samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXXIII LE SINTHOME 1975 – 1976 Leçon du 18 Novembre 1975

Leçon du 18 Novembre 1975

 

J’ai annoncé sur l’affiche LE SINTHOME. C’est une façon ancienne d’écrire ce qui a été, ultérieurement, écrit SYMPTOME.

Si je me suis permis de… cette modification d’orthographe qui marque évidemment une date, une date qui se trouve être l’injection dans le français, ce que j’appelle lalangue, lalangue mienne, l’injection de grec, de cette langue dont Joyce, dans Portrait de l’Artiste, émettait le vœu tout à fait, non, c’est pas dans le Portrait de l’Artiste, c’est dans le Ulysses, dans le Ulysses, au premier chapitre, il s’agit de hellenize,  même lalangue hellène on ne sait pas à quoi. Puisque il ne s’agissait pas du gaélique, encore qu’il s’agit de l’Irlande, mais que Joyce devait écrire en anglais. Qu’il a écrit en anglais d’une façon telle que – comme l’a dit quelqu’un dont j’espère qu’il est dans cette assemblée, Philippe Sollers, dans Tel Quel — il l’a écrit d’une façon telle que lalangue anglaise n’existe plus. Elle avait déjà, je dirai, peu de consistance. Ce qui ne veut pas dire qu’il soit facile d’écrire en anglais. Mais Joyce, par la succession d’œuvres qu’il a écrites en anglais, y a ajouté ce quelque chose qui fait dire au même auteur qu’il faudrait écrire l’e-l-an-g-u-e-s, l’élangues. L’élangues par où je suppose qu’il entend désigner quelque chose comme I’élation. Cette élation dont on nous dit que c’est au principe de je ne sais quel sinthome que nous appelons en psychiatrie la manie.

C’est bien en effet ce à quoi ressemble sa dernière oeuvre, à savoir Finnegans Wake, qui est celle qu’il a si longtemps soutenue pour y attirer l’attention générale. Celle aussi à propos de quoi j’ai posé dans un temps, au temps où je me suis laissé entraîner à… par une sollicitation pressante, pressante, je dois dire, de la part de Jacques Aubert ici présent et tout aussi pressant, où je me suis laissé entraîner à inaugurer, à inaugurer au titre d’un symposium Joyce.

C’est par là qu’ en somme je me suis laissé détourner de mon projet qui était, cette année — je vous l’ai annoncé l’année dernière — d’intituler ce séminaire du quatre, cinq et six, je me suis contenté du quatre et je m’en réjouis, car le 4,5,6, j’y aurais sûrement succombé. Çà ne veut pas dire que le quatre dont il s’agit me soit pour autant moins lourd.

J’hérite de Freud. Bien malgré moi. Parce que j’ai énoncé de mon temps ce qui pouvait être tiré, en bonne logique, des bafouillages de ceux qu’il appelait sa bande. Je n’ai pas besoin de les nommer. C’est cette clique qui suivait les réunions de Vienne et dont on ne peut pas dire qu’aucun ait suivi la voie que j’appelle de bonne logique.

La nature, dirai-je, pour couper court, se spécifie de n’être pas-une. D’où le procédé logique pour l’aborder. Appeler nature ce que vous ‘excluez du fait même de porter intérêt à quelque chose, ce quelque chose se distinguant d’être nommé, la nature par ce procédé ne se risque à rien qu’à s’affirmer d’être un pot-pourri de hors-nature.

L’avantage de cet énoncé est que si vous trouvez, à bien le compter, que le nommer tranche sur ce qui paraît être la loi de la nature, qu’il n’y ait pas chez lui, je veux dire chez l’homme, de rapport naturellement — sous toute réserve, donc, ce naturellement — naturellement sexuel, vous posez logiquement, ce qui se trouve être le cas, que ce n’est pas là un privilège, un privilège de l’homme.

