que par­tout où vous mettez le pied, vous mettez le pied sur quelque chose qui – où on a essayé de toutes façons de recomprimer d’anciens déchets pour ne pas en être submergé, littéralement.

Oui… c’est une affaire, ça! C’est toute l’affaire de l’organisation, n’est-­ce pas. De l’organisation imaginaire, si on peut dire. Simuler, simuler avec la foule, parce que c’est l’autre face de ce que j’ai appelé tout à l’heure le choix, le groupe, simuler avec la foule – et on a toujours affaire à ça pour y recueillir un groupe – simuler avec la foule quelque chose qui fonc­tionne comme un corps. Ouais. Bon. Mais enfin, cet objet petit a, quand même qu’est-ce qui… ou quelle est la face de ce qui vous intéresse, non pas quand je l’écris – parce que je l’écris le moins que je peux, j’ai trop le sens de mes responsabilités pour que cet écrit, je lui laisse pas sa chan­ce, sa chance que ça cesse, pour que, si ça ne cesse pas, ça fasse sa preu­ve. Mais là, là quand) e jaspine, qu’est-ce qui vous intéresse, de ce petit a dont je parle ? Il y a quelque chose qui peut bien me venir à la tête, parce que c’est comme tout le reste, hein, j’invente pour ce qui est du savoir, mais pour ce qui est de la vérité, j’invente pas : la vérité on me l’appor­te, j’en ai des seaux entiers.

Et là, il y a un type qui est venu me voir, je pourrais pas dire il y a combien de temps, puis je ne voudrais pas qu’il se reconnaisse, il est venu me dire que ce qu’il lui fallait, c’était ma voix! C’était pas une voix pour un vote, hein, c’était la voix. Non, mais c’est une question très sérieuse, pour moi, est-ce que c’est la voix – parce qu’il est bien évident qu’il y a là quelque chose, c’est pas une question de timbre, si l’objet petit a est ce que je dis, il ne faut pas confondre la phonétique et le phonème. La voix se définit d’autre chose que de ce qui s’inscrit sur un disque, et sur une bande magnétique comme il y en a tant qui s’en régalent, ça n’a rien à faire avec ça. La voix peut être strictement la scansion avec laquelle tout ça je vous le raconte. Je suis persuadé qu’il y a là une source de votre accumulation dans cette enceinte, accumulation aujourd’hui décente. Il y a quelque chose, comme ça, qui est lié à… au temps que je mets à dire les choses, puisque l’objet petit a est lié à cette dimension du temps. C’est complètement distinct de ce qu’il en est du dire.

Le dire, c’est pas la voix. Et être aimé, puisque vous m’aimez, bien entendu, être aimé pour l’un ou pour l’autre, c’est pas du tout pareil, hein. Le dire que l’objet petit a comporte, enfin, c’est toutes sortes de choses que j’ai même couchées par écrit, hein, Subversion du sujet et dia­lectique du désir, et patati et patata, ça c’est sur un tout autre chemin, n’est-ce pas que l’exhibition de la voix, c’est-à-dire comme ça d’un témoignage, c’est le cas de le dire, pathétique, n’est-ce pas, de son coin­çage dans toute l’affaire.

Par contre, le dire, le dire c’est pas l’écrit non plus. Ouais. Le dire c’est pas l’écrit non plus, il ne suffit pas d’avoir quelque chose à dire pour être foutu, pour être foutu d’en savoir long. C’est une distinction, n’est-ce pas, que j’aimerais beaucoup que vous vous mettiez dans vos petites têtes. Oui. Même sur ce qu’il en est de la vérité, n’est-ce pas, il y a lieu de savoir. Il y a lieu de savoir en tant qu’il s’agit, à tout instant, d’inven­ter, n’est-ce pas, pour répondre à son tissu de contradictions à la vérité, hein, et c’est bien pour ça que le premier pas à faire, c’est de la suivre dans toutes ses simagrées. Il ne s’agit pas seulement de ceci, n’est-ce pas, que le mensonge en fait partie, j’ai assez insisté, n’est-ce pas. Et il faut voir, enfin, ce qu’elle est capable de vous faire faire.

