samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LV LES FORMATIONS DE L'INCONSCIENT 1957-1958 Leçon du 4 Décembre 1957

Leçon du 4 Décembre 1957

Arrivé à la partie synthétique de son ouvrage sur le mot d’esprit – la deuxième partie – FREUD se pose la question de l’origine du plaisir, du plaisir que provoque le mot d’esprit. Bien entendu, il est de plus en plus nécessaire… je le rappelle à ceux d’entre vous qui s’en croiraient dispensés… que vous ayez au moins fait une lecture du texte du Mot d’esprit. C’est la seule façon que vous ayez de connaître cet ouvrage, en dehors du cas… qui ne serait pas de votre gré je crois… que je vous lise ce texte moi – même. Ici je vais en extraire des morceaux, mais cela fait sensiblement baisser le niveau de l’attention. C’est le seul moyen de vous rendre compte que les formules que je vous apporte… que je vais essayer de vous apporter… suivent fréquemment la ligne, je veux dire au plus près, les questions que se pose FREUD. Les questions que se pose FREUD, il se les pose par une démarche souvent sinueuse, il se réfère à des thèmes diversement reçus, psychologiques et autres. Ceux auxquels il se réfère implicitement par la façon dont il se sert des thèmes reçus, sont aussi importants… plus importants encore… que ceux qui lui servent de référence. Ceux qui lui servent de référence sont ceux qu’il a en commun avec ses lecteurs. La façon dont il s’en sert fait apparaître… il faut vraiment n’avoir pas ouvert le texte pour ne pas s’en rendre compte… une dimension qui n’a jamais été – jusqu’à lui – même – suggérée. Cette dimension est précisément celle du rôle du signifiant. Je voudrais aller droit au sujet de ce qui nous occupe aujourd’hui, à savoir quelle est… se demande FREUD… la source du plaisir. « Quel est la source du plaisir ? » nous dit – il. Elle est essentiellement ce que… dans un langage trop répandu de nos jours et dont se serviraient certains quand ils décriraient…… la source du plaisir est à chercher essentiellement dans son côté formel. Ce n’est heureusement pas comme cela que FREUD s’exprime, il s’exprime d’une façon encore plus précise : « La source du plaisir dans le mot d’esprit – va – t – il jusqu’à dire – c’est simplement la plaisanterie. » C’est cela la véritable source du plaisir. Néanmoins bien entendu, le plaisir que nous prenons au cours de l’exercice du mot d’esprit est centré ailleurs. Ne nous apercevons – nous pas de la direction de cette source, et tout au long de son analyse, de cette sorte d’ambiguïté qui est inhérente à l’exercice même du mot d’esprit qui fait que nous ne nous apercevons pas d’où nous vient le plaisir et qu’il faut tout l’effort de son analyse pour nous l’avoir montré ? C’est un élément, une démarche absolument essentielle. Conformément à un système de référence qui va apparaître de plus en plus marqué jusqu’à la fin de l’ouvrage, cette source du plaisir, il l’a rapportée à une période ludique de l’activité infantile, à savoir que c’est quelque chose qui se rapporte à ces premiers jeux avec les mots qui en somme nous reporte directement à l’acquisition du langage en tant que pur signifiant, car c’est à proprement parler au jeu verbal, à l’exercice que nous dirions presque purement… pour ne pas dire émetteur… purement émetteur de la forme verbale qui va apporter – primitif et essentiel – le plaisir. Est – ce donc purement et simplement d’une sorte de retour à un exercice du signifiant comme tel, à une période d’avant le contrôle, que la critique, que la raison va obliger… progressivement par le fait de l’éducation de tous les apprentissages de la réalité… va forcer le sujet à apporter ce contrôle et cette critique à cet usage du signifiant ? Est – ce donc dans cette différence que va consister le principal ressort de l’exercice du plaisir dans le mot d’esprit ? Assurément la chose parait très simple, si c’est à tout ceci que se résumait ce que nous apporte FREUD. Bien entendu ceci est loin d’être ce à quoi il se limite. Il nous dit que là est la source du plaisir, mais il nous montre aussi dans quelle voie ce plaisir est utilisé : ce plaisir sert en quelque sorte à une opération de libération de ces voies anciennes… en tant qu’elles sont encore là en puissance virtuelle, existant, soutenant en quelque sorte encore quelque chose… et par le fait de passer par ces voies, leur donnait un privilège par rapport à celles qui ont été amenées au premier plan du contrôle de la pensée du sujet par son progrès vers l’état adulte. Faire retrouver ce privilège à ces voies, c’est quelque chose qui nous fait rentrer d’emblée… et c’est en ceci qu’intervient toute l’analyse antérieure qu’il a faite du ressort et du mécanisme du mot d’esprit… dans des voies structurantes qui sont celles même de l’inconscient. En d’autres termes, les deux faces du mot d’esprit – c’est lui – même qui s’exprime ainsi – sont d’une part : cette face d’exercice du signifiant avec cette liberté qui porte au maximum toute sa possibilité d’ambiguïté fondamentale et même pour tout dire, son caractère primitif par rapport au sens, l’essentielle polyvalence qu’il a par rapport au sens, la fonction créatrice qu’il a par rapport au sens, l’accent d’arbitraire qu’il apporte dans le sens. C’est l’une de ses faces. L’autre, c’est le fait que cet exercice par lui – même nous introduit, nous dirige, évoque tout ce qui est de l’ordre de l’inconscient. Et ceci est suffisamment indiqué au regard de FREUD par le fait que les structures que révèle le mot d’esprit, la façon dont fonctionne sa constitution, sa cristallisation, ne sont autres que les mêmes qu’il a découvertes