samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXI LES QUATRE CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA PSYCHANALYSE 1964 Leçon du 5 février 1964

Leçon du 5 février 1964

 

Je voudrais d’abord vous annoncer, annonce qui n’aura de valeur que pour ceux qui sont au fait de mes habitudes qui sont de m’absenter, en général le temps de ce qui était autrefois deux de mes séminaires, pour aller vers ce mode de repos rituel passé dans nos habitudes qu’on appel­le les sports d’hiver (dont un certain nombre d’entre vous pouvaient s’attendre à ce que ça se passât à peu près à la même date…), j’ai le plai­sir de vous annoncer cette année qu’il n’en sera rien, l’absence de neige m’ayant donné le prétexte de renoncer à cette obligation.

Le hasard des choses a fait que, de ce fait, je puis également vous annoncer un autre événement que je suis bien heureux de porter à la connaissance d’un plus large public. Il se trouve qu’en déclinant auprès de l’agence de voyage cette occasion de lui remettre quelque numéraire, on m’a beaucoup remercié… car en compensation, on avait reçu une demande de voyage de huit membres de la Société Française de Psychanalyse! Je dois dire que cet événement, j’ai d’autant plus de plai­sir à le porter à votre connaissance que c’est ce qu’on appelle une vraie bonne action, celle dont l’Evangile dit que la main gauche doit ignorer ce que fait la main droite…

Huit des plus éminents membres de l’enseignement sont donc à Londres pour discuter des moyens de parer aux effets du mien! C’est là un souci très louable, car c’est évidemment fait dans l’intérêt de la Société Française de Psychanalyse. De faire une communication qui n’a évidemment d’intérêt que pour ceux qui font partie de cette Société, je m’en excuse, mais nous verrons que pour ceux qui, pour l’instant, la diri­gent, c’est un voyage très important. La Société ne recule pour leur soin, leur protection devant aucun sacrifice — à moins qu’alors, je pense, peut-être par réciprocité, la société anglaise aura couvert les frais de ce voyage comme nous avions l’habitude de couvrir ceux de ses membres quand ils venaient s’intéresser de très près au fonctionnement de notre Société.

Ceci étant clos.., j’ai donc passé à cela cinq minutes en raison de cette annonce que j’ai cru devoir faire, de façon que les chants de reconnais­sance […] quelques petits signes de nervosité apparus probablement en relation avec cette expédition…

La dernière fois, je vous ai parlé de « concept » de l’inconscient. Je pense avoir mené à bien au moins quelque chose qui vous donne soup­çon de ce qu’il en est de la vraie fonction de ce concept qui est justement d’être un concept en relation profonde, initiale, inaugurale avec la fonc­tion du concept lui-même, de l’Unbegriff ou le Begriff de l’Un originel du concept, à savoir de la coupure.

Cette coupure, je l’ai profondément liée à la fonction inaugurale et comme telle du sujet, du sujet dans sa relation la plus initiale, consti­tuante, au signifiant lui-même.

Il peut paraître, il paraît à juste titre nouveau que je me sois référé au « sujet » quand il s’agit de l’inconscient. J’ai cru pourtant avoir pu vous faire sentir valablement que, de ce qu’il est du sujet, de ce qu’il est de l’inconscient, cela se passe à la même place, à cette place qui, quant au sujet, a eu par l’expérience de Descartes, une valeur qu’on pourrait dire « archimédique » — si tant est que ç’ait été là le point d’appui qui ait per­mis cette toute autre direction qu’a prise la science et nommément à par­tir de Newton, réduisant en quelque sorte .à un point le fondement de la certitude inaugurale.

