dimanche, mai 19, 2024
Recherches Lacan

LXXI LES NON-DUPES ERRENT Leçon XII, 23 avril 1974

LES NON-DUPES ERRENT

 

Leçon XII,  23 avril  1974

 

Bon, je vais d’abord, en commençant trois minutes avant l’heure, je vais d’abord m’acquitter d’un devoir que je n’ai pas rempli la dernière fois. Je ne l’ai pas fait, parce que j’ai cru que ça se ferait tout seul, mais comme même dans mon école, j’ai vu que personne n’avait franchi ce pas, alors ça m’incite à en provoquer d’autres à le franchir. Il y a un livre qui vient de paraître au « Champ freudien », comme on dit, hein, c’est une collection dont il se trouve que je la dirige. Si c’est paru dans cette collection, je n’y suis évidemment pas pour rien, il a même fallu que j’y force l’entrée. Ce livre s’appelle – c’est un titre, celui là vaut autant qu’un autre – s’appelle : L’Amour du Censeur. Il est du nommé Pierre Legendre, qui se trouve être professeur à la Faculté de Droit. Voilà. Alors, j’incite vivement ceux qui, je ne sais pas trop pourquoi, enfin, s’accumulent ici autour de ce que je dis, je les incite vivement à ce qu’on appelle en prendre connaissance, c’est-à-dire à le lire, à le lire avec un peu de soin parce qu’ils en apprendront quelque chose.

Voilà. Là-dessus je commence.

Je commence, ou plutôt je recommence. C’est bien ce qui m’étonne le plus. Je veux dire que j’ai l’occasion à chaque fois de m’apercevoir que si j’ai parlé de l’espoir dans certains termes, à propos d’une question qui m’était posée, kantienne : « que je puisse… »… «que puis-je espérer ? » et j’avais dit que l’espoir, j’avais rétorqué que l’espoir c’était une chose propre à chacun. Il n’y a pas d’espoir commun. C’est tout à fait inutile d’espérer un commun espoir. Alors moi, je vais vous avouer le mien, c’est celui qui me possède toute la semaine jusqu’au matin où je me réveille à votre intention – c’est-à-dire par exemple ce matin même – jusqu’à ce moment, je, j’ai toujours l’espoir que ce sera la dernière fois, que je pourrai vous dire, n, i, ni : fini. Le fait que je sois là, parce que le jour où je le dirai, ça sera avant, ce sera avant de commencer, le fait que je sois là vous prouve que, tout particulier que me soit cet espoir, il est déçu.

Bon, alors moyennant quoi, en me réveillant, j’ai naturellement pensé à tout autre chose que, que ce que j’avais fomenté pour vous le dire, il m’est surgi comme ça, enfin, que s’il y a -je l’ai déjà dit, enfin, mais il faut bien que je le répète – que s’il y a quelque chose dont l’analyse a découvert la vérité, c’est l’amour du savoir. Puisque, tout au moins si ce que je vous fais remarquer a quelque accent, accent qui vous émeuve, le transfert révèle la vérité de l’amour et précisément en ceci qu’il s’adres­se à ce que j’ai énoncé du sujet supposé savoir. Ça pourrait vous paraître, après ce que j’ai énoncé la dernière fois, avec je crois quelque accent, au moins je me l’imagine, enfin j’espère que vous vous en souvenez, non seulement j’ai avancé qu’il n’y avait pas de désir de savoir, mais j’ai même parlé de quelque chose qui… que j’ai articulé effectivement de l’horreur de savoir. Voilà.

Alors, comment rejoindre ça, si je puis dire ? Ben justement, ça ne se rejoint pas. C’est le Mariage du Ciel et de l’Enfer. Il y a un nommé William Blake, vous savez, qui a, dans son temps, à son époque, avec ses, avec son petit matériel à lui – qui n’était pas mince – a remué ça; il lui a même donné exactement ce titre. Voilà. Alors peut-être que ce que je suis en train de vous dire, c’est que le mariage en question n’est pas tout à fait ce qu’on croit. Ce qu’on croit, à lire William Blake, précisément. Ouais. Ceci ne fait que réaccentuer quelque chose que je vous ai dit ailleurs, quelque chose qu’implique en tout cas notre expérience, et l’ex­périence analytique que je ne suis ici que pour, que pour situer.