lui – même, dans ses premières appréhensions de l’inconscient, à savoir : au niveau du rêve, au niveau des actes manqués, ou réussis, comme vous voudrez l’entendre, au niveau des symptômes mêmes. C’est à ceci que nous avons essayé de donner une formule plus serrée, plus précise, du moment que sous la forme, sous la rubrique de métaphore et de métonymie, nous retrouvons dans leurs formes les plus générales… dans les formes qui sont équivalentes pour tout exercice du langage, et aussi pour ce que nous en retrouverons de structurant dans l’inconscient… ces formes sont les formes les plus générales dans lesquelles donc la condensation, le déplacement, les autres mécanismes que FREUD met en valeur dans les structures de l’inconscient, ne sont en quelque sorte que ses applications. Cette commune mesure de l’inconscient avec ce que nous lui conférons… non pas simplement par les voies des habitudes mentales, mais par ce qu’il y a effectivement de dynamique dans le rapport avec le désir… cette commune mesure de l’inconscient et de la structure de la parole en tant qu’elle est commandée par les lois du signifiant, c’est ceci que nous essayons d’approcher de plus en plus près, « d’exemplarifier », de rendre exemplaire par notre recours à l’ouvrage de FREUD sur le mot d’esprit. C’est ce que nous allons essayer de regarder de plus près aujourd’hui. Si nous mettons l’accent sur ce qu’on pourrait appeler « l’autonomie des lois du signifiant », si nous disons… par rapport au mécanisme de la création du sens… qu’elles sont premières, ceci ne nous dispense pas, bien entendu, de nous poser la question de comment nous devons concevoir, non seulement l’apparition du sens, mais pour parodier une formule qui a été assez maladroitement produite dans l’école logico – positiviste, nous dirions « le sens du sens », non pas que ceci ait un sens. Mais que voulons – nous dire quand il s’agit de sens ? Et aussi bien FREUD, dans ce chapitre sur le mécanisme du plaisir, l’évoque, s’y réfère sans cesse, et n’est pas sans faire état de cette formule si souvent répandue à propos de l’exercice du mot d’esprit : « sens dans le non – sens », comme l’ont dit depuis longtemps les auteurs par une sorte de form
ule qui fait en quelque sorte état des deux faces apparentes du plaisir, la façon : dont il frappe d’abord par le non – sens, dont d’autre part il nous attache et nous récompense par l’apparition de je ne sais quel sens secret… d’ailleurs toujours tellement difficile à définir si nous partons de cette perspective… dans ce non – sens même, ou bien dans le passage frayé par un non – sens qui a cet instant nous étourdit, nous sidère. Ceci est plus près peut – être du mécanisme, et FREUD assurément est aussi beaucoup plus près de lui concéder plus de propriétés, c’est à savoir que le non – sens a le rôle, là un instant, de nous leurrer assez longtemps pour qu’un sens… inaperçu jusque là, ou d’ailleurs très vite aussi passé, fugitif, un sens en éclair, de la même nature que la sidération qui nous a un instant retenu sur le non – sens… nous frappe à travers cette saisie du mot d’esprit. En fait si on regarde les choses de plus près, on voit que FREUD va jusqu’à répudier ce terme de non – sens. Et c’est là aussi que je voudrais que nous nous arrêtions aujourd’hui, car aussi bien c’est bien le propre de ces approximations, qui permettent précisément d’éviter le dernier terme, le dernier ressort du mécanisme en jeu, que de s’arrêter à des formules qui sans aucun doute ont leur apparence, leur séduction psychologique, mais qui ne sont pas à proprement parler, celles qui conviennent. Je vais vous proposer de partir de quelque chose qui ne sera pas un recours à l’enfant dont sans aucun doute nous savons en effet qu’il peut prendre quelque plaisir à ces jeux verbaux, et qu’on peut se référer en effet à quelque chose de cet ordre pour donner sens et poids à une sorte de psychogenèse du mécanisme de l’esprit, mais dont après tout si vous y pensez autrement que par une espèce de satisfaction d’une routine qui est établie par le fait que se référer à quelque chose comme cette activité ludique primitive, lointaine, à laquelle après tout on peut accorder toutes les grâces, il n’est peut – être pas non plus quelque chose qui doive tellement nous satisfaire puisqu’aussi bien il n’est pas sûr que le plaisir de l’esprit auquel l’enfant ne participe que de très loin, soit quelque chose qui doive être exhaustivement expliqué par un recours à la fantaisie. Mais je voudrais arriver à quelque chose qui fasse le nœud entre cet usage du signifiant et ce que nous pouvons appeler une satisfaction ou un plaisir. C’est moi ici, qui reviendrai à cette référence qui semble élémentaire, que si nous recourons à l’enfant il faut tout de même que nous n’oublions pas que le signifiant au début est fait pour servir à quelque chose, il est fait pour exprimer une demande. Arrêtons – nous donc un instant au ressort de la demande. C’est ce quelque chose d’un besoin qui passe au moyen d’un signifiant qui est adressé à l’Autre. Déjà la dernière fois je vous ai fait remarquer que cette référence méritait que nous essayions d’en sonder les temps. Les temps en sont si peu sondés que j’y ai fait allusion quelque part dans l’un de mes articles. Un personnage éminemment [Rudolph Lœwenstein ?] représentatif de la hiérarchie psychanalytique a fait tout un article d’une douzaine de pages environ, pour s’émerveiller des vertus de ce qu’il appelle le « wording », mot qui en anglais correspond à ce que, plus maladroitement en français, nous appelons passage au verbal ou verbalisation.