Que je donne cette fonction à l’inconscient tout en signalant cette fonction, en quelque sorte pulsative que je n’ai cessé d’accentuer dans mes propos précédents, cette nécessité d’évanouissement qui semble lui être en quelque sorte inhérente, tout ce qui un instant apparaît dans sa fente semblant être destiné, par une sorte de préemption en quelque sorte, à se refermer, comme Freud lui-même en a employé la métapho­re, à se dérober, à disparaître; que ce soit ce point auquel j ‘ai donné cette même fonction indiquant en quelque sorte l’espoir (dont plus d’un pas déjà a été franchi) que ce soit par là que, dans une direction différente, se renouvelle, se constitue cette sorte de cristallisation également tranchan­te, également décisive, également inaugurante, celle qui s’est produite dans la science physique, dans cette autre direction que nous appellerons la science conjecturale du sujet.

Qu’on me laisse rappeler qu’il y a là moins de paradoxes qu’il n’ap­paraît au premier abord. Est-ce que Freud dès le départ ne nous a pas dit, ne s’est pas repéré dans ce matériel où il a commencé de s’avancer avec une hardiesse vraiment sans précédent quand il a compris que c’était dans le champ du rêve qu’il devait trouver, repérer confirmation de ce que lui avait appris son expérience de l’hystérique, qu’est-ce qu’il nous dit alors, concernant nommément l’inconscient?

Lequel est affirmé comme constitué essentiellement non pas par ce que peut évoquer, étendre, repérer, faire sortir du subliminal, de la conscience — mais ce qui lui est, par essence, refusé. Comment Freud l’appelle-t-il? Sinon du même terme dont Descartes désigne ce que j’ai appelé tout à l’heure son point d’appui : des ‘pensées’, Gedanken. Il y a des ‘pensées’ dans ce champ de l’au-delà de la conscience. Ce n’est pas là un argument…

J e vous l’ai articulé d’une façon plus précise, à savoir qu’il est impos­sible de représenter ces ‘pensées’ autrement que dans la même homolo­gie de détermination où le sujet du «je pense» se trouve par rapport à l’articulation du « je doute ». Descartes saisit son « je pense » dans l’énon­ciation du «je doute», non dans son énoncé qui charrie encore tout, de ce savoir, à mettre en doute.

Dis-je que Freud fait ce pas de plus qui nous désigne assez la légiti­mité de notre association quand il nous dit d’intégrer, au texte du rêve, par exemple, ce que j’appellerai «le colophon»? Quand il est mis en marge du texte du rêve, le colophon (le colophon, dans un vieux texte, c’est cette petite main indicative; on l’imprime, on l’imprimait du temps où l’on avait encore une typographie), eh bien, il dit, tenez-en compte, le colophon du doute fait partie du texte, nous indique par ce petit signe d’une façon renforcée.

Comme il [Freud] nous l’indique par tous ses propos concernant la façon de tenir compte de ce récit pourtant toujours possible à mettre en doute qui nous est donné du rêve, [il] nous indique qu’il place sa certi­tude, Gewissheit vous ai-je dit la dernière fois, dans la seule constellation des signifiants tels qu’ils résultent du récit du commentaire, de l’associa­tion, peu importe! de la rétractation, tout vient à fournir du signifiant. Sur quoi compte-t-il pour établir sa Gewissheit à lui?

Car je souligne que l’expérience ne commence qu’avec sa démarche, c’est pourquoi je la compare à la démarche cartésienne. Je ne dis pas qu’elle est l’entrée dans le monde du ‘sujet’ (soulignons du ‘sujet’ comme distinct de la ‘fonction psychique’ à proprement parler, ce mythe, cette nébuleuse confuse), je ne dirai pas que Freud l’introduit puisque c’est Descartes qui l’a introduite.

Mais je dirai que c’est à elle que Freud s’adresse, et pour lui dire ceci, qui est nouveau : « Ici, dans le champ du rêve, tu es chez toi», Wo es war, soll ich werden. Ce qui ne veut pas dire je ne sais quelle ordure de tra­duction « le Moi doit déloger le Ça»! Vous vous rendez compte com­ment on traduit Freud en français quand il s’agit d’une formule comme celle-là, elle est égale à celle des présocratiques pour sa structure, sa pro­fondeur, sa résonance! Il ne s’agit pas du Moi dans ce sol1 ich werden. Il s’agit de ce que le Ich est, sous la plume de Freud (depuis le début jus­qu’à la fin quand on sait, bien entendu! reconnaître sa place), justement le lieu complet, total du réseau des signifiants, c’est-à-dire le sujet.