Veillez pourtant à n’aller pas à dire que le sexe n’est rien de naturel. Tâchez plutôt de savoir ce qu’il en est dans chaque cas ; de la bactérie à l’oiseau. J’ai déjà fait allusion à l’un et à l’autre. De la bactérie à l’oiseau, puisque ceux-là ont des noms. Remarquons, au passage, que dans la création dite divine, divine seulement en ceci qu’elle se réfère à la nomination, la bactérie n’est pas nommée. Et qu’elle n’est pas plus nommée quand Dieu, bouffonnant l’homme, l’homme supposé originel, lui propose de commencer par dire le nom de chaque bestiole. De ce premier, faut bien le dire, déconnage, nous n’avons de trace qu’à en conclure qu’Adam, comme son nom l’indique assez — c’est une allusion, ça, à la fonction de l’index de Peirce —, qu’Adam était, selon le joke qu’en fait Joyce justement, qu’Adam était bien entendu une madame. Et qu’il n’a nommé les bestiaux que dans la langue de celle-ci, il faut bien le supposer, puisque celle que j’appellerai l’Evie, e v i e, l’évie que j’ai bien le droit d’appeler ainsi puisque c’est ce que ça veut dire en hébreu

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si tant est que l’hébreu soit une langue — la mère des vivants, eh! bien l’Evie l’avait tout de suite et bien pendue cette langue, puisque après le supposé du nommer par Adam, la première personne qui s’en sert c’est bien elle, pour parler au serpent.

La création dite divine se redouble donc de la parlote du parlêtre, comme je l’ai appelé, par quoi l’Evie fait du serpent, ce que vous me permettrez d’appeler le serre-fesses, ultérieurement désigné comme faille, ou mieux phallus —, puisqu’il en faut bien un pour faire le faut-pas. La faute dont c’est l’avantage de mon sinthome de commencer par là. Sin, en anglais, veut dire ça, le péché, la première faute.

D’où la nécessité — je pense, tout de même, à vous voir en aussi grand nombre, qu’il y en a bien quelques-uns qui ont déjà entendu mes bateaux — d’où la nécessité du fait que ne cesse pas la faille qui s’agrandit toujours, sauf à subir le cesse de la castration comme possible. Ce possible, comme je l’ai dit, sans que vous le notiez, pour ce que moi-même point je ne l’ai noté de n’y pas mettre la virgule, ce possible, j’ai dit autrefois, c’est que c’est ce qui cesse1de s’écrire, mais il y faut mettre la virgule: c’est ce qui cesse, virgule, de s’écrire. Ou plutôt cesserait d’en prendre le chemin dans le cas où adviendrait enfin ce discours que j’ai évoqué, tel qu’il ne serait pas de semblant.

Y-a-t-il impossibilité que la vérité devienne un produit du savoir-faire ? Non. Mais elle ne sera alors que mi-dite, s’incarnant d’un S indice I de signifiant, là où il en faut au moins deux pour que l’unique, la femme, à avoir jamais été, mythique en ce sens que le mythe l’a fait singulière — il s’agit d’Eve dont j’ai parlé tout à l’heure—, que l’unique, la femme, à avoir jamais été incontestablement possédée pour avoir goûté du fruit de l’arbre défendu, celui de la science, l’Evie, donc, n’est pas mortelle plus que Socrate. La femme dont il s’agit est un autre nom de Dieu, et c’est en quoi elle n’existe pas, comme je l’ai dit maintes fois.

