vendredi, décembre 6, 2024
Recherches Lacan

LXXII R.S.I. 1974 – 1975 Leçon du 8 avril 1975

Leçon du 8 avril 1975

 

Voilà! Je suis frappé d’une chose, c’est que (j’ai cherché pourtant, j’ai cherché des traces, des traces quelque part dans ce que j’appelle cogitation, la cogitation de qui ? je le dirai tout à l’heure) la cogitation reste engluée d’un imaginaire qui est, comme je l’ai, disons, suggéré depuis longtemps, Imaginaire du corps. Ce qui se cogite, – il ne faut pas croire que je mette l’accent sur le Symbolique – ce qui se cogite est en quelque sorte, retenu par l’Imaginaire comme enraciné dans le corps. Eh bien! il me frappe de n’avoir, de ne pouvoir, dans la littérature qui n’est pas seulement philosophique, – la philosophie ne se distingue d’ailleurs en rien de l’artistique, de la littéraire… Je vais mettre l’accent là-dessus, progressivement, n’est-ce pas ? Et pour abattre mes cartes tout de suite, je vais annoncer quelque chose que je reprendrai tout l’heure…

On n’imagine pas, c’est le cas de le dire, parce qu’il faut un petit recul, on n’imagine pas à quel point l’Imaginaire est engluant, et d’un engluement que je vais tout de suite désigner : celui de la sphère et de la croix. C’est formidable! Je me suis, enfin pourquoi ne pas le dire, je me suis baladé dans Joyce parce qu’on m’a sollicité, comme ça, de prendre la parole pour un congrès Joyce qui doit avoir lieu en juin. Je ne peux pas dire «c’est pas imaginable», ce n’est que trop imaginable! C’est pas Joyce qui est le responsable. D’être englué comme ça dans la sphère et la croix, on peut dire que c’est parce que il a lu beaucoup Saint Thomas. Parce que c’était ça l’enseignement chez les jésuites où il a fait sa formation. Mais c’est pas dû seulement à ça, vous êtes tout aussi englués dans la sphère et dans la croix. Elle est là sur la petite page [figure IX-1], un cercle, section de sphère, et puis à l’intérieur, la croix. En plus, ça fait le signe +. Vous ne pouvez pas savoir jusqu’où vous êtes retenus dans ce cercle et dans ce signe +.

Il peut arriver, n’est-ce pas! que par hasard un artiste, qui plaque quelque chose en plâtre sur un mur, fasse quelque chose qui par hasard ressemble à ça [figure IX-2]. Mais personne ne s’aperçoit que ça, c’est déjà le nœud borroméen.

Essayez, comme ça, de vous y mettre. Quand vous voyez ça comme ça, qu’est-ce que vous en faites imaginairement ? Vous en faites deux choses qui se crochent, ce qui revient à les plier, [figure IX3] ce A et ce B, à les plier de cette façon-là. Moyennant quoi, le cercle, le rond, le cycle, je reviendrai tout à l’heure sur ce que ça veut dire, n’a plus qu’à glisser sur ce qui est ainsi noue.

Il n’est pas, si je puis dire, naturel, (qu’est-ce que ça veut dire naturel ? Dès qu’on s’approche, enfin! ça disparaît, mais enfin, naturel à votre imagination), il n’est pas naturel de faire exactement le contraire, c’est-à-dire, le cercle, le cycle, de le distordre ainsi [figure IX-4], ce qui semblerait s’imposer tout autant, enfin! si de A et de B, on fait un usage simplement différent. C’est un fait ça, c’est un fait dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est curieux que je m’intéresse au nœud borroméen parce que dites-vous bien que le nœud borroméen, c’est pas forcément ce que je vous ai dessiné cent fois. Enfin n’est-ce pas! Ça, c’est un nœud borroméen aussi [figure IX-5], tout aussi valable que celui sous la forme sous laquelle je le mets à plat d’habitude, c’est un vrai nœud borroméen, je veux dire, ça.

