Leçon du 27 novembre 1957
Nous avons laissé les choses la dernière fois au point où dans l’analyse du trait d’esprit, par un premier abord je vous avais montré un de ses aspects, une de ses formes dans ce que j’appelle ici la fonction métaphorique. Nous allons en prendre un deuxième aspect qui est celui ici introduit sous le registre de la fonction métonymique. En somme vous pourriez vous étonner de cette façon de procéder qui est de partir de l’exemple pour développer successivement des rapports fonctionnels qui semblent de ce fait ne pas être reliés à ce dont il s’agit… d’abord tout au moins… par un rapport général. Ceci tient à une nécessité propre de ce dont il s’agit, dont vous verrez que nous aurons l’occasion en outre de montrer l’élément sensible. Disons que concernant tout ce qui est de l’ordre de l’inconscient, en tant qu’il est structuré par le langage, nous nous trouvons devant ce phénomène que ce n’est pas simplement le genre ou la classe particulière mais aussi l’exemple particulier qui nous permet de saisir les propriétés les plus significatives. Il y a là une sorte d’inversion de notre perspective analytique habituelle, j’entends « analytique » non pas au sens psychanalytique, mais au sens de l’analyse des fonctions mentales. Il y a là, si je puis dire, quelque chose qui pourrait s’appeler « échec du concept » au sens abstrait du terme, ou plus exactement nécessité de passer par une autre forme que celle de la saisie conceptuelle. C’est à cela que je faisais allusion un jour en parlant du maniérisme, et je dirais que ce trait qui est bien tout à fait dirigé vers notre champ, le terrain sur lequel nous nous déplaçons, c’est… plutôt que par l’usage du concept… par l’usage du concetto que nous sommes dans ce champ obligés de procéder. Ceci en raison précisément du domaine où se déplacent les structurations dont il s’agit. Le terme « prélogique » est tout à fait de nature à engendrer une confusion, et je vous conseillerais de le rayer d’avance de vos catégories, étant donné ce qu’on en a fait, c’est – à – dire une propriété psychologique. Il s’agit plutôt de propriétés structurales du langage en tant qu’elles sont antécédentes à toute question que nous pouvons poser au langage sur la légitimité de ce que lui – langage – nous propose comme visée. Comme vous le savez, ce n’est rien d’autre que ce qui en soi a fait l’objet de l’interrogation anxieuse des philosophes, grâce à quoi nous sommes arrivés à une sorte de compromis qui est à peu près ceci : que si le langage nous montre que nous ne pouvons guère en dire trop… si ce n’est qu’il est « être de langage »… assurément c’est pour autant dans cette visée que va se réaliser pour nous un « pour nous » qui s’appellera objectivité. C’est sans doute une façon rapide de résumer pour vous toute l’aventure qui va de la logique formelle à la logique transcendantale. [Husserl] Mais c’est simplement pour situer, pour vous dire dès à présent, que c’est dans un autre champ que nous nous plaçons, et pour vous indiquer que FREUD ne nous dit pas… lorsqu’il nous parle de l’inconscient… que cet inconscient est structuré d’une certaine façon. Il nous le dit d’une façon qui à la fois est discours et verbal, pour autant que les lois qu’il avance, les lois de composition, d’articulation, de cet inconscient, reflètent, recoupent exactement certaines des lois de composition les plus fondamentales du discours. Que d’autre part dans ce mode d’articulation de l’inconscient toutes sortes d’éléments nous manquent qui sont aussi ceux qui dans notre discours commun sont impliqués : le lien de causalité nous dira – t – il à propos du rêve, la négation, et tout de suite après pour se reprendre et nous montrer qu’elle s’exprime de quelque façon que ce soit dans le rêve. C’est cela, c’est ce champ déjà exploré… en tant qu’il est déjà cerné, défini, circonscrit, voire même labouré par FREUD… c’est là que nous essayons de revenir pour essayer de formuler… allons plus loin : de formaliser… de plus près ce que nous avons appelé à l’instant ces lois structurantes primordiales du langage, pour autant que s’il y a quelque chose que l’expérience freudienne nous apporte, c’est que nous sommes… par ces lois structurantes… déterminés à ce qu’on appelle, à tort ou à raison : la condition de signifié de l’image la plus profonde de nous – mêmes, disons simplement ce quelque chose en nous au – delà de nos prises auto – conceptuelles : cette idée que nous pouvons nous faire de nous – mêmes, sur laquelle nous nous appuyons, à laquelle nous nous raccrochons tant bien que mal, et à laquelle nous nous pressons quelquefois un peu trop prématurément de faire un sort, ce terme de synthèse, de totalité de la personne. Tous termes, ne l’oublions pas, qui sont, précisément par l’expérience freudienne, objets de contestation. En effet FREUD nous apprend… et je dois tout de même ici le remettre en frontispice signé… quelque chose que nous pouvons appeler la distance, voire la béance qui existe de la structuration du désir à la structuration de nos besoins. Car si précisément l’expérience freudienne vient enfin se référer à une métapsychologie des besoins, assurément il n’y a rien d’évident, ceci peut même être dit d’une façon tout à fait inattendue par rapport à une première évidence. C’est bien en fonction de ce cheminement, de détours auxquels l’expérience… telle qu’elle a été instituée et définie par FREUD… nous force, et qui nous montre : à quel point la structure des désirs est déterminée par autre chose que les besoins, combien les besoins ne nous parviennent en quelque sorte que réfractés, brisés, morcelés, structurés précisément par tous ces mécanismes qui s’appellent condensation, qui s’appellent déplacement, qui s’appellent selon les formes, les manifestations de la vie psychique où ils se reflètent, qui supposent différents autres intermédiaires et mécanismes, et où nous reconnaissons précisément un certain nombre de lois qui sont celles auxquelles nous allons aboutir après cette année de séminaire, et que nous appellerons les lois du signifiant. Ces lois sont ici les lois dominantes, et dans le trait d’esprit nous apprenons un certain usage : « jeu de l’esprit ? » avec le point d’interrogation que nécessite ici l’introduction du terme comme tel. Qu’est – ce que l’esprit ? Qu’est – ce que l’ingenium ? Qu’est – ce qu’ingenio en espagnol, puisque j’ai fait la référence au concetto ? Qu’est – ce que c’est que ce je ne sais quoi qui est autre chose que la fonction du jugement, et qui ici intervient ? Nous ne pourrons le situer que quand nous aurons poursuivi les procédés à proprement parler et d’ailleurs élucidé au niveau de ces procédés : de quoi s’agit – il, quels sont ces procédés, quelle est leur visée fondamentale ? Déjà nous avons vu à propos de l’ambiguïté d’un trait d’esprit avec le lapsus, de ce qui sort d’ambiguïté fondamentale qui en est en quelque sorte constitutive, qui fait que ce qui se produit et qui peut, selon les cas, être tourné vers une sorte d’accident psychologique, de lapsus devant lequel nous resterions perplexes sans l’analyse freudienne, ou au contraire repris, ré – assumé, par une certaine audition de l’Autre, par une façon de l’homologuer, au niveau d’une valeur signifiante propre… celle précisément dans l’occasion qu’a pris le terme néologiqu
