samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LV LES FORMATIONS DE L'INCONSCIENT 1957-1958 Leçon du 16 Avril 1958

Leçon du 16 Avril 1958

Je voudrais vous ramener à quelque appréhension primitive concernant l’objet de notre expérience, c’est – à – dire l’inconscient, mon dessein étant en somme de vous montrer ce que la découverte de l’inconscient nous ouvre de voies et de possibilités, mais aussi de ne pas vous laisser oublier ce que cette découverte représente de limites à notre pouvoir. En d’autres termes, de vous montrer dans quelle perspective, dans quelle allée se laisse entrevoir la possibilité d’une normativation : normativation thérapeutique. Mais n’oubliez pas… parce que toute l’expérience analytique est là pour nous le rappeler… que cette normativation se heurte aux contradictions, aux antinomies internes à toute normativation dans la condition humaine. Elle nous permet même d’approfondir la nature de ces limites. On ne peut tout de même pas manquer d’être frappé qu’un des derniers articles de FREUD, celui qu’on a traduit improprement par Analyse terminable ou interminable, en réalité concerne le fini ou l’infini. Il s’agit de l’analyse en tant qu’elle se finit ou en tant qu’elle doit être située dans une sorte de portée infinie. C’est de cela qu’il s’agit. Et la projection à l’infini de son but, FREUD nous la désigne de la façon la plus claire, tout à fait au niveau de « l’expérience concrète » comme il dit, à savoir qu’il y a de l’irréductibilité, en fin de compte : pour l’homme, dans le complexe de castration, pour la femme, dans le penisneid, c’est – à – dire dans un certain rapport fondamental avec le phallus. Sur quoi l’analyse, la découverte freudienne à son départ a – t – elle porté l’accent ? Sur le désir. Ce que FREUD essentiellement découvre, ce que FREUD a appréhendé dans les symptômes quels qu’ils soient… qu’il s’agisse de symptômes pathologiques ou qu’il s’agisse de ce qu’il a interprété dans ce qui se présentait jusque-là de plus ou moins réductible dans la vie normale, à savoir le rêve par exemple… c’est toujours essentiellement un désir. Bien plus encore, dans le rêve par exemple, il ne nous parle pas simplement de désir, mais d’accomplissement de désir, et ceci ne doit pas être sans nous frapper. C’est à savoir que c’est précisément dans le rêve qu’il parle de satisfaction du désir. Il indique d’autre part que dans le symptôme lui – même il y a bien quelque chose qui ressemble à cette satisfaction, mais cette satisfaction, il me semble que c’est assez marquer son caractère problématique puisque aussi bien c’est une sorte de satisfaction à l’envers. Donc, d’ores et déjà, il apparaît dans l’expérience : que le désir est lié là, à quelque chose qui est son apparence et, pour dire le mot : son masque, que le lien étroit qu’a le désir tel qu’il se présente à nous dans l’expérience analytique avec quelque chose qui le revêt de façon problématique est bien ce qui, à tout le moins, nous sollicite de nous y arrêter comme à un problème essentiel. J’ai souligné à plusieurs reprises ces dernières fois la façon dont le désir, pour autant qu’il apparaît à la conscience, se manifeste sous une forme paradoxale dans l’expérience analytique, ou plus exactement combien l’expérience analytique a promu ce caractère inhérent au désir en tant que désir pervers qui est d’être une sorte de désir au second degré, de jouissance du désir en tant que désir. D’une façon générale, dans l’ensemble, tout ce que l’analyse nous permet de percevoir de la fonction du désir, ce n’est pas elle qui le découvre. Mais elle nous montre jusqu’à quel degré de profondeur est porté le fait que le désir humain n’est pas impliqué d’une façon directe dans un rapport pur et simple avec l’objet qu’il satisfait, mais qu’il est lié : à une position que prend le sujet en présence de cet objet, à une position que prend le sujet en dehors de sa relation avec l’objet et qui fait que jamais rien ne s’épuise purement et simplement dans cette relation à l’objet. D’autre part, l’analyse est bien faite aussi pour rappeler ceci, qui est toujours connu, à savoir le caractère en quelque sorte vagabond, fuyant, insaisissable, échappant précisément à la synthèse du moi, qu’est le désir, laissant à cette synthèse du moi qu’elle apporte, que l’issue d’être à tout instant – en quelque sorte – illusoire affirmation de synthèse. Je rappelle que c’est toujours moi qui désire et qui, en moi, ne peut me saisir que dans la diversité de ces désirs. À travers cette diversité phénoménologique, si l’on peut dire, à travers cette contradiction, cette anomalie, cette aporie du désir, il est certain qu’il se manifeste un rapport plus profond, un rapport du sujet à la vie, un rapport du sujet – comme on dit – à des « instincts » et qui, pour s’être situé dans cette voie aussi de l’analyse, nous avait fait faire des progrès dans la situation du sujet par rapport à sa position d’être vivant. Mais justement, l’analyse nous apprend, nous fait expérimenter à travers quels truchements de réalisation des buts, des fins de la vie, et peut – être aussi ce qui est au – delà de la vie, je ne sais quelle théologie des premières fins vitales, ce que FREUD a envisagé comme un au – delà du principe du plaisir, à savoir les fins dernières auxquelles viserait la vie, qui est le retour de la mort. Tout cela, cette analyse nous a permis, je ne dis pas de le définir, mais de l’entrevoir, dans la mesure où elle nous a permis aussi de suivre dans ses cheminements l’accomplissement