Regardez-y de près, j’ai déjà dit que si j’ai été un jour, comme ça, saisi par le nœud borroméen, c’est tout à fait lié à cet ordre d’événement (ou d’avènement, comme vous voudrez) qui s’appelle le discours analytique, et en tant que je l’ai défini comme lien social, de nos jours émergeant. Ce discours a une valeur historique à repérer. C’est vrai que ma voix est faible pour le soutenir, mais c’est peut-être tant mieux parce que si elle était plus forte, ben! j’aurais peut-être en somme moins de chance de subsister; je veux dire qu’il me paraît difficile, par toute l’histoire comme ça, que les liens sociaux jusqu’ici prévalents ne fassent pas taire toute voix faite pour soutenir un autre discours émergeant. C’est ce qu’on a toujours vu jusqu’ici et c’est pas parce qu’il n’y a plus d’Inquisition qu’il faut croire que les liens sociaux que j’ai définis, le discours du maître, le discours universitaire, voire le discours hystérico-diabolique, n’étoufferaient pas, si je puis dire, ce que je pourrais avoir de voix. Ceci dit, enfin! moi là-dedans, je suis sujet. je suis pris dans cette affaire, comme ça, parce que je me suis mis à exister comme analyste. Ça ne veut pas dire du tout que je me crois une mission de vérité. Il y a eu des gens comme ça, enfin! dans le passé, de tombés sur la tête. Pas de mission de vérité parce que la vérité, j’y insiste, ça ne peut pas se dire, ça ne peut que se mi-dire. Alors, réjouissons-nous que ma voix soit basse…

Dans toute philosophie… Jusqu’à présent comme ça, il y a la philosophie, la bonne hein! la courante, et puis, de temps en temps, il y a des dingues qui justement se croient une mission de vérité : l’ensemble est simplement bouffonnerie! Mais que je le dise n’a aucune importance, heureusement pour moi, on ne me croit pas! Parce qu’en fin de compte, croyez-le pour l’instant, la bonne domine, la bonne philosophie, elle est bien toujours là.

J’ai été faire, comme ça, une petite visite pendant ces vacances, histoire de lui faire un petit signe avant que nous nous dissolvions tous deux, au nommé Heidegger. Je l’aime beaucoup, enfin! il est encore très vaillant… Il a quand même ceci qu’il essaie d’en sortir. Il y a quelque chose en lui comme un, comme un pressentiment de la « sicanalisse », comme disait Aragon. Mais ce n’est qu’un pressentiment parce que Freud, (enfin il ne sait pas où donner de la tête quand il …) ça l’intéresse pas.

Pourtant quelque chose par lui, par Freud, a émergé, n’est-ce pas ? Oui! dont je tire les conséquences, à peser ça dans ses effets qui ne sont pas rien. Mais ça suppose, ça supposerait que le psychanalyste ek-siste, ek-siste un tout petit peu plus. Enfin! il a quand même commencé… c’est déjà ça, hein! commencé d’ek-sister, là, tel que je l’écris. Mais comment faire pour que ce nœud auquel je suis arrivé, (là, non bien sûr sans me prendre les pattes tout autant que vous!) comment faire pour qu’il le serre, ce nœud, au point que le parlêtre comme je l’appelle, ne croit plus, ne croit plus quoi? Qu’hors « l’être de parler », il croit à l’être, hein! C’est grossier de dire que c’est uniquement parce qu’il y a le verbe être ? Non, c’est pour ça que j’ai dit « l’être de parler ». Il croit que parce qu’il parle, ben ! c’est là qu’est le salut. C’est une erre et même je dirais un trait-une-erre. Oui! C’est grâce à ça que ce que j’appellerai un décodage orienté a prévalu dans ce qu’on appelle la pensée, pensée qu’on dit humaine. Je me laisse aller comme ça, la mouche me pique de temps en temps, et cette erre je dirai qu’elle mériterait plutôt d’être épinglée du mot « trans-humant », sa prétendue humanité ne tenant qu’à une naturalité de transit, comme ça – et en plus, qui postule la transcendance…

Mon « succès » si je puis dire, qui n’a bien sûr aucune connotation de réussite à mes yeux et pour cause… Je ne crois, comme Freud, qu’à l’acte manqué, mais à l’acte manqué en tant qu’il est révélateur du site, de la situation du transit en question. Avec transfert à la clé bien sûr, tout ça, ça fait du trans. Il faut simplement ce trans le ramener à sa juste mesure. Mon succès donc, ma succession, c’est ça que ça veut dire, restera-t-il dans ce transitoire ? Eh ben ! c’est ce qui peut lui arriver de mieux, parce que de toute façon il n’y a aucune chance que l’humant-trans aborde jamais quoi que ce soit. Donc, autant vaut la pérégrination sans fin! Simplement Freud a fait la remarque qu’il y a peut-être un dire qui vaille de ça, (que je vais dire) de n’être jusqu’ici qu’interdit. Ça veut dire « dit entre », – rien de plus – entre les lignes. C’est ce qu’il a appelé, comme ça, le « refoulé ». Bien sûr, je ne me monte pas le bourrichon. Mais pourquoi, si vraiment comme je viens de le dire, il n’y a, même dans les gens qui seraient faits en quelque sorte pour le rencontrer, pas trace de ce nœud borroméen, malgré ce que je vous dis : depuis que la sphère et la croix, ça traîne partout, on aurait dû s’apercevoir que ça pouvait faire nœud borroméen, comme je viens de vous l’expliquer.

