samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIII LES PSYCHOSES 1955 – 1956 Leçon du 11 avril 1956

Leçon du 11 avril 1956

 

« Ad usum autem orationis, incredibile est, nisi diligenter attenteris quanta opera machinata natura est ».

 

Vous ne vous étonnerez pas que je vous donne cette phrase  de Cicéron comme épigraphe à la reprise, c’est-à-dire « com­bien de merveilles recèle la fonction du langage » si diligen­ter… si vous vouliez y prendre garde diligemment », vous savez que c’est ce à quoi nous nous efforçons ici. Par consé­quent c’est aussi sur ce thème que nous allons reprendre ce trimestre, l’étude des structures freudiennes des psychoses.

Il s’agit en effet de ce que Freud a laissé dans les struc­tures des psychoses. C’est pour cela que nous les qualifions de freudiennes.

La notion de structures mérite déjà par elle-même que nous nous y arrêtions, non pas pour revenir sur son emploi courant, mais sur ce que veut dire qu’on précise, qu’on aborde un problème du point de vue structural. Je veux sim­plement faire remarquer que la notion de structure telle que nous la faisons jouer efficacement dans l’analyse, implique un certain nombre de coordonnées. Déjà même la notion de coordonnée fait partie de la notion de structure. La structure est une chose qui se représente d’abord comme un groupe d’éléments formant un ensemble co-variant. Nous n’en serions pas à la notion de structure si ce n’était pour repérer un phénomène, quelque chose qui constitue un ensemble co­variant. Je n’ai pas dit une totalité.

En effet, la notion de structure est une notion analytique. Et c’est toujours par rapport à une référence de ce qui est cohérent à quelque chose d’autre qui lui est complémentaire que la notion de structure se pose. La notion de totalité interviendra si nous avons affaire à une relation close avec un correspondant, dont la structure est solidaire. Il peut y avoir une relation ouverte que nous appellerions de supplé­mentarité. L’idéal a toujours paru, à ceux, qui d’une façon quelconque se sont avancés dans une analyse structurale de ce qui liait les deux, la close et l’ouverte, entrouvrant du côté de l’ouverture une circularité. incontestablement c’est la structure la plus satisfaisante.

Je pense que vous êtes ici déjà assez orientés pour com­prendre du même coup que la notion de structure est déjà par elle-même, une manifestation du signifiant. Le peu que je viens de vous indiquer sur sa dynamique, sur ce qu’elle implique, vous dirige vers la notion de structure. Déjà, en elle-même, s’intéresser à la structure, c’est ne pouvoir négli­ger la question du signifiant; c’est-à-dire que, comme le signifiant, nous y voyons essentiellement des relations de groupe fondées sur la notion d’ensemble, ouverts ou fermés, mais qui essentiellement comportent des références réci­proques, des éléments comme le synchronisme, comme le diachronisme, sur lesquels nous avons appris à mettre l’accent dans l’analyse du rapport du signifiant et du signi­fié, se retrouvent dans la structure.