de ces désirs. Ce désir humain, dans ses rapports profonds, internes au désir de l’Autre, il a été entrevu depuis toujours, et il n’est besoin que de se rapporter au premier chapitre de la Phénoménologie de l’esprit de HEGEL pour retrouver les voies dans lesquelles d’ores et déjà une réflexion assez approfondie pourrait nous permettre d’engager cette recherche. La nouveauté qu’apporte FREUD, cette originalité, le phénomène nouveau qui nous permet de jeter une lumière si essentielle sur la nature du désir, c’est en tant que… contrairement à la voie que suit HEGEL dans son premier abord du désir, voie qui bien entendu, est loin d’être uniquement déductive comme on le croit du dehors, mais qui est une prise du désir par l’intermédiaire des rapports de la conscience de soi avec la constitution de la conscience de soi chez l’autre… l’interrogation, la question qui se pose est de savoir comment peut s’introduire, par cet intermédiaire, la dialectique de la vie elle – même ? Ce qui assurément chez HEGEL ne peut se traduire que par une sorte de saut, qu’il appelle synthèse dans l’occasion. L’expérience freudienne nous en montre un autre cheminement, très curieusement et très remarquablement aussi, par la voie où se présente le désir comme étant très profondément lié à ce rapport à l’Autre comme tel, et se présentant néanmoins comme « un désir inconscient ». C’est en ceci qu’il convient de se remettre au niveau de ce qu’a été dans l’expérience de FREUD lui – même cet abord du « désir inconscient ». Assurément, c’est là quelque chose : qu’il faut nous représenter à nous – mêmes des premiers temps dans lesquels FREUD a rencontré cette expérience, qu’il faut nous représenter à nous – mêmes dans son caractère de surprenante nouveauté,… je ne dirai pas d’intuition, mais plutôt de divination de quelque chose qui déjà se représente dans une expérience humaine – celle de FREUD – comme quelque chose, comme l’appréhension de quelque chose qui est au – delà d’un masque. Nous pouvons, maintenant que la psychanalyse est constituée, qu’elle s’est développée en un si ample et si mouvant discours, nous représenter… mais nous nous le représentons assez mal… ce qu’était la portée de ce qu’apportait FREUD quand il commençait à lire dans les symptômes de ses patien
ts et dans ses propres rêves, et quand il commençait à nous apporter cette notion du « désir inconscient ». C’est bien d’ailleurs ce qui nous manque pour mesurer à leur juste valeur ce qui se présente dans FREUD comme interprétation. Nous sommes toujours très étonnés par le caractère qui nous apparaît très souvent… au regard de ce que nous – mêmes nous nous permettons d’interprétations, et je dirai au regard de ce que nous pouvons et ne pouvons plus nous permettre… comme le caractère extraordinairement interventionniste des interprétations de FREUD. On peut même ajouter, jusqu’à un certain point, comme le caractère « à côté » de ses interprétations. Ne vous ai – je pas mille fois fait remarquer, à propos du cas de Dora par exemple… à propos de son intervention ou de ses interventions dans l’analyse d’une homosexuelle dont nous avons longuement parlé ici… combien les interprétations de FREUD… et FREUD lui – même le reconnaît… étaient comme liées justement à son incomplète connaissance de la psychologie, par exemple des homosexuels en général, combien cette interprétation « à côté »… combien cette interprétation liée à une insuffisante connaissance que FREUD avait à ce moment-là de la psychologie, tout spécialement des homosexuels mais aussi des hystériques… est quelque chose donc qui fait que pour nous, dans plus d’un cas, les interprétations de FREUD se présentent avec un caractère à la fois trop directif et presque forcé, avec un caractère précipité qui donne, en effet, à ce terme d’interprétation « à côté » sa pleine valeur. Néanmoins, il est certain que ces interprétations, à ce moment, étaient ce qui assurément se présentait comme l’interprétation devant être faite, jusqu’à un certain point l’interprétation efficace pour la résolution du symptôme. Qu’est – ce à dire ? Ceci évidemment nous pose un problème dont il faut, pour commencer de le déblayer, nous représenter que quand FREUD faisait des interprétations de cet ordre, il se trouvait devant une situation qui est toute différente de la situation présente. Il faut littéralement réaliser que tout ce qui, dans une interprétation – verdict qui sort de la bouche de l’analyste en tant qu’il y a à proprement parler interprétation, ce verdict, ce qui est dit et proposé, donné pour vrai, prend en l’occasion sa valeur de ce qui n’est pas dit. Je veux dire, sur quel fond de non – dit se propose l’interprétation. Au temps où FREUD faisait ses interprétations à Dora, quand il lui disait par exemple qu’elle aimait Monsieur K. et que, somme toute, il lui indiquait sans ambages que c’était avec lui que normalement elle devrait refaire sa vie, il y avait là quelque chose qui nous surprend, d’autant plus que, bien entendu, il ne saurait en être question pour les meilleures raisons : à savoir qu’en fin de compte Dora ne veut absolument rien en savoir. Néanmoins une interprétation de cet ordre… au moment où FREUD l’a faite… se présente sur le fond de quelque chose qui, de la part du sujet, de la patiente, de Dora, ne comporte aucune sorte de présomption que FREUD soit là pour rectifier, si l’on peut dire, son appréhension du monde, pour faire que quelque chose en elle soit porté à maturité de sa relation d’objet. Rien encore n’est parvenu à