e, paradoxal, scandaleux, « famillionnaire »… une fonction signifiante propre qui est de désigner quelque chose qui n’est pas seulement ceci ou cela, mais une sorte d’au – delà d’un certain rapport qui ici échoue, et cet au – delà n’est pas uniquement lié aux impasses du rapport du sujet avec le protecteur millionnaire mais avec ce quelque chose, qui est ici signifié de fondamental : comme quoi quelque chose dans les rapports humains, constament introduit ce mode d’impasse essentielle qui fait ou qui repose sur ceci que nul désir en somme ne peut, par l’Autre, être reçu, être admis, sinon par toutes sortes de truchements : qui le réfractent, qui en font autre chose que ce qu’il est, qui en font un objet d’échange, et pour tout dire, qui soumettent et d’ores et déjà, à l’origine, le processus de la demande à une sorte de nécessité du refus. Je m’explique et en quelque sorte… puisque nous parlons du trait d’esprit… je me permettrai… pour introduire le niveau véritable où se pose cette question de la traduction de la demande en quelque chose qui porte effet… de l’introduire par une histoire, elle – même sinon spirituelle, dont je dirai que la perspective, le registre est loin de devoir se limiter au petit rire spasmodique. C’est l’histoire que sans doute vous connaissez tous, l’histoire dite du masochiste et du sadique : « Fais – moi mal ! » dit le premier au second, lequel répond sévèrement « Non ! » Je vois que cela ne vous fait pas rire. Peu importe… Quelques – uns rient tout de même. Cette histoire d’ailleurs en fin de compte n’est pas pour vous faire rire. Je vous prie simplement de remarquer que dans cette histoire quelque chose nous est suggéré qui se développe à un niveau qui n’a plus rien de spirituel, qui est très exactement celui – ci : qu’y a – t – il de mieux fait pour s’entendre que le masochiste et le sadique ? Oui, mais vous le voyez par cette histoire : à condition qu’ils ne parlent pas. Ce n’est pas par méchanceté que le sadique répond non, c’est en fonction de sa vertu de sadique : s’il répond, il est forcé de répondre, dès qu’on a parlé, au niveau de la parole. C’est donc pour autant que nous sommes passés au niveau de la parole que ce quelque chose qui doit aboutir, à condition de ne rien dire, à la plus profonde entente, arrive à précisément ce que j’ai appelé tout à l’heure « la dialectique du refus », « la dialectique du refus » pour autant qu’elle est essentielle à soutenir dans son essence de demande ce qui se manifeste par la voie de la parole.
En d’autres termes, si vous le voyez, c’est ici que se manifeste, je ne dirai pas dans le cercle du discours, mais en quelque sorte sur le point de branchement de l’aiguillage où, de la part du sujet, est lancé ce quelque chose qui se boucle sur soi et qui est une phrase articulée, un anneau du discours. Si c’est ici que nous situons dans ce point δ’le besoin, le besoin rencontre par une sorte de nécessité de l’Autre cette sorte de réponse que nous appelons pour l’instant refus, c’est–à–dire trahit cette symétrie essentielle entre ces deux éléments du circuit, la boucle fermée, la boucle ouverte qui fait que pour circuiter directement de son besoin vers l’objet de son désir, c’est–à–dire suivant ce trajet, ce qui se présente ici comme demande aboutit ici au « Non ! ». Sans doute ceci mérite–t–il que nous entrions de plus près dans ce quelque chose qui ici ne se présente que comme une sorte de paradoxe que notre schéma simplement sert à situer. C’est bien ici que nous reprenons la chaîne de nos propositions sur les différentes phases du trait d’esprit, et qu’aujourd’hui j’introduis ce que nous avons appelé une de ses manifestations métonymiques. J’en ai fixé tout de suite pour vous l’idée, l’exemple, sous cette forme dont vous pouvez voir toute la différence par rapport à ce qui est l’histoire du « famillionnaire ». C’est l’histoire du dialogue d’Henri HEINE avec le poète Frédéric SOULIÉ, à peu près son contemporain, dialogue rapporté dans le livre de Kuno FISCHER[1] qui, je pense, est assez connu à l’époque : « Regardez… dit Frédéric SOULIÉ à celui qui n’était que de peu son aîné et dont il était admirateur « Regardez comme le XIXème siècle adore le Veau d’or ! » Ceci à propos de l’attroupement qui se forme autour d’un vieux Monsieur chargé sans doute en effet de tous les reflets de sa puissance financière. À quoi Henri HEINE, d’un œil dédaigneux regardant l’objet sur lequel on attire son attention, répond : « Oui, mais celui–là me semble en avoir passé l’âge. » Que signifie ce mot d’esprit ? Où en est le sel et le ressort ? Vous savez que FREUD nous a tout de suite mis d’emblée à propos du mot d’esprit sur ce plan : nous chercherons le trait d’esprit là où il est, à savoir dans son texte. Rien n’est plus saisissant de la part de cet homme auquel on a attribué tous les au–delà, si l’on peut dire, de l’« hypothèse psychologique », que la façon dont au contraire c’est toujours du point opposé de la matérialité du signifiant qu’il part, le traitant comme un donné existant pour lui–même, et d’autre part nous n’en avons manifestement l’exemple que dans son analyse du trait d’esprit. Non seulement c’est de la technique à chaque fois qu’il part, mais c’est à ces éléments techniques qu’il se confie pour en trouver le ressort. Que fait–il aussitôt ? Ce qu’il appelle « tentative de réduction ». C’est ainsi qu’au niveau du trait d’esprit « famillionnaire » il nous montre que, à le traduire dans ce qu’on peut appeler son sens développé, tout ce qui est du trait d’esprit s’évanouit, montrant ainsi en quelque sorte que c’est dans le rapport d’ambiguïté fondamentale propre à la métaphore : C’est–à–dire que c’est dans le fait qu’un signifiant… c’est–à–dire que la fonction prend un signifiant en tant qu’il est substitué à un autre, latent dans la chaîne, que c’est dans ce rapport d’ambiguïté sur une sorte de similarité ou de simultanéité positionnelle que gît ce dont il s’agit. Si nous décomposons ce dont il s’agit et si nous le lisons à la suite, c’est–à–dire si nous disons : « familier autant