Bon! il se trouve que j’ai fait cette trouvaille du nœud borroméen, sans la chercher, bien sûr! Ça me paraît comme ça, (faut aussi que ça vous paraisse, bien sûr!) ça me paraît trouvaille notable de récupérer, non pas l’air de Freud, a-i-r, mais justement son erre, ce qui en ek-siste, rigoureusement affaire de nœud.

Bon! maintenant passons à quelque chose, comme ça, à se mettre sous la dent – et c’est ça [figure IX-2] qui est l’important. : pourquoi, diable! personne n’en a-t-il tiré ce plus qui consiste à écrire ce signe comme ça, de la bonne façon? [figure IX-4].

Il y a quand même quelqu’un, comme ça, qui un jour, vous ne vous en souvenez pas, bien sûr, parce que vous avez pas lu tout Aragon, – qui est-ce qui lit tout Aragon! – il y a un passage d’Aragon, jeune, qui s’est mis à fumer, je veux dire à s’échauffer, à prétendre qu’un temps… qui a été jusqu’à supprimer les carrefours, quadrivii. Il pensait aux autoroutes, parce que c’est un mot assez marrant autoroute hein! Qu’est-ce que ça veut dire une auto-route ? Une route en soi ou une route pour soi? Enfin, qui trouvait ce temps, il y a encore beaucoup de carrefours, beaucoup de coins de rues, bien sûr! Enfin, je ne sais pas ce qui lui a pris, comme ça, de penser qu’il n’y aurait plus de carrefours, qu’il y aurait toujours des passages souterrains, que ce temps mériterait un meilleur -139-

sort que de rester dans la théologie générale ? Ce qu’il y a de curieux c’est qu’il n’en a pas du tout tiré de conclusion. C’est le mode surréaliste, n’est-ce pas ? Ça n’a jamais abouti à rien. Il n’a pas spatialisé le nœud borroméen de la bonne façon. Grâce à quoi, n’est-ce pas, nous en sommes toujours, à être, comme me le disait Heidegger, là, que j’ai extrait tout à l’heure de sa boîte, à être In-der-Welt, à l’In-der-Welt-sein. C’est une cosméticologie, cosméticuleuse en plus. C’est une tradition comme ça, grâce à quoi? Grâce à ce Welt : il y a l’Umwelt et puis il y a l’Innenwelt. Ça devrait faire suspect, cette répétition de la bulle. Oui, j’ai appris que dans les bandes dessinées c’est par des bulles, je ne m’en étais jamais aperçu, parce que, je dois dire la vérité, je ne regarde jamais les bandes dessinées. J’ai honte enfin! j’ai honte parce que c’est merveilleux n’est-ce pas ? C’est même pas des bandes dessinées, c’est des photomontages, enfin c’est sublime! C’est des photo-montages, j’ai lu ça dans Nous deux; des photo-montages avec paroles! Et alors les pensées, c’est quand il y a des bulles!

Je ne sais pas pourquoi vous riez, parce que vous, ça vous est familier! Du moins, je le suppose, parce que… Oui! La question que le pose là sous cette forme de bulle, c’est: qu’est-ce qui prouve que le Réel fait univers ? C’est là, la question que je pose, c’est celle qui est posée à partir de Freud; en ceci qui n’est qu’un commencement, c’est que Freud suggère que cet univers a un trou. Par-dessus le marché, un trou qu’il n’y a pas moyen de savoir. Alors je suis ce trou à la trace, si je puis dire, et je rencontre, c’est pas moi qui l’ai inventé, je rencontre le nœud borroméen qui, comme on dit toujours, me vient là comme bague au doigt… Nous voilà encore dans le trou!

Seulement il y a quand même quelque chose, quand on y va comme ça à suivre les choses à la trace, c’est qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas qu’un truc pour faire un cycle. C’est pas forcément et seulement le trou.

Oui si vous en prenez deux, de ça, de ces cycles, de ces choses qui tournent, de ce cercle en question [figure IX-2], et si vous les nouez tous les deux, de la bonne façon… Faut pas se tromper bien sûr – et je dois vous dire que je me trompe tout le temps, il n’y a pas que Jacques Alain Miller ! La preuve que… Regardez ça! Quand j’ai voulu tout à l’heure vous faire le nœud borroméen, celui-ci, là, à la noix, je me suis foutu le doigt dans l’œil ! Car fait comme ça, c’est pas un nœud borroméen! à savoir que vous pouvez toujours en couper un, les deux autres resteront noués. C’est pas le bon truc ! Mais enfin, à condition de les plier de la bonne façon, vous vous apercevez que si vous y ajoutez cette droite [figure IX-6], rien d’autre que cette droite, eh ben ! c’est un nœud borroméen. La droite bien sûr ! infinie, comme je l’ai dit, énoncé au début de ce séminaire. Ça fait un nœud borroméen tout aussi valable que celui que je dessine d’habitude et que je ne vais pas recommencer. Si la droite est une droite infinie, et comment ne pas s’y référer comme la ficelle en elle-même, la consistance réduite à ce qu’elle a de dernier, eh ben ! ça fait un nœud ! Naturellement, il nous est beaucoup plus commode, cette consistance, de la fermer. je veux dire de nous apercevoir qu’il suffit ici de faire boucle pour retrouver le nœud familier, le nœud de la façon dont je le dessine d’habitude [figure IX-6].