C’est là quelque chose qui ne doit pas nous surprendre, puisque en fin de compte la notion de structure et celle de signifiant apparaissent inséparables à les regarder de près. En fait quand nous analysons une structure, nous nous aperce­vons qu’idéalement c’est du rapport du signifiant qu’il s’agit. C’est un dégagement aussi radical que possible du signifiant qui nous satisfait au mieux. La notion, distincte sur ce point, des sciences naturelles, des sciences qui sont celles où nous nous situons, dont vous savez que ce n’est pas tout de les appeler les « sciences humaines»; et justement ceci est, -je crois que c’est la seule limite qu’on puisse se fixer, c’est que dans les sciences de la nature, je veux dire telles qu’elles se sont développées, pour nous, la physique à laquelle nous avons affaire, la physique dont nous avons, en quelque sorte à la fois à savoir dans quelle mesure nous devons nous rap­procher de ses idées, dans quelle mesure nous ne pouvons pas nous en distinguer. C’est par rapport à ces définitions du signifiant et de la structure que nous pouvons faire justement la démarcation et la limite. Nous dirons que nous nous sommes imposés comme loi, dans la physique de partir de cette idée que, dans la nature, personne ne se sert du signi­fiant pour signifier. Ce qui distingue notre physique d’une physique mystique, et même d’une physique qui n’avait rien de mystique, qui était la physique antique, qui ne s’imposait pas strictement cette méditation, (j’ai déjà fait assez d’allu­sions à la physique aristotélicienne pour que vous ne puissiez voir ce que je veux dire dans ce sens). Mais pour nous c’est devenu la loi fondamentale, exigible de tout énoncé de l’ordre des sciences naturelles qu’il n’y a personne qui se sert de ce signifiant, qui pourtant est bien là dans la nature; car si ce n’était pas le signifiant que nous y cherchions, nous n’y trouverions rien du tout. Dégager une loi naturelle, c’est dégager une formule signifiante, moins elle signifie quelque chose, plus nous sommes contents. C’est pourquoi nous sommes parfaitement contents de l’achèvement de la phy­sique einsteinienne, c’est que littéralement, vous auriez tort de croire que les petites formules qui mettent en rapport la masse d’inertie avec une constante et quelques exposants, sont quelque chose qui ait la moindre signification. C’est un pur signifiant. Et c’est pour cela que grâce à lui nous tenons le monde dans le creux de la main.

La notion que le signifiant signifie quelque chose, à savoir qu’il y a quelqu’un qui se sert de ce signifiant pour signifier quelque chose, s’appelle la « signatura rerum ». Et c’est le titre d’un ouvrage d’un nommé Jakob Boehme, Cela voulait dire que c’est justement le nommé Dieu qui est là pour nous par­ler, avec tout ce qui est des phénomènes naturels, sa langue.

Il ne faut pas croire que cette supposée fondamentale qu’est notre physique implique la réduction de toute signi­fication. A la limite, il y en a une, il n’y a personne pour la signifier. À l’intérieur de la physique, néanmoins, la seule existence d’un système signifiant implique au moins cette signification qu’il y ait un umwelt; c’est-à-dire la conjonc­tion minimale des deux signifiants suivants: c’est-à-dire que toutes choses sont une, ou que l’un est toute choses.

Ces signifiants de la science, au sens le plus général, vous auriez tort de croire, si réduits qu’ils soient, même à cette dernière formule, qu’ils sont tout donnés, qu’un empirisme quelconque nous permette de les dégager. Aucune espèce de théorie empirique n’est susceptible de rendre compte de l’existence simplement des premiers nombres entiers. Quelque effort qu’ai fait M. Jung pour nous convaincre du contraire, l’histoire, l’observation, l’ethnographie nous montrent qu’à un certain niveau d’usage du signifiant, ce peut être dans telle ou telle communauté, dans telle ou telle peuplade, c’est une conquête que d’accéder au nombre « cinq » par exemple. On peut fort bien distinguer du côté de l’Orénoque entre la tribu qui a appris à signifier le nombre « quatre », et celle pour laquelle le nombre « cinq » ouvre des possibilités tout à fait surprenantes et cohérentes, d’ailleurs, avec l’ensemble précisément du système signi­fiant où elle s’insère.

Ne prenez pas cela pour de l’humour. Ce sont des choses qu’il faut prendre au pied de la lettre. L’effet fulgurant du nombre « trois » quand il est arrivé dans telle tribu de l’Ama­zone a été noté par des personnes qui savaient ce qu’elles disaient. Il ne faut pas croire que l’énoncé des séries des nombres entiers soit quelque chose qui aille de soi. Il est tout à fait concevable qu’au-delà d’une certaine limite, les choses se confondent, simplement dans la confusion de la multi­tude; l’expérience montre qu’il en est ainsi. L’expérience montre également que le nombre « un » ne nécessitant son efficacité maxima que par un retour, ce n’est pas de lui que dans l’acquisition du signifiant, nous pou­vions toucher du doigt dans l’expérience l’origine.