Ici on remarque le côté futé d’Aristote, qui ne veut pas que le singulier joue dans sa logique. Contrairement à ce qu’il admettait, à ce qu’il admettait dans ladite logique, il faut dire que Socrate n’est pas homme, puisqu’il accepte de mourir pour que la cité vive, cari! l’accepte c’est un fait. En plus, ce qu’il faut bien dire, c’est qu’à cette occasion, il ne veut pas entendre parler sa femme. D’où ma formule que je relave, si je puis dire, à votre usage, en me servant du me pantes que j’ai relevé dans l’Organon où d’ailleurs je n’ai pas réussi à le retrouver, mais où quand même, je l’ai bien lu, et même au point que ma fille, ici présente, l’a pointé, et qu’elle me jurait qu’elle me retrouverait à quelle place c’était ce me pantes comme l’opposition écartée, écartée par Aristote à l’Universel du pan, la femme n’est toute que sous la forme dont l’équivoque prend de lalangue nôtre son piquant, sous la forme du mais pas ça, comme on dit tout, mais pas ça !. C’était bien la position de Socrate. Le mais pas ça, c’est ce que j’introduis sous mon titre de cette année comme le sint home.

Il y a pour l’instant, pour l’instance de la lettre telle qu’elle s’est ébauchée à présent — et n’espérez pas mieux, comme je l’ai dit, ce qui en sera plus efficace ne fera pas mieux que de déplacer le sinthome, voire de le multiplier — pour l’instance, donc, présente, il y a le sinthome madaquin, que j’écris comme vous voudrez, m a d a q u i n après sinthome.

Vous savez que Joyce en bavait assez sur ce sinthome. Faut bien dire les choses; pour ce qui est de la philosophie on n’a jamais rien fait de mieux. Y a que ça de vrai. Ça n’empêche pas que Joyce — consultez ‘là-dessus l’ouvrage de Jacques Aubert — ne s’y retrouve pas très bien, concernant le quelque chose à laquelle il attache un grand prix, à savoir ce qu’il appelle le Beau. qu’il appelle claritas,  qui est bien le point faible dont il s’agit. Est-ce une faiblesse personnelle? La splendeur de l’Etre ne me frappe pas. Et c’est bien en quoi Joyce fait déchoir le sinthome  de son madaquinisme. Et contrairement à ce qu’il pourrait en apparaître, à première vue, à savoir son détachement de la politique, produit, à proprement parler, ce que j’appellerai le sin t-home Rule. Ce home-rule que le Free man’s Journal représentait se levant derrière la Banque d’Irlande, ce qu’il fait, comme par hasard, se lever au Nord-Ouest, ce qui n’est pas d’usage pour un lever de soleil, c’est quand même, malgré le grincement que nous voyons à ce sujet dans Joyce, c’est quand même bien le sint home-roule, le sinthome à roulettes que Joyce conjoint.

Il est certain que ces deux termes, on peut les nommer autrement. Je les nomme ainsi en fonction des deux versants qui s’offraient à l’art de Joyce, lequel nous occupera cette année en raison de ce que j’ai dit tout à l’heure, que je l’ai introduit et que je n’ai pu faire mieux que de le nommer, ce sinthome, car il le mérite, du nom qui lui convient en en déplaçant, comme je l’ai dit l’orthographe, les deux, les deux orthographes le concernant. Mais il est un fait qu’il choisit. En quoi, il est comme moi, un hérétique. Car haeresis c’est bien la ce qui spécifie l’hérétique. Il faut choisir la voie par où prendre la vérité. Ce, d’autant plus que le choix, une fois fait, ça n’empêche personne de le soumettre à confirmation, c’est-à-dire d’être hérétique de la bonne façon ; celle, qui d’avoir bien reconnu la nature du sinthome, ne se prive pas d’en user logiquement, c’est-à-dire jusqu’à atteindre son Réel au bout de quoi il n’a plus soif. Oui. Bien entendu il a fait ça, lui, à vue de nez. Car on ne pouvait plus mal partir que lui.