La vérité, mes bons amis, mène à la religion. Vous entendez jamais rien de ce que je vous dis de ce truc-là parce que j’ai l’air de ricaner, n’est ce pas, quand j’en parle, de la religion. Mais je ricane pas, je grince! Elle mène à la religion, et à la vraie, comme je l’ai dit, déjà. Et comme c’est la vraie, c’est justement pour ça qu’il y aurait quelque chose à en tirer pour le savoir. C’est-à-dire à inventer. Ben vous êtes pas foutus de le faire, hein! Et c’est pas demain que vous en viendrez à bout. Parce que dans tout ça vous ne mettez absolument aucun sérieux. Il est évident, n’est-ce pas, que ceux qui ont inventé les plus beaux trucs du savoir – je les nomme, hein, c’est un palmarès, hein : Pascal, Leibniz, et Newton! Newton, enfin, est-ce que vous vous rendez compte de ce que Newton a écrit sur le livre de Daniel et sur l’Apocalypse de saint jean! Vous n’avez jamais regardé ça, bien sûr, parce qu’on ne vous le donne pas en livre de poche, mais je le regrette. Je ne vous reproche pas non plus de ne pas être allé le chercher. Il faudrait faire un livre de poche avec ça, et bien traduit. Il y croyait dur comme fer à la religion. Et les deux autres… Il me semble que c’est difficile de renoncer à l’évidence, hein. Ils ne par­lent que de ça. Il n’y a même que ça qui les intéresse.

Quant on… il faut… quand je pense qu’il faut que j’aille chercher au milieu d’un, d’une montagne d’« adresses au curé de Paris », ce que Pascal a écrit sur la cycloïde, par exemple, enfin, qui est le type même n’est-ce pas, de ces pas qui ont fait qu’on a inventé, rien d’autre, le cal­cul intégral – est-ce que vous vous imaginez que le calcul intégral c’est autre chose que de l’écriture ? La parabole d’où c’est parti – la parabo­le, je parle de la parabole tracée, la parabole et puis n’importe quelle autre lunule ou trucmuche ou machin, enfin c’est des choses écrites, il n’y a que là que nous touchons ce qu’il en est du Réel. Ben, ils étaient passionnés, ces trois-là, pour le vrai. Le vrai de la vraie.

La voie à suivre, c’est d’en remettre. Si vous n’interrogez pas comme il convient le vrai de la Trinité, ben vous êtes faits, vous êtes faits comme des rats, comme l’Homme aux Rats. Il est évident, il est évident quand même que la religion, enfin, a ses limites, quand même! Enfin, moi je reviens d’Italie, vous comprenez, alors je suis, je suis dans un bain de corps qui ruissellent sur tous les murs, enfin il y a que ça, il y a des tableaux à s’en étouffer, c’est d’ailleurs tout à fait magnifique, mais je ne vois pas pourquoi je ferais proh pudor! devant ce ruissellement des corps, mais enfin, ça donne quand même sa limite au machin, ça montre quand même qu’on est dans la vérité, et qu’on y reste, qu’on n’en sort pas. Ce qu’il faut, qu’il s’agirait, c’est d’en sortir, de la vérité, alors là, je vois pas d’autre moyen que d’inventer, et pour inventer de la bonne façon, de la façon analytique, n’est-ce pas, c’est d’en remettre, d’abonder dans ce sens, n’est-ce pas. Oui. Oui.

Il n’y a qu’une seule chose qui est tout de même bien embêtante et sur laquelle je voudrais terminer si vous, si vous le voulez bien. C’est pas un hasard que ce soit dans mes élèves, une femme, elle est faite comme ça, celle-là, bon, enfin, qui a fait comme ça tout un jaspinage sur le désir de savoir; c’est certainement pas chez moi qu’elle l’avait pris… J’ai jamais même, même suggéré un machin pareil, hein. Oui. Il y a pas l’ombre de désir de savoir, mis à part ceci sur quoi je m’interroge et sur quoi je n’ai rien à vous dire parce que je n’en sais rien, c’est qu’il y a les mathéma­tiques, qui ne peuvent procéder, me semble-t-il, à moins que ce soit un effet de l’inconscient, qui ne produisent pas le moindre désir, mais c’est quand même curieux de voir que la mathématique, ça se continue. On s’imagine qu’il y a chez les gens de votre espèce, enfin, c’est-à-dire que les mathématiciens, ils sont – je pense qu’il n’y en a peut-être pas deux dans cette salle, je parle de vrais, de mordus : il n’y a pas le moindre désir de savoir. Il n’y a pas le moindre désir d’inventer le savoir.

Enfin, il y a un désir de savoir attribué à l’Autre. Ça, ça se voit. C’est comme ça que surgissent, enfin, les manifestations de complaisance que donne l’enfant dans ses « pourquoi ». Tout ce qu’il pose comme ques­tion, enfin, c’est fait pour satisfaire à ce qu’il suppose que l’Autre vou­drait qu’il demande. C’est pas tous les enfants, hein! c’est pas tous les enfants, parce que je vais vous faire une petite chose, il faut bien que de temps en temps je vous donne une petite chose à vous mettre sous la dent, cette chose attribuée à l’Autre, ça s’accompagne très souvent d’un « très peu pour moi ».