Il est évidemment plus élégant en anglais qu’il ne l’est en français.  Il s’émerveille qu’une patiente singulièrement braquée par une intervention qu’il avait faite en lui disant quelque chose qui voulait dire à peu près  « Vous avez de singulières, ou même de fortes demandes. »… ce qui en anglais a en plus un accent  plus insistant encore qu’en français …en ait été littéralement bouleversée comme d’une accusation, comme d’une dénonciation, alors que quand il avait repris le même terme quelques moments plus tard en se servant de needs, c’est–à–dire besoins, il avait trouvé quelqu’un de tout docile à accepter son interprétation.   Le caractère de montage qui est donné par l’auteur en question à cette découverte, nous montre bien à quel point l’art du wording est encore à l’intérieur de l’analyse  ou du moins d’un certain cercle de l’analyse, à l’état primitif. Car à la vérité tout est là : la demande est quelque chose qui par soi–même est si relative à l’Autre,  que le fait que ce soit l’Autre qui l’accuse,  il se trouve tout de suite en posture d’accuser le sujet lui–même, de le repousser, alors qu’en évoquant  le besoin il authentifie ce besoin, il l’assume,  il l’homologue, il l’amène à lui, il commence déjà  à le reconnaître, ce qui est une satisfaction essentielle.  Le mécanisme de la demande naturellement…  et le fait que l’Autre par nature s’y oppose,  ou encore on pourrait dire, que la demande par nature exige qu’on s’y oppose pour être soutenue comme demande …est lié justement à l’introduction dans la communication du langage, et illustré à chaque instant par le mode sous lequel l’Autre accède à la demande.  Réfléchissons bien.  C’est dans la mesure où la dimension du langage vient là pour être remodelée, mais aussi pour verser dans le complexe signifiant – à l’infini – le système des besoins,  que la demande est essentiellement quelque chose de sa nature qui se pose comme pouvant être exorbitante.   Ce n’est pas pour rien que les enfants « demandent la lune ». Ils « demandent la lune » parce qu’il est de la nature  d’un besoin qui s’exprime par l’intermédiaire  du système signifiant, de « demander la lune ».   Aussi bien d’ailleurs nous n’hésitons pas à la leur promettre. Aussi bien d’ailleurs sommes–nous tout près de l’avoir !  En fin de compte nous ne l’avons pas encore, la lune, et ce qui est essentiel c’est tout de même  de s’apercevoir de ceci, de le mettre en relief :  après tout dans cette demande de satisfaction d’un besoin, qu’est–ce qui se passe purement et simplement ?   Nous répondons à la demande.  Nous donnons à notre prochain ce qu’il nous demande.   Par quel trou de souris faut–il qu’il passe ?  Par quelle réduction de ses prétentions faut–il qu’il se réduise lui–même pour que la demande soit entérinée ?  C’est ce que met suffisamment en valeur le phénomène du besoin quand il apparaît nu.   Je dirai même que pour y accéder en tant que besoin, il faut que nous nous référions au–delà du sujet  à je ne sais quel Autre :   qui s’appelle le CHRIST, qui s’identifie au pauvre pour ceux qui pratiquent la charité chrétienne,  mais même pour les autres, pour l’homme du désir, pour le Don JUAN de MOLIÈRE : il donne bien entendu au mendiant ce qu’il lui demande, et ce n’est pas pour rien qu’il ajoute « pour l’amour de l’humanité ».   C’est à un Autre… au–delà de celui qui est en face de vous  …en fin de compte, que la réponse à la demande, l’accord de la demande, est déféré.    Et l’histoire…  qui est une des histoires sur lesquelles  FREUD fait pivoter son analyse du mot d’esprit  …l’histoire dite « du saumon mayonnaise », est la plus belle histoire qui en donne ici l’illustration.  Un personnage s’indigne, après avoir à un quémandeur donné quelque argent… dont il a besoin pour faire face à je ne sais quelles dettes, à ses échéances …de le voir donner à l’objet de la générosité,  un emploi autre que celui qui répond en quelque sorte déjà à quelque autre esprit limité.   C’est une véritable histoire drôle, quand le retrouvant  le lendemain dans un restaurant en train de s’offrir…  ce qui est considéré comme  le signe de la dépense somptuaire  …du « saumon à la mayonnaise », avec ce petit accent viennois que peut donner le ton de l’histoire, il lui dit : « Comment ! Est–ce pour cela que je t’ai donné de l’argent ? Pour t’offrir du saumon mayonnaise ! » À quoi l’autre entre dans le mot d’esprit et répond : « Mais alors je ne comprends pas ! Quand je n’ai pas d’argent je ne peux pas avoir de saumon mayonnaise.  Quand j’en ai je ne peux pas non plus en prendre ! Quand donc mangerais–je du saumon mayonnaise ? »  Toute espèce d’exemple du mot d’esprit est encore plus significatif par le domaine même où il se déplace, est encore plus significatif par sa particularité  qui semble être le quelque chose de spécial  dans l’histoire qui ne peut être généralisé.

C’est par cette particularité que nous arrivons au plus vif ressort du domaine auquel nous nous plaçons, et la pertinence de cette histoire n’est pas moindre que celle de n’importe quelle autre histoire  qui toujours nous met au cœur même du problème,  au rapport entre le signifiant et le désir,  et au fait que le désir est profondément changé d’accent, subverti, rendu ambigu lui–même  par son passage par les voies du signifiant.  Entendons bien tout ce que cela veut dire.   C’est toujours au nom d’un certain registre…  qui fait intervenir l’Autre de  l’au–delà de celui qui demande  …que toute satisfaction est accordée,  et ceci précisément pervertit profondément le système de la demande et de la réponse à la demande. « Vêtir ceux qui sont nus. »  « Nourrir ceux qui ont faim. »  « Visiter les malades. »  …je n’ai pas besoin de vous rappeler des sept, huit ou neuf œuvres de miséricorde, il est assez frappant dans leurs termes même que « Vêtir ceux qui sont nus. »,  on pourrait dire…  si la demande était quelque chose qui  devait être soutenu dans sa pointe directe  …pourquoi pas « habiller »…  je veux dire chez Christian DIOR  …ceux ou celles qui sont nus ? Cela arrive de temps en temps, mais en général  c’est qu’on a commencé par les déshabiller soi–même.  De même « Nourrir ceux qui ont faim. » : pourquoi pas « leur soûler la gueule » ? Ça ne se fait pas, ça leur ferait mal, ils ont l’habitude de la sobriété, il ne faut pas les déranger.  