Etre né à Dublin, avec un père soûlographe, et plus ou moins Fénian, c’est-à-dire fanatique, de deux familles, car c’est ainsi que ça se présente pour tous quand on est fils de deux familles, quand il se trouve qu’on se croit mâle parce que on a un petit bout de queue. Naturellement, pardonnez-moi ce mot, il en faut plus. Mais comme il avait la queue un peu lâche, si je puis dire, c’est son art qui a suppléé à sa tenue phallique. Et c’est toujours ainsi. Le phallus c’est la conjonction de ce que j’ai appelé œ parasite, qui est le petit bout de queue en question, c’est la conjonction de ceci avec la fonction de la parole. Et c’est en quoi sort art est le vrai répondant de son phallus. A part ça, disons que c’était un pauvre hère, et même un pauvre hérétique. Il n’y a de joycien à jouir de son hérésie que dans l’université. Mais c’est lui qui l’a délibérément voulu que s’occupât de lui cette engeance. Le plus fort est qu’il y a réussi. Et au-delà de toute mesure. Ça dure, et ça durera encore. Il en voulait pour 300 ans, nommément, il l’a dit. Je veux que les universitaires s’occupent de moi pendant trois cents ans. Et il les aura, pour peu que Dieu ne nous atomise pas. Ce hère, car on ne peut pas dire cet hère, c’est interdit par l’aspiration, ça embête même tellement tout le monde, que c’est pour ça qu’on dit le pauvre hère, ce hère s’est conçu comme un héros. Stephen Hero. C’est le titre expressément donné pour celui de là où il prépare le A Portrait of the Artist as a Young Man.

Ah ! c’était ce que j’aurais bien souhaité que — je l’ai pas emporté, c’est trop bête—, ce que j’aurais souhaité que vous, j’aurais pu au moins vous le montrer, que vous le trouviez et dont, mal averti, je savais que c’était difficile, et c’est pour ça que je vous précise la façon dont vous devez insister, mais Nicole Sels, ici présente, m’a envoyé une bafouille, une lettre on appelle ça, extrêmement précise où pendant deux pages, elle m’explique qu’il est impossible de se le procurer. Il est impossible, à l’heure actuelle, d’avoir ce texte et ce que j’ai appelé ce criticisme, c’est-à-dire ce qu’un certain nombre de personnes toutes universitaires, c’est d’ailleurs une façon d’entrer à l’université, l’université aspire les joyciens, mais enfin, ils sont déjà en bonne place, elle leur donne des grades, bref, vous ne trouverez pas ni le, je ne sais pas comment ça se prononce, c’est Jacques Aubert qui va me le dire : est-ce le Beebe ou Bibi?

— D’ordinaire, on dit Beebe.

— On dit Bibi ? Bon, vous ne trouverez pas le Bibi qui ouvre la liste par un article sur Joyce, je dois dire, particulièrement gratiné, à la suite de quoi, vous avez Hugh Kenner qui, à mon avis, peut-être à cause du sinthome madaquin en question, à mon avis, parle assez bien de Joyce. Et y en a d’autres jusqu’à la fin dont je regrette que vous ne puissiez pas disposer. A la vérité, c’est un pas-de-clerc que j’ai, c’est le cas de le dire, que j’ai mis cette petite note en petits caractères, je les ai fait rapetisser, Dieu merci, que j’ai fait cette note en petits caractères. Il faudrait que vous vous arrangiez avec Nicole Sels pour vous en faire faire une série de photocopies.

Comme je pense que, dans le fond, il y en a pas tellement qui, l’anglais surtout l’anglais de Joyce, soient prêts, je veux dire parés pour le parler, ça ne fera quand même qu’un petit nombre. Mais2enfin il y aura évidemment de l’émulation. Et une émulation, mon Dieu, légitime, parce que Le Portrait de l’Artiste ou plus exactement Un Portrait de l’Artiste, de l’Artiste qu’il faut écrire en y mettant tout l’accent sur le le qui, bien sûr, en anglais n’est pas tout à fait notre article défini à nous; mais on peut faire confiance à Joyce, s’il a dit le, c’est bien qu’il pense que d’artiste, c’est lui le seul. Que là il est singulier.