qu’on peut l’être avec un millionnaire » tout ce qui est du trait d’esprit disparaît. Ainsi FREUD a–t–il abordé le trait d’esprit au niveau d’une de ces manifestations métaphoriques. Ici il se trouve devant quelque chose dont on peut pressentir la différence, mais un instant… car FREUD n’est pas quelqu’un à nous ménager les détours de son approche par rapport au phénomène …il hésite à qualifier cette nouvelle variété d’esprit de la pensée [Gedanken Witz] comme opposée à l’esprit des mots [Wort Witz]. Mais bien vite il s’aperçoit que cette distinction est tout à fait insuffisante, qu’assurément ici c’est à ce qu’on appellerait la « forme », nommément à l’articulation signifiante, qu’il convient de se fier et c’est de nouveau à la réduction technique qu’il va essayer de soumettre l’exemple en question, pour lui faire répondre de ce qui y est sous–jacent, à cette forme contestable donnée par le consentement subjectif, que c’est là le trait d’esprit. Et nous allons voir que là, il rencontre quelque chose qui est différent. D’abord, lui semble–t–il, il doit bien y avoir quelque chose qui est de l’ordre métaphorique. Je vous le répète : il nous fait suivre toutes les approches de sa pensée. C’est pour cela qu’il s’arrête un instant à la protase, c’est–à–dire à ce qu’a apporté le personnage qui parle à Henri HEINE nommément Frédéric SOULIÉ. D’ailleurs il ne fait là que suivre Kuno FISCHER qui en effet reste à ce niveau. Il y a dans ce « veau d’or » quelque chose de métaphorique, assurément le « veau d’or » a une sorte de double valeur : il est d’une part le symbole de l’intrigue et d’autre part le symbole du règne du pouvoir de l’argent. Est–ce à dire que ce Monsieur reçoit tous les hommages, sans doute parce qu’il est riche ? Ne trouvons–nous pas là quelque chose qui en quelque sorte réduit et fait disparaître ce qui est le ressort de ce dont il s’agit ? Mais FREUD s’avise rapidement qu’après tout ce n’est là que quelque chose de tout à fait fallacieux. Ceci dans le détail d’ailleurs mérite bien plus qu’on regarde de près pour trouver la richesse de cet exemple. Il est bien certain qu’il y a déjà impliqué, dans ces données premières de la mise en jeu du « veau d’or », quelque chose qui est la matière. Sans approfondir de toutes les façons comment s’institue l’usage verbal d’un terme incontestablement métaphorique, il faut voir que si déjà le « veau d’or » est quelque chose qui en lui–même a le plus grand rapport avec cette relation du signifiant à l’image, qui est le versant effectivement sur lequel s’installe l’idolâtre, en fin de compte c’est bien par rapport à une perspective qui exige, si l’on peut dire… dans la reconnaissance de celui qui s’annonce comme « Je suis ce que je suis » : nommément le Dieu des Juifs …que quelque chose de particulièrement exigeant se refuse à tout ce qui se pose comme l’origine même du signifiant, la nomination par excellence de toute hypostasie imagée, car bien entendu nous en sommes plus loin que l’idolâtrie qui est purement et simplement l’adoration d’une statue. C’est bien aussi quelque chose qui cherche son au–delà, et c’est précisément pour autant que ce mode de chercher cet au–delà essentiel est refusé dans une certaine perspective, que ce « veau d’or » prend sa valeur, et ce n’est que par quelque chose qui est déjà un glissement que ce « veau d’or » prend usage métaphorique. Que ce qu’il y a dans la perspective religieuse de ce qu’on peut appeler dans l’idolâtrie une « régr
ession topique », une substitution de l’imaginaire au symbolique, prend ici secondairement valeur métaphorique pour exprimer quelque chose d’autre, quelque chose qui peut aussi se référer au niveau du signifiant, à savoir ce que d’autres avant moi ont appelé « la valeur fétiche de l’or », à savoir quelque chose aussi qui nous fait toucher à une certaine concaténation signifiante. Ce n’est pas pour rien que je l’évoque ici, puisque c’est précisément cette fonction fétiche que nous allons tout de suite être amenés à toucher. Ce n’est concevable, ce n’est référable que dans la dimension justement de la métonymie. Nous voilà donc sur quelque chose déjà chargé de toutes les intrications, de tous les emmêlements de la fonction symbolique – imaginaire à propos du « veau d’or ». Et est–ce là que gît ou non… car ici FREUD le remarque, ce n’est pas du tout le lieu où il se situe …le mot d’esprit ? Le mot d’esprit, comme il s’en avise, est dans la riposte de Henri HEINE. Et la riposte de Henri HEINE consiste précisément à annuler, si l’on peut dire, à subvertir toutes les références où ce « veau d’or » est son expression métaphorique, se soutient, pour en faire quelque chose d’autre qui est purement et simplement là pour désigner celui qui est ramené tout d’un coup à sa qualité, et ce n’est pas par hasard, où sans doute à partir d’un certain moment il mérite d’être le veau qui vaut tant la livre, si je puis m’exprimer ainsi. Ce veau est pris pour ce qu’il est tout d’un coup, un être vivant, et pour tout dire quelqu’un qu’il réduit… ici sur le marché institué par ce règne de l’or …à n’être que lui–même, que vendu comme bétail, une tête de veau, et à propos de celle–ci de dire : assurément il n’est plus dans les limites de la définition que donnait LITTRÉ, à savoir – ce veau – dans sa première année, que je crois même un puriste de boucherie définirait comme celui qui n’a pas encore cessé de téter sa mère, purisme dont je me suis laissé dire qu’il n’était respecté qu’en France. « Pour un veau, il a passé l’âge ! » Que ce veau ne soit pas ici un veau, c’est un veau un peu âgé, il n’y a aucune espèce de façon de le réduire – ceci reste un trait d’esprit – avec l’arrière–plan du « veau d’or » ou pas. Donc FREUD ici saisit une différence de l’inanalysable à l’analysable, et pourtant tous les deux sont des traits d’esprit. Qu’est–ce donc à dire, sinon que sans doute c’est à deux dimensions différentes de quelque chose qui est ce que nous essayons de serrer de près que l’expérience du trait d’esprit se réfère. Et que ce qui se présente comme étant en quelque sorte… comme FREUD nous le dit lui–même …quelque chose qui paraît escamotage, tour de passe–passe, faute de pensée, c’est le trait commun de toute une autre catégorie de l’esprit, en somme comme on dirait vulgairement, prendre un mot dans un autre sens que celui dans lequel il nous est apporté. C’est le même trait qui est donné aussi dans une autre histoire, celle qui se rapporte à ce « premier vol de l’aigle » dont on a fait un mot à propos d’une opération assez large qui fut celle de la confiscation des biens des D’ORLÉANS par NAPOLÉON III quand il monta sur le trône : « C’est le premier vol de l’aigle » dit–il. Chacun de