L’intérêt, n’est-ce pas, de le représenter ainsi, c’est de s’apercevoir qu’à partir de là [figure IX-7], la façon, la première, d’écrire le nœud borroméen se répercute sur ce cycle [figure IX-6], et que c’est une des façons de montrer comment le nœud peut être, si je puis dire, doublement borroméen, c’est-à-dire que nous passons au nœud bobo à quatre.

Voilà! Je vous ai montré là [figure IX-8] une autre illustration de ce nœud à quatre. Mais la question que ça pose, c’est quel est l’ordre d’équivalence de la droite [figure IX-6], de la droite infinie, telle qu’elle est là, de la droite au cycle? Il y a quelqu’un, un homme de génie qui s’appelait Desargues, auquel j’ai déjà fait allusion dans son temps (enfin « dans son temps », dans le temps où j’y ai fait allusion…) à qui il était venu l’idée que toute droite, toute droite infinie faisait clôture, faisait boucle en un point à l’infini. Comment est-ce que cette idée a pu lui venir? C’est une idée absolument sublime autour de laquelle j’ai construit tout mon commentaire des « Ménines », celui dont on dit que (enfin, à en croire les gratte-papier), c’était tout à fait incompréhensible. Je ne sais pas. A moi il m’a pas semblé, tout au moins! Quelle est l’équivalence de la droite au cercle ? c’est évidemment de faire nœud. C’est une conséquence, n’est-ce pas, du nœud borroméen. C’est un recours à l’efficience, à l’effectivité, à la Wirklichkeit.

C’est pas ça, c’est pas ça l’important! car si nous les trouvons équivalents dans l’efficience, dans l’efficience du nœud, quelle est la différence? Je ne vous dis pas du tout que je sois satisfait hein! j’approche, j’approche, aussi péniblement mon Dieu! que ça vous donnera de peine, tout ce qui concerne le penser-le-noeud-borroméen. Parce que je vous l’ai dit, c’est pas facile de l’imaginer, ce qui donne une juste mesure de ce qu’est toute pensation, si je puis dire. C’est quand même curieux enfin! que même Desargues, n’est-ce pas ? Sa Regula decima, – à savoir celle que je vous ai pointée, même lue, concernant (ce qui n’est pas dit en toutes lettres), concernant l’usage du fil, l’usage du tissage, l’usage de ce qui aurait pu le conduire au nœud, et au nœud borroméen en particulier, il n’en ait jamais rien fait. Qu’il n’en ait jamais rien fait, c’est un signe.

Bon! Alors, la différence? Je ne vous dis pas que c’est mon dernier mot, n’est-ce pas, la différence ? C’est dans le passage de l’un à l’autre, et dans ceci que pour l’instant je me contente d’illustrer, – d’illustrer sans le- faire d’une façon définitive, c’est qu’entre les deux, il y a un jeu. Et puisque tout ce jeu n’aboutit qu’à leur équivalence, c’est peut-être dans ce parcours de quelque chose qui, de faire cycle, boucle un trou. C’est peut-être dans le jeu de l’ek-sistence, de l’erre en somme, du fait qu’il y a un jeu, enfin! que ça se promène, que ça s’ouvre comme on dit, que la différence consiste, une différence d’ek-sistence : l’une ek-siste, s’en va dans l’erre jusqu’à ne rencontrer que la simple consistance, et l’autre, l’autre, le cycle, est centré sur le trou.

Bien sûr, personne ne sait ce que c’est ce trou. Que le trou, ça soit ce sur quoi l’accent soit mis dans le corporel par toute la pensée analytique, ben ! ça le bouche plutôt, ce trou! C’est pas clair. Du fait que ce soit l’orifice auquel se soit suspendu tout ce qu’il y a de «préœdipien » comme on dit, que toute la perversité s’oriente, qui est celle de toute notre conduite, intégralement, c’est bien étrange! C’est pas ça qui va nous éclairer de la nature du trou.