As a Young Man, c’est, c’est très suspect. Car en français, ça se traduirait par comme. Autrement dit, ce dont il s’agit c’est du comment. Le français, là-dessus, est indicatif. Est indicatif de ceci, c’est que quand on parle comme, en se servant d’un adverbe, quand on dit: réellement, mentalement, héroïquement, l’adjonction de ce ment est déjà en soi suffisamment indicative. Indicative de ceci, c’est que, c’est qu’on ment. Il y a du, y a du mensonge indiqué dans tout adverbe. Et ce n’est pas là accident.

Quand nous interprétons, nous devons y faire attention.

Quelqu’un qui n’est pas très loin de moi, faisait la remarque à propos de la langue, en tant qu’elle désigne l’instrument de la parole, que c’était aussi la langue qui portait les papilles dites du goût. Eh bien, je lui rétorquerai que ce n’est pas pour rien que ce qu’on dit ment. Vous avez la bonté de rigoler. Mais c’est pas drôle. Car en fin de compte, car en fin de compte, nous n’avons que ça comme arme contre le sinthome:

l’équivoque.

Il arrive que je me paie le luxe de contrôler. On appelle ça, un certain nombre, un certain nombre de gens qui se sont autorisés eux mêmes, selon ma formule, à être analystes. Il y a deux étapes. Il y a une étape où ils sont comme le rhinocéros ; ils font à peu près n’importe quoi et je les approuve toujours. Ils ont en effet toujours raison. La deuxième étape consiste à jouer de cette équivoque qui pourrait libérer du sinthome. Car c’est uniquement par l’équivoque que l’interprétation opère. Il faut qu’il y ait quelque chose dans le signifiant qui résonne.

Il faut dire que on est surpris, enfin, que les philosophes anglais, ça ne leur soit nullement apparu. Je les appelle philosophes parce que ce ne sont pas des psychanalystes. Ils croient, dur comme fer, à ce que la parole, ça n’a pas d’effet. Ils ont tort. Ils s’imaginent qu’il y a des pulsions, et encore quand ils veulent bien ne pas traduire pulsion par instinct Ils ne s’imaginent pas que les pulsions c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire. Mais que ce dire, pour qu’il résonne, pour qu’il consonne, pour employer un autre mot du sinthome madaquin, pour qu’il consonne, il faut que le corps y soit sensible. Et qu’il l’est, c’est un fait. C’est parce que le corps a quelques orifices dont le plus important, dont le plus important parce qu’il peut pas se boucher, se clore, dont le plus important est l’oreille, parce qu’il peut pas se fermer, que c’est à cause de ça que répond dans le corps ce que j’ai appelé la voix.

L’embarrassant est assurément qu’il n’y a pas que l’oreille, et que lui fait une concurrence éminente le regard. More geometrico, à cause de la forme, chère à Platon, l’individu se présente comme il est foutu, comme un corps. Et ce corps a une puissance de captivation qui est telle que, jusqu’à un certain point, c’est les aveugles qu’il faudrait envier. Comment est-ce qu’un aveugle, si tant est qu’il se serve du braille, peut lire Euclide? L’étonnant est ceci que je vais énoncer, c’est que la forme ne livre que le sac, ou si vous voulez la bulle. Elle est quelque chose qui se gonfle, et dont j’ai déjà dit les effets à propos de l’obsessionnel qui en est féru plus qu’un autre. L’obsessionnel, ai-je dit quelque part, on me l’a rappelé récemment, c’est quelque chose de l’ordre de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. On en sait les effets, par une fable. Il est particulièrement difficile, on le sait, d’arracher l’obsessionnel à cette emprise du regard.

