Leçon du 12 Mars 1958
Vous savez ce que nous essayons de faire ici : c’est à savoir, dans ces difficultés et dans ces impasses, dans ces contradictions qui sont le tissu de votre pratique… c’est le moindre présupposé de notre travail que vous vous en aperceviez… d’essayer de vous ramener toujours au point : où ces impasses et ces difficultés puissent à la fois vous apparaître dans leur véritable portée, et où de fait, vous les éludez en vous reportant à ces théories partielles, voire ces escamotages, ces glissements de sens dans les termes mêmes que vous employez, qui sont aussi le lieu de tous les alibis. Nous avons la dernière fois parlé du désir et de la jouissance. Je voudrais vous montrer aujourd’hui, dans un progrès dans le texte même de ce que sur un point apporte FREUD par son observation, les difficultés que cela pose à ceux qui suivent, et la façon dont… en essayant de serrer de plus près les choses, à partir d’ailleurs de certaines exigences préconçues… quelque chose se dégage qui va plus loin dans le sens de la difficulté, et comment, peut – être, nous pouvons faire un troisième pas. Il s’agit nommément de FREUD, à propos de la position phallique chez la femme, ou plus exactement de ce qu’il appelle la phase phallique. Je rappelle ce sur quoi nous sommes arrivés, ce sur quoi nous avons mis l’accent, ce que veut dire ce que dans nos trois ou quatre dernières séances nous avons commencé d’articuler ce désir… qui comme tel et nommément est mis au cœur de la médiation de l’expérience analytique… nous l’avons ici formulé comme de ramasser, de concentrer, ce que nous avons dit comme une « demande signifiée ». Voici deux termes qui n’en font qu’un, également : « je demande » et « je vous signifie ma demande », comme on dit : « je vous signifie un ordre », « je vous signifie un arrêt ». Cette « demande » donc implique : l’autre, celui de qui il est exigé, mais aussi celui pour qui cette demande a un sens, un Autre qui – entre autres dimensions – a celle d’être le lieu où ce signifiant a sa portée. Ceci nous le savons déjà. Le deuxième terme de « demande signifiée »… au sens où je vous signifie quelque chose, je vous signifie ma volonté… c’est là qu’est le point important auquel nous avons songé spécialement. Maintenant ce « signifiée » implique dans le sujet l’action structurante de signifiants constitués… par rapport au besoin, par rapport à ce désir… dans une altération essentielle : par rapport au besoin, cette altération est constituée par l’entrée du désir dans la demande. Je m’arrête un instant pour faire une parenthèse. Nous avons jusqu’à présent… et pour une raison de temps et d’économie… laissé de côté cette année… où pourtant nous parlons des formations de l’inconscient… le rêve. Vous savez l’essentiel de l’affirmation de FREUD concernant le rêve, c’est que : le rêve exprime un désir. Mais en fin de compte, nous n’avons même pas commencé à nous demander ce que c’est que ce désir du rêve, si ce désir dont nous parlons… et il y en a plus d’un dans le rêve… ce sont les désirs du jour qui en donnent l’occasion, le matériel, et chacun sait que ce qui nous importe, c’est le désir inconscient. Ce désir inconscient, pourquoi en somme FREUD l’a – t – il reconnu dans le rêve ? Au nom de quoi ? En quoi est – il reconnu ? Il n’y a apparemment manifestement rien dans le rêve, qui corresponde à ce par quoi un désir se manifeste grammaticalement. Il n’y a aucun texte de rêve, si ce n’est apparemment, c’est – à – dire devant être traduit dans une articulation plus profonde. Mais au niveau de cette articulation qui est masquée, qui est latente, qu’est – ce qui distingue, qu’est – ce qui met l’accent sur ce qu’articule le rêve ? Bien sûr, rien, apparemment. Observez qu’en fin de compte, dans le rêve, ce que FREUD reconnaît comme désir : c’est bien par ce que je vous dis, à savoir par l’altération du besoin que ceci se signale, c’est en tant que ce qui au fond est masqué, articulé dans quelque chose qui le transforme. Qui le transforme en quoi ? En ceci : que cela passe par un certain nombre de modes, d’images qui sont là en tant que signifiants. Cela nécessite donc l’entrée en jeu de toute une structure qui sans doute est la structure du sujet, pour autant que doivent y opérer un certain nombre d’instances. Mais cette structure du sujet, nous ne la reconnaissons qu’à travers ce fait que ce qui passe dans le rêve est soumis aux modes et aux transformations du signifiant, aux structures de la métaphore et de la métonymie, de la condensation et du déplacement. Ici, ce qui donne la loi de l’expression du désir dans le rêve, c’est bien la loi du signifiant : c’est à travers une exégèse de ce qui est particulièrement articulé dans un rêve que nous décelons ce quelque chose qui est quoi, en fin de compte ? Quelque chose que nous supposons vouloir faire reconnaître, quelque chose qui participe à une aventure primordiale, qui est là inscrit et qui s’articule si nous le reportons toujours à quelque chose d’originel qui s’est passé dans l’enfance et qui a été refoulé. C’est à cela que nous donnons en fin de compte la primauté de sens dans ce qui s’articule dans le rêve : c’est que quelque chose là, se présente qui est tout à fait dernier quant à la structuration du désir du sujet. Nous pouvons dès maintenant l’articuler : c’est le désir, l’aventure primordiale de ce qui s’est passé autour d’un désir qui est le désir infantile, son désir essentiel qui est le désir du désir de l’Autre, ou le désir d’être désiré. C’est ce qui s’est marqué, inscrit dans le sujet autour de cette aventure, qui reste là, permanent, sous – jacent, et qui donne le dernier mot de ce qui dans le rêve nous intéresse en tant qu’un désir inconscient, qui s’exprime à travers quoi ? À travers le masque de ce qui occasionnellement aura donné au rêve son matériel, avec quelque chose qui ici nous est signifié à travers les conditions particulières qu’impose toujours au désir la loi du signifiant. Ce que j’essaye ici de vous enseigner, c’est à substituer à tout ce qui dans la théorie est plus ou moins confus parce que toujours partiel… à savoir à la mécanique, à l’économie des gratifications, des soins, des fixations, des agressions… cette notion fondamentale de la dépendance primordiale du sujet par rapport au désir de l’Autre, de ce qui s’est structuré toujours par l’intermédiaire de ce mécanisme qui fait que le désir du sujet est déjà en tant que tel, modelé par les conditions de la demande, inscrit au fur et à mesure de l’histoire du sujet dans sa structure : les péripéties, les avatars de la constitution de ce désir, en tant qu’il est soumis à la loi du désir de l’Autre, fait si l’on peut dire, du plus profond désir du sujet, de celui qui reste suspendu dans l’inconscient, la somme, l’intégrale, dirions – nous, de ce grand D, de ce désir de l’Autre.