Quant à « Visiter les malades. », je rappellerai le mot  de Sacha GUITRY :  « Faire une visite fait toujours plaisir.      Si ce n’est pas quand on arrive, c’est au moins quand on s’en va ! » Le rapport de thématique de la demande  est au cœur de ce qui fait aujourd’hui notre propos.   Essayons donc de schématiser ce qui se passe  dans ce temps d’arrêt qui en quelque sorte  décale par une sorte de voie singulière « en baïonnette »… si on peut s’exprimer ainsi  …la communication de la demande à son accès.  Ce n’est donc pas à quelque chose d’autre que mythique…  mais quelque chose de profondément vrai …que je vous prie de vous reporter pour faire usage de ce petit schéma, et de la façon suivante : supposons la chose tout de même qui doit bien exister quelque part, ne serait–ce que dans notre schéma,  une demande qui passe, car en fin de compte tout est là.   Si FREUD a introduit une nouvelle dimension  dans notre considération de l’Homme, c’est que,  je ne dirai pas que quelque chose passe quand même, mais que ce quelque chose qui est destiné à passer, le désir qui devrait passer, laisse quelque part,  non seulement des traces, mais un circuit insistant.  Partons donc sur le schéma de quelque chose  qui représenterait la demande qui passe.   Mettons… puisqu’enfance il y a : nous pouvons  très bien y faire se réfugier la demande qui passe.   Cet enfant, qui articule quelque chose dont il n’est encore pour lui qu’articulation incertaine,  mais articulation à laquelle il prend plaisir,  à laquelle se réfère FREUD.   Il dirige sa demande : disons qu’elle part…  heureusement elle n’est pas encore entrée en jeu …quelque chose se dessine qui part de ce point  que nous appellerons Δ ou grand D : demande.   Et ceci, qu’est–ce que cela nous décrit ?  Cela nous décrit la fonction du besoin : quelque chose s’exprime  qui part du sujet et qui termine la ligne de son besoin.      C’est précisément ce qui détermine la courbe  de ce que nous avons isolé ici comme « le discours »  et ceci est fait à l’aide de la mobilisation  de quelque chose qui est préexistant.   Je n’ai pas inventé la ligne du « discours »,  la mise en jeu du stock… très réduit à ce moment …du stock du signifiant, pour autant que corrélativement  il articule quelque chose.  Voyez les choses :  si vous voulez monter ensemble sur les deux plans :   de l’intention  [ 1→ 2→ 3 ], si confuse que vous la supposiez, du jeune sujet en tant qu’il dirige l’appel,   le signifiant  [ I→ II→ III ], si désordonné aussi que vous puissiez en supposer l’usage, pour autant qu’il est mobilisé dans cet effort, dans cet appel, progresse en même temps, et ce quelque chose a un sens d’accroissement que je vous ai déjà marqué : l’utilité pour comprendre l’effet rétroactif de la phrase qui se boucle juste à la fin du deuxième temps.   Remarquez que ces deux lignes ne sont pas encore entrecroisées,  en d’autres termes que celui qui dit quelque chose, dit à la fois plus et moins que ce qu’il croit dire.  La référence ici au caractère tâtonnant du premier usage de la langue de l’enfant trouve son plein emploi.  Si en d’autres termes progresse parallèlement  sur les deux lignes l’achèvement de ce quelque chose qui là s’appellera la demande, c’est quand même à la fin du second temps que le signifiant se bouclera  sur quelque chose qui ici achève… d’une façon aussi approximative que vous le voudrez …le sens de la demande, ce qui constitue le message, le quelque chose que l’Autre… disons « la mère » pour de temps en temps  admettre l’existence de bonnes mères …évoque à proprement parler, qui coexiste avec l’achèvement du message.  L’un et l’autre se déterminent en même temps : l’un comme message,  l’autre comme Autre.   Et dans un troisième temps de cette double courbe,  nous verrons quelque chose qui ici s’achève, et aussi ici quelque chose dont nous allons au moins à titre hypothétique indiquer comment nous pouvons  les nommer, les situer dans cette structuration de  la demande qui est celle que nous essayons de mettre tout à fait à la base, au fondement de l’exercice premier du signifiant dans l’expression du désir.  Je vous demanderai, au moins provisoirement, d’admettre comme la référence la plus utile pour ce que nous allons essayer de développer ultérieurement, d’admettre dans le troisième temps  ce cas idéal où la demande en quelque sorte rencontre exactement ce qui la prolonge, à savoir l’Autre qui la reprend à propos de son message.  Je crois que ce que nous devons ici considérer c’est quelque chose qui ne peut pas exactement se confondre ici avec la satisfaction, car il y a dans l’intervention, dans l’exercice même de tout signifiant à propos de la manifestation du besoin, ce quelque chose qui le transforme et qui déjà lui apporte, de par l’appoint du signifiant, ce minimum de transformations, de métaphores pour tout dire, qui fait que ce qui est signifié est quelque chose d’au–delà du besoin brut, de remodelé par l’usage du signifiant. C’est ici pour tout dire que commence à s’exercer,  à intervenir, à entrer dans la création du signifié, quelque chose qui n’est pas pure et simple traduction du besoin, mais reprise, ré–assomption, remodelage  du besoin, de création d’un désir qui est autre que le besoin, qui est un besoin plus un signifiant.   Comme le disait LÉNINE :   « Le socialisme est quelque chose qui probablement est très sympathique,  mais la communauté parfaite a en plus l’électrisation. »  Ici il y a en plus le signifiant dans l’expression du besoin. Et de l’autre côté ici, dans le troisième temps,  il y a assurément quelque chose qui correspond  à cette apparition miraculeuse.   Nous l’avons supposée miraculeuse, pleinement satisfaisante, de la satisfaction par l’Autre  de quelque chose, ce quelque chose qui est là créé.   C’est ce quelque chose qui ici normalement aboutit à ce que FREUD nous présente comme le plaisir de l’exercice du signifiant, pour tout dire de l’exercice de la chaîne signifiante comme tel, dans ce cas idéal de réussite, dans le cas où l’Autre vient ici dans le prolongement même de l’exercice du signifiant.   Ce qui prolonge l’effort du signifiant comme tel, c’est cette résolution ici en un plaisir propre, authentique, le plaisir de cet usage du signifiant. Vous le voyez sur ces quelques lignes limites.  Je vous prie un instant d’admettre à titre d’hypothèse à proprem