Le sac, en tant qu’il s’imagine dans la théorie de l’ensemble, telle que l’a fondée Cantor, se manifeste, voire se démontre, si toute démonstration est tenue pour démontrer l’imaginaire qu’elle implique, ce sac, dis-je, mérite d’être connoté d’un ambigu de un et de zéro, seul support adéquat de ce à quoi confine l’ensemble vide qui s’impose dans cette théorie. D’où notre scription, S indice 1, S1. Je précise qu’elle se lit comme ça. Elle fait pas l’un, mais elle l’indique comme pouvant ne rien contenir, être un sac vide. Il n’en reste pas moins qu’un sac vide reste un sac, soit l’un qui n’est imaginable que de l’ex-sistence et de la consistance qu’a le corps, qu’a le corps d’être pot. Il faut les tenir, cette ex-sistence et cette consistance, pour réelles, puisque le Réel, c’est de les tenir. D’où le mot Begriff qui veut dire ça. L’Imaginaire montre ici son homogénéité au Réel, et qu’elle ne tient cette homogénéité qu’au fait du nombre, en tant qu’il est binaire, un ou zéro. C’est-à-dire qu’il ne supporte le deux que de ce qu’un ne soit pas zéro. Qu’il ex-siste au zéro, mais n’y consiste en rien.

C’est ainsi que la théorie de Cantor doit repartir du couple, mais qu’alors l’ensemble y est tiers. De l’ensemble premier à ce qui est l’autre, la jonction ne se fait pas. C’est bien en quoi le symbole en remet sur l’Imaginaire. Lui a l’indice 2. C’est-à-dire qu’indiquant qu’il est couple, il introduit la division dans le sujet quel qu’il soit de ce qui s’y énonce de fait, de fait restant suspendu à l’énigme de l’énonciation qui n’est que fait fermé sur lui, le fait du fait, comme on l’écrit, le faîte du fait ou le fait du faîte, comme ça se dit égaux en fait, équivoque et équivalent et, par là, limite du dit.

L’inouï, est que les hommes aient très bien vu que le symbole ne pouvait être qu’une pièce cassée. Et ce, si je puis dire, de tout temps. Mais qu’ils n’aient pas vu à l’époque, à l’époque de ce tout temps, que cela comportait l’unité et la réciprocité du signifiant et du signifié, conséquemment que le signifié d’origine ne veut rien dire, qu’il n’est qu’un signe d’arbitrage entre deux signifiants, mais de ce fait, pas d’arbitraire pour le choix de ceux-ci. Il n’y a d’umpire, umpire pour le dire en anglais — c’est comme ça que Joyce l’écrit — qu’à partir de l’empire, de l’imperium sur le corps, comme tout en porte la marque dès l’ordalie. Ici, le un confirme son détachement d’avec le deux. Il ne fait trois que par forçage imaginaire, celui qui impose qu’une volonté suggère à l’un de molester l’autre, sans être lié à aucun.

Ouaih ! Pour que la condition fût expressément posée de ce qu’à partir de trois anneaux, on fît une chaîne, telle que la rupture d’un seul rendît l’un de l’autre, les deux autres libres quels qu’ils fussent; car dans une chaîne, l’anneau du milieu, si je puis dire, de cette façon abrégée, réalise ça, les deux autres libres, quels qu’ils fussent, il a fallu qu’on s’aperçût que c’était inscrit aux armoiries des Borromées, que le nœud, de ce fait, dit borroméen, était déjà là sans que personne ne se fût avisé d’en tirer conséquence.

C’est bien là, c’est bien là que gît ceci que c’est une erreur de penser que ce soit une norme pour le rapport de trois fonctions qui n’existent l’une à l’autre dans leur exercice, que chez l’être qui, de ce fait, se croit être homme. Ce n’est pas que soient rompus le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel qui définit la perversion, c’est que ils sont déjà distincts (Fig.5), et qu’il en faut supposer un quatrième qui est le sinthome en l’occasion, qu’il faut supposer tétradique ce qui fait le lien borroméen, que perversion ne veut dire que version vers le père, et qu’en somme le père est un symptôme ou un sinthome, comme vous le voudrez. L’ex-sistence du symptôme c’est ce qui est impliqué par la position même, celle qui suppose ce lien – de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel – énigmatique.

fig.6

Si vous trouvez, quelque part, je l’ai déjà dessiné, ceci qui schématise le rapport de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel, en tant que séparés l’un de l’autre, vous avez déjà, dans mes précédentes figurations, mis à plat leur rapport, la possibilité de les lier par quoi ? Par le sinthome.