« Là où c’était» depuis toujours… le rêve, et où les anciens reconnais­saient quoi? Toutes sortes de choses et à l’occasion de messages des Dieux et pourquoi auraient-ils eu tort? Ils en faisaient quelque chose, des messages des Dieux et puis, comme peut-être vous l’entreverrez dans la suite de mon propos, il n’est pas exclu qu’ils y soient toujours, à ceci près que ça nous est égal, ce que Freud nous dit dans ce domaine. Ce qui nous intéresse, c’est le tissu qui englobe ces messages; c’est le réseau où, à l’oc­casion quelque chose est pris. Peut-être la voix des Dieux se fait-elle entendre, mais il y a longtemps qu’on a rendu, à leur endroit, nos oreilles à leur état originel dont chacun sait qu’elles sont faites « pour ne point entendre »…

Mais le sujet, lui, est là pour s’y retrouver « là où c’était… » (j’antici­pe) le réel, et je justifierai ce que j’ai dit là tout à l’heure. D’ailleurs, ceux qui m’entendent depuis quelques temps, savent que j’emploie volontiers la formule « les Dieux sont du champ du réel. » « Là où c’était, le Ich (le ‘sujet’, non pas la psychologie!) le ‘sujet’ doit advenir. »

Et pour savoir qu’on y est, qu’on s’y retrouve, il n’y a qu’une seule méthode, c’est de repérer le réseau. Et un réseau, quand c’est un réseau, ça se repère comment? C’est qu’on retourne, c’est qu’on revient, qu’on croise son chemin, c’est que ça se recoupe toujours de la même façon et il n’y a pas, dans ce chapitre VII de La science des rêves, d’autre confir­mation à sa Gewissheit que ceci: « Parlez toujours, Messieurs, sur ce pro­blème de hasard [V(7illki~r]. Soit disant nous appuierions en priant le sujet d’associer, en puisant, en recueillant dans ses propos telle ou telle chose qui nous convienne. Moi, dans mon expérience, je ne constate là aucune figure, aucun arbitraire, ça se recoupe de telle façon que c’est cela qui échappe au hasard. »

Il faut peut-être encore que je revienne, que je rappelle, que je martè­le… Je me contenterai de réévoquer, pour ceux qui déjà ont entendu mes leçons sur ce sujet, a Lettre 52 à Fliess qui commente le schéma, le sché­ma qui sera dit plus tard, dans la Traumdeutung, «optique». C’est-à-dire qu’il représente cette image, ce modèle, ce fait modèle à l’image d’un certain nombre de couches qui seraient perméables à quelque chose d’analogue à la lumière qui changerait d’indice de réfraction de couches en couches. La seule différence entre les schémas de la Lettre 52, quel­qu’un qui est au premier rang a commenté lors d’une de nos dernières réunions et, puisqu’il nous est présent, dans le schéma auquel je vous prie de vous reporter, c’est que là — et puis en plus c’est dit par Freud!

— que ce lieu où se joue l’affaire du sujet de l’inconscient, n’est pas un lieu spatial, n’est pas une couche anatomique (sinon, comment la concevoir telle qu’elle nous est présentée, située entre perception et conscience comme on dit entre cuir et chair?) un immense étalement, un spectre spa­tial étalé entre ces deux éléments, qui seront plus tard, quand il s’agira d’établir la seconde topique, l’acception perception/conscience, Wahrnehmung/Bewusstsein.