ce qu’on pourrait appeler dans l’occasion une sorte d’ambiance culturelle, ce quelque chose qui fait que le sujet attend de la bouche de l’analyste bien autre chose. À la vérité, Dora ne sait pas ce qu’elle attend. Elle est conduite par la main et FREUD lui dit : « Parlez ! »…   Et rien d’autre ne pointe en quelque sorte à l’horizon d’une expérience ainsi dirigée, si ce n’est implicitement, par le seul fait qu’on lui dit de parler, qu’en effet il doit bien y avoir quelque chose en jeu qui est de l’ordre de la vérité. La situation est loin d’être semblable pour nous, où le sujet vient à l’analyse avec déjà la notion que la maturité de la personnalité, des instincts, de la relation d’objet, est quelque chose qui est déjà organisé, normative, et dont l’analyste représente en quelque sorte la mesure. Il est détenteur des voies et des secrets de quelque chose qui d’ores et déjà se présente comme un réseau de relations, sinon toutes connues du sujet, du moins dont les grandes lignes lui parviennent, au moins dans cette notion qu’il a, dans les grandes lignes : qu’un progrès doit être accompli, que des arrêts dans son développement sont quelque chose de concevable,… bref, que tout un fond, toute une implication concernant la normativation de sa personne, de ses instincts… mettez là toute l’accolade que vous voudrez… implique que l’analyste, quand il intervient, intervienne en position, dit – on, de jugement, de sanction. Il y a un mot plus précis encore, que nous indiquerons plus tard. Assurément, ceci donne une toute autre portée à son interprétation. Mais pour bien saisir ce dont il s’agit quand je vous parle du désir inconscient, de la découverte freudienne, il faut revenir à ces temps de fraîcheur où rien n’était impliqué de l’interprétation de l’analyste, si ce n’est cette détection dans l’immédiat, derrière quelque chose qui se présente paradoxalement comme absolument fermé, de quelque chose qui est au – delà. Et tout un chacun ici se gargarise avec le terme de « sens ». Je ne crois pas que le terme de « sens » soit là autre chose qu’une espèce d’affaiblissement de ce dont il s’agit à l’origine. Le terme de désir, dans ce qu’il a l’occasion de nouer, de rassembler d’identique au sujet, donne toute sa portée à ce qui s’y rencontre dans cette première appréhension de l’expérience analytique, et c’est à cela qu’il convient de revenir si nous devons tâcher de rassembler, à la fois le point où nous en sommes et ce que signifie essentiellement, non seulement notre expérience, mais ses possibilités. Je veux dire que ce qui la rend possible, c’est aussi ce qui doit nous garder, si l’on peut dire, de tomber dans cette pente, dans ce penchant, je dirais presque dans ce piège où nous sommes impliqués nous – mêmes avec le patient, que nous introduisons dans une expérience de supposés, de l’induire dans une voie qui reposerait en quelque sorte sur un certain nombre de pétitions de principe. Je veux dire sur l’idée qu’en fin de compte une solution dernière puisse être donnée à sa condition qui lui permette à la fin, de devenir, disons le mot, entièrement identique à un objet quelconque. Revenons donc à ce caractère problématique du désir tel qu’il se présente dans l’expérience analytique, c’est – à – dire dans le symptôme, le symptôme quel qu’il soit. J’appelle ici symptôme dans son sens le plus général, aussi bien le symptôme morbide, que le rêve, que n’importe quoi d’analysable. Ce que j’appelle symptôme, c’est ce qui est analysable. Le symptôme se présente, disons sous un masque, se présente sous une forme paradoxale : la douleur des premières hystériques que FREUD analyse, voilà quelque chose qui se présente d’abord d’une façon tout à fait fermée en apparence. Quelque chose que FREUD… peu à peu et grâce à une sorte de patience qui peut vraiment, là, être inspirée par une sorte d’instinct de limier… rapporte comme quelque chose qui est la longue présence qu’a eue cette patiente auprès de son père malade. Et l’incidence, pendant qu’elle soignait son père, de quelque chose d’autre qu’il entrevoit d’abord dans une sorte de brume : c’est à savoir le désir qui pouvait la lier, à ce moment, à un de ses amis d’enfance dont elle espérait, disons, faire son époux. Puis ensuite, de quelque chose qui se présente aussi sous une forme mal dévoilée, à savoir ses relations avec ses deux beaux – frères, c’est – à – dire avec deux personnages qui ont épousé respectivement deux de ses sœurs e
t dont l’analyse nous fait entrevoir que, sous des formes diverses, ils ont là représenté pour elle quelque chose d’important : l’un était détesté pour je ne sais quelle indignité, quelle grossièreté, quelle patauderie masculine, l’autre, au contraire, semble l’avoir, disons, infiniment séduite. Il semble en effet que le symptôme se soit précipité sur un certain nombre de rencontres d’une sorte de méditation oblique autour des relations fort heureuses de ce beau – frère avec une de ses sœurs. Je reprends cela pour fixer les idées dans une sorte d’exemple. Il est clair qu’à ce moment-là nous sommes à une espèce d’époque primitive de l’expérience analytique, et nous sentons maintenant… après toutes les expériences qui ont été faites par la suite, que le fait de dire… comme FREUD n’a pas manqué de le faire à sa patiente… qu’elle était, par exemple dans le dernier de ces cas, purement et simplement amoureuse de son beau – frère et que c’est autour de ce désir réprimé que s’est cristallisé le symptôme, nommément dans l’occasion, la douleur de la jambe… nous