Si j’avais ici un craie de

couleur.

— De quelle couleur, vous la voulez?

— Comment?

— De quelle couleur?

— Rouge. Si vous le voulez bien. Vous êtes vraiment trop gentille.

Vous devez avoir ceci (Fig. 6 et 7).

C’est que à rabattre ce grand S, c’est-à-dire ce qui s’affirme de la consistance du Symbolique, à le rabattre, comme il est plausible, je veux dire offert, à le rabattre d’une façon qui se trace ainsi ; vous avez, si cette figure est correcte, je veux dire que glissant sous le Réel, c’est évidemment aussi sous l’Imaginaire qu’il doit se trouver, à ceci près qu’ici, c’est sur le Symbolique qu’il doit passer, vous vous trouvez dans la position suivante, c’est qu’à partir de quatre, ce qui se figure est ceci (Fig. 7), c’est à savoir que vous aurez le rapport suivant, ici par exemple, l’Imaginaire, le Réel et le symptôme que je vais figurer d’un sigma et le Symbolique, et que chacun d’entre eux est échangeable. Expressément, que un à deux peut s’invertir en deux à un, que trois à quatre peut s’invertir de quatre à trois. D’une façon qui, j’espère, vous paraît simple. (Fig. 8).

Mais nous nous trouvons, de ce fait, dans la situation suivante, c’est que ce qui est un à deux, voire deux à un, pour avoir dans son milieu, si l’on peut dire, le sigma et le S, doit faire — c’est précisément ici que c’est figuré —, doit faire que le symptôme et le symbole se trouvent pris d’une façon telle — il faudrait que je vous montre par quelque figuration simple —, d’une façon telle que il y en a, comme vous le voyez là-bas, qu’il y en a quatre qui sont, vous le voyez là, il y en a quatre qui sont tirés  par le grand R et ici, c’est d’une certaine façon que e I se combine, en passant au-dessus du symbole, ici figuré, et au-dessous du symptôme. C’est toujours sous cette forme que se présente le lien, le lien que j’ai exprimé ici par l’opposition du R au I.

Autrement dit, les deux symptôme et symbole se présentent de façon telle que, ici, un des deux termes les prend dans leur ensemble, alors que l’autre passe, disons, sur celui qui est au-dessous probablement, rectifiée immédiatement] au-dessus, et sous celui qui est au-dessous. (Fig. 10).

C’est la figure que vous obtenez régulièrement dans une tentative de faire le nœud borroméen à quatre et c’est celle que j’ai mis ici, sur l’extrême droite.

Le complexe d’Oedipe, comme tel, est un symptôme. C’est en tant  que le nom du père est aussi le père du nom que tout se soutient, ce qui ne rend pas moins nécessaire le symptôme. Cet Autre dont il s’agit, c’est ce quelque chose qui, dans Joyce, se manifeste par ceci, qu’il est, en somme, chargé de père. C’est dans la mesure où ce père, comme il s’avère dans l’Ulysses, il doit le soutenir pour qu’il subsiste, que Joyce, par son art, son art qui est toujours le quelque chose qui, du fond des âges, nous vient comme issu de l’artisan, c’est par son art que Joyce fait subsister non seulement sa famille, mais l’illustre, si l’on peut dire. Et du même coup illustre ce qu’il appelle quelque part my country. L’esprit incréé, dit-il, de sa race, c’est ce par quoi finit Le Portrait de l’Artiste, c’est là ce dont il se donne la mission.