Qu’est-ce qu’une vérité, sinon, sinon une plainte? Au moins est-ce là ce qui répond à ce que, à ce que nous nous chargeons, analystes, si tant est qu’il y en ait du, du psychanalyste, ce que nous nous chargeons de recueillir. Nous ne la recueillons pas tout de même sans remarquer que la division la marque. Marque la vérité. Qu’elle ne peut pas-toute être dite. Voilà. C’est notre voie, la voie, il y a longtemps que de ça, on parle, hein. Et si on la met en premier dans un énoncé que, qui je l’espère enfin est en train de vous corner aux oreilles, si on la met en premier – c’est bien que c’est de ça qu’il s’agit en premier quoique lessolutions qui s’en sont avancées diffèrent entre elles, et de beaucoup. Il s’agirait de, d’avoir une petite idée de la nôtre. Et puis tout de suite après, quand on énonce ce terme, la voie, tout de suite après on parle de la vérité qui, si elle est ce que je viens de dire, est quelque chose comme une planche pourrie, et puis en tiers, on ose! enfin quelqu’un, en tout cas, a, a osé, comme ça un dénommé saint jean, il a parlé de la vie. Ce sont d’imprudentes émis­sions. Émissions de quoi? de voix. De voix à écrire tout autrement: v, o, i, x, celles-là. Ce sont d’imprudentes émissions de voix qui énoncent ces couplages. Vous pouvez remarquer que ce… que le couplage, dans l’oc­casion, ça va par trois. Et qu’est-ce que c’est que la vie, dans l’occasion ? C’est bien quelque chose qui, qui dans ce trois, alors, fait, fait, fait, fait un trou, hein. je sais pas si vous savez ce que c’est que la vie, hein, mais c’est tout de même curieux que, que ça fasse problème. La vie que pour l’oc­casion j’écrirais bien comme j’ai fait, comme j’ai fait de lalangue en un seul mot. Ce ne serait que pour suggérer que, que nous n’en savons pas beaucoup de choses sinon qu’elle s’lave. C’est à peu près la seule marque sensible de ce qui rentre dans la vie.

Enfin, ces couplages, qu’est-ce que je suggère ici, à partir de l’expé­rience qui se définit d’analytique, qu’est-ce que je suggère ici ? Est-ce ces couplages, de les penser? Ouais. Si c’était ça, ça serait, enfin, cette espè­ce de bascule, qui serait chute dans le discours universitaire. C’est là qu’on pense. C’est-à-dire qu’on baise. Bon, je vous fais remarquer que dans ce discours, je ne suis – comme ça, c’est un petit test, simplement, c’est pas du tout que je m’en targue, je ne suis pas reçu, je suis plutôt, plutôt supporté, oui, toléré – tout ça nous ramène au statut, au statut de, de ce que j’énonçais la dernière fois, enfin, lié à notre rapport, de vous, de moi, et que je mettais en suspens entre la voix et l’acte de dire. J’ose espérer que l’acte de dire y a plus de poids, quoique c’est de cela que je puisse douter, puisque ce doute c’est ce que la dernière fois j’ai émis comme tel. Si c’est l’acte de dire, c’est celui-là que je reçois d’une expérience codifiée.

J’ai aussi énoncé – vous voyez, j’insiste à me répéter – j’ai aussi énoncé ceci : que faut-il, au sens de : qu’est-ce qui manque, pour que cette expérience codifiée, elle ne soit pas, elle ne soit pas à la portée de tout le monde? C’est pas une question de division du travail, à savoir que tout le monde ne puisse pas s’employer à analyser le reste. C’est pas à la portée de tout le monde, d’un fait de… de structure dont j’ai essayé de rappeler la dernière fois, ou tout au moins d’indiquer à quoi j’entends l’emmancher. Il ne peut pas être à la portée de tout le monde de remplir cet office, que j’ai défini à l’instant de recueillir la vérité comme plainte.

Quel est le statut de ce mariage que j’ai évoqué tout à la suite, en le mettant sous le patronage de William Blake ? Quand je dis que ce n’est pas à la portée de tout le monde, ça va loin, cela implique qu’il y en a à qui c’est de fait interdit. Et quand j’énonce les choses ainsi, j’entends me démarquer de ce qu’il y aurait de ceci, de ceci qu’avance Hegel quelque part, de ce rejet, inscrit, dit-il dans ce qu’il appelle « la loi du cœur », ce rejet du désordre du monde. Hegel montre que si ça se fait, c’est facile. Et il a bien raison. Il ne s’agit pas de produire ici le désordre du monde, il s’agit d’y lire le pas-tout. Est-ce là substitution à l’idée de l’ordre ? C’est très précisément ce que, ce dans quoi je me propose aujourd’hui d’avancer, d’avancer; avec cette question laissée à l’instant, de ce qui m’y pousse. Ce qui m’y pousse à en témoigner.