Ceci peut aller contre les remarques que je vous ai faites, que tout système de langage comporte la totalité des signi­fications. Vous verrez que cela ne contredit pas puisque ce dont j’ai parlé, à savoir que tout système de langage puisse recouvrir la totalité des significations possibles ne veut pas dire que tout système de langage ait épuisé les possibilités du signifiant. C’est tout à fait différent. La preuve c’est l’allu­sion que je vous ai faite à ceci, par exemple que le langage d’une tribu australienne pourrait exprimer tel nombre avec le croissant de la lune. Ceci vous indique suffisamment ce que je veux vous dire.

Ces remarques peuvent paraître venir de loin, elles sont tout de même essentielles à reprendre au début de notre pro­pos de cette année. Et chaque fois que nous reprenons au départ, c’est-à-dire au point où nous le reprenons toujours, car nous serons toujours au point de départ, c’est donc que tout vrai signifiant en tant que tel est un signifiant qui ne signifie rien.

L’expérience le prouve, car c’est précisément dans la mesure où plus il ne signifie rien, plus il est indestructible, l’expérience le prouve. Ce qui montre aussi la direction insensée dans laquelle s’engagent ceux qui critiquent ou font de l’humour sur ce qu’on peut appeler le pouvoir des mots en démontrant, ce qui est toujours facile, les contradictions où l’on entre avec le jeu de tel ou tel concept, le nominalisme, comme on dit, et dans telle ou telle philosophie. Disons par exemple, pour fixer les idées de montrer combien facilement on peut critiquer ce que peut avoir d’arbitraire ou fuyant l’usage d’une notion comme celle par exemple de société. Pourquoi pas ? Il n’y a pas tellement longtemps qu’on a inventé le mot de société. Et l’on peut s’amuser de voir à quelle impasse concrète, dans le réel, la notion de société, en étant responsable de ce qui arrive à l’individu, l’exigence qui finalement s’est traduite par les constructions socialistes, manifeste en effet ce qu’il y a de radicalement arbitraire dans le surgissement de la notion de société comme telle. je dis de société et non pas de cité, par exemple. Toutes ces choses ne vont pas de soi.

Au niveau de notre ami Cicéron, et dans le même ouvrage, vous vous apercevrez que la nation c’est, si je puis dire, la déesse de la population, la nation c’est ce qui préside aux naissances, l’idée de nation n’est absolument pas même à l’horizon de la pensée antique; et ce n’est pas simplement le hasard d’un mot qui nous le démontre. Toutes ces choses ne vont pas de soi.

La notion de société c’est précisément, dirons-nous dans toute la mesure où justement nous pouvons la mettre en doute, c’est précisément aussi pour cela qu’elle est entrée comme une étrave, comme le soc d’une charrue dans notre réalité sociale. La notion qui nous dirige, qui nous oriente ici quand nous essayons de comprendre ce qui se passe au niveau des psychoses doit partir de ceci, c’est que quand je vous parle de subjectif, ou quand ici nous le mettrons en cause, toujours le mirage reste dans l’esprit de l’auditeur que le subjectif s’oppose à l’objectif, que le subjectif est du côté de celui qui parle, et de ce fait même par rapport à l’objectif, du côté des illusions, soit qu’il le déforme, soit qu’il le contienne. C’est encore une autre façon de laisser le subjectif du côté de celui qui parle.