C’est seulement cela qui peut donner un sens à l’évolution que vous connaissez de l’analyse, ce qui a fini par mettre tellement d’accent sur ce rapport primordial à la mère au point de paraître éluder toute la dialectique ultérieure, voire la dialectique œdipienne. Il y a quelque chose qui va à la fois dans un sens juste et qui le formule à côté : ce n’est pas seulement la frustration en tant que telle… à savoir un plus ou moins de réel qui est donné ou qui n’a pas été donné au sujet …qui est le point important, c’est ce en quoi le sujet a visé, a repéré ce désir de l’Autre qui est le désir de la mère. Et par rapport à ce désir, c’est lui faire reconnaître ou passer, s’être offert à devenir… par rapport à quelque chose qui est un x de désir chez la mère à devenir, ou non, celui qui répond, à devenir, ou non, l’être désiré. Ceci est essentiel car à le négliger tout en l’approchant, à pénétrer aussi près que possible par des voies d’abord aussi proches que possible d’accès de ce qui se passe chez l’enfant… vous le savez, Mélanie KLEIN a découvert beaucoup de choses …mais à le formuler simplement si l’on peut dire dans l’affrontement, la confrontation du sujet, de l’enfant, au personnage maternel, elle aboutit à cette sorte de relation vraiment spéculaire, en miroir, qui fait que le corps, si l’on peut dire… car c’est déjà très frappant, c’est au premier plan …le corps maternel devient en quelque sorte l’enceinte et l’habitacle de ce qui peut s’y localiser, s’y projeter des pulsions de l’enfant, ces pulsions étant elles–mêmes motivées par l’agression d’une déception fondamentale. Et en fin de compte, dans cette dialectique rien ne peut nous sortir d’un mécanisme de projection illusoire, d’une construction du monde à partir d’une sorte d’autogenèse de fantasmes primordiaux. La genèse de l’extérieur en tant que lieu du « mauvais » reste purement artificielle et soumet en quelque sorte toute l’accession ultérieure à la réalité à une pure dialectique de fantaisie. Il faut introduire, pour compléter cette dialectique kleinienne, cette notion que l’extérieur pour le sujet est donné d’abord : non pas comme quelque chose qui se projette de l’intérieur du sujet, de ses pulsions, mais comme la place, le lieu où se situe le désir de l’Autre, et où le sujet a à aller le rencontrer. Ceci est essentiel, et c’est la seule voie par où nous pouvons trouver la solution aux apories qu’engendre cette voie kleinienne qui s’est montrée si féconde par beaucoup d’endroits, mais qui aboutit à faire s’évanouir, à éluder complètement, ou à reconstruire… d’une façon en quelque sorte implicite quand elle–même ne s’en aperçoit pas, mais d’une façon également illicite parce que non motivée …que la dialectique primordiale du désir telle que FREUD l’a découverte, dialectique freudienne, est dans un rapport tiers, fait intervenir un au–delà de la mère, voire, à travers elle, la présence du personnage désiré ou rival, mais du personnage tiers qu’est le père. En fin de compte, c’est ici que se justifie le schéma que j’essayais de vous donner en vous disant qu’il faut poser la triade symbolique fondamentale… à savoir la mère, l’enfant et le père …en tant que l’absence ou la présence de la mère offre à l’enfant… ici posé comme terme symbolique, ce n’est pas le sujet simplement de par l’introduction de la dimension signifiante …offre à l’enfant, par la seule introduction du signifiant, du terme symbolique, le fait que l’enfant sera ou non un enfant demandé. Et ce troisième terme, essentiel, qui est en quelque sorte : ce qui permet tout cela ou l’interdit, ce qui se pose au–delà de cette absence ou présence de la mère en tant que sens, présence signifiante, ce qui lui permet ou non de se manifester, …c’est par rapport à cela que dès que l’ordre signifiant entre en jeu, le sujet a à se situer. Le sujet, lui, il tend sa vie concrète et réelle, bien sûr dans quelque chose qui d’ores et déjà comporte des désirs au sens imaginaire… au sens de la capture, au sens où des images le fascinent, au sens où par rapport à ces images il a à se sentir comme moi, comme centre, comme maître ou comme dominé …ce rapport imaginaire où, vous le savez, chez l’homme joue avec un accent primordial l’image de soi, l’image du corps qui vient en quelque sorte tout dominer. Bien sûr cette électivité de l’image chez l’homme est quelque chose de profondément lié au fait qu’il est ouvert à cette dialectique du signifiant dont nous parlions. Là, la réduction, si l’on peut dire, de l’image captivante à cette image centrale fondamentale de l’image du corps n’est pas sans lien avec ce rapport fondamental du sujet à la triade signifiante. Mais ce rapport à la triade signifiante introduit ce troisième terme pour le sujet, ce troisième terme par quoi le sujet… au–delà de ce rapport duel, de ce rapport de captivation à l’image …le sujet, si je puis dire, demande à être signifié. C’est pour cela qu’il y a aussi sur le plan de l’imaginaire trois pôles, comme dans la constitution minimale du champ symbolique au–delà de moi et de mon image. De par le fait que j’ai à entrer dans les conditions du signifiant, il y a un point, quelque chose qui doit marquer que mon désir doit être signifié pour autant qu’il passe nécessairement par une demande que je signifie sur le plan symbolique. Il y a, en d’autres termes, l’exigence d’un symbole général de cette marge qui me sépare toujours de mon désir, qui fait mon désir être toujours marqué de cette altération par l’entrée dans le signifiant. Il y a un symbole général de cette marge, de ce manque fondamental nécessaire à introduire mon désir dans le signifiant, à en faire le désir auquel j’ai affaire dans la dialectique analytique. Ce symbole est ce par quoi le signifié est désigné en tant qu’il est toujours, signifié altéré, voire signifié à côté. C’est