Ce pas-tout, en quoi consiste-t-il ? Il est évident qu’il ne peut se rap­porter à ce qui ferait tout, à… à un monde harmonieux. Alors le pas­tout faut-il le saisir quelque part dans un élément? Un élément qui pèche justement de n’y pas être harmonisé ? Est-ce que ça suffit à ce que, à ce que tout y soit acquis – permettez-moi là, de l’avancer – à la bifurcation, à l’arbre. Ouais. Je vous ferais remarquer que là, mine de rien, à vous poser une question comme ça, cette bifurcation, c’est aussi bien ce que je viens de faire, un signe, un y, de quelque chose qui est sensible, enfin, avec quoi nous frayons : y a l’arbre, y a le végétal, il fait branche, c’est son mode de présence. Et je vois pas pourquoi j’irais pas à patauger là, dans quelque chose qui quand même se recommande à notre attention, parce que c’est le fait de l’écriture, hein : la vieille Urszene, la scène primitive, telle qu’elle s’inscrit de la Bible, au début de ladite Genèse. Le tentateur, hein. Et puis la gourde, n’est-ce pas, la nom­mée Ève, et puis le connard des connards n’est-ce pas, l’Adam premier? Et puis ce qui circule, là, le machin qui lui reste en travers de la gorge, la pomme, qu’on dit. Pis c’est pas tout, hein: y a le grand-papa qui rap­plique et puis qui les sonne.

Moi je suis pas contre, de lire ça. je suis pas contre puisque c’est plein de sens. C’est bien justement ce dont il faudrait le nettoyer. Peut-être que si… on grattait tout le sens hein, on aurait une chance d’accéder au Réel. C’est même ça que je suis en train de vous enseigner. C’est que c’est pas le sens de la plainte, qui nous importe, c’est ce qu’on pourrait trouver au-delà, de définissable comme du Réel, ouais. Seulement pour nettoyer le sens, il faudrait pas en oublier, parce que sans ça c’est ça qui fait rejet, hein, et dans tout ça y a quelque chose qu’on oublie. Et c’est justement l’arbre. Ce qui est énorme, c’est qu’on ne s’aperçoive pas que c’était ça qui était interdit. C’est pas le serpent, c’est pas la pomme, c’est pas la connasse, c’est pas le connard : c’était l’arbre, dont il fallait pas approcher! Et à lui personne ne pense plus, c’est admirable! Mais lui, l’arbre, qu’est-ce qu’il en pense? Là je fais un saut, hein, parce que qu’est-ce que ça veut dire : « qu’est-ce qu’il en pense ? » Ça ne veut rien dire que ceci, qui est en suspens, et qui est très précisément ce qui me fait suspendre tout ce qui peut se dire au titre de la vie, de la vie qui se lave. Parce que malgré que l’arbre ne se lave pas – ça, ça se voit! – est-ce que malgré cela, l’arbre jouit ? C’est une question que j’appellerai essentielle. Non pas qu’il y ait d’essence en dehors de la question : la question c’est l’essence, il n’y a pas d’autre essence que de la question. Comme il n’y a pas de question sans réponse, je vous le serine depuis longtemps, ça veut dire que l’essence aussi en dépend, de la réponse. Seulement là, elle manque. Impossible de savoir si l’arbre jouit, quoiqu’il ne soit pas moins certain que l’arbre c’est la vie. Ouais.

je vous fais mes excuses, d’avoir comme ça imaginé ça, imaginé de vous présenter ça, comme ça, à l’aide de la Bible. Moi, la Bible, ça ne me fout pas la trouille. Et je dirai même plus, j’ai pour ça une raison. C’est que y a des gens comme ça qui en ont été formés, hein, les juifs qu’on les appelle généralement. On peut pas dire qu’ils aient pas cogi­té sur le machin, la Bible. je dirai même plus : tout prouve, tout prou­ve dans leur histoire [à Madame Gloria Gonzalez : Donnez-moi un cigare…] tout prouve dans leur histoire qu’il ne se sont pas occupés de la nature, qu’ils ont talmudisé, comme on dit, c’te Bible. Eh bien je dois reconnaître que ça leur a réussi. Et à quoi est-ce que je le touche ? je le touche à ceci, oui, qu’ils ont vraiment bien contribué, quand c’est venu à leur portée, à ce domaine qui m’intéresse, quoi que ce ne soit pas le mien – le mien au sens de domaine de l’analyse – qu’ils ont vraiment contribué, avec une particulière astuce, au domaine de la science. Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? C’est pas eux qui l’ont inventée.