sentons bien, nous savons que chez une hystérique, ceci a quelque chose de tout aussi forcé que d’avoir dit à Dora qu’elle était amoureuse de Monsieur K. Ce que nous voyons quand nous approchons une observation comme celle – là, ce que nous touchons du doigt… et FREUD l’exprime, cette vue, de plus haut que je vous propose… il n’y a aucun besoin de bouleverser l’observation de FREUD pour y parvenir car, sans que FREUD le formule ainsi, le diagnostique, le discerne, il en donne tous les éléments de la façon la plus claire. Je dirai que jusqu’à un certain point la composition de son observation le laisse apparaître, au – delà des mots qu’il articule dans ses paragraphes, d’une façon encore infiniment plus convaincante que tout ce qu’il dit. Car que va – t – il mettre en relief ? Il va précisément mettre en relief à propos de cette expérience d’Elisabeth von R. ce qui, à son dire et à son expérience, lie dans beaucoup de cas l’apparition des symptômes hystériques à cette expérience – si rude en elle – même – d’être toute dévotion au service d’un malade, de jouer le rôle d’infirmière, et plus encore à la portée que prend cette fonction quand le rôle d’infirmière est assumé par un sujet vis – à – vis de l’un de ses proches, c’est – à – dire où, encore plus, par toutes les lois de l’affection, de la passion qui lient le soignant au soigné, le sujet se trouve en posture d’avoir à satisfaire plus que jamais en aucune autre occasion ce qu’on peut, là, avec le maximum d’accent, désigner comme la demande. L’entière soumission – voire l’abnégation – du sujet par rapport à la demande qui lui est proposée est vraiment donnée par FREUD comme une des conditions essentielles de la situation en tant qu’en l’occasion elle s’avère hystérogène. Ceci est d’autant plus important que chez cette hystérique là… contrairement à d’autres qu’il nous donne également en exemple… les antécédents autant personnels que familiaux dans ce sens sont extraordinairement évasifs, peu accentués, et que par conséquent le terme ici prend toute sa portée. D’ailleurs FREUD en donne toute l’indication. D’autre part, la chose que nous pouvons voir corrélativement à cette condition… le terme que j’isole ici dans la médiane de ces trois formules comme fonction de la demande… nous dirons que c’est en fonction de cette position de fond que le quelque chose dont il s’agit… et que FREUD ici, entraîné en quelque sorte par les nécessités du langage, n’a qu’un tort si l’on peut dire, c’est d’orienter d’une façon prématurée, de mettre le sujet, d’impliquer le sujet d’une façon trop définie dans cette situation de désir… ce dont il s’agit, c’est avant tout essentiellement de l’intérêt qui est pris par le sujet dans une situation de désir. C’est un intérêt qui est pris… mais nous ne pouvons pas dire : « étant donné que c’est une hystérique… » Et maintenant que nous savons ce que c’est qu’une hystérique, nous ne pouvons pas dire complètement : «… de quelque côté qu’elle le prenne… ». Si c’est d’ailleurs déjà… de dire de quel côté elle le prend… c’est déjà impliquer dans une relation, si l’on peut dire en tiers, qu’elle s’intéresse à son beau – frère du point de vue de sa sœur ou à sa sœur du point de vue de son beau – frère. C’est précisément que maintenant nous savons que ce qui peut subsister d’une façon corrélative de l’identification hystérique est ici double : disons qu’elle s’intéresse, qu’elle est impliquée dans la situation de désir, et c’est bien cela… qui est essentiellement représenté par un symptôme ici… que ramène la notion de masque. La notion de masque, c’est – à – dire ce désir sous cette forme ambiguë qui ne nous permet justement pas d’orienter le sujet par rapport à tel ou tel objet de la situation. C’est cet intérêt du sujet dans la situation comme telle, c’est – à – dire dans la relation de désir, qui est exprimé par ce quelque chose qui apparaît, c’est – à – dire ce que j’appelle l’élément de masque du symptôme. C’est indiqué dans FREUD, FREUD qui dit à ce propos que « le symptôme parle dans la séance ». Le « ça parle » dont je vous parle tout le temps, il est là, dès les premières articulations de FREUD, exprimé dans le texte. Plus tard il a dit que les borborygmes de ses patients venaient se faire entendre et parler dans la séance et avaient une signification de paroles. Mais là ce qu’il nous dit, c’est : que dans la séance même, les douleurs… en tant qu’elles réapparaissent, qu’elles s’accentuent, qu’elles deviennent plus ou moins intolérables pendant la séance même… font partie du discours du sujet, qu’il mesure au ton, à la modulation de ses sujets, le degré de brûlant, de portée, de valeur révélatrice de ce que le sujet est en train d’avouer, de lâcher, dans la séance. La trace et la direction de cette trace, la direction centripète, le progrès, pour tout dire, de l’analyse est mesuré par FREUD à la modulation même, à l’intensité même de la façon dont le sujet accuse pendant la séance une plus ou moins grande intensification de son symptôme. J’ai pris cet exemple, mais je pourrais aussi bien en prendre d’autres, je pourrais aussi bien prendre l’exemple d’un rêve, ou quelque chose : qui nous permette de centrer où est le problème du symptôme et du désir inconscient, du lien du désir lui – même… en tant que le désir lui – même reste un point d’interrogation, un x, une énigme… avec le symptôme dont il se revêt, c’est – à – dire le masque, qui nous permette en somme de formuler ceci : on nous dit que le symptôme est quelque chose qui parle en lui – même jusqu’à un certain point dont on peut dire avec FREUD – et avec FREUD depuis l’origine – qu’il s’articule. Le symptôme est donc quelque chose qui va dans le sens de la reconnaissance du désir. Mais [qu’était] ce symptôme… en tant qu’il est là pour faire reconnaître le désir… avant que FREUD soit arrivé, et donc derrière lui toute la levée de ses disciples, les analystes ? C’est une reconnaissance qui tend à se faire jour, qui cherche sa voie mais qui, précisément parce qu’elle n’est – elle ne se manifeste – que par la création de ce que nous avons appelé le masque, c’est – à – dire quelque chose de fermé. Cette reconnaissance du désir c’est une reconnaissance par personne, qui ne vise personne puisque personne… jusqu’à ce moment où on commence d’en apprendre la clé… ne peut la lire. C’est essentiellement une reconnaissance qui se présente sous une forme close à l’Autre, reconnaissance du désir donc, mais reconnaissance par personne. D’autre part, si c’est un désir
de reconnaissance, en tant que désir de reconnaissance c’est autre chose que le désir. D’ailleurs on nous le dit bien : ce désir est un désir refoulé. C’est pour cela que notre intervention ajoute quelque chose de plus à la simple lecture. Ce désir c’est un désir que le sujet exclut, en tant que le sujet veut le faire reconnaître comme un désir de reconnaissance. C’est un désir peut – être, mais en fin de compte un désir de rien : c’est un désir qui n’est pas là, c’est un désir qui est rejeté, c’est un désir qui est exclu. C’est ce double caractère du désir inconscient qui, en l’identifiant à son masque, en fait autre chose que quoi que ce soit qui soit dirigé vers un objet. C’est ce que nous ne devons jamais oublier. Et c’est ce qui nous permet littéralement de lire le sens de ce qui nous est présenté comme étant la dimension analytique du repérage des découvertes les plus essentielles quand FREUD nous parle de ce ravalement, de cet Erniedrigung de la vie amoureuse qui relève du fond du complexe d’Œdipe, ou quand il nous parle du désir de la mère comme étant au principe de ceci pour certains sujets : ceux précisément dont on nous dit qu’ils n’ont pas abandonné l’objet incestueux, c’est – à – dire la mère. Enfin… qu’ils ne l’ont pas assez abandonné car en fin de compte ce que nous apprenons, c’est que jamais le sujet ne l’abandonne tout à fait. Bien entendu, il doit y avoir quelque chose qui correspond à ce plus ou moins d’abandon, et que nous appelons et diagnostiquons « fixation à la mère » : c’est le cas où FREUD nous présente la dissociation de l’amour et du désir. Ce sont des sujets qui ne peuvent, nous dit FREUD, envisager aborder la femme pour autant qu’elle jouit pour eux de son plein statut d’être aimable, d’être humain, d’être – au sens plein – achevé que cet être a, dit – on, et peut donner, et se donner. Ici, il n’y a pas de désir en tant que l’objet est là, nous dit – on. Ce qui veut dire bien sûr qu’il est là sous un masque, car ce n’est pas à la mère que s’adresse ce désir, c’est à la femme, dit – on, qui lui succède, qui prend sa place. Eh bien justement : il n’y a plus de désir. D’autre part, nous dit FREUD, ce sujet trouvera le désir avec des prostituées. Qu’est – ce que ça veut dire ? Bien entendu, ici quand nous sommes dans cette espèce de première exploration des ténèbres concernant les mystères du désir, nous disons : « c’est pour autant justement que c’est tout l’opposé de la mère ». Est – ce que cela suffit pleinement… parce que « c’est tout l’opposé de la mère »… que justement il puisse le subordonner ? Nous avons fait depuis assez de progrès dans la connaissance des images, des fantasmes de l’inconscient et de leur caractère pour savoir que ce que le sujet va chercher chez les prostituées en cette occasion, ce n’est rien d’autre que ce que l’Antiquité romaine nous montrait bel et bien sculpté et représenté à la porte des bordels, c’est à savoir le phallus, le phallus en tant qu’il est justement ce qui habite la prostituée. Nous savons maintenant que ce que le sujet va chercher chez la prostituée : c’est le phallus de tous les autres hommes, c’est le phallus comme tel, c’est le phallus anonyme. C’est pour tout dire, aussi quelque chose qui est sous une forme énigmatique, un masque, quelque chose de problématique, quelque chose qui lie le désir avec un objet privilégié, avec quelque chose qui est ici dans un certain rapport au sens… dont nous n’avons que trop appris à voir toute l’importance de la phase phallique… de ces défilés par où il faut que passe l’expérience subjective pour que le sujet puisse rejoindre son désir naturel. Bref, nous trouvons, à propos de ce que nous appelons dans cette occasion « désir de la mère »… qui est ici une sorte d’étiquette, de désignation symbolique de quelque chose que nous constatons dans les faits, à savoir la promotion corrélative et brisée de l’objet du désir en deux moitiés irréconciliables… ce qui, à l’occasion et dans notre interprétation même, peut se proposer comme étant son objet, à savoir l’objet substitutif : la femme, en tant qu’elle est l’héritière de la fonction de la mère, se trouvant dépossédée, frustrée de l’élément de désir, cet élément de désir étant lui – même lié à autre chose d’extraordinairement problématique et qui se présente aussi avec un caractère de masque et de marque. Avec un caractère, disons le mot, de signifiant, comme si justement nous nous trouvions, dès lors qu’il s’agit des relations de désir inconscient, en présence d’un mécanisme nécessaire, d’une