En ce sens, j’annonce ce que va être, cette année mon interrogation sur l’art: en quoi l’artifice peut-il viser expressément ce qui se présente d’abord comme symptôme? En quoi l’art, l’artisanat peut—il déjouer, si l’on peut dire, ce qui s’impose du symptôme, à savoir quoi ? Mais ce que j’ai figuré dans mes deux tétraèdres : la vérité. (Fig. 11).

La vérité, où est-elle dans cette occasion ? J’ai dit qu’elle était quelque part dans le discours du maître, comme supposée dans le sujet. En tant que divisé, il est encore sujet au fantasme. C’est, contrairement à ce que j’avais figuré d’abord, c’est ici, au niveau de la vérité que nous devons considérer le mi-dire. C’est-à-dire que le sujet, à cette étape, ne peut se représenter que du signifiant indice 1, Si. Que le signifiant indice 2, S2, c’est très précisément ce qui se représente de la, pour le figurer comme je l’ai fait tout à l’heure, de la duplicité du symbole et du symptôme.

S2, là est l’artisan : l’artisan, en tant que par la conjonction de deux signifiants, il est capable de produire ce que, tout à l’heure, j’ai appelé l’objet petit a (Fig. 12).

Ou plus exactement, je l’ai illustré du rapport à l’oreille et à l’œil, voire évoquant la bouche close. C’est bien en tant que le discours du maître règne, que le S2 se divise. Et cette division, c’est la division du symbole et du symptôme.

Mais cette division du symbole et du symptôme, elle est, si l’on peut dire, reflétée dans la division du sujet. C’est parce que le sujet c’est ce qu’un signifiant représente auprès d’un autre signifiant que nous sommes nécessités par son insistance à montrer que c’est dans le symptôme que un de ces deux signifiants, du Symbolique, prend son support. En ce sens, on peut dire que dans l’articulation du symptôme au symbole, il n’y a, je dirai, qu’un faux trou.

Si nous supposons la consistance, consistance d’une quelconque de ces fonctions, Symbolique, Imaginaire et Réel, si nous supposons cette consistance comme faisant cercle, ceci suppose un trou. Mais dans le cas du symbole et du symptôme, c’est autre chose dont il s’agit. Ce qui fait trou, c’est l’ensemble, c’est l’ensemble plié l’un sur l’autre de ces deux cercles. (Fig. 13)

Ici, comme l’a assez bien figuré Soury — pour l’appeler par son nom, je sais pas s’il est ici—, il faut encadrer par quelque chose qui ressemble à une soufflure, à ce que nous appelons dans la topologie, un tore, il faut cerner chacun de ces trous dans quelque chose qui les fait tenir ensemble, pour que nous ayons ici quelque chose qui puisse être qualifié du vrai trou. (fig. 14)

C’est dire que il faut imaginer, pour que ces trous subsistent, se maintiennent, supposer simplement ici une droite, ça remplira le même rôle, une droite pour peu qu’elle soit infinie. Nous aurons à revenir dans le cours de l’année sur ce que c’est que cet infini, nous aurons à reparler de ce que c’est qu’une droite, en quoi elle subsiste, en quoi, si on peut dire, elle est parente d’un cercle; ce cercle, il faudra assurément que j’y revienne, n’est-ce pas ; le cercle a une fonction qui est bien connue de la police. Le cercle, ça sert à circuler. Et c’est bien en ça que la police a un soutien qui ne date pas d’hier. Hegel l’avait très bien vu, enfin, quelle en était la fonction. Et il l’avait vu sous une forme qui n’est assurément pas celui dont il s’agit, ce dont il est question. Il s’agit pour la police, simplement, que le tournage en rond se perpétue.

Le fait que nous puissions, dans ce faux trou, faire l’adjonction, l’adjonction d’une droite infinie et, qu’à soi seul, ceci fasse de ce faux trou qui, borroméennement, subsiste, c’est là le point sur lequel je m’arrête aujourd’hui.

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