samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXXII R.S.I. 1974 – 1975 Leçon du 17 décembre 1974

Leçon du 17 décembre 1974

 

Voilà. Euh, comme ça, comme j’aime pas beaucoup écrire au tableau, je vous écris le minimum. Ce minimum est assez. pour que vous y reconnaissiez à gauche le nœud borroméen [figure II-1]. Il me semble, enfin! pour autant que vous vous souveniez de ce que je dis; enfin, vous prenez des notes, ou tout au moins certains. Il me semble que j’ai justifié en quoi le nœud borroméen peut s’écrire : puisque c’est une écriture, une écriture qui supporte un réel. Ceci déjà, à soi tout seul, désigne que non seulement le Réel peut se supporter d’une écriture mais qu’il n’y a pas d’autre idée sensible du réel.

Ce Réel, ce Réel qu’est le nœud, nœud qui est une construction, ce Réel se suffit à laisser ouvert ce trait, ce trait d’écrit, ce trait qui est écrit qui du Réel supporte l’idée. Ceci du fait que le nœud n’étant fait que de ce que chacun de ses éléments n’est noué que par un troisième, on peut, l’un de ces trois, le laisser ouvert. Puisque c’est un fait que j’ai mis en valeur, que je crois avoir mis en valeur la dernière fois, que chacun de ses éléments peut avoir deux formes : la forme de droite, infinie, et la forme que je désigne (parce que ça me semble la meilleure pour votre imaginaire), que je désigne du « rond de ficelle », ce qui s’avère à l’étude être celle d’un tore.

Ayant fait ce petit bout de nœud avec ce que j’ai dit la dernière fois, histoire de vous le faire resurgir, je me trouve comme ça, ce matin, avoir préféré, plutôt que de vous lire ce que j’ai élaboré à votre intention, il me semble qu’il y a des remarques, des remarques en somme préliminaires, qui pourraient bien vous servir à répondre, à justifier, comme questions, des questions que je suppose vous avez dû vous poser.

Alors ces remarques préliminaires, je ne vais pas les faire nombreuses, je vais en faire trois.

Ça peut venir à l’esprit, enfin de certains qui ouvrent les bouquins, – ils n’ont même pas besoin de les ouvrir, ça traîne sur les couvertures! – ils peuvent se demander…

[Au tableau] Ce nœud que je profère au titre d’y unir le R.S.I. de la façon la plus certaine, à savoir quand le S, c’est le rond blanc que vous voyez là, et que l’Imaginaire, c’est le rond rouge. Ce nœud se tient d’être suffisamment défini, de ne pas présenter d’ambiguïté, quand les deux ronds sont traversés par le Réel, d’une façon, comme je l’ai énoncé la dernière fois, que ce Réel le traverse d’être dessous celui de ces deux ronds qui est dessous et d’être dessus celui qui est dessus. Ceci suffit au coincement, que vous le fassiez à gauche ou à droite. je vous signale en passant que cette gauche comme cette droite, il est impossible de ce seul nœud d’en donner caractérisation: sans ça, nous aurions le miracle attendu qui nous permettrait de faire message de la différence de la gauche et de la droite à d’éventuels sujets capables de recevoir le dit message. Le nœud borroméen ne peut en rien servir de base à un dit message qui permettrait la transmission d’une différence entre la gauche et la droite. Il est donc indifférent de placer à droite ou à gauche ce qui résulte du fait de ce nœud : quelque chose que nous désignerons comme externe, d’être le sens, en tant que c’est à partir de lui que se définissent les termes Réel, Symbolique et Imaginaire.

Le seul fait que je m’avance en ces termes est quelque chose qui doit vous faire poser la question, me semble-t-il, à seulement avoir lu quelques titres de livres : le nœud est-il un modèle ? Un modèle au sens où cela s’entend par exemple des modèles mathématiques, ceux qui fréquemment nous servent à extrapoler quant au Réel ? C’est-à-dire comme dans ce cas, à fonder d’une écriture ce qui peut être imaginé du fait même de cette écriture et qui se trouve dès lors permettre de rendre compte des interrogations qui seront portées par l’expérience à ce réel lui-même – qui de toute façon n’est là que supposition, supposition qui consiste dans ce sens du mot « Réel ».

je prétends pour ce nœud répudier la qualification de modèle. Ceci au nom du fait de ce qu’il faut que nous supposions au modèle: le modèle comme je viens de le dire et ce, du fait de son écriture, se situe de l’Imaginaire. Il n’y a pas d’Imaginaire qui ne suppose une substance. C’est là un fait étrange, mais c’est toujours dans l’Imaginaire, à partir de l’esprit qui fait substance à ce modèle, que les questions qui s’en formulent sont secondement posées au Réel.