Seulement voilà! Dans l’intervalle est la place, la place de l’Autre où se constitue le sujet. Et dans le premier schéma, celui qu’il nous donne dans la lettre 52, il nous dit qu’il doit y avoir un temps, une étape, où ces Wahrnehmungszeichen, auxquelles il y a lieu de donner tout de suite, d’après ce que je vous ai enseigné, leur vrai nom, à savoir des signifiants… — et même [il] est précisé… car on nous dit que les « traces de la per­ception », comment ça fonctionne? Par la nécessité déduite de son expé­rience que Freud nous donne de séparer absolument perception et mémoire : c’est à savoir que, pour que ça passe dans la mémoire, il faut d’abord que ça soit effacé dans la perception, et réciproquement… alors, il nous désigne un temps où ces Wahrnehmungszeichen doivent être constituées dans la simultanéité. Qu’est-ce que c’est, si ce n’est la syn­chronie signifiante? Et bien sûr, il dit d’autant plus qu’il ne sait pas qu’il le dit, cinquante ans avant les linguistes! Mais quand il y revient dans la Traumdeutung, nous verrons qu’il va jusqu’à en désigner, d’une façon non moins frappante, d’autres couches : là ils se constitueront « par ana­logie ». Nous retrouvons, semble-t-il, les contrastes, les mêmes fonctions de similitude, si essentielles dans la constitution de la métaphore intro­duite d’une diachronie.

Bref, je n’insiste pas car il me faut aujourd’hui avancer, nous trouvons dans les articulations de Freud l’indication sans ambiguïté de ce dont il s’agit: non seulement d’un réseau de signifiants constitué par des asso­ciations en quelque sorte de hasard et de contiguïté, mais qui n’ont pu se constituer de cette façon qu’en raison d’une structure très définie, d’une possibilité également très définie de l’élément temporel, d’une diachro­nie constituante et orientée.

Le seul point que je voudrais encore accentuer, vous faire remarquer (ce qu’il indique avec un caractère qu’il y a vraiment, pour nous, de miracle!) au niveau de la dernière couche de l’inconscient, là où fonc­tionne le diaphragme, à savoir où s’établissent ces prérelations entre pro­cessus primaire et ce qui en sera saisi, recueilli, utilisé au niveau du pré­conscient, « ça doit avoir, dit-il, rapport avec la causalité. »

Pour nous aussi ces recoupements nous assurent de retrouver, sans que nous puissions savoir si c’est de là que nous vient notre chemin, nos fils d’Ariane (parce que bien sûr, nous l’avons lu avant que de faire la théorie que nous donnons du signifiant mais nous l’avons lu sans tou­jours pouvoir sur l’instant, le comprendre) et si c’est par les nécessités de notre expérience que nous avons mis, au cœur de la structure de l’in­conscient, cette béance causale, trouvé l’indication énigmatique, inexpli­quée dans le texte de Freud, c’est aussi là pour nous, l’indication que nous progressons dans le chemin de sa certitude. Car voyons-le bien, « sujet de la certitude » au temps où je vous arrête, il est divisé. La certi­tude c’est Freud qui l’a, et c’est dans cette direction que s’indique ce qui est au cœur du problème que je soulève.

La psychanalyse est-elle (sous-entendu d’ores et déjà) une science? Est-ce qu’on ne peut soulever une question tant que Freud, ce qui est manifeste, reste [à] ce qui distingue la science moderne non pas de celle qui l’a immédiatement précédée, dont je ne parle pas pour l’instant, mais de la Science à son orée, de l’épistomédon.

On discute dans le Théétète [ce] qui distingue l’une de l’autre : c’est que dans la science, quand elle se lève, il y a la présence d’un maître. Or, il est manifeste que, de Freud comme maître, il est manifeste, si tout ce qui s’écrit comme littérature analytique n’est pas une pure et simple tur­lupinade, il est manifeste qu’il est toujours utile, et fonctionnant comme maître. C’est même autour de cela que se pose une question, ce pédicu­le pourra-t-il un jour être allégé?