Spaltung nécessaire qui fait que le désir… que nous savions depuis longtemps, que nous présumions être aliéné dans une relation à l’Autre tout à fait spéciale… se présente ici comme marqué… non seulement de la nécessité de ce truchement à l’Autre comme tel, mais dans ce truchement à l’Autre… marqué d’un signifiant spécial, d’un signifiant élu qui se trouve être la voie nécessaire où doit adhérer, si l’on peut dire, le cheminement de la force vitale – en l’occasion : du désir – et le caractère problématique de ce signifiant particulier – en l’occasion : du phallus. C’est là ce qui est la question. C’est là ce à quoi nous nous arrêtons. C’est là ce qui nous est proposé par toutes les difficultés qu’introduit pour nous le fait même de pouvoir concevoir comment il se fait que nous rencontrions sur les voies de la maturation comme on dit « génitale » cet obstacle… qui n’est pas simplement un obstacle mais qui est un défilé essentiel… qui fait que c’est par l’intermédiaire d’une certaine position prise par rapport au phallus… pour la femme en tant que manque, pour l’homme en tant que menacé… que se réalise de façon nécessaire ce qui se présente comme devant être l’issue disons la plus heureuse. Donc ici ce que nous voyons, c’est : qu’en intervenant, en nommant quelque chose, nous faisons toujours plus, quoi que nous fassions, que nous croyons faire, qu’en interprétant… le mot que je voulais tout à l’heure vous dire, le mot précis que j’appelais tout à l’heure autoriser, sanctionner, permettre, c’est homologuer… nous identifions le même au même, nous disons : « c’est cela ». Nous nous substituons à ce « personne » auquel est adressé le symptôme en tant qu’il est là, dans la voie de la reconnaissance du désir, mais nous méconnaissons toujours aussi jusqu’à un certain degré, le désir qui veut se faire reconnaître, pour autant que toujours à un certain degré : nous lui assignons son objet alors que ce n’est pas un objet, qu’il est désir mais désir de ce manque, qui dans l’Autre désigne un autre désir. Ceci nous introduit au deuxième chapitre, si vous voulez, à la deuxième ligne de ce que je vous propose ici dans ces trois formules, c’est à savoir au chapitre de la demande [D]. Je pense que la façon dont j’aborde ces choses et dont je les reprends… à savoir la façon dont j’essaie pour vous d’articuler l’originalité du désir dont il s’agit à chaque instant dans l’analyse… n’est pas dans la supervision que nous pouvons en faire au nom d’une idée plus ou moins théorique de la maturation de chacun. Je pense que vous devez commencer à entendre que si je parle de l’instance de la parole ou de la lettre, dans l’inconscient, ce n’est certainement pas pour éliminer ce quelque chose d’irréductible, d’informulable, qu’est le désir. Simplement je vous fais cette remarque dont jusqu’ici les philosophes ne semblent pas s’être avisés. Je le dis à propos d’une remarque que quelqu’un de bien mal inspiré à l’occasion a cru devoir faire récemment sur le fait que certains psychanalystes… comme s’il y en avait beaucoup en l’occasion… donnaient trop d’imp
ortance au langage au regard de ce fameux informulé dont je ne sais pourquoi certains philosophes ont fait un des cas de leur propriété personnelle. Nous dirons que contrairement à cette formule, qui consistait… chez le personnage que je qualifie en l’occasion de bien mal inspiré, ce qui est le minimum de ma pensée… à faire remarquer que l’informulé n’était peut – être pas informulable, je lui répondrai ceci… à quoi il ferait mieux de faire attention qu’à chercher à impliquer tout un chacun dans ses querelles de boutique… c’est – dans une perspective inverse – que ce n’est pas une raison parce que quelque chose n’est pas articulable – à savoir le désir – pour qu’il ne soit pas articulé. Je veux dire, en lui – même le désir est articulé pour autant qu’il est lié à la présence du signifiant dans l’homme, et ceci ne veut pas dire pour autant… justement parce qu’il s’agit essentiellement de ce lien avec le signifiant, ce n’est pas une raison, bien loin de là : c’est même justement la raison pour laquelle, dans un cas particulier, il ne soit jamais pleinement articulable. Revenons maintenant à ce deuxième chapitre qui est celui de la demande [D]. Là, nous sommes dans l’articulé articulable, dans l’actuellement articulé. C’est bien de ce lien entre le désir et la demande qu’il est question pour l’instant et nous n’arriverons pas aujourd’hui au bout de ce discours. Mais la prochaine fois, je veux, entre ces deux termes du désir et de la demande et des paradoxes que tout à l’heure nous avons désignés dans ce désir comme étant essentiellement désir masqué… vous montrer comment ceci s’articule. Assurément, c’est parce que nous ne pouvons l’approcher que par la voie de quelque demande, que dès lors que le patient nous aborde et vient chez nous, c’est pour nous demander quelque chose. Et nous allons déjà énormément loin dans l’engagement, dans la précision de la situation, en lui disant simplement : « nous vous écoutons ». Alors il convient là, de repartir sur ce qu’on peut appeler les prémisses de la demande… sur ce qui fait demande sur demande, sur ce qui fait la situation de la demande, et sur la façon dont elle s’engage à l’intérieur d’une vie individuelle. Ici, il faut revenir à ce qui l’institue au début. Je ne vais pas refaire la dialectique du « Fort ! – Da ! »… La demande est liée d’abord et avant tout à ce quelque chose qui est dans les prémisses mêmes du langage, à savoir dans l’existence d’un appel