cela que nous constatons dans le schéma que je vous donne : Ceci est dans le sujet au niveau de l’imaginaire : ici son image (i), ici le point (m) où se constitue le moi, ici je vous situe la lettre ϕ, en tant qu’elle est le phallus. Il est impossible de déduire la fonction constituante du phallus… en tant que signifiant dans toute la dialectique de l’introduction du sujet à son existence pure et simple et à sa position sexuelle …si nous n’en faisons pas ceci : qu’il est le signifiant fondamental par quoi le désir du sujet a à se faire reconnaître comme tel, qu’il s’agisse de l’homme ou qu’il s’agisse de la femme. Cela se traduit en ce que, quel que soit le désir, il faut qu’il ait dans le sujet cette référence que c’est le désir du sujet sans doute, mais en tant que le sujet lui–même a reçu sa signification, que le sujet, dans son pouvoir de sujet, doit tenir ce pouvoir d’un signe, et que ce signe, il ne l’obtient qu’à se mutiler de quelque chose par le manque duquel tout sera à valoir. Ce n’est pas une chose déduite. C’est donné par l’expérience analytique. Ceci est l’essentiel de la découverte de FREUD. Ceci est ce qui fait que FREUD , écrivant en 1931 Über die weibliche Sexualität, nous affirme ce quelque chose… qui sans doute au premier abord est problématique, qui sans doute est insuffisant, qui sans doute demande une élaboration …qui appelle les réponses de toutes les psychanalystes : d’abord féminines : Hélène DEUTSCH, Karen HORNEY et bien d’autres, et Mélanie KLEIN, et Josine MÜLLER, et là–dessus, résumant tout cela et l’articulant d’une façon qui semble plus ou moins compatible avec l’articulation de FREUD, JONES répond. C’est ce que nous allons examiner aujourd’hui. Prenons la question au point où elle est le plus paradoxale. Le paradoxe se présente d’abord, si l’on peut
dire, sur le plan d’une sorte d’observation naturelle. C’est en naturaliste que FREUD nous dit : « Ce que me montre mon expérience, c’est que chez la femme aussi, et pas seulement chez l’homme, ce phallus est au centre du développement libidinal. » S’agissant de l’homme il nous a montré, conformément à la formule générale que j’essayais de vous donner à l’instant : que l’introduction dans la dialectiqueva lui permettre de prendre place, de prendre rang dans cette transmission des types humains qui lui permettra de devenir à son tour le père, que rien ne se réalisera sans ce que j’ai appelé à l’instant cette « mutilation fondamentale » grâce à quoi le phallus va devenir le signifiant du pouvoir, le signifiant, le sceptre, mais aussi ce quelque chose grâce à quoi cette virilité pourra être assumée. Bien sûr, jusque–là nous avons compris FREUD. Mais il va plus loin et il nous montre comment au centre de la dialectique féminine le même phallus se produit. Ici quelque chose paraît s’ouvrir béant, pour autant que jusqu’à présent c’est en termes de lutte, de rivalité biologique que nous avons pu, à la rigueur, comprendre l’introduction de l’homme par le complexe de castration dans son accession à la qualité d’homme. Chez la femme, cela assurément présente un paradoxe, et FREUD d’abord nous le dit purement et simplement comme un fait d’observation : ce qui paraît coïncider là aussi avec quelque chose qui se présenterait donc comme tout ce qui est observé, comme faisant partie de la nature, comme naturel. C’est bien ainsi en effet qu’il paraît nous présenter les choses quand il nous dit que la fille, comme le garçon, d’abord désire la mère. Disons les choses comme elles sont écrites : il n’y a qu’une seule façon de désirer, la fille se croit d’abord pourvue d’un phallus, comme elle croit aussi sa mère pourvue d’un phallus. Et c’est ce que cela veut dire que l’évolution naturelle des pulsions : fait que, de transfert en transfert à travers les phases instinctuelles, c’est à quelque chose qui a la forme du sein par l’intermédiaire d’un certain nombre d’autres formes aboutit à ce fantasme phallique par où, en fin de compte, c’est en position masculine que la fille se présente par rapport à la mère et que quelque chose de complexe, de plus complexe pour elle que pour le garçon, doit intervenir pour qu’elle reconnaisse sa position féminine. Elle est supposée… mais par rien qui soit dans le principe …elle est supposée, dans l’articulation de FREUD, manquer au départ cette reconnaissance de la position féminine. Ce n’est pas là un mince paradoxe que de nous proposer quelque chose qui va autant à l’envers de la nature, qui après tout nous suggérerait une sorte de symétrie par rapport à la position du garçon, et quelqu’un a parlé du vagin comme bouche vaginale. Nous avons des observations qui nous permettent d’affirmer même… et je dirai à l’encontre des données freudiennes …qu’il y a des expériences vécues primitives dont nous pouvons retrouver la trace primordiale chez le jeune sujet, et qui montrent… contrairement à l’affirmation de cette méconnaissance primitive …que quelque chose peut être mu par contrecoup chez le sujet – au moins semble–t–il – au moment de l’opération du nourrissage. Je veux dire chez la petite fille encore à la mamelle qui montre quelque émotion, sans doute vague, mais dont il n’est pas absolument immotivé de la rapporter à une émotion corporelle profonde qu’il nous est sans doute à travers les souvenirs difficile de localiser mais qui permettrait en somme l’équation, par une série de transmissions, de la bouche du nourrissage à la bouche vaginale. De même que par ailleurs, à l’état achevé, développé de la féminité, cette fonction d’organe absorbant ou même suceur est quelque chose de repérable dans l’expérience, qui fournirait en quelque sorte la continuité par où, s’il ne s’agissait que d’une migration, si l’on peut dire, de la pulsion érogène, nous verrions tracée la voie royale de l’évolution de la féminité au niveau