En face de sa certitude, il y a le sujet dont je vous ai dit tout à l’heure qu’il attend là depuis quelque temps, depuis Descartes. C’est-à-dire que j’ose énoncer comme une vérité qui, je pense, ne hérissera les poils de personne, que la découverte de l’inconscient, le champ freudien, n’était pas possible, sinon un certain temps après l’émergence du sujet cartésien. En ceci qui est supposé acquis dans mon discours (non démontré bien sûr! mais c’est là un champ qui n’est pas le mien, qui est à d’autres) assez largement admis quand même dans le domaine de l’histoire des sciences pour que nous puissions le tenir pour acquis, que la science moderne ne commence qu’après que Descartes ait fait son pas inaugural.

Seulement c’est ça d’où dépend que l’on puisse appeler le sujet à ren­trer chez soi dans l’inconscient. Il est quand même important de savoir qui on appelle. Ça n’est pas l’âme de toujours, ni mortelle ni immortelle, ni ombre ni double, ni fantôme, ni même « psychosphère », prétendue carapace, lieu des défenses et autres schématismes qu’il importe juste­ment de mettre en cette occasion à leur place. D’abord, initialement, c’est le sujet qui est appelé, il n’y a donc que lui qui peut y être élu. Il y aura peut-être comme dans la parabole, « beaucoup d’appelés mais peu d’élus »mais il n’y en aura sûrement pas d’autres que ceux qui sont appelés…

Il faut pour situer, pour comprendre les concepts freudiens, partir de ce fondement que c’est le sujet qui est appelé, le sujet tel que je viens de le définir, le pointer, qui, de l’origine cartésienne, n’est pas dans ces foules qu’on ramenait sans discrimination, tout ce qui s’est au cours d’expériences non seulement séculaires, mais d’expériences toujours les mêmes. Les Dieux dont nous parlions tout à l’heure, simplement ils savent [servent] dans les petits rôles, dans ces foules, qu’on les ramenait en contrebande. Il faut faire ce qu’on fait en le sachant et en le disant l’essentiel de la démarche scientifique.

Alors, comme il s’agit du sujet, ceci donne sa vraie fonction à ce qu’on appelle, dans l’analyse, la remémoration. La remémoration n’est pas la «réminiscence» platonicienne. Ce n’est pas le retour d’une forme, d’une empreinte, d’un xxx (eidos) de beauté et de bien qui nous vient de l’au-delà, d’un Vrai suprême. C’est quelque chose qui nous vient des nécessités structurantes, de quelque chose d’humble, né au niveau des plus basses rencontres, et de toute la cohue parlante qui nous précède, de la structure du signifiant d’un langage et de langues parlées de façon balbutiante, trébuchante, mais qui ne peuvent échapper à un type de nécessité dont les […], le modèle, dont le style est curieusement à retrouver dans les élaborations mises à la place…, de cette réfection tendant à éliminer toute intuition sur lesquelles se resituent de nos jours les mathématiques.

Alors, vous l’avez vu, avec la notion du recoupement, la fonction du retour, Wiederleehr, est essentielle. Ce n’est pas seulement Wiederleehr dans un sens de ce qui a été refoulé. D’ailleurs la constitution même du champ de l’inconscient s’assure de ce Wiederleehr, c’est là que Freud assure sa certitude. Mais il est bien évident alors (comme d’ailleurs c’est également visible dans le texte) et c’est là qu’il l’assure, ce n’est pas de là qu’elle lui vient [mais] de ce qu’il y reconnaît…

Et là j’interpelle celui qui, après mon premier séminaire, m’a posé la question de mon hésitation devant ce qu’il appelait, ce qui le déroutait dans ce qu’il lui semblait y avoir de ‘psychologisme’ dans mon discours. Je parlais du discours de Freud. Qu’il touche ici du doigt qu’à ce niveau, pour pouvoir se mettre en corrélation, en balance avec cette certitude où il progresse dans le sujet, ce qui est en relation, c’est qu’il y reconnaît la loi de son désir, à lui Freud, c’est qu’il n’aurait su avancer avec ce pari de certitude s’il n’y avait été guidé, comme les textes nous l’attestent, par son auto-analyse. Et qu’est-ce que c’est que son auto-analyse, sinon le

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repérage génial, le premier repérage de la loi du désir suspendu au Nom-du-Père?