Ce dont il s’agit pour nous, ce qui est la dimension omise jusqu’à présent ou plutôt mise entre parenthèses, élidée dans la compréhension du freudisme, c’est celle-ci: le subjectif est non pas du côté de celui qui parle, le subjectif est quelque chose que nous rencontrons dans le réel, non pas que le sub­jectif se donne à nous au sens où nous entendons habituel­lement le mot réel, c’est-à-dire qui implique l’objectivité. La confusion est sans cesse faite dans les écrits analytiques. Il apparaît dans le réel en tant que le subjectif suppose que nous avons en face de nous un sujet qui est capable de se ser­vir du signifiant comme tel, et de se servir du signifiant comme nous nous en servons, de se servir du jeu du signi­fiant, non pas pour signifier quelque chose, mais précisé­ment pour nous tromper sur ce qu’il y a à signifier, à se servir du fait que le signifiant est autre chose que la signification, pour nous présenter un signifiant trompeur. Cet état est tel­lement essentiel, que comme peut s’en assurer ceux d’entre vous qui ne savent pas déjà, comme j’espère que la plupart d’entre vous le savent, ceci est la première démarche de la physique moderne. Dans Descartes, la discussion du Dieu trompeur est le pas impossible à éviter de tout fondement d’une physique au sens où nous entendons ce terme.

Le subjectif est donc pour nous ce qui distingue le champ de la science où se base la psychanalyse, de l’ensemble du champ de la physique. C’est l’instance de cette subjectivité, comme présente dans le réel, c’est cela qui est le ressort essentiel qui fait que nous disons quelque chose qui est quelque chose de nouveau quand nous disons une série de phénomènes d’apparence naturelle qui s’appellent les névroses par exemple.

Il s’agit de savoir si les psychoses sont aussi une série de phénomènes naturels, s’ils sont dans un autre champ d’explication naturelle, si nous appelons naturel le champ de la science où il n’y a personne qui se sert du signifiant pour signifier. Ces définitions, je vous prie de les retenir, parce qu’après tout le vous les donne après avoir pris le soin de les décanter. En particulier, je crois que ce sont celles qui sont destinées à apporter la plus grande clarté sur le sujet, par exemple de la critique des causes finales.

L’idée de cause  finale qui nous répugne tellement, et dont nous faisons usage sans cesse – je parle dans la science telle qu’elle est actuelle­ment constituée, simplement d’une façon camouflée, dans la notion de retour à l’équilibre, par exemple, si la cause finale est simplement une cause qui réagirait trop activement, qui agit par anticipation, qui agit parce qu’elle tend vers quelque chose, qui est en avant, elle est absolument inéliminable de la pensée scientifique. Il y a tout autant de pas la question. La différence est très précisément ceci: c’est que dans ce signifiant il n’y a là personne qui l’emploie pour signifier quoi que ce soit, si ce n’est ceci: il y a un univers. Les choses qui nous font rire… je lisais dans M. (…) qu’il s’émerveillait combien l’existence de l’élément eau était une chose mer­veilleuse, combien on voyait bien là les soins qu’avait pris de l’ordre et de notre plaisir le Créateur, parce que si l’eau n’était pas cet élément à la fois merveilleusement fluide, lourd et solide, nous ne verrions pas les petits bateaux voguer si joliment sur la mer. Ceci est écrit, et on aurait tort de croire que M. (…) fût un imbécile. Simplement il était encore dans l’atmosphère d’un temps pour qui la nature était faite pour parler. Ceci nous échappe à raison d’une cer­taine purification venue dans nos exigences causales. Mais cette purification n’est pas autre chose qu’il ne pouvait échapper à des gens pour qui tout ce qui se présentait avec une nature signifiante était fait pour signifier quelque chose. Et c’est là tout ce que voulait dire ces prétendues naïvetés. Remarquez que pour l’instant on est en train de se livrer à une très curieuse opération qui consiste à s’en tirer de cer­taines difficultés qui sont très précisément présentées par les domaines limitrophes, ceux où il faut bien faire entrer la question de l’usage du signifiant comme tel, avec précisé­ment la notion de communication dont nous nous sommes entretenus ici de temps en temps.

Si j’ai mis dans ce numéro de revue, avec lequel vous vous êtes tous un peu familiarisés, je pense, l’article de Tomkins, c’est bien pour vous donner la façon naïve de se servir de la notion de communication. Vous verrez qu’on peut aller fort loin et on n’a pas manqué d’y aller; c’est à dire d’écrire l’his­toire naturelle en termes de (…). Il y a eu des gens pour dire qu’à l’intérieur de l’organisme les divers ordres de la sécré­tion interne s’envoient l’un à l’autre des messages sous la forme des hormones qui viennent avertir les ovaires que çà va très bien, ou au contraire que çà cloche légèrement.