Et « très peu pour moi », un « très peu pour moi » dont l’enfant donne la preuve sous cette forme à laquelle je suis sûr que vous n’avez pas songé, mais, comme vous savez, moi aussi j’en apprends tous les jours, je m’éduque, je m’éduque bien sûr dans la ligne de ce qui me plaît, dans la ligne de ce que j’invente, forcément, mais enfin la nourriture ne me manque pas, et si vous saviez comme je le sais, n’est-ce pas, à quel point ce que j’ai déjà illustré de l’anorexie mentale en faisant énoncer par cette action, car une action énonce : « Je mange rien ».

Mais pourquoi est-ce que je mange rien ? Ça vous ne vous l’êtes pas demandé, hein, mais si vous le demandez aux anorexiques, ou plutôt si vous les laissez venir, moi je l’ai demandé, je l’ai demandé parce que j’étais déjà dans ma petite veine d’invention sur ce sujet, je l’ai demandé alors, qu’est-ce qu’ils m’ont répondu ? Mais c’est très clair: elle était tel­lement préoccupée de savoir si elle mange, que pour décourager ce savoir, ce savoir comme ça, désir de savoir, n’est-ce pas, rien que pour ça elle se serait laissée crever de faim, la gosse!

C’est très important. C’est très important cette dimension du savoir, et aussi de s’apercevoir que, que c’est pas le désir qui préside au savoir, c’est l’horreur.

Oui. Vous me direz que, vous me direz qu’il y a des gens qui tra­vaillent, et qui travaillent comme ça à obtenir l’agrégation. Mais ça, vous comprenez, ça n’a rien à faire avec le désir de savoir, ça c’est un désir qui est, qui est si je puis dire, comme toujours est le désir de l’Autre, et j’ai déjà expliqué qu’il suffit que l’Autre désire pour que, bien sûr, on tombe sous le coup, le désir de l’homme est le désir de l’Autre, mais c’est plus ou moins compliqué le circuit, il y a le désir de l’Autre, qui, qui, qui se communique de plain-pied parce qu’il nage déjà dans l’Autre, le sujet.

Il y a l’hystérique. Ça l’hystérique, c’est une autre affaire, hein, il fau­dra que je reprenne mon schéma, n’est-ce pas, pour vous montrer la place exacte que tient le savoir, n’est-ce pas, pour l’hystérique, c’est un savoir, enfin, particulièrement spécifié, n’est-ce pas, c’est un savoir dont, dont elle ramasse le machin. Oui. C’est un savoir qui ne mène pas loin. C’est un savoir qui, pour nous en tenir à l’origine – c’est un savoir qui est très souvent, non pas produit par le discours, le désir de l’Autre, mais refilé, si on peut dire.

je veux dire qu’il se peut très bien qu’une personne, enfin, qui, qui n’avait pas le moindre désir de rien savoir de quoi que ce soit, n’est-ce pas, tout de même se soit aperçue que dans la société, le discours uni­versitaire assure à ceux qui savent, une bonne place, et qu’elle refile à la gosse, là, à la moutarde qui devient hystérique, et justement pour ça, qui lui refile que c’est un moyen de la puissance. Naturellement, elle reçoit le truc, elle, sans savoir que c’est pour ça, elle le reçoit dans sa toute peti­te enfance, et là, c’est un cas de transmission assez fréquent, enfin, n’est ce pas du désir de, du désir de savoir, mais c’est quelque chose de tout à fait secondairement acquis, en d’autres termes, ce que j’essaie de vous mettre dans la tête et à propos de cette expérience, de cette expérience de l’enfant, qui naturellement vous parle de ces « pourquoi », de ces « pour­quoi » qui concernent : « pourquoi quoi, pourquoi est-ce qu’il y a des enfants qui naissent, comment ça se fait, etc. », et tout ce qu’ils veulent, c’est, c’est entendre quelque chose qui, qui fait plaisir, qui, montrer que, qui, qu’ils font tout comme s’ils s’y intéressaient, mais déjà qu’ils le savent, ils le refoulent, vous le savez bien, et ils le refoulent immédiate­ment, enfin, ils y pensent plus, enfin, il faut tout de même avoir une idée un peu plus claire de ce qui se passe réellement.

 

Print Friendly, PDF & Email

1 Comment

Comments are closed.