se ravir sur cette ambiguïté. Nul besoin d’insister. Voilà encore quelque chose dont, à vrai dire, nulle question ici de parler d’esprit de la pensée, c’est bien en effet un esprit des mots, mais tout à fait de la même catégorie que celui qui nous est ici présenté, d’un mot pris en apparence dans un autre sens. Il est amusant d’ailleurs à l’occasion de sonder les sous–jacences de tels mots, et si FREUD prend soin… puisque le mot nous est rapporté en français …de souligner pour ceux qui ne connaissent pas la langue française, l’ambiguïté : du « vol » comme action, mode moteur des oiseaux, avec le « vol » au sens de soustraction, de rapt, de viol de la propriété, …il serait bon de rappeler à ce propos que ce qu’ici FREUD élide, je ne dis pas ignore, c’est que l’un des sens a été historiquement emprunté à l’autre, et que c’est d’un usage de vol que le terme de volerie… vers le XIIIème siècle ou le XIVème siècle, …est passé du fait que le faucon vole la caille, à l’usage de cette faute contre l’une des lois essentielles de la propriété qui s’appelle le vol. Ce n’est pas un accident en français, je ne dis pas que cela se produise dans toutes les langues, mais cela s’était déjà produit en latin où volare avait pris le même sens à partir de la même origine, montrant d’ailleurs ici à cette occasion quelque chose qui n’est pas non plus sans rapport avec ce dans quoi nous nous déplaçons, à savoir ce que j’appellerais « les modes d’expression euphémiques » de ce qui, dans la parole, doit finalement représenter le viol de la parole précisément, ou le viol du contrat. Dans l’occasion ce n’est pas pour rien que le mot vol est ici emprunté à un tout autre registre, à savoir au registre d’un rapt qui n’a rien à faire avec ce que nous appelons proprement et juridiquement le vol. Mais restons–en là et reprenons ce pour quoi ici j’introduis le terme de « métonymique », et je crois justement devoir… au–delà de ces ambiguïtés elles–mêmes, si fuyantes, du sens …chercher comme référence autre chose pour définir ce second registre dans lequel se situe le trait d’esprit, cette autre chose qui va nous permettre d’en unifier le ressort, le mécanisme, avec sa première espèce, de trouver le facteur commun, le ressort commun dont tout dans FREUD nous indique la voie, sans tout à fait bien entendu en achever la formule. À quoi cela servirait–il que je vous parle de FREUD, si précisément nous n’essayons pas de tirer le maximum de profit de ce qu’il nous apporte ? À nous de pousser un peu plus loin, je veux dire de donner cette formalisation nécessaire dont l’expérience nous dira : si c’est une formalisation qui convient, si c’est une formalisation conforme, si c’est bien dans cette direction–là que s’organisent les phénomènes. Question de toutes façons riche de conséquences, car assurément pour toute notre façon de traiter, au sens le plus large, c’est–à–dire non pas simplement de traiter la thérapeutique, mais de concevoir les modes de l’inconscient, le fait qu’il y ait une certaine structure, et que cette structure soit la structure signifiante en tant qu’elle reprend, qu’elle tranche, qu’elle impose sa grille à tout ce qui est le besoin humain, est tout de même quelque chose d’absolument décisif et essentiel que nous voyons là donc au pied de la métonymie.
Cette métonymie, je l’ai déjà plusieurs fois introduite, et nommément dans cet article qui s’appelle L’instance de la lettre dans l’inconscient. Je vous en ai donné un exemple exprès pris au niveau vulgaire de cette expérience qui peut vous ressortir de vos souvenirs de vos études secondaires, à savoir de votre grammaire. La métonymie est ce qu’on appelait à ce moment–là, dans cette espèce de perspective d’une sorte de QUINTILIEN sous–estimé, car il est bien clair que ce n’est pas l’étude des figures de rhétorique qui a pu vous étouffer, on n’en a jamais jusqu’ici fait grand état. Au point où nous en sommes de notre conception des formes du discours, cette
métonymie, j’en ai pris cet exemple : « trente voiles » au lieu de « trente navires », marquant à ce propos que ces « trente voiles » ne sont pas purement et simplement ce qu’on vous dit à ce propos, à savoir « prise de la partie pour le tout », à savoir référence au réel, car assurément il y a bien plus de trente voiles. Il est rare que les navires n’aient qu’une seule voile, mais puisqu’il y a là un arrière–plan littéraire, vous savez qu’on trouve ces « trente voiles » dans un certain monologue du Cid. C’est simplement un point de référence ou d’annonce pour l’avenir. Nous voici avec ces « trente voiles », et nous ne savons qu’en faire, parce qu’après tout : ou bien elles sont 30 et il n’y a pas 30 navires, ou bien il y a 30 navires et elles sont plus de 30. Or cela veut dire 30 navires, et il est bien certain que… en indiquant que c’est dans la correspondance mot pour mot de ce dont il s’agit qu’il faut chercher la direction de ce qu’on appelle ici la fonction métonymique …je ne fais là simplement que proposer devant vous une sorte d’aspect problématique de la chose. Mais il convient que nous entrions plus dans le vif de la différence qu’il y a avec la métaphore, car après tout vous pourriez me dire que c’est une métaphore. Pourquoi ça n’en est pas une ? C’est bien là la question. D’ailleurs il y a déjà un certain temps que j’apprends périodiquement qu’un certain nombre d’entre vous… aux détours de leur vie quotidienne …sont tout d’un coup frappés par la rencontre de quelque chose dont ils ne savent plus du tout comment le classer, dans la métaphore ou dans la métonymie. Cela entraîne des désordres quelquefois démesurés dans leur organisme, et une sorte de tangage quelquefois un peu trop fort, avec en somme cette métaphore de bâbord et cette métonymie de tribord dont certains ont éprouvé quelques vertiges. Essayons donc de serrer de plus près ce dont il s’agit, car après tout on m’a aussi dit, à propos de BOOZ, que « sa gerbe n’était pas avare ni haineuse » pourrait bien être une métonymie. Je crois avoir bien montré dans mon article ce qu’était cette « gerbe », et combien cette « gerbe » est bien autre chose qu’un élément de sa possession : c’est quelque chose qui… en tant que cela se substitue au père précisément …fait surgir toute la dimension de fécondité biologique qui était ici sous–jacente à l’esprit du poème, et que ce n’est pas pour rien qu’à l’horizon, et même plus qu’à l’horizon : au firmament …va surgir aussi le fil aigu de la faucille céleste qui évoque les arrière–plans de la castration. Revenons donc à nos « 30 voiles », et demandons–nous en fin de compte… pour qu’une bonne fois ce soit ici affirmé …ce que signifie ce que j’appelle fonction ou référence métonymique.