Et c’est en cela que je prétends que cet apparent modèle qui consiste dans ce nœud, ce nœud borroméen, fait exception quoique situé lui aussi dans l’Imaginaire, fait exception à cette supposition, de ceci, que ce qu’il propose, c’est que les trois qui sont là fonctionnent comme pure consistance, c’est à savoir que ce n’est que de tenir entre eux qu’ils consistent. Les trois tiennent entre eux réellement. Ce qui implique la métaphore tout de même, et ce qui pose la question de quelle est l’erre, au sens où je l’entendais l’année dernière, quelle est l’erre de la métaphore. Car si j’énonce – ce qui ne saurait se faire que du symbolique, de la parole – que leur consistance à ces trois ronds ne se supporte que du Réel, c’est bien que j’use de l’écart de sens qui est permis entre R.S.I. comme individualisant ces trois ronds, les spécifiant comme tels. L’écart de sens est là supposé pris d’un certain maximum. Quel est le maximum admis d’écart de sens ? C’est là une question que je ne peux dans l’état actuel des choses que poser aux linguistes. Comment le linguiste (et j’en ai un qui m’honore aujourd’hui de sa présence au premier rang) comment un linguiste saurait-il définir les limites de la métaphore ? Qu’est ce qui peut définir un maximum de l’écart de la métaphore, au sens où je l’ai énoncé (référence à L’instance de la lettre) dans mes Écrits; quel est le maximum permis de la substitution d’un signifiant à un autre ? je m’excuse, peut-être ai-je là été un peu vite mais il est certain que nous ne pouvons pas traîner. Nous ne pouvons pas traîner et de ce fait, il faut que je passe à ma deuxième remarque.

Pour opérer avec ce nœud d’une façon qui convienne, il faut que vous vous fondiez sur un peu de bêtise. Le mieux est encore d’en user bêtement, ce qui veut dire d’en être dupe. Il ne faut pas entrer à son sujet dans le doute obsessionnel, ni trop chipoter. Une chose m’a frappé à la lecture d’un ouvrage dont il se trouve que ma fille avait eu vent, par son travail sur Buffon. Elle l’a réclamé à une personne qui lui a d’ailleurs promptement donné des indications sur la parution de ce texte : ce texte est de Maupertuis, lequel à l’Académie de Berlin, fait sous le titre de La Vénus Physique une relation de ce qui en somme est à la pointe, à son époque, de ce qui est connu sur le phénomène de la reproduction des corps vivants. Pour qu’il l’ait introduit du terme de « La Vénus Physique», c’est qu’il se plaît à ne faire état que de la reproduction sexuée.

Il est tout à fait frappant, à mes yeux tout au moins, de voir que cette lecture de Maupertuis (dans l’occasion, pour quelqu’un qui se repère dans l’histoire, certainement la première chose qui s’impose, est la date de cet énoncé, 1756) est le témoignage du temps qu’ont mis ces bêtes parlantes que sont les hommes, (tenons-les pour ainsi définis) pour se rendre compte du spécifique de la reproduction sexuée: il est à mes yeux tout à fait clair que c’est de ne pas être simplement dupe, de ne pas s’en tenir à ce que son temps lui fournit comme matériel. C’est à savoir déjà beaucoup, le repérage au microscope par Leeuwenhoek et Swammerdam, de ce qu’on appelle à l’époque les animalcules, c’est-à-dire les spermatozoïdes et les neufs d’autre part; c’est à savoir ce qui est ordinairement supporté par deux corps qui, de ce fait, se définissent d’être de sexe opposé (sauf exception bien sûr, à savoir que le même corps, ce qui arrive aux escargots comme vous ne l’ignorez pas, puisse supporter les deux).