ent parler, l’hypothèse  qui restera sous–jacente à tout ce que nous allons essayer de concevoir comme ce qui se produit dans  les cas communs, dans les cas d’exercice réel du signifiant.   Pour l’usage de la demande c’est quelque chose qui sera sous–tendu par cette référence primitive à ce que nous pourrions appeler le plein succès, ou le premier succès, ou le succès mythique, ou la forme archaïque primordiale de l’exercice du signifiant. Ce passage plein, ce passage avec succès de la demande comme telle dans le réel, pour autant qu’il crée en même temps le message et l’Autre, aboutit à :   ce remaniement du signifié d’une part, qui est introduit par l’usage du signifiant comme tel,   et d’autre part prolonge directement l’exercice du signifiant  dans un plaisir authentique.   L’un et l’autre se balancent :   il y a d’une part cet exercice que nous retrouvons en effet, avec FREUD, tout à fait à l’origine du jeu verbal comme tel, qui est un plaisir toujours prêt à surgir.   Et bien entendu, combien toujours…                        par tout ce que nous allons voir maintenant de ce qui se passe pour s’y opposer                                        …combien masquée est d’autre part cette nouveauté qui apparait… non pas simplement dans la réponse à la demande  mais dans la demande verbale elle–même  …apparaît ce quelque chose qui complexifie,  qui transforme le besoin, qui le met sur le plan de ce que nous appellerons à partir de là, le désir.  Le désir étant :   ce quelque chose qui est défini par un décalage essentiel par rapport à tout ce qui est purement et simplement de la direction imaginaire du besoin,   qui est ce quelque chose qui l’introduit par soi–même dans un ordre autre, l’ordre symbolique, avec tout  ce qu’il peut apporter ici de perturbation.  Pour tout dire nous voyons ici surgir à propos de  ce mythe premier auquel je vous prie de vous référer, parce qu’il faut que nous y appuyions là–dessus dans toute la suite, faute de rendre incompréhensible, tout ce qui nous sera par FREUD articulé à propos  du mécanisme propre du plaisir du mot d’esprit.   Je souligne que cette nouveauté qui apparaît  dans le signifié par l’introduction du signifiant  c’est ce quelque chose que nous retrouvons partout,  comme une dimension essentielle accentuée par FREUD  à tous les détours, dans ce qui est manifestation  de l’inconscient.  FREUD nous dit parfois que quelque chose nous apparaît  au niveau des formations de l’inconscient qui s’appelle surprise.   C’est quelque chose qu’il convient de prendre,  non pas comme un accident de cette découverte  mais comme une dimension essentielle de son essence.   Il y a quelque chose d’originaire dans le phénomène de la surprise : qu’il se produise à l’intérieur d’une formation de l’inconscient pour autant qu’en elle–même elle choque le sujet par son caractère surprenant,  mais aussi bien si au moment où pour le sujet vous en faites le dévoilement, vous provoquez chez lui ce sentiment de la surprise.   FREUD l’indique dans toutes sortes de points :   soit dans La science des rêves,   soit dans la Psychopathologie de la vie quotidienne,   soit encore et à tout instant dans le texte du Mot d’esprit.   Cette dimension de la surprise est elle–même consubstantielle à ce qu’il en est du désir pour autant qu’il est passé au niveau de l’inconscient.   Cette dimension, c’est ce que le désir emporte avec lui d’une condition d’émergence qui lui est propre  en tant que désir, c’est proprement celle  par laquelle il est même susceptible d’entrer dans l’inconscient, car tout désir n’est pas susceptible d’entrer dans l’inconscient.   Seuls entrent dans l’inconscient ces désirs qui…  pour avoir été symbolisés …peuvent, en entrant dans l’inconscient, conserver sous leur forme symbolique… sous la forme de cette trace indestructible  dont FREUD reprend encore l’exemple dans le Witz …des désirs qui ne s’usent pas, qui n’ont pas le caractère d’impermanence propre à toute insatisfaction, mais qui, au contraire, sont supportés par cette structure symbolique qui les maintient à un certain niveau  de circulation du signifiant, celui que je vous ai désigné comme devant être – dans ce schéma – situé dans ce circuit entre le message et l’Autre : C’est–à–dire occupant une fonction, une place qui, selon les cas, selon les incidences où il se produit, fait que ce sont par les mêmes voies que nous devons concevoir le circuit tournant de l’inconscient en tant qu’il est là toujours prêt à reparaître. C’est dans l’action de la métaphore :  en tant que c’est pour autant qu’à certains circuits originaux quelque chose vient frapper dans  le circuit courant, banal, reçu, de la métonymie,  que se produit le surgissement du sens nouveau,   en tant enfin que dans le trait d’esprit c’est à ciel ouvert que se produit cette balle renvoyée entre message et Autre qui va produire l’effet original du trait d’esprit.  Rentrons maintenant dans plus de détails pour essayer de le saisir et de le concevoir.   Si nous ne sommes plus à ce niveau primordial, à ce niveau mythique de première instauration dans sa forme propre  de la demande, comment les choses se font–elles ?  Reportons–nous à ce thème absolument fondamental, tout au long des histoires de trait d’esprit on ne voit que cela, on ne voit que des quémandeurs à qui on accorde des choses :   soit qu’on leur accorde ce qu’ils ne demandent pas,   soit que, leur ayant accordé ce qu’ils demandent, ils en fassent un autre usage,   soit qu’ils se comportent vis–à–vis de celui  qui le leur a accordé avec une toute spéciale insolence, reproduisant, si l’on peut dire,                  dans le rapport du demandeur au sollicité, cette dimension bénie de l’ingratitude.   Sinon il serait vraiment insupportable d’accéder  à aucune demande, car observez, comme nous l’a fait remarquer avec beaucoup de pertinence notre ami MANNONI dans un excellent ouvrage, que le mécanisme normal de la demande à laquelle on accède est de provoquer des demandes toujours renouvelées,  car en fin de compte qu’est–ce que c’est que cette demande, pour autant qu’elle rencontre son auditeur, l’oreille à laquelle elle est destinée ?  Ici faisons un petit peu d’étymologie.  Quoique ce ne soit pas dans l’usage du signifiant que réside forcément la dimension essentielle à laquelle on doive se référer, un peu d’étymologie est pourtant bien là pour nous éclairer.  