biologique. Et c’est bien là ce quelque chose en effet dont JONES se fait l’avocat et le théoricien quand il pense qu’il est impossible pour toutes sortes de raisons de principe d’admettre que l’évolution de la sexualité chez la femme serait quelque chose de voué à ce détour et à cet artificialisme dont FREUD fait l’hypothèse. Il nous propose donc une théorie qui s’oppose en quelque sorte point par point à ce que FREUD, lui, nous articule comme une donnée de l’observation, nous proposant la phase phallique de la petite fille comme reposant sur une pulsion dont il nous explique et dont il nous démontre les appuis naturels dans deux éléments : le premier étant celui – admis – de bisexualité biologique primordiale, mais il faut bien le dire, purement théorique, lointaine, et dont on peut très bien dire avec JONES qu’après tout elle est assez loin de notre accès. Mais il y a autre chose : la présence d’une amorce de l’organe phallique, l’organe clitoridien des premiers plaisirs, liés chez la petite fille à la masturbation clitoridienne et qui peut donner en quelque sorte l’amorce du fantasme phallique qui joue le rôle décisif que nous dit FREUD. Et c’est bien ce que FREUD fait : la phase phallique est une phase phallique clitoridienne, le pénis fantasmatique est une exagération du petit pénis que donne effectivement l’anatomie féminine. C’est dans la déception… et telle qu’elle est la sortie engendrée par cette déception pourtant – pour FREUD – fondée dans un mécanisme naturel …qu’il nous donne le ressort de l’entrée de la petite fille dans sa position féminine. Et c’est à ce moment, nous dit–il, que le complexe d’Œdipe joue le rôle normatif qu’il doit jouer essentiellement, mais il le joue chez la petite fille à l’inverse de chez le garçon : le complexe d’Œdipe lui donne l’accès à ce pénis qui lui manque par l’intermédiaire de l’appréhension du pénis du mâle : soit qu’elle le découvre chez quelque compagnon, soit qu’elle le situe ou qu’elle le découvre également chez le père. C’est par l’intermédiaire du désappointement… de la désillusion de quelque chose chez elle, par rapport à cette étape fantasmatique de la phase phallique …que la petite fille est introduite dans le complexe d’Œdipe, comme l’a théorisé une des premières analystes à suivre FREUD sur ce terrain, Madame LAMPL DE GROOT. Elle l’a très justement remarqué, la petite fille entre dans le complexe par la phase inversée du complexe d’Œdipe : elle se présente d’abord dans le complexe d’Œdipe dans une relation à la mère, et c’est dans l’échec de cette relation à la mère qu’elle trouve la relation au père, avec ce qui par la suite se trouvera ainsi normativé par l’équivalence de ce pénis qu’elle ne possédera jamais, avec l’enfant qu’elle pourra en effet avoir, qu’elle pourra donner à sa place. Observons ici un certain nombre de repères par rapport à ce que je vous ai enseigné à distinguer : ce penisneid qui se trouve être ici l’articulation essentielle de l’entrée de la femme dans la dialectique œdipienne, ce penisneid comme tel et donc comme la castration chez l’homme, se trouve au cœur de cette dialectique qui, sans doute, à travers les critiques que je vais vous formuler par la suite – celles qu’a apportées JONES – va être remis en question. Et bien entendu, il paraît du dehors, quand on commence à aborder la théorie analytique, qu’elle se présente comme quelque chose d’artificiel. Arrêtons–nous un instant d’abord pour souligner, ce qu’il convient de faire : quelle ambiguïté du terme tel qu’il est employé à travers les divers temps de cette évo-lution œdipienne chez la fille ! La discussion de JONES le pointe d’ailleurs : le Penisneid, qu’est–ce que c’est ? Il est trois modes au travers de
cette entrée et de cette sortie du complexe d’Œdipe qui nous sont montrés par FREUD autour de la phase phallique : Il y a penisneid au sens du fantasme, à savoir ce vœu, ce souhait longtemps conservé, quelquefois conservé toute la vie… et FREUD insiste assez sur le caractère irréductible de ce fantasme quand c’est lui qui se maintient au premier plan …ce fantasme que le clitoris soit un pénis. C’est un premier sens du penisneid. Il y a un autre sens : celui du penisneid tel qu’il intervient quand ce qui est désiré c’est le pénis du père, c’est–à–dire ce moment où le sujet voit dans la réalité du pénis… là où il est, le point où aller en chercher la possession …non seulement que l’œdipe est : la situation interdite, mais [aussi] impossibilité physiologique dont la situation, le développement de la situation l’a frustrée. Puis il y a la fonction de cette évolution en tant qu’elle fait surgir chez la petite fille le fantasme d’avoir un enfant du père, c’est–à–dire d’avoir ce pénis sous une forme symbolique. Rappelez–vous maintenant qu’à propos du complexe de castration je vous ai appris à distinguer entre castration, frustration et privation. De ces trois formes, lesquelles correspondent respectivement à chacun de ces trois termes ? Je vous l’ai dit : Une frustration est quelque chose d’imaginaire portant sur un objet bien réel. C’est bien en cela que le fait que la petite fille ne reçoive pas le pénis du père est une frustration. Une privation est quelque chose de tout à fait réel, et qui ne porte que sur un objet symbolique, à savoir que quand la petite fille n’a pas d’enfant du père, en fin de compte il n’a jamais été question qu’elle en ait. Elle est bien incapable d’en avoir. L’enfant d’ailleurs n’est là que comme symbole, et symbole précisément de ce dont elle est réellement frustrée, et c’est bien en effet à titre de privation que ce désir de l’enfant du père intervient à un moment de l’évolution. Reste donc ce qui correspond à la castration, à savoir ce qui symboliquement ampute le sujet de quelque chose d’imaginaire et, dans l’occasion, un fantasme correspond bien.