Y a-t-il là un usage légitime de la notion de communica­tion ? Il n’est pas du tout absurde de se poser la question de savoir si c’est légitimement qu’on peut employer dans une telle occasion la notion de message. Pourquoi pas ? Si le mes­sage est simplement quelque chose de l’ordre de ce qui se passe quand nous envoyons un rayon, invisible ou pas, sur la cellule photoélectrique. En effet, pourquoi pas ? Cela peut aller fort loin, comme je vous l’ai déjà dit un jour, je crois. Si nous balayons le ciel avec le pinceau d’un projecteur, nous voyons apparaître quelque chose au milieu. Cela peut être considéré comme la réponse du ciel. Je pense qu’au fur et à mesure que vous voyez mieux l’usage que nous en faisons, la critique se fait elle-même. Mais c’est encore prendre les choses d’une façon trop facile effectivement.

Où pouvons-nous parler vraiment de la notion de com­munication ? Vous allez me dire que c’est évident, il faut une réponse. Cela peut se soutenir. C’est une question de défi­nition. Définirons-nous qu’il y a communication à partir du moment où la réponse s’enregistre? Et il n’y a qu’une façon de définir la réponse, c’est qu’il revienne quelque chose au point de départ. Ceci est le schéma du feed-back. Toute espèce de machine qui comporte une autorégulation, c’est-­à-dire un retour de quelque chose qui est enregistré quelque part et, comme tel, du fait de cet enregistrement, déclenche une opération qui, de quelque façon qu’elle agisse, pourra être appelée opération de régulation, ceci constitue une opération de réponse. Et la communication commence là.

Mais dirons-nous, pour autant qu’il s’agisse à proprement parler de quelque chose qui déjà nous mette au niveau du signifiant, et de sa fonction ? Je dirai non: une machine thermo-électrique soutenue par un feed-back n’est pas ce quelque chose à l’intérieur de quoi nous puissions dire qu’il y a un usage du signifiant, l’isolement du signifiant comme tel, nécessite qu’à parti – elle se présente d’abord d’une façon paradoxale, comme toute distinction dialectique – à partir du moment où au niveau du récepteur ce qui est important ce n’est pas l’effet du contenu du message, ce n’est pas l’hormone qui du fait qu’elle survient va déclencher quelque part dans l’organe telle ou telle réaction, c’est qu’au point d’arrivée du message, on prend acte du message. Est-ce que cela implique une subjectivité ? Regardons-y de bien près. Ce n’est pas sûr. Ce qui distingue l’existence du signifiant en tant que système corrélatif d’éléments qui prennent leur place synchroniquement et diachronique­ment les uns par rapport aux autres. Cela implique pour qu’il y ait signifiant de supposer ceci: je suis dans la mer, capitaine de quelque chose, un petit navire. je vois quelque part des choses qui dans la nuit s’agitent d’une façon qui me laisse à penser qu’il peut s’agir d’un signe. Il y a là plusieurs façons de réagir. Si je ne suis pas un être humain encore, je réagis par toutes sortes de manifestations, comme on dit, modelées, motrices et émotionnelles. je satisfais aux des­criptions des psychologues. je comprend quelque chose, je fais tout ce que je vous dit qu’il faut savoir ne pas faire. Si je suis un être humain, j’inscris sur mon tableau de bord : « à telle heure, par tel degré de longitude et de latitude, nous apercevons ceci et cela ». Et c’est cela qui est essentiel. je mets si je puis dire, mes responsabilités à couvert. La dis­tinction du signifiant est là, le fait qu’on prend acte du signe comme tel, c’est l’accusé de réception qui est l’essentiel de la communication en tant qu’elle est non pas significative, mais signifiante. Et il faut fortement articuler cette distinc­tion, car si vous ne l’articuler pas fortement, vous retombe­rez sans cesse aux significations, c’est-à-dire à quelque chose qui en soi ne peut que nous masquer, que nous laisser échapper le ressort original, propre, distinctif, du signifiant en tant qu’il exerce sa fonction propre.

je vous le présente ici sous des formes imagées, voire humoristiques. Ceci est absolument essentiel.