Cette demande si marquée des thèmes de l’exigence dans la pratique concrète, dans l’usage, dans l’emploi du terme… et plus encore en anglo–saxon qu’en d’autres langues, mais aussi bien dans d’autres langues …originairement c’est demandare, c’est se confier, c’est… sur le plan d’une communauté de registre et de langage …d’une remise de tout soi, de tous ses besoins à un autre.   Le matériel signifiant de la demande est emprunté sans doute pour prendre un autre accent qui lui est tout spécialement imposé par l’exercice effectif  de la demande.  Mais ici le fait de l’origine des matériaux employés métaphoriquement… vous le voyez par le progrès de la langue …est bien pour nous instruire de ce dont il s’agit dans ce fameux complexe de dépendance que j’évoquai tout à l’heure avec, selon les termes de MANNONI,  un effet que celui qui demande peut penser qu’effectivement l’autre a vraiment accédé à une de ses demandes,  il n’y a en effet plus de limite :  il peut, il doit, il est normal qu’il lui confie  tous ses besoins.   Tout ce que j’évoquais à l’instant des bienfaits  de l’ingratitude met un terme aux choses,  met un terme à ce qui ne saurait s’arrêter.  Mais aussi bien le quémandeur n’a pas l’habitude de par l’expérience de présenter ainsi sa demande toute nue.   La demande n’a rien de confiant, il sait trop bien  à quoi il a affaire dans l’esprit de l’autre,  et c’est en cela qu’il déguise
sa demande.   C’est–à–dire qu’il demande quelque chose dont il a besoin au nom d’autre chose dont il a quelquefois besoin aussi, mais qui sera plus facilement admis comme prétexte à la demande.   Au besoin cette autre chose, s’il ne l’a pas,  il l’inventera purement et simplement, et surtout  il tiendra compte, dans la formulation de sa demande, de ce qui est le système de l’Autre, celui auquel  je faisais allusion tout à l’heure :   il s’adressera d’une certaine façon à la dame d’œuvre,  d’une autre façon au banquier, tous personnages qui se profilent d’une façon si amusante,  d’une autre façon au marieur,  d’une autre façon à ceux–ci ou à ceux–là.   C’est–à–dire que non seulement son désir sera pris  et remanié dans le système du signifiant, mais dans le système du signifiant tel qu’il est instauré, institué dans l’Autre, c’est–à–dire selon le code  de l’Autre, et simplement  sa demande commencera à se formuler à partir de l’Autre [ 1 ]  pour d’abord se réfléchir [ 2 ] sur ce quelque chose qui depuis longtemps est passé à l’état actif dans son discours : sur le « Je » qui ici et là profère la demande,  pour la réfléchir sur l’Autre et aller par ce circuit s’achever en message [ 3 ].  Qu’est–ce à dire ?   Ceci c’est l’appel, l’intention, c’est le circuit du besoin secondaire dont vous voyez qu’il n’y a pas tellement besoin encore de lui donner trop l’accent de la raison, sinon celui du contrôle, contrôle par le système de l’Autre qui bien entendu implique déjà toutes sortes de facteurs que nous sommes uniquement pour l’occasion fondés à qualifier de rationnels.   Disons que s’il est rationnel d’en tenir compte,  il n’est pas pour autant impliqué dans leur structure qu’ils soient effectivement rationnels. Que se passe–t–il sur la chaîne du signifiant  selon ces trois temps que nous voyons ici se décrire ? C’est quelque chose qui de nouveau mobilise tout l’appareil, toute la disposition, tout le matériel pour arriver ici d’abord à quelque chose, mais à quelque chose qui ne passe pas d’emblée vers l’Autre,  qui vient ici se réfléchir [ γ → β’→ γ ] à ce quelque chose qui,  au deuxième temps, a correspondu à l’appel à l’Autre,  c’est–à–dire à cet objet pour autant :  qu’il est l’objet admissible par l’Autre,  qu’il est l’objet de ce que veut bien désirer l’Autre,  qu’il est l’objet métonymique.  Et c’est de :  réfléchir sur cet objet,  venir au troisième temps converger vers le message,  que nous nous trouvons donc ici… non pas dans cet heureux état de satisfaction  que nous avions obtenu au bout des trois temps de la première mythique représentation de la demande et de son succès avec sa nouveauté surprenante, et son plaisir par lui–même satisfaisant …nous nous trouvons arrêtés sur un message qui porte en lui–même ce caractère d’ambiguïté d’être la rencontre d’une formulation aliénée dès son départ…  en tant qu’elle part de l’Autre, et de ce côté va aboutir à quelque chose qui est en quelque sorte désir de l’Autre, en tant que c’est de l’Autre lui–même qu’a été évoqué l’appel, et d’autre part dans son appareil signifiant même  …d’introduire toutes sortes d’éléments « conventionnels »,  qui sont à proprement parler ce que nous appellerons le caractère de « communauté », ou de déplacement  à proprement parler des objets, pour autant que  les objets sont profondément remaniés par le monde de l’Autre.  Et nous avons vu que le discord entre ces deux points d’aboutissement  de la flèche au troisième temps est quelque chose de si frappant que c’est cela même qui peut aboutir à ce que nous appelons lapsus, trébuchement de paroles, par les deux voies.  Il n’est pas certain que ce soit une signification univoque qui soit formée, elle est tellement peu univoque que le caractère fondamental de maldonne et de méconnaissance du langage en est une dimension essentielle.  C’est sur l’ambiguïté de cette formation de message  que va travailler le mot d’esprit, c’est à partir de ce point,  à des titres divers, que peut être formé le mot d’esprit.   Je ne tracerai pas aujourd’hui encore la diversité des formes sous lesquelles ce message peut être repris tel qu’il est constitué sous sa forme ambiguë essentielle, sous sa forme ambiguë quant à la structure pour suivre un traitement qui a, selon ce que nous a dit FREUD, le but de restaurer finalement le cheminement idéal qui doit aboutir à la surprise d’une nouveauté d’une part, et au plaisir du jeu  du signifiant d’autre part. C’est l’objet du mot d’esprit.  L’objet du mot d’esprit est de nous réévoquer cette dimension par laquelle le désir, sinon rattrape  ce qui s’est passé, du moins indique tout ce qu’il a perdu en cours de route dans ce chemin, à savoir :  ce qu’il a laissé au niveau de la chaîne métonymique d’une part, de déchets, et d’autre part ce qu’il ne réalise pas pleinement au niveau de  la métaphore, si nous appelons métaphore naturelle ce qui s’est passé tout à l’heure dans cette pure et simple, idéale, transition du désir en tant qu’il se forme dans le sujet vers l’Autre qui le reprend et qui y accède.  