Agent Manque Objet
Père réel Castration symbolique Phallus imaginaire
Père symbolique Frustration imaginaire Pénis réel
Père imaginaire Privation réelle Phallus symbolique
Et FREUD est dans la juste ligne ici quand il nous dit que la position de la petite fille par rapport à son clitoris, c’est qu’à un moment donné elle doit renoncer à ce clitoris qu’elle conservait à titre d’espoir, à savoir que tôt ou tard il deviendrait quelque chose d’aussi important qu’un pénis. C’est bien à ce niveau que structurellement se trouve le correspondant de la castration, si vous vous rappelez ce que j’ai crû devoir articuler quand je vous ai parlé de la castration, au point électif où elle se manifeste, c’est–à–dire chez le garçon. On peut discuter qu’effectivement tout chez la fille tourne autour de la pulsion clitoridienne. On peut sonder les détours de l’aventure œdipienne, comme vous allez le voir maintenant à travers la critique de JONES. Mais nous ne pouvons pas au départ ne pas remarquer la rigueur, au point de vue structurel, du point que FREUD nous désigne en tant que correspondant de la castration, c’est bien quelque chose qui doit se trouver au niveau de ce qui se passe, de ce qui peut se passer comme relation à un fantasme et en tant que cette relation à un fantasme prend valeur signifiante. C’est à ce point-là que doit se trouver le point symétrique. Il s’agit maintenant de comprendre comment cela se produit. Ce n’est pas, bien entendu, parce que ce point–là est utilisé, que c’est ce point–là qui nous donne toute la clé de l’affaire. La critique de JONES nous la donne apparemment dans FREUD, pour autant que FREUD a l’air de nous montrer là une histoire d’anomalie pulsionnelle, et c’est bien ce qui va révolter, faire s’insurger un certain nombre de sujets, précisément au titre de préconceptions biologiques. Mais vous allez voir ce que, dans l’articulation même de leurs objections, ils arriveront à dire. Ils sont forcés par la nature des choses d’articuler un certain nombre de points, de traits qui sont justement ceux qui vont nous permettre de faire le pas en avant : de bien comprendre ce dont il s’agit, d’aller au–delà de la théorie de la pulsion naturelle, de voir effectivement que le phallus intervient bel et bien dans ce que je vous ai dit d’abord ici, dans ce que je peux appeler les prémisses de la leçon d’aujourd’hui et qui n’est rien d’autre que le rappel de ce que nous venons par d’autres voies de cerner, …à savoir que le phallus intervient ici en tant que signifiant. Mais venons–en maintenant à la réponse, à l’articulation de JONES. Il y a trois articles importants de JONES là–dessus : l’un qui s’appelle Early female sexuality , écrit en 1935, et dont nous allons parler aujourd’hui, qui avait été précédé de l’article sur The phallic phase , lu devant le XIIème Congrès International de Wiesbaden en 1932, et enfin Early development of female sexuality , lu devant le Xème Congrès en septembre 1927. C’est à celui–là que FREUD dans son article de 1931 fait allusion quand il réfute en quelques lignes… et je dois dire très dédaigneusement …les positions prises par JONES. Ce dernier, dans The Phallic Phase, essaye de répondre et d’articuler sa position, en somme contre FREUD, tout en s’efforçant de rester le plus près possible de sa lettre. L’article, sur lequel je vais m’appuyer aujourd’hui, Early female sexuality, est extrêmement significatif de ce que nous voulons démontrer. Il est aussi le point le plus avancé de l’articulation de JONES. Il se situe en 1935, quatre ans après l’article de FREUD sur la sexualité féminine. Il a été prononcé à la demande de FEDERN, qui était à ce moment-là vice–président ou président de la Société viennoise, et c’est à Vienne qu’il a été apporté pour proposer au cercle viennois ce que JONES a formulé tout uniment comme étant le point de vue des Londoniens, c’est–à–dire ce qui d’ores et déjà se trouve centré autour de l’expérience kleinienne. JONES nous dit qu’il convient d’aborder par l’expérience qui est la seule à s’opposer, celle des Londoniens. Et il fait ses oppositions d’une façon tellement plus tranchée que l’exposition y gagne en pureté, en clarté, en support à la discussion. Il fait un certain nombre de remarques, et il y a tout intérêt à s’y arrêter, en se reportant le plus possible au texte. Il fait remarquer d’abord que l’expérience nous montre qu’il est difficile, quand on s’approche de l’enfant, de saisir cette prétendue position masculine qui serait celle de la petite fille à la phase phallique par rapport à sa mère. Plus on remonte vers l’origine, plus nous nous trouvons confrontés à quelque chose qui, là, est critique. Je m’excuse si, en suivant ce texte, nous allons nous trouver devant un certain nombre d’objets qui, par rapport à la ligne que j’essaye ici de vous dessiner, paraissent dans des positions quelquefois un peu latérales mais qui valent d’être relevées pour ce qu’elles révèlent. Les suppositions de JONES, je vous le dis tout de suite, sont essentiellement diri-gées vers quelque chose qu’il articule en clair à la fin de l’article : une femme est–elle un être born… c’est–à–dire né comme telle, comme femme …ou est–elle un être made, fabriqué comme femme ? Et c’est là qu’il situe son interrogation, c’est là qu’il s’insurge contre la position freudienne. Il y a deux termes qui vont être en quelque sorte le point vers lequel s’avance son cheminement : quelque chose qui est issu d’une sorte de résumé des faits qui, dans l’expérience concrète auprès de l’enfant, permet soit d’objecter, soit quelquefois aussi de confirmer, mais dans tous les cas de corriger la conception freudienne. Mais ce qui anime toute sa démonstration c’est ceci qu’il pose à la fin comme une question, une espèce de « oui ou non » qui pour lui exclurait de façon absolument rédhibitoire même un choix possible : il ne peut pas y avoir dans sa perspective une position telle que la moitié de l’humanité soit faite d’êtres qui en quelque sorte seraient made, c’est–à–dire fabriqués dans le défilé œdipien. Il ne semble pas remarquer que le défilé œdipien, en fin de compte, ne fabrique pas moins… s’il s’agit de cela …des hommes. Néanmoins, le fait justement que les femmes y entrent, là, avec un bagage en somme qui n’est pas le leur, lui paraît constituer une différence suffisante avec le garçon, pour qu’il revendique quelque chose qui, dans sa substance, va consister à dire : c’est vrai que nous observons chez la femme, chez la petite fille à un certain moment