Je crois avoir suffisamment dit… ce qui n’est pas sans laisser quelques énigmes …que c’était essentiellement dans la substitution le ressort structural de la métaphore, dans cette fonction apportée à un signifiant S, en tant que ce signifiant est substitué à un autre dans une chaîne signifiante. La métonymie est ceci : fonction que prend un signifiant – également S – en tant que ce signifiant est… dans la contiguïté de la chaîne signifiante …en rapport avec un autre signifiant : f(S…S1) S2 = S (–) s la fonction donnée à cette « voile » en tant que dans une chaîne signifiante… et non pas dans une substitution signifiante …est en rapport avec le navire. J’ai donc transféré le sens de la façon la plus claire. Et c’est pour ceci que les représentations d’apparence formelle, pour autant que ces formules peuvent naturellement prêter à exigence supplémentaire de votre part… quelqu’un me rappelait récemment que j’avais dit un jour que ce que je cherchais à faire à votre usage ici, pour cerner les choses dont il s’agit dans notre propos, c’était de forger « une logique en caoutchouc »… C’est moi qui l’ai dit… C’est bien en effet de quelque chose comme cela qu’il s’agit, c’est d’une structuration topique qui quelquefois forcément laisse des béances parce qu’elle est constituée par des ambiguïtés. Mais laissez–moi vous dire en passant que nous n’y échapperons pas… si toutefois nous parvenons à pousser assez loin cette structuration topique …nous n’échapperons pas à un reste d’exigence supplémentaire, si tant est que votre idéal soit dans cette occasion celui d’une certaine formalisation univoque, car certaines ambiguïtés sont irréductibles au niveau de la structure du langage telle que nous essayons de la définir. Laissez–moi également vous dire en passant que la notion de « métalangage » est très souvent employée de la façon la plus inadéquate, pour autant qu’elle méconnaît ceci, que : ou le métalangage a des exigences formelles qui sont telles qu’elles déplacent tout le phénomène de structuration où il doit se situer, ou bien le métalangage lui–même doit conserver les ambiguïtés du langage, autrement dit « qu’il n’y a pas de métalangage », il y a des formalisations, soit au niveau de la logique, soit au niveau de cette structure signifiante dont j’essaye de vous dégager le niveau autonome. « Il n’y a pas de métalangage » au sens où il voudrait dire par exemple mathématisation complète du phénomène du langage, et ceci précisément parce qu’il n’y a pas moyen ici de formaliser au–delà de ce qui est donné comme structure primitive du langage. Néanmoins cette formalisation est non seulement exigible, mais elle est nécessaire. Elle est nécessaire par exemple ici, parce qu’après tout vous devez voir que cette notion de substitution d’un signifiant à un autre : c’est une substitution dans quelque chose dont la place doit déjà être définie, c’est une substitution positionnelle… Et la position elle–même exige la chaîne signifiante, à savoir une succession combinatoire. Je ne dis pas qu’elle en exige tous les traits, je veux dire que cette succession combinatoire est caractérisée par des éléments par exemple que j’appellerais intransitivité, alternance, répétition. Si nous nous portons à ce niveau originel minimal de la constitution d’une chaîne signifiante, nous serons portés loin de notre sujet d’aujourd’hui. Il y a des exigences minimales, et je ne vous dis pas que je prétends en avoir fait jusqu’ici tout à fait le tour. Je vous en ai tout de même déjà donné assez pour vous proposer quelque chose qui permet de supposer, si l’on peut dire, une certaine réflexion, et de partir à ce propos de cette particularité de l’exemple qui, dans ce domaine, est quelque chose dont nous devons tirer, pour des raisons sans doute absolument essentielles, tous nos enseignements. C’est bien ainsi que nous allons une fois de plus procéder et remarquer à propos de cet exemple, que même si ceci a l’air d’un jeu de mots, ces « voiles »… étant donné la fonction qu’elles jouent à cette occasion nous voilent tout autant qu’elles nous désignent, que ces « voiles » sont là quelque chose qui n’entre pas… avec leur plein droit de voiles …qui n’entre pas à toutes voiles dans l’usage que nous en faisons. Ces « voiles » ne mollissent guère. Ces « voiles » sont quelque chose de réduit dans leur portée et dans leur signe, ce quelque chose qu’on peut retrouver, non pas seulement dans les « trente voiles », mais dans le « village de trente âmes » où il vous apparaît très vite que : ces âmes sont là pour des ombres de ce qu’elles représentent, qu’elles sont plus légères même que le terme suggérant une trop grande présence d’habitants, que ces âmes… selon un titre de roman célèbre … peuvent être aussi bien des âmes mortes, bien plus encore que des êtres, des âmes qui ne sont pas là. De même que « trente feux » est aussi un usage du terme et assurément représente une certaine dégradation ou minimisation du sens. Je veux dire que ces « feux » sont aussi bien des feux éteints, que ce sont des feux à propos desquels vous direz certainement qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que ce n’est pas pour rien que ces feux sont dans un usage qui dit métonymiquement ce à quoi ils viennent suppléer. Sans aucun doute vous direz que, là, c’est à une référence de sens qu’en fin de compte je m’en remets pour faire la différence. Je ne le crois pas et je vous ferai remarquer : que ce dont je suis parti c’est que la métonymie est la structure fondamentale dans laquelle peut se produire ce quelque chose de nouveau et de créatif qui est la métaphore, que même si quelque chose d’origine métonymique est placé en position de substitution, comme c’est le cas dans les trente voiles, c’est quelque chose d’autre dans sa nature que la métaphore, que pour tout dire il n’y aurait pas de métaphore s’il n’y avait pas de métonymie. Je veux dire que la chaîne par rapport à laquelle, et dans laquelle, sont définies les places, les positions où se produit le phénomène de la métaphore, est à ce propos dans une sorte de glissement ou d’équivoque. « Il n’y aurait pas de métaphore s’il n’y