Nous nous trouvons ici à un stade plus évolué,  au stade où déjà sont intervenues dans la psychologie du sujet ces deux choses qui s’appellent :  le « Je » d’une part,  et d’autre part l’objet profondément transformé qu’est l’objet métonymique.   Nous nous trouvons devant la métaphore …  non pas « naturelle », mais l’exercice courant de  la métaphore, qu’elle réussisse ou bien qu’elle échoue …dans cette ambiguïté du message dont il s’agit  ou non maintenant de faire un sort dans  les conditions qui restent à l’état naturel.   Nous avons toute une partie de ce désir qui va continuer de circuler sous la forme de déchets du signifiant  dans l’inconscient.   Dans le cas du trait d’esprit, par une sorte de forçage…  d’ombre heureuse,  de succès étonnant et purement véhiculé par le signifiant,  de reflets de la satisfaction ancienne,  …quelque chose va passer qui a très exactement pour effet de reproduire ce plaisir premier de la demande satisfaite, en même temps qu’elle accède à  une nouveauté originale.   C’est ce quelque chose que le trait d’esprit de par son essence, réalise, et réalise comment ?   Qu’avons-nous vu jusqu’ici ? Nous avons dit en somme que ce dont il s’agit pour cela, c’est que ce schéma peut nous servir à apercevoir ce quelque chose qui est l’achèvement de la courbe première de cette chaîne signifiante et qui est aussi quelque chose qui prolonge ce qui passe du besoin intentionnel dans le discours.   Comment cela ? Par le trait d’esprit.  Mais comment le trait d’esprit va–t–il venir au jour ?  Ici nous retrouvons les dimensions du sens et du non–sens, mais je crois devons les serrer de plus près.   Si quelque chose a été visé de ce que je vous ai  la dernière fois donné comme indication de la fonction métonymique, c’est à proprement parler ce qui  dans le déroulement de la chaîne signifiante se produit : d’égalisation, de nivellement, d’équivalence,  donc d’autant d’effacements qu’une réduction du sens.   Ce n’est pas dire que ce soit le non–sens, c’est quelque chose qui du seul fait que j’avais pris la référence marxiste… que nous mettons en fonction deux objets  de besoin, de façon telle que l’un devienne  la mesure de la valeur de l’autre, efface de lui ce qui est précisément l’ordre du besoin, et de ce fait l’introduit dans l’ordre de la valeur …du point de vue du sens et par une espèce de néologisme qui présente aussi bien une ambiguïté, peut être appelé « le dé–sens ».   Appelons–le aujourd’hui simplement le « peu de sens ».  Aussi bien verrez–vous… une fois que vous aurez cette clef …la signification de la chaine métonymique, de ce « peu de sens ».  C’est là très précisément ce sur quoi la plupart  des mots d’esprit jouent.  Il convient que le mot d’esprit mette en valeur,  fass
e sortir, non pas le caractère de non–sens… nous ne sommes pas, dans le mot d’esprit, de ces âmes nobles qui – tout de suite après leur grand désert de laquelle – nous auront révélés les grands mystères de l’absurdité générale :  le discours de « la belle âme », s’il n’a pas réussi  à anoblir nos sentiments, a récemment anobli  sa dignité d’écrivain   …mais pour autant ce discours sur le non–sens  n’en est pas moins le discours le plus vain  que nous ayons jamais pu entendre.   Il n’y a absolument pas jeu du non–sens, mais chaque fois que l’équivoque est introduite,  qu’il s’agisse de l’histoire du veau…  de ce veau sur lequel moi–même je m’amusais la dernière fois à en faire presque la réponse de Henri HEINE …disons que ce veau après tout ne vaut guère,  à la date à laquelle on en parle, et aussi bien  tout ce que vous pourrez trouver dans les jeux de mots,  plus spécialement ceux qu’on appelle les jeux de mots de la pensée, consiste à jouer sur cette minceur des mots à soutenir un sens plein. C’est ce peu de sens qui comme tel est repris, et par où quelque chose passe qui réduit à sa portée ce message en tant qu’il est à la fois, réussite, échec, mais force nécessaire de toute formulation de la demande, et qui vient interroger l’Autre à propos de ce peu de sens ici, et la dimension de l’Autre, essentielle.  C’est pourquoi FREUD s’arrête… comme à quelque chose de tout à fait primordial …à la nature même du mot d’esprit, du trait d’esprit  c’est qu’il n’y a pas de trait d’esprit solitaire, le trait d’esprit  est solidaire de quelque chose, quoique nous l’ayons nous–mêmes forgé, inventé… si tant est que nous inventions le trait d’esprit  et que ce ne soit pas lui qui nous invente …nous éprouvons le besoin de le proposer à l’Autre, c’est l’Autre qui est chargé de l’authentifier.  Quel est cet Autre ? Pourquoi cet Autre ? Quel est ce besoin de l’Autre ? Je ne sais pas si aujourd’hui nous aurons assez de temps pour le définir, pour lui donner sa structure et ses limites, mais nous dirons simplement ceci,  au point où nous en sommes :  que ce qui est communiqué dans le trait d’esprit à l’Autre c’est ce qui joue essentiellement d’une façon déjà singulièrement rusée et dont il convient de soutenir devant nos yeux le caractère dont il s’agit.   Ce dont il s’agit toujours… ce n’est pas de provoquer cette invocation pathétique de je ne sais quelle « absurdité fondamentale » à laquelle je faisais allusion tout à l’heure  en me référant à l’œuvre de l’une des grandes « têtes molles » de cette époque …c’est ceci qu’il s’agit de suggérer,  c’est cette dimension de « peu de sens » :  en interrogeant en quelque sorte la valeur comme telle,  en la sommant si l’on peut dire de réaliser sa dimension de valeur,  en la sommant de se dévoiler comme vraie valeur, ce qui est, remarquez–le bien, une ruse du langage,  car plus elle se dévoilera comme vraie valeur, plus elle se dévoilera comme étant supportée par ce que j’appelle le « peu de sens ».   Elle ne peut répondre que dans le sens de « peu de sens », et c’est là qu’est la nature du message propre  du trait d’esprit, c’est–à–dire ce en quoi ici, au niveau  du message, je reprends avec l’Autre ce chemin interrompu de la métonymie, et je lui porte cette interrogation :   « Qu’est–ce que tout cela veut dire ? »  Le trait d’esprit ne s’achève qu’au–delà de ceci,  c’est–à–dire pour autant que l’Autre accuse le coup, répond au trait d’esprit, l’authentifie comme trait d’esprit, c’est–à–dire perçoit ce que dans ce véhicule  comme tel de la question sur le « peu de sens »,  ce qu’il y a là de demande de sens, c’est–à–dire d’évocation d’un sens au–delà de ce quelque chose qui est inachevé, qui dans tout cela est resté en route, marqué par  le signe de l’Autre marquant surtout de sa profonde ambiguïté toute formulation du désir, le liant comme tel et à proprement parler, aux nécessités et aux ambiguïtés du signifiant comme tel, à l’homonymie  à proprement parler, entendez à l’homophonie.   