de son évolution, quelque chose qui représente cette mise au premier plan, cette exigence, ce désir qui se manifeste sous la forme ambiguë du Penisneid et qui pour nous est si problématique. Mais qu’est–ce que c’est ? C’est en cela que va consister tout ce qu’il va nous dire : c’est une formation de défense, c’est un détour, c’est quelque chose, explique–t–il, de comparable à une phobie. Et la sortie de la phase phallique, c’est essentiellement quelque chose qui doit se concevoir comme guérison d’une phobie qui serait en somme une phobie très généralement répandue, une phobie normale, mais essentiellement du même ordre et du même mécanisme. Il y a là quelque chose… vous le voyez, puisqu’en somme je prends le parti de sauter au cœur de sa démonstration …il y a là quelque chose qui pour nous est tout de même extraordinairement propice à notre réflexion, pour autant que vous vous souvenez peut–être encore de la façon dont j’ai essayé de vous articuler la fonction de la phobie. Si effectivement c’est bien ainsi que la relation de la petite fille au phallus doit être conçue, assurément nous nous rapprochons bien de la conception que j’essaye de vous donner, à savoir que c’est au titre d’un élément signifiant privilégié qu’intervient la relation dans l’œdipe de la petite fille au phallus. Est–ce à dire que nous allons nous rallier là–dessus à la
position de JONES ? Sûrement pas ! Si vous vous souvenez de la différence que j’ai faite entre phobie et fétiche, nous dirons qu’ici le phallus joue plutôt le rôle de fétiche que le rôle d’objet phobique, mais ceci, nous y reviendrons ultérieurement. Reprenons l’entrée de JONES dans sa critique, son articulation, et disons d’où il part, d’où cette phobie va se constituer. Cette phobie pour lui, est une construction de défense contre quelque chose, contre un danger engendré par les pulsions primitives de l’enfant. De l’enfant, qu’il suit là au niveau de la petite fille, mais qui se trouve à ce niveau dans la même position et qui a le même sort que le petit garçon. Mais il s’agit ici de la petite fille, et il remarque donc qu’originellement le rapport de l’enfant… et c’est là–dessus que je me suis arrêté tout à l’heure en vous disant que nous rencontrerions des choses tout à fait singulières …à la mère est une position masculine primitive. Il dit : « Her mother she regards not as a man regards a woman, as a creature whose wishes to receive something it is a pleasure to fulfil. » Elle est loin d’être comme un homme l’est à l’égard d’une femme, « comme un homme considère une femme », c’est–à–dire comme une créature dont accepter ou recevoir les désirs, comme un être dont accéder à ses désirs et dont c’est un plaisir que de les combler . Il faut reconnaître qu’amener à ce niveau une position aussi élaborée des rapports de l’homme et de la femme est pour le moins paradoxal. Il est bien certain que quand FREUD parle de la position masculine de la petite fille, il ne fait d’aucune façon état de cet effet le plus achevé… si tant est qu’il soit vraiment atteint …de la civi-lisation, où l’homme est là pour combler tous les désirs de la femme. Mais sous la plume de quelqu’un qui s’avance dans ce domaine avec des prétentions aussi naturalistes au départ, nous ne pouvons pas manquer de relever ceci comme témoignant d’une des difficultés du terrain, pour qu’il arrive à achopper à ce point dans sa démonstration, et ceci est tout au début de sa démonstration, à savoir pour y opposer bien plutôt la position de l’enfant et non sans aucun doute à juste titre, non pas donc comme un homme ici, mais il s’agit de la mère telle que la considère l’enfant : « A person who has been successful in filling herself with just the things the child wants so badly… » Vous avez reconnu là le pot de lait de la mère, comme [ la voit ] l’enfant tel que le décrit Mélanie KLEIN, à savoir – je traduis JONES : « comme une personne qui a réussi… », [ a person who has been successful ]. Ce successful a toute sa portée parce qu’il implique dans le sujet maternel ce quelque chose… et JONES ne s’en aper-çoit pas …il implique qu’à calquer les choses sur le texte de ce qu’on trouve dans l’enfant, c’est bien un être désirant dont il s’agit : la mère, puisqu’elle a été assez heureuse pour : « réussir à se remplir elle–même, avec juste les choses que l’enfant désire si vachement … » [successful in filling herself with just the things the child wants so badly… ] À savoir ce matériel réjouissant des deux espèces de choses, solides et liquides. On ne peut méconnaître ce que Mélanie KLEIN nous montre à propos de ce qu’elle appelle dans ses Contributions « l’œdipe ultra précoce de l’enfant », rien que de nous représenter l’expérience primitive de l’enfant. Cette expérience primitive, sans doute y accède–t–on à la lorgnette, mais elle, elle le fait en s’approchant le plus près possible de la place et en analysant les enfants de trois ou quatre ans. Et nous découvrons déjà chez eux un rapport à l’objet qui est structuré sous cette forme que j’ai appelée « l’empire du corps maternel ». Ce champ de « l’empire maternel », avec ce qu’il comporte à l’intérieur… que j’ai appelé par référence à l’histoire chinoise, les royaumes combattants …l’enfant en donne des dessins qu’elle nous montre. Car il est alors capable de dessiner en faisant figurer à l’intérieur tout ce qu’elle repère comme signifiants : les frères, les sœurs, les excréments, tout ce qui cohabite dans ce corps maternel, mais avec en plus ce qu’elle nous permet de distinguer et ce qu’effectivement la dialectique du traitement permet d’articuler comme étant le phallus paternel à savoir ce quelque chose qui d’ores et déjà serait introduit là comme un élément à la fois particulièrement nocif et particulièrement rival par rapport aux exigences de possession de cet enfant à l’égard du contenu de ce corps. Il nous paraît également très difficile de voir là autre chose que des données qui accusent, qui approfondissent pour nous le caractère problématique de ces relations soi–disant naturelles : est–ce qu’au contraire nous ne les voyons pas d’ores et déjà structurées par ce que j’ai appelé la dernière fois toute une batterie signifiante, montrant un rapport déjà établi avec elles et articulée d’une façon qu’aucune relation biologique naturelle ne puisse vraiment motiver ? Ainsi Melanie KLEIN introduit–elle dans la dialectique de l’enfant… à savoir dans ce qui fait l’entrée en scène du phallus au niveau de cette expérience primitive …cette