La certitude de ce sujet, supportée par l’acte de la découverte du sujet, Freud s’y avance, lui, soutenu par un certain rapport à son désir et par ce qui est son acte, à savoir la constitution de la psychanalyse.

J e ne m’étendrai pas plus, encore que j’hésite toujours à quitter ce ter­rain où il faudrait que j’insiste pour vous montrer qu’il n’y a pas moyen d’échapper à cette conception que la notion de Freud de l’hallucination, processus d’investissement régressif sur la perception initiale, implique par là que le sujet y doit être complètement subverti, ce qu’il n’est en effet que dans des moments extrêmement fugaces, mais ce qui laisse entièrement ouverte la question des rapports avec la véritable hal­lucination. A savoir qu’il ne se reconnaît pas comme […], mais il y a un temps, un moment, un mode sous lequel Freud conçoit comme suffisant, comme possible et sans doute n’est-ce là après tout qu’un épinglage mythique, qu’il n’est pas sûr qu’on puisse purement et simplement par­ler du désir de la psychose hallucinatoire et du confusionnel, comme il le dit en le brossant trop rapidement, comme la manifestation de la régression imperceptible du désir arrêté. Mais qu’il puisse le concevoir montre bien à quel point il identifie le sujet à ce qui est originellement subverti par le système du signifiant.

Laissons donc ce temps de l’inconscient et si peu que nous le puis­sions aujourd’hui, avançons-nous dans ce qui est écrit au tableau, à savoir ce vers quoi il faut que je m’avance, vers la question de ce que c’est que la répétition. Cela vaudra plus d’un de nos entretiens. Ce que j’ai à vous dire y est si nouveau! Encore qu’évidemment, aussi assuré depuis l’origine de ce que j’ai articulé du signifiant, que j’ai cru devoir dès aujourd’hui, sans rien garder de mes cartes dans mes manchettes, vous dire comment j’entends, pour vous, la situer, cette fonction de la répéti­tion.

Cette fonction de la répétition n’a rien à faire avec ce caractère ouvert [ou fermé] des circuits que j’ai appelé tout à l’heure Wiederleehr.

Ma thèse, pour être clair et savoir où je vous mène, que vous sachiez où je vous mène, est que cette répétition sous le terme où Freud, je ne dis pas l’introduit, pour la première fois, mais pour la première fois dans l’article de 1914, Erinnern, Wiederholen, Durcharbeiten (qui est bien l’article sur lequel s’est fondée dans l’analyse la plus grande stupidité!) pour aller aboutir au chapitre V de Jenseits des Lustprinzips.

Tâchez de le lire dans une autre langue que le français. Vous l’avez lu, j’espère, déjà mais je vous prie de le relire, ce chapitre V, ligne à ligne et pour ceux qui ne savent pas l’allemand, de le lire dans la traduction anglaise où vous aurez, ceci soit dit en passant, bien à vous amuser…

Car vous y verrez par exemple que le maintien de la traduction de ‘instinct’ pour Trieb et de ‘instinctual’ pour Triebhaft a de tels inconvé­nients pour le traducteur qu’alors que cette traduction est maintenue de façon uniforme et sans exception (ce qui institue cette édition toute entière sur le plan du contresens absolu, il n’y a rien de commun entre le Trieb et l’instinct tout simplement!) que là, le discord apparaît si impos­sible qu’on ne peut même pas mener la phrase jusqu’au bout en tradui­sant Triebhaft par ‘instinctual’. Il faut une note écrite : « ‘Triebhaft’ : At the beginning of the next paragraph, the word ‘Triebhaft’ is Mach more revealing of the urgency than the word ‘instinctual’. » Le Trieb vous pousse plus au cul mes petits amis, c’est toute la différence avec l’instinct soi-disant! Voici comment se transmet l’enseignement psychanalytique!