Pour autant que l’Autre répond à cela,  c’est–à–dire sur le circuit supérieur,  celui qui va de A au message, il authentifie quoi ?   Ce qu’il y a là–dedans dirons–nous de non–sens.   Là aussi j’insiste.   Je ne crois pas qu’il faille maintenir ce terme  de non–sens qui n’a de sens que dans la perspective  de la raison, de la critique, c’est–à–dire  que ceci précisément dans ce circuit est évité.  Je vous propose la formule du « pas de sens »,  du « pas de sens » comme on dit :   le « pas de vis »,  le « pas de quatre »,  le « pas de Suze »,  le « Pas de Calais ».   Ce « pas de sens » est à proprement parler ce qui est réalisé dans la métaphore, car dans la métaphore   c’est l’intention du sujet, c’est le besoin du sujet qui…  au–delà de l’usage métonymique,  au–delà de ce qui se trouve dans la commune mesure,  dans les valeurs reçues à se satisfaire,  …introduit justement ce « pas de sens », ce quelque chose qui, reprenant un élément à la place où il est,  en lui substituant un autre, je dirai presque n’importe lequel, introduit toujours cet au–delà du besoin, par rapport  à tout désir formulé, qui est à l’origine de la métaphore.  Qu’est–ce que fait là le trait d’esprit ?  Il n’indique rien de plus que la dimension même :  le « pas » comme tel à proprement parler,  le « pas » si je puis dire dans sa force,  le « pas » vidé de toute espèce de besoin,  …qui ici exprimerait tout de même ce qui dans  le trait d’esprit, peut manifester ce qui, en moi, est latent de mon désir, et bien entendu quelque chose qui puisse trouver écho dans l’Autre, mais pas forcément.  L’important est que cette dimension du « pas de sens » soit reprise, authentifiée.  C’est à cela que correspond un déplacement.   Ce n’est pas au–delà de l’objet que se produit  la nouveauté en même temps que le « pas de sens »,  en même temps que pour les deux sujets :  celui qui parle,  et celui qui parle à l’Autre, qui le lui communique comme trait d’esprit.   Il a parcouru ce segment de la dimension métonymique, il a fait recevoir le peu de sens comme tel.  L’Autre a authentifié le « pas de sens »,  et le plaisir s’achève pour le sujet.   C’est pour autant qu’il est arrivé à surprendre l’Autre avec son trait d’esprit, que lui récolte le plaisir qui est bien le même plaisir primitif que le sujet mythique, archaïque, infantile, primordial…  que je vous évoquais tout à l’heure,  …avait recueilli du premier usage du signifiant. Je vous laisserai sur cette démarche.  J’espère qu’elle ne vous a pas paru trop artificielle, ni trop pédante. Je m’excuse auprès de ceux à qui cette sorte de petit exercice de trapèze donne mal  à la tête : je crois quand même qu’il est nécessaire.  Non pas que je ne vous crois pas en esprit capables de saisir ces choses, mais je ne pense pas que ce que j’appelle votre bon sens soit quelque chose de tellement adultéré par les études médicales, psychologiques, analytiques et autres, auxquelles vous vous êtes livrés, que vous ne puissiez me suivre dans ces chemins par de simples allusions.   Néanmoins les lois de mon enseignement ne rendent pas non plus hors de saison que nous disjoignons d’une façon quelconque ces étapes, ces temps essentiels du progrès de la subjectivité, dans le trait d’esprit.  Subjectivité, c’est là le mot auquel je viens maintenant, car jusqu’à présent, et aujourd’hui encore,  en maniant avec vous les cheminements du signifiant, quelque chose au milieu de tout cela manque…   Manque non pas sans raison, vous le verrez :  ce n’est pas pour rien qu’au milieu de tout cela  nous ne voyons aujourd’hui apparaître que des sujets quasiment absents, des sortes de supports  pour renvoyer la balle du signifiant.   Et pourtant quoi de plus essentiel à la dimension  du trait d’esprit, que la subjectivité ? 
Quand je dis subjectivité, je dis que nulle part n’est saisissable l’objet du trait d’esprit, puisque même  ce qu’il désigne au–delà de ce qu’il formule…  son caractère d’allusion essentielle, d’allusion interne  …est quelque chose qui ici ne fait allusion à rien, si ce n’est à la nécessité du « pas de sens ».  Et pourtant dans cette absence totale d’objet,  en fin de compte quelque chose soutient le trait d’esprit  qui est le plus vécu du vécu, le plus assumé de l’assumé, ce quelque chose  qui en fait à proprement parler une chose tellement subjective, comme le dit quelque part FREUD,  cette conditionnalité subjective essentielle, le mot souverain est là  qui surgit entre les lignes.   « N’est trait d’esprit…   dit–il avec ce caractère acéré des formules qu’on ne trouve presque dans aucun auteur littéraire,  je n’ai jamais vu cela sous la plume de personne  « N’est trait d’esprit que ce que je reconnais moi–même comme trait d’esprit. »  Et pourtant j’ai besoin de l’Autre,  car tout son chapitre qui suit…  celui dont je viens de vous parler aujourd’hui,  à savoir du mécanisme du plaisir, et qu’il appelle « les motifs de l’esprit, les tendances sociales mises en valeur par l’esprit ». On l’a traduit en français par « les mobiles »,  je n’ai jamais compris pourquoi on traduisait « motif » par « mobile » en français  …a pour référence essentielle cet Autre.  Il n’y a pas de plaisir du trait d’esprit sans cet Autre, cet Autre aussi en tant que sujet, sans ces rapports des deux sujets, de celui qu’il appelle la première personne du trait d’esprit, celui qui l’a fait, et celui auquel dit–il, il est absolument nécessaire  qu’on le communique, l’ordre de l’Autre que ceci suggère, et pour tout dire dès maintenant  le fait que cet Autre est à proprement parler… et ceci avec des traits caractéristiques qui ne sont saisissables nulle part ailleurs avec un tel relief  …que, à ce niveau–là, cet Autre est ici  ce que j’appelle l’Autre avec un grand A.  C’est ce que j’espère vous montrer la prochaine fois.

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