qui est à la fois : principe de la présence, et le terme qui permet de la repousser… jeu de la présence et de l’absence, et elle fait de la première articulation par laquelle l’objet est appelé ce quelque chose par quoi déjà il est plus qu’un objet symbole : il devient ce que le désir de la présence fait de lui, et non pas comme on le dit, un objet. La dialectique première n’est pas l’objet partiel de la mère – sein ou de la mère – nourriture ou de la mère – objet total, comme s’il s’agissait d’une espèce de conquête faite de proche en proche. Le nourrisson s’aperçoit que le sein se prolonge en aisselle, en cou et en chevelure. L’objet dont il s’agit c’est la parenthèse symbolique de cette présence à l’intérieur de laquelle il y a la somme de tous les objets qu’elle peut apporter et qui fait que cette parenthèse symbolique est d’ores et déjà plus précieuse qu’aucun bien, et qu’un des biens qu’elle contient ne peut en lui – même et à lui tout seul satisfaire à ce qui est l’appel de la présence, que… comme je vous l’ai déjà plusieurs fois exprimé… aucun de ces biens en particulier ne peut servir, et ne sert à l’occasion, qu’à écraser si l’on peut dire le principe de cet appel, à savoir que l’enfant se nourrit peut – être et commence à dormir. À ce moment – là, évidemment, il n’est plus question d’appel, tous les rapports à un objet quelconque, partiel comme on dit, à l’intérieur de la présence maternelle, ne sont ici que substituts, écrasement du désir, non pas satisfaction en tant que telle. Et ceci… à savoir le caractère principal de cette symbolisation ici de l’objet en tant qu’il est l’objet de l’appel… est d’ores et déjà marqué par le fait que nous avons lu nous aussi… mais comme toujours nous ne savons pas tirer jusqu’au bout les conséquences de ce que nous lisons… que d’ores et déjà dans l’objet… dans l’objet dont il s’agit, dans l’objet de la présence… la dimension du masque apparaît. Qu’est ce que notre bon ami Monsieur SPITZ nous apporte, si ce n’est cela ? C’est que d’abord est reconnu cette espèce de frontal direct, d’armature, ce masque, et le caractère d’au – delà qui caractérise cette présence en tant que symbolisée, à savoir de recherche au – delà de cette présence en tant qu’elle est masquée, qu’elle est symptomatisée, symbolisée. Et cette recherche au – delà, l’enfant nous désigne dans son comportement qu’il en a la dimension. Car il suffit… j’ai déjà parlé à un autre propos du caractère très particulier de la réaction de l’enfant devant le masque… de jouer avec un enfant… je vous l’ai déjà dit… pour voir l’épanouissement que lui donne le fait d’ôter le masque, et ce caractère particulièrement anxieux de ce qui se passe sous le masque, lorsque sous le masque un autre masque apparaît. Car là, il ne rit plus. Mais il n’y a même pas besoin de se livrer à ces sortes de menus petits exercices, il suffit d’observer un enfant pour s’apercevoir qu’avant la parole, la communication, la première communication… Il faut n’avoir jamais observé simplement un enfant dans son développement dans les premiers mois pour ne pas s’apercevoir que la première communication, en tant vraiment que communication, c’est – à – dire avec l’au – delà de ce que vous êtes devant lui comme présence symbolisée, c’est le rire. Avant toute parole, l’enfant rit. Il rit quand le rire bien sûr est lié au sourire et à la détente, et tout le mécanisme physiologique du rire est lié toujours à une certaine satisfaction. On a parlé de ce dessein du sourire de l’enfant repu, mais l’enfant, en tant qu’il vous rit, il vous rit précisément dans une certaine relation bien sûr avec sa satisfaction du désir, mais après et au – delà de cette satisfaction, pour autant que, encore présent et éveillé, c’est à cet au – delà de cette présence… en tant qu’elle est capable de le satisfaire et qu’elle contient en lui l’accord à son désir… que le rire se produit et que la présence familière… la présence dont il a l’habitude et la connaissance, en tant qu’elle peut satisfaire à ses désirs dans leur diversité… est là appelée, appréhendée, reconnue dans ce mode si spécifique, si spécial que sont, chez les enfants, avant la parole, ces premiers rires en présence de certaines des présences qui le soignent, qui le nourrissent, qui lui répondent. Le rire répond aussi bien d’ailleurs à tous ces jeux maternels qui sont les premiers exercices dans lesquels lui est apportée la modulation, l’articulation comme telle. Le rire… en tant que justement il est lié à ce que je vous ai appelé pendant toutes ces premières articulations des conférences de cette année le trait d’esprit… est l’au – delà, l’au – delà de l’immédiat, l’au – delà de toute demande. Le désir, en tant qu’il est à proprement parler lié à un signifiant… dans l’occasion le signifiant de la présence… c’est à l’au – delà de cette présence, au sujet là derrière, que s’adressent les premiers rires. Et nous trouvons là, dès ce moment, dès l’origine si l’on peut dire, la racine de l’identification. Car l’identification, pour autant qu’elle se fera successivement au cours du développement de l’enfant avec tel ou tel… avec la mère d’abord, avec le père ens