avait pas de métonymie. », me venait en écho et non pas du tout par hasard parce que cela a le plus grand rapport avec l’exclamation, l’invocation comique que j’arrive à mettre dans la bouche du PÈRE UBU : « Il n’y aurait pas de métaphore s’il n’y avait pas de métonymie. » De même : « Vive la Pologne, parce que sans la Pologne – disait aussi le père Ubu – il n’y aurait pas de Polonais ! » Pourquoi ceci est–il un trait d’esprit ? C’est précisément au vif de notre sujet. C’est un trait d’esprit, et c’est drôle précisément en tant que cela est la référence comme telle à la fonction métonymique, car on ferait fausse route si on croyait qu’il y avait là une drôlerie concernant par exemple le rôle que les Polonais ont pu jouer dans les malheurs de la Pologne qui ne sont que trop connus. La chose est aussi drôle si je dis : « Vive la France, Monsieur, car sans la France il n’y aurait pas de Français ! » De même si je dis : « Vive le christianisme, parce que sans le christianisme il n’y aurait pas de chrétiens
! Et même vive le Christ ! » C’est toujours aussi drôle et on peut légitimement se demander pourquoi. Je vous souligne qu’ici la dimension métonymique n’est absolument pas méconnaissable, que toute espèce de rapport de dérivation d’usage du suffixe, ou affixe, ou désinence dans les langues flexionnelles, est proprement l’utilisation à des fins significatives de la dimension de la chaîne. Ici il n’y a aucune espèce de mot… et je dirai même que toutes les références le recoupent – l’expérience de l’aphasique par exemple, nous montre précisément qu’il y a deux cas d’aphasie, et que très précisément quand nous sommes au niveau des troubles qu’on peut appeler troubles de la contiguïté, c’est–à–dire de la chaîne, c’est bien précisément ceux que le sujet a le plus grand mal à distinguer : c’est le rapport du mot à l’adjectif, de « bienfait » avec « bienfaisant », ou avec « bien faire » et avec « bienfaisance », c’est dans l’autre dimension métonymique que se produit quelque chose. C’est précisément cet éclair qui, à cette occasion, nous fait considérer comme quelque chose non seulement de comique mais même d’assez bouffon, cette référence. Je vous fais remarquer qu’il est important ici, en effet, de s’appliquer à ce qu’on peut appeler « propriété de la chaîne signifiante », et de saisir… j’ai essayé de trouver quelques termes de référence qui vous permettent de la saisir au point où nous allons le pouvoir …ce que je veux désigner par cet « effet de la chaîne signifiante », effet essentiel inhérent à sa nature de chaîne signifiante concernant ce qu’on peut appeler le sens. N’oubliez pas que l’année dernière, c’est dans une référence analogique… qui pouvait vous paraître métaphorique mais dont j’ai bien souligné qu’elle ne l’était pas, qu’elle prétendait devoir être prise au pied de la lettre de la chaîne métonymique …que j’ai placé, indiqué, situé, ce qui est l’essence de toute espèce de déplacement fétichiste du désir, autrement dit de fixation du désir quelque part avant, après ou à côté, de toutes façons à la porte de son objet naturel, autrement dit de l’institution de ce phénomène absolument fondamental qu’on peut appeler la radicale perversion des désirs humains. Ici je voudrais indiquer une autre dimension, celle que j’appellerais dans la chaîne métonymique « le glissement du sens ». Et déjà je vous ai indiqué le rapport de ceci avec sa technique, l’usage, le procédé littéraire que l’on a coutume de désigner sous le terme de « réalisme ». Il n’est pas conçu dans ce domaine que l’on puisse aller à toutes sortes d’expériences : je me suis soumis à celle de prendre un roman de l’époque réaliste, de le relire pour en quelque sorte voir les traits qui pourraient vous faire saisir ce quelque chose d’original dont la référence à la dimension du sens peut être reliée à l’usage métonymique comme tel de la chaîne signifiante, et aussi bien me suis–je référé à un roman au hasard parmi les romans de l’époque réaliste, à savoir un roman de MAUPASSANT, Bel Ami. D’abord c’est une lecture très agréable. Faites–la une fois. Et y étant entré, j’ai été bien surpris dans cette espèce [ dans ce genre ] d’y trouver ce quelque chose, exactement, que je cherche ici à désigner de glissement. « Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. Comme il portait beau, par nature et par pose d’ancien sous–officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier. » Le roman commence ainsi. Ça n’a l’air de rien, mais ensuite ça s’en va de moment en moment, de rencontre en rencontre, et vous assistez de la façon la plus claire, la plus évidente à cette sorte de glissement. Si nous survolons toute la marche du roman, nous voyons ce quelque chose qui fait qu’un être assez élémentaire je dirai, au point où il en est réduit au début du roman… car cette pièce de cent sous est la dernière qu’il a sur lui …réduit à des besoins tout à fait directs : la préoccupation immédiate de l’amour et de la faim, est progressivement pris par la suite des hasards, bons ou mauvais, mais bons en général… car il est non seulement joli garçon, mais encore il a de la chance …est pris dans un cercle de systèmes, de manifestations de l’échange, de la subversion métonymique de ces données primitives qui, dès qu’elles sont satisfaites, sont aliénées pour lui dans une série de situations. Or jamais il ne s’agit de quoi que ce soit où il puisse ni s’y retrouver, ni se reposer, et qui le porte de succès en succès, à une à peu près totale aliénation de ce qui est sa propre personne. Ceci n’est rien dans le détail, je veux dire dans la façon dont on vise à ne jamais aller au–delà de ce qui se passe dans la suite des événements et de leur notation en termes aussi concrets qu’il est possible. Le romancier à tout instant nous montre une sorte de diplopie qui constamment nous met, non seulement le sujet du roman, mais tout ce qui l’entoure, dans une position toujours double à l’endroit de ce qui peut être l’objet fût–ce le plus immédiat. Je prends l’exemple de ce repas au restaurant, qui commence d’être un des moments premiers de l’élévation à la fortune de ce personnage : « Les huîtres d’Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés. Puis, après le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille… Et les convives commencèrent à causer. Ce fut le moment des sous–entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l’œil et dans l’esprit la vision rapide de tout ce qu’on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d’amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l’évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l’enlacement. On avait apporté le rôti, des perdreaux… »