Il y a autre chose comme ça qui pourrait venir à l’idée, de tout à fait non représentable, c’est ce qu’on appelle enfin! comme ça d’un nom qui ne papillote qu’à cause du langage, c’est ce qu’on appelle la mort. Ben ! ça le bouche pas moins! Parce que la mort on ne sait pas ce que c’est.

Il y a quand même un abord, un abord qui s’exprime dans ce que la mathématique a qualifié de topologie, qui envisage l’espace autrement. Notez cet « autrement », ça vaut bien la peine qu’on le retienne. Eh bien! on ne peut pas dire que ça nous mène à des notions si aisées. On voit bien là le poids de l’inertie imaginaire. Pourquoi est-ce que la géométrie s’est trouvée si à l’aise dans ce qu’elle combine ? Est-ce que c’est par adhérence à l’Imaginaire, ou est-ce que c’est par une sorte d’injection de Symbolique? C’est ce qui mériterait d’être posé comme question à un -143-

mathématicien. Quoi qu’il en soit, le caractère tordu de cette topologie (l’instauration de notions comme celle de voisinage, voire de point d’accumulation), cet accent mis sur quelque chose, on voit très bien quel est le versant, sur la discontinuité comme telle, alors que manifestement il y a là une résistance : la continuité, c’est bien le versant naturel de l’imagination.

Bon, je ne vais pas m’étendre plus. Ce que je remarque, c’est que la difficulté de l’introduction, comme ça, du mental à la topologie, le fait que ça ne soit pas plus aisément pensable donne bien l’idée qu’il y a à apprendre de cette topologie pour ce qu’il en est de notre refoulé.

La difficulté effective, n’est-ce pas, de cogiter sur le nœud borro, là, redoublée du fait que l’accessibilité constituée par la sphère et la croix le rende comme un exemple d’une mathésis manquée, (manquée d’un poil, inexplicablement, jamais familière en tout cas), pourquoi ne pas voir dans l’aversion que ceci entraîne, manifeste, la trace de ce refoulement premier lui-même? Et pourquoi ne pas s’engager dans ce sillage, tout comme le chien qui flaire une trace ? A ceci près bien sûr, que c’est pas le flair qui nous caractérise, et que cet effet de flair qu’il y a chez le chien, il faudrait en rendre compte. Comment? Ça peut imiter, imiter un effet de perception qui serait là le supplément à un manque qu’il faut bien que nous admettions si nous sommes, c’est là la question, dessillés. Si nous ouvrons les yeux à l’ek-sistence de l’Urverdrängt, de quelque chose d’affirmé par l’analyse qui est qu’il y a un refoulement non seulement premier mais irréductible. C’est ça qu’il s’agirait de suivre à la trace, et c’est en somme ce que le fais devant vous à la mesure de mes moyens. Naturellement, tout de même, je prends soin de vous dire que je ne me monte pas le bourrichon, je veux dire que je ne crois pas que j’ai trouvé là le dernier mot, non pas! De penser qu’on a trouvé le dernier mot, ce serait à proprement parler de la paranoïa. La paranoïa, c’est pas ça, la paranoïa, c’est un engluement imaginaire. C’est la voix qui sonorise, le regard qui devient prévalent, c’est une affaire de congélation d’un désir. Mais enfin, quand bien même ça serait de la paranoïa, Freud nous a dit de ne pas nous inquiéter. Je veux dire que (pourquoi pas ?), ça peut être une veine à suivre, hein! Il y a pas lieu d’en avoir tellement de crainte si ça nous conduit quelque part! Il est tout à fait net que ça n’a jamais conduit qu’à… ben ! qu’à la vérité. Ce qui en fait bien la mesure de la vérité elle-même, à savoir ce que démontre la paranoïa du Président Schreber, c’est qu’il n’y a de rapport sexuel qu’avec Dieu. C’est la vérité! Et c’est bien ce qui met en question l’ek-sistence de Dieu, nous sommes là dans un raté de la création, si je puis m’exprimer ainsi. Le dire, c’est se fier à quelque chose qui, probablement, nous dupe. Mais, n’en être pas dupe, ça n’est rien qu’essuyer les plâtres du non-dupe, soit ce que j’ai appelé l’erre. Mais cette erre, c’est notre seule chance de fixer le nœud, vraiment dans son existence, puisqu’il n’est qu’ek-sistence en tant que nœud. Il est ce qui n’ek-siste qu’à être noué de telle sorte que ça ne puisse que se resserrer. Même dans l’embrouille! [Au tableau] Ce que je n’ai pas pu vous dessiner là, c’est le nœud borroméen; il suffit d’en avoir un à trois (vous savez, vous pouvez très bien le dessiner d’une façon totalement embrouillée, à laquelle vous n’entraverez que couic!).