référence qui est vraiment donnée par elle comme en quelque sorte lue dans ce que l’enfant offre. Le propos n’en reste pas moins assez stupéfiant, l’introduction du pénis comme étant un sein plus accessible, plus commode et en quelque sorte plus parfait, voilà ce qu’il faudrait admettre comme un donné de l’expérience. Bien sûr, si cela est donné, cela est valable. Mais il n’en reste pas moins que ce n’est nullement quelque chose, si l’on peut dire, qui aille de soi, que c’est quelque chose qui précisément en soi nous permet de poser la question de savoir ce qui peut rendre ce pénis effectivement, plus accessible, plus commode, plus jouissant que le sein primordial. C’est bien là la question de ce que signifie ce pénis, à savoir de l’implication d’ores et déjà… par l’intermédiaire de quoi, c’est cela bien entendu qui va être mis en question …de l’introduction déjà de l’enfant dans une dialectique signifiante. Aussi bien d’ailleurs toute la suite de la démonstration de JONES ne fera–t–elle que poser d’une façon toujours plus pressante cette question, pour autant qu’il nous explique que la petite fille, après donc l’avoir eu, possiblement… il ne tranche pas, mais c’est exigé par les données mêmes de son départ, et il tranche tout de même là–dedans pour simplement nous dire que le phallus ne peut intervenir que comme moyen et alibi d’une sorte de défense …il suppose donc qu’à l’origine, c’est par rapport à une certaine appréhension primitive de son organe propre, de son organe féminin, que la petite fille se trouve libidinalement intéressée. Mais il va tâcher de nous expliquer pourquoi il faut que cette appréhension de son vagin, elle la refoule. Il nous dit bien sûr que c’est de nature à évoquer, dans le rapport de l’enfant féminin à son propre sexe, une anxiété plus grande que n’évoque chez le petit garçon le rapport avec son sexe, parce que l’organe est plus intérieur, plus diffus, plus profondément la source propre de ses premiers mouvements. Le clitoris ne jouera donc, articule–t–il… Je suis sûr qu’il l’articule pour vous montrer les nécessités impliquées dans ce qu’il formule d’une façon relativement naïve, à savoir que le clitoris, pour autant qu’il est extérieur, ne sert qu’à ce qu’on projette sur lui les angoisses. Il est d’ailleurs plus facilement objet à réassurance de la part du sujet, qui pourra en éprouver, par ses propres manipulations, voire à la rigueur par la vue, le fait qu’il est toujours là. C’est ce que veut dire JONES. Et il manifestera que dans la suite ce sera toujours vers des objets plus extérieurs, à savoir vers son apparence, vers son h
abillement, que la femme par la suite de son évolution portera ce qu’il appelle le besoin de réassurance. Autrement dit quelque chose dans l’angoisse est déplacé, ce qui permet de la tempérer en faisant porter son objet sur quelque chose qui n’est pas le point, tout spécialement pour cela même méconnu, de son origine. Vous le voyez bien, ce dont il s’agit c’est que nous trouvons là une fois de plus la nécessité impliquée que ce soit bien à titre, dit JONES, de quelque chose d’extériorisable, de représentable, que vienne au premier plan le phallus à titre d’élément, de terme limite, de point où s’arrête l’anxiété, et bien entendu, c’est là sa dialectique. Nous allons voir si elle est suffisante. C’est par cette dialectique qu’il admet que la phase phallique doit être présentée comme une position phobique, comme quelque chose qui, à l’enfant, permette en quelque sorte d’éloigner, en la centrant sur quelque chose d’accessible, les craintes et les angoisses de rétorsion que ses propres désirs oraux ou sadiques auront portées sur l’intérieur du corps de la mère et qui lui apparaîtront aussitôt comme un danger capable de la menacer elle–même à l’intérieur de son propre corps. Telle est la genèse que donne JONES de ce qu’il appelle « la position phallique en tant que phobie ». C’est en tant assurément qu’organe fantasmé, mais accessible, extériorisé : que le phallus entre en jeu, que par la suite d’ailleurs, il est capable de redisparaître de la scène parce que les craintes liées à l’hostilité pourront être tempérées, reportées également ailleurs, sur d’autres objets que la mère par exemple, que l’érogénéité et l’anxiété, en tant qu’elles sont liées aux organes profonds, pourront, par le procès même d’un certain nombre d’exercices masturbatoires, également se déplacer et qu’en fin de compte, dit–il, la relation à l’objet féminin deviendra moins partielle, qu’elle pourra se déplacer sur d’autres objets, que dans la suite l’angoisse en somme innommable, l’angoisse originelle liée à l’organe féminin… ce qui est, chez l’enfant, en fin de compte chez l’enfant fille, le correspondant des angoisses de castration chez le garçon …pourra par la suite virer à la peur d’être abandonnée qui, aux dires de JONES, deviendra plus caractéristique de la psychologie féminine. Ce donc devant quoi nous nous trouvons est ceci. Pour le résoudre, voyez la position de FREUD, position d’observateur qui se présente donc comme observation naturelle : la liaison à la phase phallique est de nature pulsionnelle, l’entrée dans la féminité se produit à partir d’une libido qui de sa nature… disons pour mettre les choses à leur point exact et non point dans la critique un peu caricaturale qu’en fait JONES …est active et qui aboutira à la position féminine dans la mesure où cette position déçue arrivera par une série de transformations et d’équivalences à faire que le sujet demande et accepte de bien d’autres que du personnage paternel ce quelque chose qui viendra combler son désir. En fin de compte, le présupposé… d’ailleurs pleinement articulé par FREUD …est que l’exigence enfantine primordiale est, comme il dit, sans but. Ce qu’elle exige, c’est tout, et c’est par le développement de cette exigence, par ailleurs impossible à satisfaire, que l’enfant entre peu à peu dans une position plus normative. Il y a là assurément quelque chose qui, pour problématique qu’il soit, comporte cette ouverture qui va nous permettre d’articuler le problème dans les termes de désir et de demande qui sont ceux sur lesquels j’essaye ici, moi, de vous mettre l’accent. À cela, JONES répond : voilà une histoire naturelle, une observation de naturaliste qui n’est pas si naturelle que cela et moi je vais vous la rendre plus naturelle. Il le dit formellement. L’histoire de la phobie phallique n’est qu’un détour dans le passage d’une position d’ores et déjà primordialement déterminée.