Voyons comment ce Wiederholen s’introduit. C’est que le Wieder­holen a rapport avec le Erinnerung, la ‘remémoration’.

Le sujet chez soi, la remémorialisation de la biographie, tout ça, ça marche jusqu’à une certaine limite qui s’appelle le réel.

Si je voulais forger devant vous une formule spinozienne concernant ce dont il s’agit, je dirais: Cogitatio adaequata semper vitat eamdem rem. J’ai dit qu’une pensée adéquate en tant que pensée, (au niveau où nous sommes) évite toujours (s’écarte, fût-ce pour se retrouver après en tout) la même chose. Le réel dans ce texte étant ce qui a nécessité en son temps de ma part, la formule, qui par ailleurs n’est pas trop contredite par l’his­toire de la pensée des hommes, que c’est ce qui revient toujours à la même place, à la même place où le sujet en tant qu’il cogite, où le sujet en tant que rêve cogitant, ne le rencontre pas. Toute l’histoire de la découverte de la répétition comme fonction dans la pensée de Freud explique ce motif de structure et ne se définit qu’à pointer ainsi le rapport.

Ce fut beau au début, parce qu’on avait affaire à des hystériques, que le processus de la remémoration! Comme elle était convaincante chez les premières hystériques traitées! Et pourquoi fut ponctué en passant, les deux fois précédentes, que ce dont il s’agit dans cette remémoration, on ne pouvait pas le savoir au départ : que 1e désir de l’hystérique c’était le désir du père à soutenir dans son statut. Rien d’étonnant que, pour celui qui prend sa place, on se remémore les choses jusqu’à la lie…

Qu’à cette occasion, je vous indique la différence qu’il y a — et dans les textes de Freud jamais d’oscillation sur ce point : ‘Répétition’ n’est pas ‘reproduction’, Wiederholen n’est pas Reproduzieren.

Reproduire, c’est ce qu’on croyait pouvoir faire au début, au temps des grands espoirs de la catharsis. On avait la scène primitive en repro­duction comme on a aujourd’hui les tableaux de maître pour 9,50 F… Seulement ce que Freud nous indique quand il fait ses pas suivants, et il ne met pas longtemps à les faire, c’est que nul ne peut être saisi, ni détruit, ni brûlé, sinon de façon, comme on dit, symbolique in effigie, in absentia.

La répétition d’abord apparaît sous cette forme qui n’est pas claire, qui ne va pas de soi, qui ne va pas nous permettre tout de suite de nous asseoir. C’est une reproduction, c’est une présentification en acte et voilà pourquoi j’ai mis ‘l’acte’ (avec un grand point d’interrogation) dans le bas de ce tableau pour vous indiquer que cet acte restera, tant que nous parlerons des rapports de la répétition avec le réel, à notre horizon.

Pour la bonne raison que, que ce soit chez Freud ou chez ses épi­gones, eh bien c’est assez curieux qu’on n’ait jamais même tenté de se remémorer… ce qui est pourtant à la portée de tout le monde concernant l’acte — ajoutons ‘humain’ si vous voulez, puisque, à notre connaissan­ce, il n’y a d’acte que d’homme. Et il s’agirait de comprendre pourquoi un acte n’est pas une conduite, n’est pas un comportement et de nous fixer les yeux par exemple, quitte à y revenir, sur ceci : c’est qu’un acte, lui, qui est sans ambiguïté (un acte : qu’on ne peut par exemple s’ouvrir le ventre que dans certaines conditions, qu’on appelle ça ‘hara-kiri’. Ils font ça parce qu’ils croient que ça va bien embêter les autres), que dans la structure c’est un acte en l’honneur de quelque chose.