Dire « il n’y a pas de rapport sexuel » part de l’idée d’une phusis, à savoir de quelque chose qui ferait du sexe un principe d’harmonie. Rapport, ça veut dire jusqu’à ce jour pour nous, proportion. L’idée qu’avec des mots on pouvait reproduire ça, que les mots étaient destinés à faire sens, que l’être étant, il en résulte comme par exemple, que le nonêtre n’est pas. Oui! Il y a encore des gens pour qui ça fait sens. Le sens parménidien là, comme ça, à l’origine, est devenu un bavardage, et il ne vient à l’idée de personne que ce n’est pas là proprement le signe que c’est du vent: Flatus vocis ! Je ne dis pas du tout qu’ils ont tort, c’est bien le contraire, ils me sont précieux, ils prouvent que le sens va aussi loin dans l’équivoque qu’on peut le désirer pour mes thèses, c’est-à-dire pour le discours analytique, à savoir qu’à partir du sens se jouit, s’ouï-je, sapostrophe-oui-je, j’ouisse moi-même, souis-je m’assoter de mots. Naturellement, naturellement, il y a mieux. A ceci près que le mieux, comme dit la sagesse populaire, est l’ennemi du bien. De même que le plus-de-jouir provient de la père-version, de la version a-per-(e)-itive du jouir. On n’y peut rien. Le parlêtre n’aspire qu’au bien, d’où il s’enfonce toujours dans le pire. Ça n’empêche qu’il ne peut pas s’y refuser, hein! Même pas moi. Là, je suis un grain comme vous tous, broyé dans cette salade. L’ennui, c’est que chacun sait que ça a de bons effets… Je parle de l’analyse! Que ces bons effets ne durent qu’un temps n’empêchent pas que c’est un répit, et que c’est mieux, c’est le cas de le dire, que de ne rien -145-

faire. C’est un peu embêtant quand même! C’est un embêtant contre quoi on pourrait essayer d’aller, malgré le courant, n’est-ce pas. Parce que c’est malgré tout de nature à prouver l’ek-sistence de Dieu lui-même. Tout le monde y croit! Je mets au défi chacun d’entre vous que je ne lui prouve pas qu’il croit à l’ek-sistence de Dieu! C’est même ça le scandale. Le scandale que la psychanalyse seule fait valoir. Elle le fait valoir parce qu’actuellement il n’y a plus que la psychanalyse qui le prouve. Je parle de le prouver. C’est pas du tout pareil que de vous prouver que vous y croyez. Formellement, ceci n’est dû qu’à la tradition juive de Freud, laquelle est une tradition littérale qui le lie à la science, et du même coup au Réel. C’est ça le cap qu’il y a à doubler.

Dieu est père, tiret, vers (père-vers), c’est un fait rendu patent par le juif lui-même. Mais on finira bien par, – enfin! je peux pas dire que je l’espère! je dis – à remonter ce courant, on finira bien par inventer quelque chose de moins stéréotypé que la perversion. C’est même la seule raison pourquoi je m’intéresse à la psychanalyse, – je dis, je m’intéresse et pourquoi je m’essaie à ce qu’on appelle couramment la galvaniser. Mais je suis pas assez bête pour avoir le moindre espoir d’un résultat que rien n’annonce et qui, sans doute, est pris par le mauvais bout. Ceci grâce à cette histoire à dormir debout de Sodome et de Gomorrhe hein! Il y a des jours, même, où il me viendrait que la charité chrétienne serait sur la voie d’une perversion un peu éclairante du non-rapport. Vous voyez jusqu’où je vais hein! c’est pourtant pas dans ma pente, mais enfin, c’est le cas de le dire, il faut pas charrier… ni chariter ! Il n’y a aucune chance qu’on ait la clé de l’accident de parcours qui fait que le sexe a abouti à faire maladie chez le parlêtre, et la pire maladie hein! celle dont il se reproduit. Il est évident que la biologie a avantage à se forcer, (à devenir avec un accent un petit peu différent, la viologie, la logie de la violence) à se forcer du côté de la moisissure, avec lequel ledit parlêtre a beaucoup d’analogies. On ne sait jamais, une bonne rencontre! Un François Jacob est assez juif pour permettre de rectifier le non-rapport. Ce qui ne peut vouloir, dans l’état actuel de la connaissance, dire que remplacer cette disproportion fondamentale dudit rapport par une autre formule, par quelque chose qui ne peut se concevoir que comme un détour voué à l’erre, mais à une erre limitée par un nœud.