L’histoire de la science est partie d’une interrogation sur la (mettez ça entre guillemets, je vous en prie) sur la « nature », sur la phusis – à pro­pos de quoi Monsieur Heidegger se tortille les circonvolutions. Qu’est-­ce que c’était que la nature pour les Grecs ? s’interroge-t-il. La nature, ils s’en faisaient une idée. Il faut bien le dire que l’idée qu’ils s’en faisaient – comme le même Heidegger le suggère – elle est bien perdue. Elle est perdue, perdue, perdue, perdue. je vois pas pourquoi on la regretterait! Puisqu’elle est perdue, hein? Eh ben, on n’a pas un tellement grand deuil à en faire, puisqu’on en sait même plus ce que c’est. Ouais. On sait même plus ce que c’est parce qu’il est bien évident que si la science a réussi, a réussi à surgir, il semble pas, d’ailleurs, que les juifs y aient au départ mis beaucoup d’eux-mêmes. C’est après coup, dans la timbale une fois décro­chée, qu’ils sont venus mettre leur grain de sel, hein, et qu’on s’est aper­çu que, c’est clair, enfin, quoi l’Einstein, à en remettre au grand machin de Newton, c’est lui qui tient le bon bout. Et puis il est pas le seul, il y en a d’autres – que je vous nommerai à l’occasion, mais je ne peux pas par­ler de tous à la fois, parce qu’ils pullulent et puis qu’ils sont pas tous dans le même coin. Ce qu’il y a de certain c’est que, c’est quand même frap­pant que, qu’il ait suffi de ce sacré machin-là, écrit, l’Ecriture par excel­lence, qu’on dit! – qu’il ait suffi de ça pour qu’ils rentrent dans le truc de ce que les Grecs ont préparé et préparé par quelque chose qui n’est à distinguer de l’écriture, de l’écriture en tant que la spécifie, enfin, que ce soit possible à lire, que quand ça se lit, ça fait un dire – un dire à dormir debout, naturellement, comme je vous l’ai raconté tout à l’heure à propos de cette scène à la mords-moi-le-doigt, un dire à dormir debout, mais un dire! Il est tout à fait clair que si le Talmud a un sens, ça consistait préci­sément à vider de sens ce dire, c’est-à-dire à n’étudier que la lettre. Et de cette lettre induire des combinaisons absolument loufoques, dans le genre d’équivalence de la lettre et du nombre, par exemple, mais c’est tout de même curieux que ça soit ça qui les ait formés, et qu’ils se trouvent à la page quand ils ont affaire à la science… Ouais! Alors, c’est ce qui m’autorise, je dirai à faire comme eux, à ne pas considérer comme un champ interdit ce que j’appellerai la mousse reli­gieuse, à laquelle je recourais tout à l’heure. Ce que j’appelle « la mous­se », là, c’est le sens, tout simplement! le sens à propos de quoi j’essayais justement de faire, de faire le nettoyage, en posant la question, la ques­tion de l’arbre : qu’est-ce qu’il est, l’arbre ? Et qu’est-ce qu’il est sur un point très précis que j’ai désigné, parce que je reste pas en l’air : est-ce qu’il jouit? La mousse religieuse peut donc, enfin, être aussi bien du matériel de laboratoire! Et pourquoi pas, et pourquoi pas nous en servir puisqu’elle nous vient avec ce que j’appelle, ce que j’appelle en la faisant basculer tout entière d’un côté, ce que j’appelle la vérité, parce que bien sûr, c’est pas la vérité vidée, hein, c’est la vérité comme ça foisonnante.

Voilà. Je peux quand même bien vous indiquer que c’est pas pour rien, enfin, qu’il y a des juifs biologistes, hein. Moi, je viens de lire un truc dont aussi bien je vous donnerai le titre… je vous donnerai le titre, enfin, c’est le bouquin, là, sur la sexualité et les bactéries. Il y a une chose qui, qui m’a frappé, enfin, à la lecture de ce livre que j’ai lu avec passion de bout en bout, parce que c’était dans mon fil, comme ça, c’est que si, c’est que si l’amibe, hum… cette petite saloperie, là, que vous regardez au microscope, là, hein, et puis qui manifestement frétille, hein, elle vous bouffe des trucs… elle… bon. Ça c’est sûr qu’elle jouit! Eh ben pour la bactérie, je m’interroge! Est-ce que la bactérie jouit? Ben c’est marrant, hein, la seule chose qui puisse, enfin, nous en suggé­rer l’idée, c’est – je peux quand même pas dire que c’est dans Jacob que je l’ai découvert, faut pas exagérer, j’avais eu comme ça, une rumeur… mais dans ce Jacob, qui d’ailleurs est dans l’occasion associé à un nommé Wollman, ce qui m’a véritablement fasciné, hein, c’est ce qui est la caractéristique de ladite bactérie, c’est qu’il y a rien de tel au monde qu’une bactérie pour pouvoir être infectée. C’est pour tout dire que la bactérie ne nous apporterait absolument rien s’il n’y avait pas le bacté­riophage. Et le lien que fait – que fait : il fait pas, ça se dégage – mais enfin c’est certain que, le fait que, comme son nom l’indique Jacob soit juif, c’est certainement pas pour rien que son rapport, rapport d’expé­riences accumulées, minutieuses, foisonnantes enfin, que son rapport sur ce qu’il se passe entre la bactérie et le bactériophage, ce soit là que nous puissions prendre le « sentiment », disons que de l’infection, de son infection par le bactériophage, la bactérie jouisse, éventuellement. Et si on y regarde de bien près – enfin, reportez-vous au texte, moi je vous l’indique, ça va en faire un second qu’il va vous falloir vous fourrer dans les poches, seulement celui-là il est très difficile à trouver, il est archi-épuisé ce machin-là, il est paru en Amérique… C’est emmerdant! Ce serait tout de même pas mal que vous vous en fassiez tirer des photo­copies. Il y en a aussi peut-être un en français qui circule, mais je peux pas vous dire, moi, je ne m’y suis pas précipité, puisque j’ai lu la chose en anglais, enfin, il y en a aussi un en français, dont je sais même pas encore s’il se trouve: vous voyez quelle est ma bienfaisance, je vous l’indique au moment où vous allez donc me faire la plus effroyable concurrence si je veux me le procurer. Enfin tant pis, il y a toujours la photocopie…