Je peux vous faire remarquer que ce rôti, les perdreaux, la terrine de volaille, et tout le reste : « Ils avaient mangé de tout cela sans y goûter, sans s’en douter, uniquement préoccupés de ce qu’ils disaient, plongés dans un bain d’amour. » Cet alibi perpétuel qui fait que vous ne savez pas après tout si c’est la chair de la jeune fille ou la truite qui est sur la table… et ceci dans une perspective qui est celle de la description réaliste comme on dit, dont il s’agit …est une chose qui se dispense, non seulement de toute référence abyssale à quelque sens qu’il soit… « trans–sens » de quelque façon que ce soit, ni poétique, ni moral, ni autre …est quelque chose qui suffisamment, me semble–t–il, éclaire ce que j’indique quand je dis que c’est dans une perspective de perpétuel glissement du sens que tout discours qui vise à apporter la réalité est forcé de se tenir et que ce qui fait son mérite, ce qui fait qu’il n’y a pas de réalisme littéraire, c’est précisément que dans cet effort de serrer de près la réalité en l’énonçant dans le discours, le discours ne réussit à rien d’autre qu’à montrer ce que l’introduction du discours ajoute de désorganisant, de pervers à cette réalité. Si quelque chose ici vous paraît encore rester dans un mode trop impressionniste, je voudrais essayer de faire tout de même l’expérience auprès de vous de quelque chose d’autre. Vous le voyez, nous essayons de nous tenir, non pas au niveau où le discours répond du réel, où simplement il prétend le connoter, le suivre par rapport à ce réel, mais à une fonction d’annalyste avec deux « n ». Voyez ce que cela donne. J’ai pris un auteur sans doute méritoire, qui s’appelait Félix FÉNÉON… et dont je n’ai pas le temps de vous faire ici la présentation …et sa série de Nouvelles en trois lignes qu’il donnait au Matin. Sans aucun doute ce n’est pas pour rien qu’elles ont été recueillies, sans doute s’y manifeste–t–il un particulier talent. Tâchons de voir lequel. Ce sont des nouvelles en trois lignes que l’on peut prendre au hasard d’abord, après nous en prendrons peut–être de plus significatives : « Pour avoir un peu lapidé les gendarmes, trois dames pieuses… sont mises à l’amende par les juges de Toulens–Comblebourg. » « Paul, instituteur à l’île Saint–Denis, sonnait, pour la rentrée des écoliers, la cloche… » « À Clichy un élégant jeune homme s’est jeté sous un fiacre caoutchouté, puis indemne, sous un camion qui le broya. » « Une jeune femme était assise par terre à Choisy–le–Roi. Seul mot d’identité que son amnésie lui permit de dire : modèle. » « Le cadavre du sexagénaire…, se balançait à un arbre à Arcueil avec cette pancarte : trop vieux pour travailler. » « Au sujet du mystère de Luzarches, le juge d’instruction du Puy a interrogé la détenue… Mais elle est folle. » « Derrière un cercueil, Mangin de Verdun–Chevigny. Il n’atteignit pas ce jour–là le cimetière, la mort le surprit en route. » « Le valet… installa à Neuilly chez son maître absent une femme amusante, puis disparut emportant tout, sauf elle. » « Feignant de chercher dans ce magot des pièces rares, deux escroqueuses en ont pris pour mille francs de vulgaire. Mademoiselle… Ivry. » « Plage… Finistère, deux baigneuses se noyaient. Un baigneur s’élança, de sorte que Monsieur Etienné dut sauver trois personnes. » Qu’est–ce qui fait rire ? Voilà vraiment des faits connotés avec une rigueur impersonnelle dont je dirai que tout l’art consiste simplement à leur extrême réduction : ceci est dit avec le moins de mots possible. S’il y a quelque chose de comique, par exemple pour prendre celui qui est au haut de la page, ce qui se passe quand nous entendons : « Derrière un cercueil, Mangin de Verdun–Chevigny. Il n’atteignit pas ce jour–là le cimetière, la mort le surprit en route. » C’est quelque chose qui ne touche absolument en rien ce cheminement qui est le nôtre à tous vers le cimetière, quelle que soit la méthode diverse dont on puisse effectuer ce cheminement. Il n’y a absolument rien de semblable, et je dirai jusqu’à un certain point que ceci n’apparaîtrait pas si les choses étaient dites plus longuement, je veux dire si tout cela était noyé dans un flot de paroles. Ce que j’ai appelé ici « glissement du sens »… à savoir ce quelque chose qui fait que nous ne savons littéralement pas où nous arrêter à aucun moment de cette phrase telle que nous la recevons dans sa rigueur, pour lui donner son centre de gravité, son point d’équilibre …c’est tout l’art de cette rédaction de ces nouvelles en trois lignes. C’est précisément ce que j’appellerais ici leur décentrement. Il n’y a là aucune moralité : un soigneux effacement de tout ce qui peut avoir un caractère exemplaire, ce qu’on appellera dans cette occasion « l’art de détachement » de ce style. Néanmoins ce qui est raconté est tout de même bien quelque chose, une suite d’événements, et je dirai même plus, c’est l’autre mérite dont il s’agit, c’est de nous en donner des coordonnées tout à fait rigoureuses. C’est donc bien là ce quelque chose que je vise, que j’essaye de vous faire sentir en vous montrant dans quelle mesure le discours dans sa dimension horizontale, dans sa dimension de chaîne, est proprement le lieu « patinoire », qui est tout autant utile à étudier que les « figures du patinage » sur lequel se passe ce glissement de sens, à la bande, légère sans doute, infime, qui peut peut–être… tellement elle est réduite …nous paraître nulle, mais qui de toute façon se présente et s’annonce dans l’ordre du trait d’esprit comme ce que nous pourrions appeler une dimension dérisoire, dégradante, désorganisante.