Ouais! Je ne voudrais quand même pas vous quitter sans vous faire remarquer quelque chose, vous faire remarquer quelque chose qui, je pense, est opportun : je pense que vous avez eu des tas de petits papiers distribués (parce qu’on me l’a annoncé) par Michel Thomé et Pierre Soury ? Oui! Ce sont des petits papiers qui sont très importants parce qu’ils démontrent quelque chose : qu’il n’y a qu’un seul nœud borroméen orienté.

Voilà! Alors, je voudrais pour eux, comme ça, parce que probablement ils seront les seuls à apprécier, pour eux, faire remarquer ceci, c’est que ce que j’ai apporté aujourd’hui comme ça, – je ne sais pas ce que j’ai apporté aujourd’hui d’ailleurs – ce que j’ai apporté aujourd’hui, à savoir la remarque qu’il y a moyen de faire cycle avec deux cercles, cette remarque a des conséquences concernant leur proposition, qu’il n’y a qu’un nœud orienté. Sur le fait qu’il n’y ait qu’un nœud orienté quand il y a trois ronds de ficelle, mais pas quand il y en a plus, je suis d’accord. Néanmoins, il y a quelque chose d’amusant, c’est que si vous transformez un de ces ronds en une droite infinie… (c’était là la portée de la remarque que je leur avais faite, mais, contre quoi ils ont eu raison de tenir). Je leur avais fait la remarque que c’était du côté de ce troisième qu’il y avait quelque chose qui me semblait imposer l’ek-sistence, non pas d’un nœud, mais de deux nœuds orientés. C’est à eux que je m’adresse, pour l’instant n’est-ce pas, et c’est eux de ce fait que je charge de me répondre. C’est à eux que je m’adresse, je ne pose pas de question, je ne dis pas : « est-ce qu’il ne leur semble pas ? » J’affirme, j’affirme que s’il y en a un qu’on transforme en une droite infinie, là il n’y a plus un seul nœud comme orienté, mais deux nœuds. J’en ai pas fait le petit dessin, mais je vais le faire. Je vais le faire sur ce dernier bout de papier que j’ai fait exprès mettre en blanc, et je leur remarque ceci,- c’est que la droite infinie n’est pas orientable. A partir de quoi l’orienterait-on ? Elle n’est orientable, c’est patent, c’est courant, qu’à partir d’un point choisi quelconque sur cette droite, et d’où les orientations divergent. Mais de diverger, ça ne lui en donne pas une.

Alors, par rapport… vous allez voir que je m’en vais faire exactement ce qu’il ne faut pas faire, à savoir… Ah! quand même, j’y arrive. Bon. A savoir ceci, c’est que pour nous en tenir une formulation simple

Faisons remarquer que dans le double cercle, [figure IX-9] il y a une orientation, à savoir ce que nous désignerons du mot « gyrie ». Non pas, bien sûr que nous puissions dire que c’est une dextrogyrie ou une lévogyrie, chacun le sait maintenant. Car depuis le temps qu’on se casse la tête à le faire, il semble quand même, non pas que

ce soit démontré, mais qu’on puisse considérer que, enfin! il y a eu assez de gens assez astucieux pour se casser la tête, à faire quelque chose dont il serait concevable que nous l’envoyions comme message à quelqu’un qui serait d’une autre planète et qui saurait la distinction de la droite et de la gauche. Il n’y a pour ça, nous pouvons l’admettre, comme nous avons fini par l’admettre pour la quadrature du cercle, encore que là ce soit démontré, nous pouvons admettre qu’il n’y a rien à faire. Mais, de distinguer les gyries comme étant deux, ça, nous pourrions le faire. Nous pourrions le faire avec des mots dans un message, pour les habitants d’une autre planète.

[Au tableau] Il suffit qu’ils aient la notion d’horizon, qui donne du même coup, celle de plan. Si ces deux cercles [figure IX-10], nous les mettons eux seuls à plat, c’est ce qui est supposé par la notion d’horizon, nous pouvons dire par exemple que nous définissons l’un d’entre eux comme