C’est en fin de compte de là que se touche le joint, un joint qui est très particulier. Si Jacob par là manifeste qu’il y a sexe au niveau de la bacté­rie, il ne le manifeste que de ceci, lisez bien le livre: qu’entre deux muta­tions de bactéries de la même lignée, soit de ce fameux escherichia coli qui a servi de matériel de laboratoire à ce niveau-là, qu’entre deux muta­tions de bactéries de la même provenance, ce qui constitue le sexe, c’est qu’entre elles, ces mutations, il n’y ait pas de rapport possible. Ceci veut dire qu’une lignée de bactéries dont la mutation consiste en une possibi­lité de foisonnement plus grande que dans l’autre, alors que c’est au niveau de cette possibilité de foisonnement que l’autre se distingue : foi­sonnement-plus, fertility qu’ils appellent ça en anglais, foisonnement moins. Les foisonnantes-plus, quand elles se rencontrent avec les foi­sonnantes-moins, les font muter du côté du foisonnement. Alors que les foisonnantes-moins, quand elles vont aux foisonnantes-plus, elles, ne les font pas muter du côté du foisonnant-moins. C’est donc essentiellement du non-rapport entre deux rameaux – nous le retrouvons notre petit arbre! – c’est donc du non-rapport entre deux rameaux d’un même arbre, que pour la première fois se suggère, au niveau de la bactérie, l’idée qu’il y a une spécification sexuelle.

Alors vous voyez dans quelle note ça, ça peut me toucher, parce que, de retrouver ce non-rapport à un tout autre niveau de la prétendue évo­lution de la vie qui est celui dont je spécifie l’être parlant, c’est quand même quelque chose qui, enfin, qui est bien fait pour me retenir, et pour du même coup essayer aussi de vous mettre un peu au parfum… Parce qu’en somme, ce que ça veut dire, c’est que dans sa première apparition – qui n’a d’ailleurs, strictement rien à faire avec sa seconde apparition qui est une pure homologie – la sexualité, ce n’est pas du tout la même chose, mais que ça puisse être à l’occasion à un niveau de l’arbre, une chose liée à l’infection et à rien d’autre, c’est quand même, c’est quand même digne de nous retenir. Bien sûr, ça ne veut pas dire non plus nous précipiter, hein, faut pas se précipiter, surtout, parce que c’est, c’est la meilleure façon de se foutre le doigt dans l’œil ! Mais enfin, c’est sen­sible. Et que, que la question de la jouissance se suggère dès l’infection, sexualité à portée limitée, c’est aussi digne de nous retenir. Bon. Quand je dis : ne pas se précipiter, hein, ça veut dire aussi : ne pas se laisser mener par le bout du nez.

Y a-t-il – je fais rupture ici, je prends les choses par un autre bout – y a-t-il du savoir dans le Réel ? Il est essentiel qu’ici je rompe, puisque sinon moi du moins vous, vous êtes jusqu’ici laissés mener par le bout du nez, c’est-à-dire que vous vous arrêtez là où je m’arrête moi-même, pour ne pas me laisser mener du même bout. Poser la seconde question, celle que j’avance maintenant, après m’être laissé mener dans la mousse religieuse, en quoi cela a-t-il de l’intérêt, que maintenant je reparte ? C’est quand même – c’est pas difficile à, à sentir, n’est-ce pas, la jouis­sance, elle fait éruption (sic) dans le Réel. Et qu’il y aura un moment – qui sera plus tard, parce qu’il faut quand même bien sérier les choses, hein, où la question se retourne. Le Réel, qu’a-t-il à répondre, si la jouis­sance l’interroge ? Et c’est en quoi je commence – là vous voyez le lien – en quoi je commence à poser la question : le savoir, c’est pas pareil que la jouissance. je dirai même plus, s’il y a un point où je vous ai menés, enfin, en partant de ce savoir qui s’inscrit de l’inconscient, c’est bien que le savoir, c’est pas forcé qu’il jouisse de lui-même.