La femme est born, elle est née comme telle, dans une position qui d’ores et déjà est celle de la position de bouche, d’une bouche absorbante, d’une bouche suceuse qu’elle va retrouver après la réduction de sa phobie, qui n’est qu’un simple détour par rapport à sa position primitive. Ce que vous appelez pulsion phallique est purement et simplement artificialisme d’une phobie décrite, évoquée chez l’enfant par son hostilité et son agression à l’endroit de la mère. Il n’y a là… dans un cycle essentiellement instinctuel …qu’un pur détour et la femme rentrera ensuite de son plein droit dans sa position, qui est une position vaginale. Pour répondre à cela, j’essaye de vous articuler que le phallus est absolument inconcevable dans la dynamique, la mécanique kleinienne, sinon impliqué d’ores et déjà comme étant le signifiant du manque, le signifiant de cette distance de la demande du sujet à son désir qui fait que pour que ce désir soit rejoint, une certaine déduction doit être faite de cette entrée nécessaire dans le cycle signifiant. Et si la femme doit passer par ce signifiant, si paradoxal soit–il, c’est pour autant que ce dont il s’agit pour elle n’est pas purement et simplement de réaliser une sorte de donnée primitive, une position purement et simplement formelle, mais d’entrer dans une dialectique… écartée chez l’homme par le fait de l’existence de signifiants, par tous les interdits qui constituent la relation de l’œdipe …qui va la faire entrer dans le cycle des échanges de l’alliance et de la parenté, c’est–à–dire la faire devenir elle–même cet objet d’échange. Le fait que ce qui nous est démontré effectivement par toute analyse correcte de ce qui structure à la base cette relation œdipienne, c’est que la femme doit se proposer, ou plus exactement s’accepter elle–même comme un élément de ce cycle des échanges. Ce fait est quelque chose qui a en soi quelque chose d’infiniment plus énorme du point de vue naturel que tout ce que nous avons pu remarquer jusqu’à présent d’anomalies dans son évolution instinctive et qui, à ce titre, justifie bien en effet que nous devions en trouver au niveau imaginaire, au niveau du désir, une sorte de représentant dans les voies détournées par où elle–même doit y entrer. Ce qui ponctue chez elle ce fait de devoir… comme l’homme d’ailleurs …s’inscrire dans le monde du signifiant, c’est ce besoin envers un désir, envers quelque chose qui, en tant que signifié, devra rester toujours à une certaine distance, à une certaine marge de quoi que ce soit qui puisse se rapporter à un besoin naturel, pour autant que, précisément, pour être introduit dans cette dialectique, quelque chose de cette relation naturelle doit être amputé, doit être sacrifié. Et à quelle fin ? Pour que précisément cela devienne l’élément signifiant même de cette introduction dans la demande. Mais quelque chose est assez… je ne dirai pas surprenant, mais va nous montrer le retour de cette nécessité que je viens de vous dire, observée avec toute la brutalité de cette remarque sociologique fondée sur tout ce que nous savons et plus récemment articulée : la nécessité pour une partie – une moitié effectivement – de l’humanité de devenir le signifiant de l’échange. C’est bien ainsi que LÉVI–STRAUSS l’articule dans Les structures élémentaires de la parenté et par quoi les femmes entrent dans cette combinatoire : par les lois diversement agencées dans les structures élémentaires… assurément beaucoup plus simplement mais avec des effets bien plus complexes …dans les structures complexes de la parenté […] Ce que nous observons dans la dialectique de l’entrée de l’enfant dans ce système du signifiant, c’est en quelque sorte l’envers de ce passage de la femme comme objet signifiant dans ce que nous pouvons appeler, avec des guillemets, « la dialectique sociale ». Car, bien entendu, le terme social doit être ici mis avec tout l’accent qui le montre dépendant justement de la structure signifiante et combinatoire. Ce que nous voyons à l’envers est ce résultat : pour que l’enfant entre dans cette dialectique signifiante, qu’est–ce que nous observons ? Très précisément ceci : qu’il n’y a aucun autre désir dont il dépende plus étroitement et plus directement que du désir de quoi ? De la femme. Du désir de la femme en tant qu’il est précisément signifié par ce qui lui manque, et par le phallus. Ce que je vous ai montré, c’est que tout ce que nous rencontrons comme achop-pement, comme accident, dans l’évolution de l’enfant… et ce, jusqu’au plus radical de ces achoppements et de ces accidents …est lié à ceci : que l’enfant ne se trouve pas seul en face de la mère, mais en face de la mère et de quelque chose qui est justement le signifiant de ce désir, à savoir le phallus. Nous nous trouvons ici devant quelque chose qui sera l’objet de ma leçon de la prochaine fois. C’est que, de deux choses l’une : ou bien l’enfant entre dans la dialectique, c’est–à–dire qu’il se fait lui–même objet dans ce courant des échanges, c’est–à–dire à un moment donné renonce à son père et à sa mère, c’est–à–dire aux objets primitifs de son désir, ou alors, c’est dans toute la mesure où il garde ces objets, c’est–à–dire où il maintient ce quelque chose qui est pour lui beaucoup plus que leur valeur… car la valeur justement est ce qui peut s’échanger et ce qui existe à partir du moment où il les réduit à de purs signifiants …dans toute la mesure où il tient à ces objets en tant qu’objets de son désir… c’est ici, toujours, en tant que l’attachement œdipien est conservé, c’est–à–dire où le complexe d’Œdipe, où la relation infantile aux objets parentaux ne passe pas …c’est dans cette mesure où il ne passe pas… et strictement dans cette mesure …que nous voyons se produire quoi ? Sous une forme très générale, disons ces inversions ou ces perversions du désir qui montrent qu’à l’intérieur de la relation imaginaire aux objets œdipiens il n’y a pas de normativation possible. Il n’y a pas de normativation possible très précisément en ceci, qu’il y a toujours… en tiers, par rapport même à la relation la plus primitive, à la relation de l’enfant à la mère …ce phallus en tant qu’objet du désir de la mère, c’est–à–dire ce qui met l’enfant devant cette sorte de barrière infranchissable à la satisfaction de son propre désir qui est, lui, d’être le désir exclusif de la mère. C’est ce qui le pousse donc à une série de solutions qui seront toujours de réduction ou d’identification de cette triade. Du fait qu’il faut que la mère soit phallique : ou que le phallus soit mis à la place de la mère elle–même, et c’est le fétichisme, ou que lui–même réunisse en lui, en quelque sorte d’une façon intime, cette jonction du phallus et de la mère sans laquelle rien pour lui ne peut être satisfait, et c’est le transvestisme. Bref, c’est précisément dans la mesure où l’enfant… c’est–à–dire l’être pour autant qu’il entre avec des besoins naturels dans cette dialectique …ne renonce pas à son objet, que son désir ne trouve pas à se satisfaire. Et ce désir, il ne trouve à se satisfaire qu’en renonçant en partie. Ce qui est essentiellement ce que j’ai articulé d’abord en vous disant qu’il doit devenir demande, c’est–à–dire signifié, signifié par l’intervention et l’existence du signifiant, c’est–à–dire en partie désir aliéné. Sigmund Freud : Über die weibliche Sexualität (1931)