Attendons, ne nous pressons pas avant de savoir et repérons ceci qu’un acte, un vrai acte, ça a toujours une part de structure de concer­née, un réel qui n’y est pas pris d’évidence, Wiederholen.

Rien n’a plus fait énigme et spécialement concernant cette bipartition si structurante de toute la psychologie (si je dis psychologie freudienne) du Principe du plaisir au Principe de réalité, rien n’a plus fait énigme, que ce Wiederholen, et tout près, aux dires des étymologistes les plus mesurés, et tout près du ‘haler’, comme on fait sur les chemins de hala­ge, tout près du sujet qui tire toujours son truc autour d’un certain che­min d’où il ne peut pas sortir…

Et pourquoi, d’abord, la répétition nous serait-elle apparue au niveau de ce qu’on appelle ‘névrose traumatique’ dans quelque chose qui se caractérise.., et ici Freud (contrairement à tous les neurophysiologues et pathologues et autres) a bien marqué que si cela fait problème que le sujet reproduise en rêve le souvenir par exemple du bombardement intensif d’où part sa névrose, ça semble à l’état de veille ne lui faire ni chaud ni froid! Quelle est cette fonction de la répétition traumatique si rien, bien loin de là! ne peut sembler la justifier du point de vue du Principe du plaisir? Maîtriser l’événement douloureux? Qui maîtrise? Où est ici le maître à maîtriser?

Pourquoi parler si vite quand précisément nous ne savons où situer l’instance qui se livrerait à cette occasion de maîtriser? Que Freud, au terme de la série d’écrits dont je vous ai donné ici les deux essentiels, (à savoir dans le dernier) nous indique que nous ne pouvons ici concevoir ce qui se passe au niveau des rêves de la névrose traumatique qu’au niveau du fonctionnement le plus primitif, celui où il s’agit d’obtenir la liaison de l’énergie?

Alors ne présumons pas d’avance qu’il s’agit là d’un écart quelconque ou d’une répartition de fonctions telles que celles que nous pouvons trouver, à un niveau d’abord infiniment plus élaboré du réel quand nous voyons.., alors que le sujet en effet ne peut s’en approcher qu’à se divi­ser lui-même en un certain nombre d’instances qui nous permettraient d’en dire ce qu’on dit du royaume divisé, c’est à savoir que toute unité du psychisme, prétendu psychisme « totalisant», « synthétisant » (s’entend, vers la conscience!), que toute cette conception du psychisme y périt.

Enfin! Que voyons-nous dans ces premiers temps de l’expérience? Où la remémoration peu à peu se substitue à elle-même et, approchant toujours plus d’une sorte de focus, du centre où tout événement paraî­trait devoir se livrer, (précisément à ce moment!) se manifeste ce que j’appellerai aussi — entre guillemets, car il faut changer aussi le sens des trois mots de ce que je vais dire, il faut le changer complètement pour lui donner sa portée — « la résistance du sujet » et qui devient, à ce moment-là, répétition en acte.

C’est par ce que j’articulerai la prochaine fois que je réserve de vous montrer comment nous trouvons, à nous approprier à ce propos les admirables et quatrième et cinquième chapitres du livre de la Physique d’Aristote en tant qu’il tourne et manipule les deux termes absolument résistants à sa théorie, pourtant la plus élaborée qui ait jamais été faite de la fonction de la cause, à savoir ce qu’on traduit improprement, respec­tivement par le ‘hasard’ et la ‘fortune’, — l’xxx (automaton), dit­-il. Et nous qui savons ce que c’est, de nos jours, au point où nous en sommes de la mathématique moderne, des machines (à savoir précisé­ment ce réseau de signifiants), nous y sommes là chez nous. Il s’agit, vous le verrez, de voir le rapport, complètement à réviser et à définir autrement que ne le fait Aristote qui pourtant en parle admirablement, entre l’automaton… — et ce qu’il désigne comme la ‘fortune’, la xxx (tuché), à définir justement comme rencontre du réel.

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