Et c’est bien pourquoi, maintenant, rupture, je reprends un fil d’un autre bout, dont aucun terme ne se rencontre dans ce que j’ai avancé d’abord. je reprends le fil par un autre bout, et je fais question du savoir dans le Réel. Il est bien clair que cette question comme toutes les autres, ne se pose que de la réponse. je dirai même plus : de la réponse telle que je viens de l’accentuer. L’inconscient au sens de Freud, c’est au nom de quoi je pose la question du savoir dans le Réel. Mais je ne la pose pas en donnant à l’inconscient de Freud toute sa portée. je dis seulement que l’inconscient ne se conçoit d’abord que de ceci: que c’est un savoir. Mais je me limite à ça. C’est au nom de ça que la question du savoir dans le Réel prend son sens.

Y en a. Et il n’y a pas besoin de l’inconscient de Freud pour qu’il y en ait. Y en a selon toute apparence, sans quoi le Réel ne marcherait pas. Voilà d’où je pars qui vous le voyez est d’une tout autre allure. D’une allure grecque, celle-là, justement. Le Réel, c’est comme le discours du maître : c’est le discours grec. Le Réel il faut que ça marche. Et on ne voit pas comment ça marcherait sans qu’il y ait dans le Réel du savoir. Alors là aussi, hein, ne pas se précipiter. Là c’est plus de se laisser mener par le bout du nez qu’il s’agit, là, c’est de s’engluer, avec ce pas. Il faut bien en trancher le cadre. Si j’ai fait ce pas dans le Réel, il faut que je découpe le… toute la glu tout autour, pour pas y rester collé, hein. Et ça dans le Réel, c’est, si j’ose dire ce qui ne veut rien dire hors d’un sens.

Dans le Réel, ça veut dire : ce qui ne dépend pas de l’idée que j’en ai. Un pas de plus avec la même colle aux pieds : ce à quoi, que j’y pense, n’importe pas. Que je pense à lui, comme ça, le Réel, c’est ce qui s’en fout. Et c’est bien pourquoi que la première fois que j’ai essayé de faire vibrer cette catégorie, enfin, aux oreilles de mes auditeurs, ceux de Sainte-Anne, je peux pas dire que j’ai pas été gentil, hein, je leur ai dit le Réel c’est, c’est ce qui revient toujours à la même place. Ce qui est jus­tement le mettre en place. La notion de place, elle surgit de là.

Alors, en disant ça, je mets le Réel – je le situe, justement, je le mets à sa place, d’un sens, ne l’oublions pas, d’un sens en tant que su : le sens se sait. C’en est même au point qu’on est étonné, hein, qu’on ait, qu’on ait pataugé : le sensé, le sensible, tout ce qu’on veut, mais que ça n’ait pas fini par se cristalliser : le sensu. Faut croire que ça avait des échos qui nous plaisaient guère.

Ce que je suis en train de dire par là, en tout cas de vous avancer concernant le Réel, c’est ça d’abord, c’est que le savoir dont il s’agit dans la question : y a-t-il savoir dans le Réel, est tout à fait à séparer de l’usa­ge du su dans le sensu. C’est du sens à partir de là que je détache le réel, mais ça n’est pas du même savoir que je questionne pour savoir s’il y a du savoir dans le Réel. Le savoir dont il s’agit dans la question n’est pas cet ordre de savoir qui porte sens ou plus exactement, qui, du sens, est porté.

Et je vais tout de suite l’illustrer. L’illustrer d’Aristote. Il est tout à fait frappant que dans sa Physique, Aristote ait depuis un bon bout de temps, enfin, fait le saut, le saut par quoi, par quoi se démontre que sa Physique n’a strictement rien à faire avec la phusis dont Heidegger essaie de nous faire ressurgir le fantôme. C’est que ce à quoi il s’en prend, il s’en prend pour répondre à la question qui est celle que je pose mainte­nant : y a-t-il du savoir dans le Réel ? – il s’en prend au savoir de l’arti­san. C’est que les Grecs n’avaient pas le même rapport à l’écriture. La fleur de ce qu’ils ont produit, c’est des dessins, c’est de tirer des plans. C’est leur idée de l’intelligence. Il ne suffit pas d’avoir une idée de l’in­telligence pour être intelligent. Ça vous est spécialement adressé, cette recommandation. Et il est surprenant que ce soit Aristote qui nous le prouve.