C’est assurément de ne pas se tenir à ce massif de la distinction de l’animalcule et de l’œuf (pourtant d’ores et déjà présente dans la simple diversité des théories) que Maupertuis, – de n’être pas dupe, de ne pas s’en tenir à ce fait massif, et pour tout dire de ne pas être assez bête – ne sent pas le point à proprement parler de découverte que [cela] constitue pour ce qu’il en est d’une appréhension réelle de la distinction des sexes, ne s’en tient pas à ce qui lui est apporté. S’il était plus dupe, il errerait moins. Non pas certes que son erre soit sotte car il arrive à quelque chose qui est en quelque sorte la préfiguration, si l’on peut dire, de ce qui s’est à un examen ultérieur à de plus puissants microscopes, révélé comme constituant l’existence des gènes. Entre l’« ovisme » et l’« animalculisme » à savoir ce qui met tout l’accent sur un de ces éléments ou tout l’accent sur l’autre, il va jusqu’à imaginer que des faits d’attraction et de répulsion peuvent mener les choses à cette composition dont par ailleurs l’expérience… (l’expérience menée par Harvey, sur l’examen de ce qui s’énonce comme existant d’une première manifestation de ce qu’il appelle le point vivant au fond de l’utérus des biches que Charles ter a mis à sa disposition), il arrive certes à se faire une idée, à la suggérer tout au moins, de ce qui peut se passer – et dont on pourrait dire que ça se passe effectivement au niveau de ce qui serait une morula par exemple, voire à un stade plus loin qui est celui de gastrula – mais justement à deviner… à deviner il n’avance pas.

Ce qui lui échappe c’est que chaque cellule de ce qu’un Harvey découvre (et pour lui, s’en aveugler) comme étant la substance de l’embryon, est le puzzle, la bigarrure apparemment qu’on pourrait en imaginer, c’est à savoir ceci, (et que Maupertuis ne manque pas d’imaginer) c’est que dans ce puzzle, dans ces éléments cellulaires, il y en aurait de mâles et d’autres de femelles. Ce qui n’est certainement pas vrai. Il faut que soit poussé beaucoup plus loin, et à vrai dire d’une façon telle que le point vivant ne puisse d’aucune façon se reconnaître, que nous en soyons au niveau de ces gènes distinguables dans le caryosome au plus intime de la cellule. C’est parce qu’il faut en venir là que l’idée de la bigarrure vers laquelle verse Maupertuis, est une idée simplement prématurée, non pas une erre, justement! C’est, si je puis dire, d’être nondupe qu’il imagine fort mal. Il n’est pas dupe dans la mesure où il ne s’en tient pas strictement à ce qui lui est fourni, qu’il fait en somme des hypothèses. Hypotheses non fingere 1.La répudiation des hypothèses me paraît être ce qui convient et ce que je désigne proprement de ce conseil d’être assez bête pour ne pas se poser de questions concernant l’usage de mon nœud, par exemple. Ce n’est certainement pas à l’aide de ce nœud qu’on peut aller plus loin que de là d’où il sort, à savoir de l’expérience analytique. C’est de l’expérience analytique qu’il rend compte, et c’est en cela qu’est son prix.

Troisième remarque, préliminaire également.

En quoi consiste dans ce nœud, tel qu’il se présente, ce quelque chose qui, de première remarque, a pu me faire poser la question de savoir si c’est un modèle ? C’est, bien entendu, qu’apparemment y domine l’Imaginaire. « Y domine l’Imaginaire » est quelque chose en effet qui repose sur le fait que ça en fonde la consistance. Ce que j’introduis par cette remarque est ceci : c’est que la jouissance au regard de cette consistance imaginaire, ne peut rien faire qu’ek-sister. Soit parodier ceci, c’est qu’au regard du Réel, c’est d’autre chose que de sens qu’il s’agit dans la jouissance. A quoi le signifiant est ce qui reste. Car si le signifiant, de ce fait, est dépourvu de sens, c’est que le signifiant, tout ce qui reste, vient à se proposer comme intervenant dans cette jouissance. Non certes que le «Je pense » suffise à assurer l’ek-sistence – ce n’est pas pour rien que Descartes a là, achoppé – mais jusqu’à un certain point, c’est tout de même vrai que ce ne soit qu’à effacer tout sens que l’ek-sistence se définisse. Aussi bien d’ailleurs lui-même a-t-il flotté entre le Sum, ergo, et l’Exsisto. Assurément la notion de l’ek-sister, ce n’était pas assuré alors. Pour que quelque chose ek-siste, il faut qu’il y ait quelque part un trou. C’est autour de ce trou simulé par le « Je pense » de Descartes, puisque ce «Je pense », il le vide, c’est autour de ce trou que se suggère l’ek-sistence.