étant plus éloigné du point dont

sur la droite nous partirions comme point de vue, et qu’il y a quelque chose d’externe, qui, comme vous le voyez, du fait de la droite, mis en valeur par Soury et Thomé, concernant le nœud de ces deux cercles est, d’un côté dextrogyre, si nous définissons la dextrogyrie par le fait que le plus externe (passe au-dessous) passe au-dessus de la bande du cercle, du rond de ficelle, et que il y en a un autre qui de ce fait, passe au-dessus également, puisque c’est ainsi que nous définirions la gyrie, mais il se trouve être dans un sens différent au regard du cercle. Il y a donc, à ce cercle, [figure IX-9] deux orientations, celle-ci, et celle-là, celle-ci dextrogyre, celle-ci lévogyre; nous sommes incapables de dire laquelle est dextro, laquelle est lévo, nous sommes incapables de la transmettre dans un message, aucune manipulation du nœud à trois – je l’ai essayée pour avoir eu l’espoir que le nœud borroméen nous donnerait peut-être ça – ne donne sans ambiguïté la définition de lévo, ou du dextro. Nous nous trouverons toujours devant cette situation d’avoir deux gyries, mais que de les définir par le fait que la bande la plus externe passe sur l’autre bande, et que c’est ça qui devrait donner l’orientation, échoue toujours. Puisque vous le voyez là, si nous définissons le fait que la bande la plus externe passe sur l’autre, nous nous trouvons devant une ambiguïté : est-ce celle-ci ou est-ce celle-là ? Par contre, l’ek-sistence des deux gyries est par là, manifestée. Il y a deux gyries, deux nœuds borroméens orientés, non pas seulement un, à partir du moment où de l’un des trois, nous faisons une droite infinie, en tant que la droite infinie est définie comme non orientable, c’est-à-dire, si vous le voulez encore, que nous avons la différence avec ce sur quoi ont raisonné, à juste titre, Soury et Thomé c’est à savoir qu’il y a trois centrifuges, nous allons mettre un petit e pour dire centrifuge – allant vers l’extérieur – il y a trois centripètes, trois i, il peut y avoir un i et deux e, un e et deux i.

Ces diverses spécifications sont celles sur lesquelles s’appuient Soury et Thomé, pour démontrer qu’il n’y a qu’un seul nœud orienté.

Si nous avons une droite, une barre sans orientation, nous avons alors une-zéro, une-i, une-e, et c’est à partir de là que ne devient pas semblable -149-

l’ordre, à savoir qu’il en y ait un-sans-orientation, un-à direction-centrifuge, vers l’extérieur, un -à-direction-centripète, vers l’intérieur.

Ceci a de l’intérêt, puisque pour leur démonstration, ils sont partis de la notion du « même », à savoir que dans toutes, réduisant toutes les projections, toutes les mises à plat qu’ils ont faites, ils ont démontré que de ces diverses mises à plat résultait le fait que c’était le « même », c’était le « même », si je puis dire, de tous les points de vue de mises à plat. Mais il suffit qu’un, pris d’ailleurs du non point de vue, ek-siste, pour qu’il démontre les orientations, à savoir le nœud borroméen en tant qu’orienté comme étant deux. Il n’est certes pas orienté le nœud, ceci du fait que les trois le sont. Si un des trois ne l’est pas, – et il suffit pour cela qu’il soit colorié, ce qui veut dire identique à lui-même – ceci rend compréhensible qu’il y en ait deux. Dès qu’il est, soit colorié, soit désorienté, ce qui le distingue, il y en avait déjà deux pour peu qu’un seul se spécifie. Cette remarque consiste à dire qu’un seul nœud colorié suffit, suffit à être l’équivalent du fait qu’un des nœuds n’est pas orienté. Le mot «orientable» qui est dans le vocabulaire de ce qui vous a été distribué, frappe. Le mot « orientable » veut déjà dire qu’il y a deux orientations. Le nœud, certes, pourrait les résorber, ces orientations entre elles, mais il ne les résorbe pas dès lors, que sur l’un des éléments du nœud on fait cette chose de le distinguer par le fait qu’il n’est pas orientable, c’est-à-dire qu’on le transforme en une droite.

Je, non pas, propose, mais, je crois avoir suffisamment indiqué ce qu’il en est du nœud comme doublement orienté, et que c’est cela seul qui explique par le rapprochement que j’ai fait avec le colorié, qu’un de ces nœuds soit du fait de ne pas être orientable, de ce fait-même colorié, impose qu’il y a deux nœuds, et c’est bien pour cela que le « colorié et orienté » à la fois, cela fait deux.

Sans doute, viendra-t-il à la pensée de Thomé et de Soury, sans doute, viendra-t-il à leur pensée que la mise à plat, ici, introduit un élément suspect; néanmoins, je leur indique ceci, ceci qui est

que les mêmes articulations concernant l’orientation valent, si ces deux nœuds, si ces deux cercles, nous les dessinons de la façon suivante, que je crois, que la perspective indique assez et qui ne fait aucune référence à l’extériorité d’une des courbes de l’un par rapport à la courbe de l’autre. Il y en a ni d’externe, ni d’interne avec la seule référence à ces façons spatialisées de dire, mises dans les trois dimensions, de représenter les deux cercles, les cercles qui font cycles, déjà avec cette façon, il y a moyen de démontrer qu’il y a deux nœuds, et non pas un seul orienté, deux nœuds borroméens à trois et orientés.

Voilà, je m’en tiendrai là pour aujourd’hui.

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