C’est dans cette dimension que le style du trait d’esprit, qui est celui du « vol de l’aigle » se situe et se place, à la rencontre du discours avec la chaîne signifiante qui ici se trouve être au niveau du « famillionnaire » au rendez–vous en γ, et qui se produit ici simplement un peu plus loin. Ici Frédéric SOULIÉ a apporté quelque chose qui évidemment va vers le « Je », puisque la perspective c’est Henri HEINE, c’est le mot d’esprit, et il l’appelle en témoignage. Il y a toujours au début du trait d’esprit cette perspective, cet appel à l’Autre comme lieu de la vérification. « Aussi vrai… commençait Hirsch HYACINTHE …« Aussi vrai que Dieu me doit tous les bonheurs. » Et Dieu ici, dans sa référence, peut aussi être ironique. Elle est fondamentale ici. SOULIÉ invoque Henri HEINE beaucoup plus prestigieux que lui… sans vous faire l’histoire de Frédéric SOULIÉ, pourtant l’article que lui consacre le Larousse est bien joli …SOULIÉ lui dit : « Ne voyez–vous pas, mon cher maître… quelque chose comme cela …n’est–ce pas bien amusant de voir ce XIXème siècle… Ici c’est l’appel, l’invocation, le tirage du côté du « Je » de Henri HEINE, de celui qui est le point pivot présent dans cette affaire …de voir ce XIXème siècle adorer encore le Veau d’or ? »
Nous sommes donc passés par ici [ 2 → 1 ], puis nous sommes revenus ici [ 1 → 2 ] à propos du « Veau d’or », au lieu des emplois et de la métonymie, car en fin de compte ce « Veau d’or » est une métaphore, mais usée, passée dans le langage. Nous en avons montré tout à l’heure incidemment les sources, les origines, le mode de production, mais en fin de compte c’est un lieu commun. Et il envoie son lieu commun ici [ 2 → 3 ], au lieu du message, par le chemin α → γ classique. Ici [ 3 ] nous avons deux personnages, et vous savez bien que ces deux personnages peuvent aussi bien n’en être qu’un seul, puisque l’Autre, du seul fait qu’il existe la dimension de la parole, est chez chacun. Et aussi bien, comme FREUD le remarque, s’il n’y avait déjà pas eu présent dans l’esprit de SOULIÉ ce quelque chose qui en somme lui fait qualifier de « Veau d’or » le personnage, c’est bien que ce n’est plus un usage qui pour nous, nous paraît admis, mais je l’ai trouvé dans LITTRÉ… LITTRÉ donc nous dit qu’on appelle un « Veau d’or » un Monsieur qui est cousu d’or et qui, à cause de cela, est l’objet de l’admiration universelle …il n’y a pas d’ambiguïté, et en allemand non plus. À ce moment–là, c’est–à–dire ici [ 3 → 2 ] entre γ et α : renvoi du message au code, c’est–à–dire sur la ligne de la chaîne signifiante, et en quelque sorte métonymiquement, le terme est repris dans quelque chose qui n’est pas le plan dans lequel il a été envoyé, est repris d’une façon qui assurément laisse ici apercevoir pleinement le sens : de chute du sens, de réduction du sens, de dévalorisation du sens. Et pour tout dire, c’est ceci dont il s’agit… et ceci qu’à la fin de cette leçon d’aujourd’hui, je veux introduire …c’est que la métonymie est à proprement parler le lieu où nous devons situer ce quelque chose de primordial, ce quelque chose de primordial et d’essentiel dans le langage humain en tant que nous allons en prendre ici, à l’opposé, la dimension du sens, c’est–à–dire… dans la diversité de ces objets déjà constitués par le langage où s’introduit le champ magnétique du besoin de chacun avec ses contradictions …la réponse que j’ai tout à l’heure introduite, ce quelque chose d’autre qui est ceci… qui va peut–être pouvoir paraître paradoxal …qui est la dimension de la valeur. Et cette dimension de la valeur est proprement quelque chose qui a sa dimension du sens par rapport à elle. Elle se repose et s’impose : comme étant en contraste, comme étant un autre versant, comme étant un autre registre. Si certains d’entre vous sont assez familiers… je ne dis pas du Capital tout entier… qui a lu Le Capital ! …mais du premier livre du Capital que tout le monde en général a lu, je vous prie de vous reporter à la page où MARX… au niveau de la formulation de ce qu’on appelle la théorie de « la forme particulière de la valeur de la marchandise » …dans une note, se révèle être un précurseur du stade du miroir. À cette page, MARX fait cette remarque… surabondante dans ce prodigieux Premier livre qui montre lui, chose rare, quelqu’un qui tient un discours philosophique articulé …et il fait cette proposition : qu’avant toute espèce d’étude des rapports quantitatifs de la valeur, il convient de poser : que rien ne peut s’instaurer sinon sous la forme d’abord de l’institution de cette sorte d’équivalence fondamentale qui n’est pas simplement dans tant d’autres de toiles égales mais dans la moitié du nombre de vêtements, qu’il y a déjà quelque chose qui doit se structurer dans l’équivalence toile–vêtement, à savoir que des vêtements peuvent représenter la valeur de la toile, c’est–à–dire que ce n’est donc pas en tant que vêtement, qu’il est quelque chose que vous pouvez porter, qu’il y a quelque chose de nécessaire au départ même de l’analyse dans le fait que le vêtement peut devenir le signifiant de la valeur de la toile, qu’en d’autres termes, l’équivalence qui s’appelle valeur tient proprement à l’abandon de la part d’un ou de deux des deux termes, d’une partie également très importante de leur sens. C’est dans cette dimension que se situe l’effet de sens de la ligne métonymique [ 3 → 2 ], ce qui nous permettra dans la suite de trouver : à quoi sert cette mise en jeu de l’effet de sens dans les deux registres de la métaphore et de la métonymie, en quoi ils se rapportent, du fait de cette commune mise en jeu, à une dimension, à une perspective qui est celle essentielle qui nous permet de rejoindre le plan de l’inconscient. C’est ce qui rend nécessaire que nous fassions appel précisément, et d’une façon centrée autour de cela, à la dimension de l’Autre en tant qu’il est le lieu, le récepteur, le point pivot nécessaire de cet exercice. C’est ce que nous ferons la prochaine fois.