Assurément ces trous, nous les avons ici au cœur de chacun de ces ronds. Puisque sans ce trou, il ne serait même pas pensable que quelque chose se noue.

Il s’agit de situer, non pas ce qu’a pensé Descartes, mais ce que Freud a touché, et pour cela, je propose que ce qui ek-siste au Réel, au Réel du trou, soit symbolisé dans l’écriture par un champ intermédiaire, intermédiaire comme mise à plat, parce que c’est tout ce que l’écriture nous permet; il est tout à fait frappant en effet que l’écriture impose, comme telle, cette mise à plat.

Et si ici je suggère que quelque chose suppose, incarne dirais-je, que le Symbolique, par exemple, montre dans l’espace à deux dimensions [figure 11-2] défini par ceci que quelque chose ek-siste de n’être supposable dans l’écriture que de l’ouverture, l’ouverture du rond en cette droite indéfinie, ceci est là ce qui aussi bien par rapport à l’un des éléments du nœud qu’à tous les autres, est ce qui permet de situer ce qui relève de l’ek-sistence.

Pourquoi donc, à droite, ai-je marqué que ce qui est de l’ek-sistence est quelque chose qui se métaphorise de la jouissance phallique ? Ceci est une proposition, qui suppose que j’en dise plus sur cette jouissance. Pour la situer d’une façon qui ne fasse pas d’ambiguïté, c’est d’un trait bleu que je dessine ce qu’il en est du Réel et d’un trait rouge, du Symbolique. Je propose, fût-ce à dessein de le compléter ultérieurement, de situer ici, comme telle, la jouissance phallique, en tant qu’elle est en relation à ce qui au Réel ek-siste; à savoir ce qui se pose du champ produit de ce que le rond Réel, j’appelle comme ça le rond connoté du Réel – de ce qu’il s’ouvre à se poser comme cette droite infinie, isolée, si l’on peut dire, dans sa consistance. C’est au Réel comme faisant trou que la jouissance ek-siste.

Ceci est le fait de ce que l’expérience analytique nous a apporté comme telle. Il y a dans Freud… – je ne vais pas, tout simplement faute de les avoir ici recueillis – il y a dans Freud prosternation, si je puis dire, devant la jouissance phallique, comme telle. C’est ce que découvre l’expérience analytique: la fonction nodale de cette jouissance en tant que phallique. Et c’est autour d’elle que se fonde ce qu’il en est de cette sorte de Réel auquel l’analyse a affaire.

Ce qui est important à voir, c’est que s’il y a quelque chose dont le nœud se supporte c’est justement qu’il y ait au regard de cette jouissance phallique, comme réel, ce quelque chose qui ne la situe que du coincement qui résulte de la nodalité (si je puis dire)… la nodalité propre au nœud borroméen et de ceci que quelque chose qui ici se dessine du rond, du rond de ficelle, du rond en tant que consistance que constitue le Symbolique. C’est dans la mesure où un point tiers, qui se définit comme se définit le sens, est extérieur au plus central des points de cette nodalité, c’est en ce sens que se produit ce qui s’appelle jouissance phallique. La jouissance phallique intéresse toujours le nœud qui se fait avec le rond du Symbolique, pour ne le nommer que tel qu’il doit se faire. Que cette jouissance comme telle soit liée à la production de l’ek-sistence, c’est ce quelque chose que je vous propose cette année de mettre à l’épreuve.