uite… et je ne vous dis pas que ce pas épuise la question, mais que nous en trouvons là une racine. L’identification est très exactement le corrélatif de ce rire, car l’opposé du rire, bien entendu, ce ne sont pas les pleurs. Les pleurs expriment la colique, expriment le besoin, les pleurs ne sont pas une communication, les pleurs sont une expression. Mais le rire… pour autant que je suis forcé d’articuler pourquoi… est une communication. Par contre, qu’est – ce qui correspond à l’opposé du rire, pour autant que le rire constate, communique, s’adresse à celui qui, au – delà de cette présence signifiée, est le ressort, la source du plaisir et de l’identification ? C’est le contraire : on ne rit plus, on est sérieux comme un pape ou comme un papa, on fait mine de rien,… parce que celui qui est là vous fait un certain visage de bois parce que sans doute ce n’est pas le moment de rire. Ce n’est pas le moment de rire parce que les besoins n’ont pas, à ce moment – là, à être satisfaits. Le désir, comme on dit, se modèle sur celui qui détient le pouvoir de le satisfaire, qui oppose la résistance de la réalité comme on dit, qui n’est peut – être pas tout à fait ce qu’on dit qu’elle est, mais qui, assurément, se présente ici sous une certaine forme, et, pour tout dire, d’ores et déjà dans cette dialectique de la demande. Nous voyons, selon mon vieux schéma, se produire ce dont il s’agit quand la demande vient ici à bon port, à savoir au – delà du masque, rencontrer, non pas la satisfaction mais le message [s (A)] de cette présence, à la façon dont le sujet accuse qu’il a bien devant lui la source de tous les biens : ici éclate le rire. Et le processus n’a pas besoin non plus, là, de se poursuivre plus loin. Mais il peut avoir à se poursuivre plus loin parce que le visage s’est montré de bois, que la demande a été refusée, et alors, comme je vous l’ai dit, ce qui est à l’origine de ce besoin et désir, apparaît ici sous une forme transformée, le visage de bois s’est transféré dans le circuit pour venir ici, d’ailleurs à un endroit dont ce n’est pas pour rien que c’est là que nous rencontrons l’image de l’autre [i (a)] et qu’est donnée cette transformation de la demande qui s’appelle l’idéal du moi [I], cependant qu’ici… en effet, dans la ligne signifiante… le principe, la place s’amorce de ce qui s’appelle interdiction et surmoi, de ce qui s’articule comme tel venant de l’Autre. La théorie analytique a toujours eu beaucoup de difficulté à concilier l’existence, la cœxistence, la co – dimensionnalité de l’idéal du moi et du surmoi, mais assurément ils répondent à des formations et à des productions différentes. Il suffirait de faire cette distinction essentielle qu’il y a entre le besoin et la parole qui le demande pour comprendre comment ces deux produits peuvent être à la fois co – dimensionnels et différents. C’est dans la ligne de l’articulation signifiante, [A → S] à savoir l’interdiction, que le surmoi se formule, même sous ses formes les plus primitives. Alors que c’est dans la ligne de la transformation du désir [d → S  a]… en tant que le désir est toujours lié à un certain masque… que se produit l’idéal du moi. En d’autres termes, le lien dans la demande de la satisfaction avec le masque, leur opposition qui fait que le masque se constitue dans l’insatisfaction et par l’intermédiaire de la demande qui est refusée, c’est là le point jusqu’où je voulais vous amener aujourd’hui. Mais alors, qu’est ce qui en résulterait ? C’est qu’il y aurait en somme autant de masques que de formes d’insatisfaction ? Oui, c’est bien comme cela que les choses se présentent, et vous pourrez vous guider là – dessus avec certitude dans la dimension psychologique qui se déroule, qui se déploie à partir de la frustration qui est si vive chez certains sujets. Vous pourrez relever dans leurs déclarations mêmes cette sorte de rapport entre l’insatisfaction et le masque, qui ferait que, jusqu’à un certain degré, il y aurait autant de masques que d’insatisfactions. Cette pluralité de rapports du sujet à l’Autre, selon la diversité de ses insatisfactions, est bien là quelque chose qui pose un problème et dont on peut dire justement, jusqu’à un certain point, qu’elle ferait de toute personnalité une espèce de mosaïque mouvante d’identifications. Et je dirai que c’est précisément dans l’intervention de la troisième dimension, celle que je laisserai de côté aujourd’hui, que je réserve pour la prochaine fois, celle qui est introduite, non pas comme on dit par la maturation génitale, ni le don, ni l’oblativité, ni d’autres balivernes moralisantes qui sont des caractéristiques tout à fait secondaires de la question, mais dans quelque chose dont nous dirons qu’il intervient en effet à partir d’un certain moment un désir : un désir qui n’est pas besoin mais qui est Ἔρως [Éros], un désir qui n’est pas auto – érotique mais, comme on dit, allo – érotique, car ce sont exactement les façons de dire la même chose. Seulement il ne suffit pas de dire cela, car à la vérité, il ne suffit pas de cette maturation génitale pour apporter des remaniements subjectifs qui vont être des remaniements décisifs, qui vont nous permettre de saisir le lien entre le désir et le masque. Nous verrons la prochaine fois cette caractéristique, cette condition essentielle qui lie cette étape à un signifiant prévalent, privilégié… que nous appelons non pas par hasard mais parce que concrètement il est ce signifiant… à savoir le phallus. Et nous verrons paradoxalement que c’est précisément à cette étape que se réalise à la fois ce quelque chose qui permet au sujet de se retrouver comme « un » à travers la diversité de ses masques, mais qui d’autre part, le fait fondamentalement divisé, fondamentalement marqué d’une Spaltung essentielle entre : ce qui est en lui désir, et ce qui est masque.

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