Cet artisan, Dieu sait ce qu’il lui impute, c’est le cas de le dire. Il lui impute, d’abord, de savoir ce qu’il veut : ce qui quand même est raide! Où est-ce qu’on a vu que quelqu’un qui se dépêtre, en artisan, sache ce qu’il veut ? C’est Aristote qui lui flanque ça sur le dos. Grâce à Aristote, l’artisan « cause final ». Et puis aussi, pendant qu’il y est, je ne vois vrai­ment pas ce qui l’arrête, n’est-ce pas, il « cause formel » aussi, il a de l’idée, comme on dit. Et puis après ça, il, il, il cause « cause », il cause même « moyen », il cause « efficient » pour tout dire, et c’est encore heu­reux si Aristote laisse un bout de rôle à la matière. Là c’est elle : elle « cause matériel » ! Ça cause, ça cause, ça cause même à tort et à travers.

Parce que, pour prendre les choses, comme ça, au niveau d’où ça sort, c’est-à-dire le pot – c’est comme ça que c’est sorti, non pas bien sûr qu’ils savaient faire que ça, les Grecs, ils savaient faire des machins beaucoup plus compliqués, mais tout ça, ça sort du pot. Quand je pose la question s’il y a du savoir dans le Réel, c’est précisément pour exclure de ce Réel ce qu’il en est du savoir de l’artisan. Non seulement le savoir de l’artisan ne cause pas, mais c’est exactement de cet ordre de savoir auquel l’artisan sert parce qu’un autre artisan lui a appris à faire comme ça.

Et loin que le pot ait une fin, une forme, une efficacité et même une matière quelconque, le pot, c’est un mode de jouir. On lui a appris à jouir à faire des pots! Et si on lui achète pas son pot – et ça c’est le client qui l’a à sa jugeote – si on lui achète pas son pot, ben il en est pour sa jouis­sance, c’est-à-dire qu’il reste avec, et que ça ne va pas très loin. C’est un mode qu’il est essentiel de détacher de ce dont il s’agit quand je pose la question : s’il y a du savoir dans le Réel.

Il faudrait quand même seulement qu’il y en ait ici quelques-uns qui ont été, qui ont été, je sais pas, à l’Exposition des Fouilles chinoises archéologiques, qu’on appelait ça, des fouilles chinoises qui étaient ce que, ce qu’avait trouvé de mieux à nous envoyer le pays de Mao. Là vous pouvez voir – à ce niveau-là parce qu’il y a des raisons pour que, dans cette zone, enfin, on puisse encore voir les pots au moment de leur sur­gissement. Il est tout à fait clair que ces pots absolument saisissants, admirables, n’est-ce pas, ces pots du temps de l’apparition des mots, quand pour la première fois, on a fait des pots – on leur fout trois pieds, comme par hasard, mais c’est des pieds qui sont pas des pieds, des pieds qui se vissent, vous comprenez, c’est des pieds, des pieds qui sont là dans la continuité du pot. C’est des pots qui ont des becs dont on peut dire que toute bouche est indigne à l’avance. C’est des pots qui sont eux-mêmes, dans leur avènement, enfin des choses devant quoi on se pros­terne.

Est-ce que vous croyez que ce surgissement-là, c’est quelque… c’est quelque chose qui ait quoi que ce soit à faire avec la décomposition aris­totélicienne ? Ces pots, il suffit de les regarder pour voir qu’en somme ils peuvent servir à rien. Mais il y a une chose certaine, c’est que ça a pous­sé, n’est-ce pas, ça a poussé, enfin comme une fleur. Qu’Aristote, enfin, les décompose, enfin, n’est-ce pas, les con-cause de quatre causes, au moins, différentes, c’est quelque chose qui à soit seul, enfin, démontre que les pots sont d’ailleurs.

Mais pourquoi est-ce que je vous en parle puisque justement je les mets ailleurs ? je vous en parle parce que si c’est le client qui finalement a à juger du pot, faute de quoi le potier, enfin il peut se mettre la cein­ture, ça nous démontre quelque chose, c’est que c’est le client qui non seulement achète le pot, mais qui, l’artisan, le « potière », si je puis m’ex­primer ainsi. Et il suffit de voir la suite de cette liaison qu’il y a entre le fait que le pot, enfin, soit si bien fait qu’on imagine que Dieu est un potier, exactement comme l’artisan. Le Dieu dont il s’agit, c’est, c’est… autrefois, enfin, mon vieil ami André Breton avait cru prononcer un blasphème en disant que, en disant que Dieu est un porc. C’est pas pour rien que la dernière fois je vous ai dit que j’ai jamais encouragé les surréalistes. Non pas du tout que moi j’abrégerais et je dirais que Dieu est un pot; Dieu est un empoté! Dieu est le potier, c’est vrai mais le potier aussi est un empoté. C’est le sujet, enfin, du savoir supposé à son art.