Car vous voyez ce qui en résulte, c’est que ce nœud, tel que je l’énonce, ce nœud se redouble d’une autre triplicité, celle [liée] au sens en tant que c’est du sens que part la distinction des sens qui de ces termes font trois termes. C’est de là que nous devons, pouvons partir. Pour que le nœud consiste comme tel; il y a trois éléments, et c’est comme trois que ces éléments se supportent; nous les réduisons à être trois, là seulement est ce qui fait leur sens. Par contre, à titre d’ek-sistence, ils sont chacun distincts, et aussi bien est-ce à propos de la jouissance comme Réel qu’ils se différencient, et qu’à ce niveau ce que nous apporte l’expérience analytique, c’est que c’est dans la mesure où la jouissance est ce qui ek-situe, qu’elle fait le Réel. Qu’elle le justifie justement de ceci, d’ek-sister. Assurément, il y a là-dessus un passage qui importe, car à quoi ek-situe l’ek-sistence ? Certainement pas à ce qui consiste. L’ek-sistence comme telle se définit, se supporte de ce qui, dans chacun de ces termes, R.S.I., fait trou. Il y a dans chacun quelque chose par quoi c’est du cercle, d’une circularité fondamentale qu’il se définit, et ce quelque chose est ce qui est à nommer.

Il est frappant qu’au temps de Freud, ce qui s’en nomme n’est qu’imaginaire. Je veux dire que la fonction par exemple dite du moi est ce quelque chose que Freud – conformément à cette nécessité, à ce penchant qui fait que c’est à l’Imaginaire que va la substance comme telle – Freud [la] désigne par quoi ? Rien d’autre que ce qui dans la représentation fait trou – il ne va pas jusqu’à le dire mais il le représente dans cette topique fantasmatique qui est la seconde, alors que la première marquait toute sa distance émerveillée auprès de ce qu’il découvrait de l’inconscient. C’est dans le sac, le sac du corps, c’est de ce sac que se trouve figuré le moi, en quoi d’ailleurs ceci l’induit à devoir sur ce moi spécifier quelque chose qui justement y ferait trou d’y laisser rentrer le monde, de nécessiter que ce sac soit, en quelque sorte, bouché de la perception; c’est en tant que tel que Freud, non pas désigne, mais trahit que le moi n’est qu’un trou.

Quels sont les trous qui constituent d’une part, Réel, et de l’autre, Symbolique? C’est ce qu’il nous faudra assurément examiner de très près. Car quelque chose s’ouvre bien sûr à nous, qui semble en quelque sorte aller de soi. C’est à savoir, ce trou du Réel, de le désigner de la vie. Et aussi bien est-ce une pente à quoi Freud lui-même n’a pas résisté, opposant instincts de vie aux instincts de mort. je remarque qu’à interroger par notre nœud ce qu’il en est de la structure nécessitée par Freud, c’est du côté de la mort que se trouve la fonction du Symbolique. C’est en tant que quelque chose est urverdrängt dans le Symbolique qu’il y a quelque chose à quoi nous ne donnons jamais de sens, bien que nous soyons, c’est presque rengaine que de l’énoncer, que nous soyons capables logiquement de dire que «Tous les hommes sont mortels ». C’est en tant que « Tous les hommes sont mortels» n’a, du fait même de ce « tous », à proprement parler aucun sens, qu’il faut au moins que la peste se propage à Thèbes, pour que ce « tous » devienne quelque chose d’imaginable et non pas de pur Symbolique; qu’il faut que chacun se sente concerné en particulier par la menace de la peste, que se révèle du même coup ce qu’a supposé ceci: à savoir que si Œdipe a forcé quelque chose, c’est tout à fait sans le savoir, c’est, si je puis dire, qu’il n’a tué son père que faute d’avoir, si vous me permettez de le dire, faute d’avoir pris le temps de laïusser. S’il l’avait fait le temps qu’il fallait, mais il aurait fallu certainement un temps qui aurait été à peu près le temps d’une analyse, puisque lui-même, c’était justement pour ça qu’il était sur les routes – à savoir qu’il croyait par un rêve justement, qu’il allait tuer celui qui sous le nom de Polybe était bel et bien son véritable père.

Ce que Freud nous apporte concernant ce qu’il en est de l’Autre, c’est justement ceci, qu’il n’y a d’autre qu’à le dire. Mais que ce Tout-Autre, il est tout à fait impossible de le dire complètement, qu’il y a un urverdrängt un inconscient irréductible, et que celui-là, de le dire, c’est à proprement parler ce qui, non seulement se définit comme impossible, mais introduit comme telle la catégorie de l’impossible.

Que la religion soit vraie, c’est ce que j’ai dit à l’occasion. Elle est sûrement plus vraie que la névrose en ceci qu’elle refoule ce fait que ce n’est pas vrai que Dieu soit seulement, si je puis dire, ce que Voltaire croyait dur comme fer. Elle dit qu’il ek-siste, qu’il est l’ek-sistence par excellence, c’est-à-dire qu’en somme il est le refoulement en personne, il est même la personne supposée au refoulement. Et c’est en ça qu’elle est vraie. Dieu n’est rien d’autre que ce qui fait qu’à partir du langage, il ne saurait s’établir de rapport entre sexués. Où est Dieu là-dedans ? Je n’ai jamais dit qu’il soit dans le langage. Le langage, eh bien! justement, c’est ce sur quoi nous aurons à nous interroger cette année. D’où ça peut-il bien venir? Je n’ai certes pas dit que ça venait pour boucher un trou, celui constitué par le non-rapport, le non-rapport constitutif du sexuel, parce que ce non-rapport, il n’est suspendu qu’à lui. Le langage n’est donc pas simplement un bouchon, il est ce dans quoi s’inscrit ce non-rapport. C’est tout ce que nous pouvons en dire. Dieu, lui, comporte l’ensemble des effets de langage, y compris les effets psychanalytiques, ce qui n’est pas peu dire!

Pour fixer les choses, qu’on appelle des idées, n’est-ce pas! et qui ne sont pas du tout des idées, pour fixer les choses là où elles méritent d’être fixées, c’est-à-dire dans la logique, Freud ne croit pas en Dieu. Parce qu’il opère dans sa ligne à lui comme en témoigne la poudre qu’il nous jette aux yeux pour nous en-moiser. L’en-moisement peut être aussi bien l’en-moisement dont je parlais tout à l’heure. Non seulement il perpétue la religion mais il la consacre comme névrose idéale. C’est bien ce qu’il en dit d’ailleurs en la rattachant à la névrose obsessionnelle qui est la névrose idéale, qui mérite d’être appelée « idéale » à proprement parler. Et il ne peut pas faire autrement parce que c’est impossible, c’est-à-dire qu’il est dupe, lui, de la bonne façon, celle qui n’erre pas. C’est pas comme moi! Moi je ne peux que témoigner que j’erre; j’erre dans ces intervalles que j’essaie de vous situer, du Sens, de la Jouissance Phallique, voire du Tiers Terme, que je n’ai pas éclairé, parce que c’est lui qui nous donne la clé du trou, du trou tel que je le désigne. C’est la jouissance en tant qu’elle intéresserait, non pas l’autre du signifiant, mais l’autre du corps, l’autre de l’autre sexe.

Est-ce que quand je dis, j’énonce, j’annonce, qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ceci ne veut pas dire ce fait qui est dans l’expérience, que tout le monde sait, mais dont il faut savoir pourquoi Freud n’en a pas rendu compte. Pourquoi Freud a qualifié de l’Un l’Eros, en se livrant au mythe du corps, du corps uni, du corps à deux dos, du corps tout rond, en osant se référer à cette énormité platonicienne ? Est-ce que ce n’est pas le fait que d’un autre corps quel qu’il soit, nous avons beau l’étreindre, ce n’est rien de plus que le signe du plus extrême embarras ? Il arrive que grâce à un fait que Freud catalogue bien évidemment comme il s’impose, de la « régression », nous le suçotions par-dessus le marché, qu’est-ce que ça peut bien faire? Mis à part de le mettre en morceaux, on ne voit pas vraiment ce qu’on peut faire d’un autre corps, j’entends d’un autre corps dit humain! S’y justifie que, si nous cherchons de quoi peut être bordée cette jouissance de l’autre corps, en tant que celle-là sûrement fait trou, ce que nous trouvons, c’est l’angoisse.