Mais c’est pas de ça qu’il s’agit quand je vous pose la question : y a­-t-il du savoir dans le Réel ? Parce que ça, c’est ce qu’on a rencontré le jour où du Réel on a réussi à arracher un brin, c’est-à-dire au moment de Newton, où quand même, c’est arrivé, et que là, pour que le Réel fonctionne, le Réel au moins de la gravitation, c’est-à-dire pas rien, quand même, parce que nous y sommes tous vissés à cette gravitation et rien de moins que par notre corps, jusqu’à nouvel ordre, non pas que c’en soit une propriété, comme l’a bien démontré la suite – mais on y est vissés à ce Réel. Et là, qu’est-ce que c’est, enfin qui a tracassé les gens au moment de Newton? Ça n’est rien moins que ceci, que cette ques­tion dont je dirai, enfin, qu’elle concernait ce dont il s’agissait, c’est-à­-dire « les masses » – c’est le cas de le dire. Les masses. Comment ces masses pouvaient-elles savoir à quelle distance elles étaient des autres masses pour qu’elles observent la loi de Newton? Il est absolument clair que, qu’il faut Dieu, là. On peut pas, tout de même, prétendre que les masses, les masses comme telles, c’est-à-dire définies par leur seule inertie, par où leur viendrait la notion de la distance à laquelle elles sont des autres masses ? Et qui plus est, de ce qu’il en est de ces masses elles-­mêmes pour se conduire correctement? Au temps frais où cette élucu­bration newtonienne est sortie, ça n’a échappé à personne! C’était la seule notion enfin, que – la seule notion qu’on pouvait lui opposer, c’était les tourbillons de Descartes; malheureusement, les tourbillons de Descartes, ils existaient pas et tout le monde pouvait très bien s’en aper­cevoir… Alors, il fallait Dieu pour informer, enfin n’est-ce pas, à tout instant, enfin c’est même au point que non seulement il fallait qu’il soit là pour informer à tout instant les masses de ce qu’il en était des autres, mais… on supposait même qu’il n’avait peut-être pas d’autre moyen que de les pousser du doigt, les masses, lui-même… Ce qui, bien sûr était exagéré, enfin, était exagéré parce qu’il est clair que du moment qu’il y a l’accélération inscrite déjà dans la formule, le temps aussi y était, donc il n’y avait pas besoin du doigt de Dieu! Mais pour l’infor­mation quand même, c’était difficile de l’exclure. Et ce dont je vous parle, moi, ici, c’est du savoir dans le Réel.

Faut pas vous imaginer que parce qu’Einstein est venu après et en a remis un bout, hein, faut pas vous imaginer que ça va mieux, hein, parce qu’il y a quand même une drôle d’histoire, n’est-ce pas, c’est que cette relativité de l’espace, désormais désabsolutisé, car enfin il y a un bout de temps, enfin qu’on avait pu le dire que, enfin, que, après tout Dieu c’était l’espace absolu – enfin ça c’est, c’est des badinages, bon. Mais la relati­vation de cet espace par rapport à la lumière, ça vous a une drôle de touche de fiat lux, et ça, ça a tout l’air de recommencer à se foutre le cul dans la mousse religieuse. Alors, n’exagérons rien. C’est peut-être là, vous comprenez, que – c’est comme ça en tout cas que pour aujour­d’hui je me limiterai, enfin à ce que fait surgir l’analyste. Vous avez bien senti, sentu, hein, que tout ça provient de ce fait enfin c’est que nous n’avons parlé jusqu’ici que de ce qui vient du Ciel. Tout ce que nous avons de Réel un tant soit peu sûr, y compris nos monstres, hein, c’est uniquement, uniquement descendu du ciel. Si ce n’est pas de là qu’on était parti pour ce qui revient toujours à la même place, définition que je donne du Réel, nous n’aurions aujourd’hui ni montre ni télévision ni toutes ces choses charmantes grâce à quoi vous êtes non seulement minutés, mais si j’ose dire, « secondés ». Vous êtes tellement bien secon­dés que vous n’avez même plus la place de vivre.

Heureusement qu’il y a de l’analyste, hein. L’analyste – je vais ter­miner sur une métaphore : l’analyste c’est le feu follet. C’est une méta­phore qui elle, ne fait pas fiat lux. C’est tout ce que j’ai à dire pour l’ex­cuser. Je veux dire qu’elle s’oppose aux étoiles d’où tout est descendu de ce qui vous encombre et vous range ici si bien, enfin, pour écouter mon discours, n’est-ce pas. C’est-à-dire que ça n’a absolument rien à faire avec ce dans quoi vous viendrez vous plaindre chez moi dans un instant.

Le seul avantage que je trouve à ce feu follet, c’est que ça ne fait pas fiat lux. Le feu follet n’éclaire rien, il sort même ordinairement de quelque pestilence. C’est sa force. C’est ce qu’on peut dire, à partir du feu follet, dont j’essaierai de reprendre le fil, le fil follet, la prochaine fois.

 

Print Friendly, PDF & Email