C’est bien en quoi dans un temps, un temps où c’était pas pour rien que j’avais choisi ce thème de l’angoisse, je l’avais choisi, parce que je savais que ça ne durerait pas. je savais que ça ne durerait pas parce que j’avais des fidèles qui s’employaient à faire surgir les motions d’ordre qui pouvaient dans la suite me rendre déclaré inapte à transmettre la théorie analytique. C’est pas du tout que ça m’ait angoissé, ni même embarrassé, ça peut revenir tous les jours enfin! ça ne m’angoisse, ni ne m’embarrasse. Mais je voulais quand même justement à ce propos de l’angoisse, – Inhibition, Symptôme, Angoisse – dire certaines choses qui doivent maintenant enfin témoigner de ceci qu’il est tout à fait compatible avec l’idée que l’inconscient est conditionné par le langage, d’y situer des affects. Ça veut simplement dire ceci, c’est que c’est au langage et que c’est du langage que nous sommes manifestement et d’une façon tout à fait prévalente, affectés. Et en plus, dans ce temps de mon séminaire sur l’Angoisse, si j’ai introduit quelque chose, c’est justement des qualités d’affect, qu’il y avait longtemps que les affectueux, là, les affectionnés, il y avait longtemps qu’ils ne les avaient non seulement pas trouvés, mais qu’ils étaient tout à fait exclus de pouvoir même les entrevoir. C’est bien pourquoi, vous pouvez trouver dans le repérage que) ‘ai fait à l’époque, de ce qu’il en est d’Angoisse, Inhibition, Symptôme que j’ai décalé sur trois plans (Inhibition; Symptôme; Angoisse)

pour pouvoir justement démontrer ce qui est, dès cette époque, sensible, c’est à savoir que ces trois termes, inhibition, symptôme, angoisse, sont entre eux aussi hétérogènes que mes termes de Réel, de Symbolique et d’Imaginaire; et que nommément, l’angoisse c’est ça, c’est ce qui, c’est ce qui est évident, c’est ce qui de l’intérieur du corps ek-siste, ek-siste quand il y a quelque chose qui l’éveille, qui le tourmente. Voyez Petit Hans, quand il se trouve que se rend sensible l’association à un corps, nommément mâle dans l’occasion, défini comme mâle, l’association à un corps d’une jouissance phallique. Si Petit Hans se rue dans la phobie, c’est évidemment pour donner corps, (je l’ai démontré pendant tout une année) pour donner corps à l’embarras qu’il a de ce phallus, et pour lequel il s’invente toute une série d’équivalents diversement piaffants sous la forme de la phobie dite des chevaux; le Petit Hans, dans son angoisse, principe de la phobie, principe de la phobie et [c’est] en ce sens qu’à la lui rendre cette angoisse si l’on peut dire, pure, on arrive à le faire s’accommoder de ce phallus dont, en fin de compte, comme tous ceux qui se trouvent en avoir la charge, celle que j’ai un jour qualifiée de la bandoulière, ben, il faut bien qu’il s’en accommode, à savoir qu’il soit marié avec ce phallus. Ça c’est ce à quoi l’homme ne peut rien. La femme, qui n’ek-siste pas, elle peut rêver à en avoir un, mais l’homme, il en est affligé. Il n’a pas d’autre femme que ça.

C’est ce que Freud a dit, n’est-ce pas! sur tous les tons. Qu’est-ce qu’il dit, en disant enfin! que la pulsion phallique, c’est pas la pulsion génitale, si ce n’est ceci que la pulsion génitale, chez l’homme, c’est bien le cas de le dire, elle est pas naturelle du tout. Non seulement elle n’est pas naturelle, mais s’il n’y avait pas ce diable de symbolique à le pousser au derrière, pour qu’en fin de compte il éjacule et que ça serve à quelque chose, mais il y a longtemps qu’il n’y en aurait plus, n’est-ce pas! de ces parlêtres, de ces êtres qui ne parlent pas seulement à être, mais qui sont par l’être (parlêtres). Ce qui est vraiment le comble du comble de la futilité.

Bon! Ben, il est deux heures moins le quart. Moi je trouve qu’aujourd’hui comme je vous ai à peu près tout improvisé de ce que je vous raconte, je suis assez fatigué comme ça. Tout ça paraîtra sous une autre forme, puisque après tout de celle-ci, je ne suis pas tellement satisfait.

1 – Newton Isaac, (hypotheses non fingo – je ne forge pas d’hypothèse) in Philosophia natura

lis, principia mathematica, 1687 trad. M. F. Biarnais, Paris 1985 CH. Bourgeois, p. 117. -41-

 

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