Retenons donc bien ceci, même quand à l’intérieur d’un organisme, quoi qu’il soit, vivant ou pas, même, quand des transmissions se passent qui sont fondées sur l’effectivité du tout ou rien, même quand grâce à l’existence d’un seuil, par exemple, nous avons quelque chose qui n’est pas jusqu’à un certain niveau, et puis qui, tout d’un coup, fait un certain effet (retenez l’exemple des hormones) nous ne pouvons pas encore parler de communication, si dans la communication nous impliquons l’originalité de l’ordre du signifiant, pour la raison que ce n’est pas en tant que tout ou rien que quelque chose est signifiant, c’est pour autant quelque chose, qui constitue un tout, le signe, est là justement pour ne signifier rien. C’est là que commence et que se distingue l’ordre du signifiant de l’ordre de la signification.

Et si la psychanalyse nous apprend quelque chose, si la psychanalyse constitue une nouveauté, c’est justement en ceci que le développement de l’être humain, que le fonc­tionnement de ce qui au maximum l’intéresse essentielle­ment n’est absolument d’aucune façon déductible d’une façon directe de la construction du développement des interférences de la composition des significations, c’est à dire des instincts, mais que leur fonctionnement à ces signi­fications et à ces instincts, n’articule, ne s’organise de façon telle qu’un monde humain puisse en sortir, que le monde que nous connaissons dans lequel nous vivons, au milieu duquel nous nous orientons, implique non pas seulement l’existence des significations, mais de l’ordre d’un signifiant.

Si le complexe d’Œdipe qui est une chose dont l’ordre, le degré d’élaboration, est essentiel à la normativation sexuelle, – et c’est pour autant qu’il introduit comme tel et nommé­ment le fonctionnement du signifiant comme tel, dans la conquête du dit homme ou femme, si le complexe d’Œdipe n’est pas l’introduction du signifiant, je demande qu’on m’en donne une conception quelconque

Ce n’est pas parce que le complexe d’Œdipe est contem­porain de la dimension ou de la tendance génital qu’on peut un seul instant concevoir qu’il soit essentiel à un monde humain réalisé, à un monde achevé, à un monde humain qui ait sa structure de réalité humaine. Car en réalité, il suffit d’y penser un instant, s’il y a quelque chose qui n’est assurément pas fait pour introduire l’articulation et la différenciation dans le monde c’est bien précisément la fonction génitale. S’il y a quelque chose qui est bien ce qu’il y a de plus paradoxal, par rapport à toute structuration réelle du monde, c’est bien ce qui dans son essence propre va à la plus mystérieuse des effusions. Ce n’est pas la dimension instinctuelle qui est opé­rante dans l’étape à franchir de l’Œdipe. À cet égard, il est bien clair ce sont justement les étapes prégénitales qui nous montrent toute la diversité, tout le matériel qui nous permet assurément plus facilement de concevoir comment, par ana­logie de signification, le monde de la matière, pour l’appeler par son nom, se relie à toutes sortes de choses que l’homme a immédiatement dans son champ; dans la somme du manie­ment à ses propres échanges, ses échanges corporels, excré­mentiels, pré-génitaux sont bien suffisants pour structurer un monde d’objets, pour structurer un monde de réalité humaine complète, c’est-à-dire où il y ait des subjectivités.

Il n’y a pas d’autre définition justement scientifique des subjectivités que par cette possibilité de manier le signifiant à des fins purement signifiantes, et non pas significatives, c’est-à-dire qui n’expriment aucune relation directe de l’ordre de l’appétit font jouer l’ordre du signifiant et non pas simplement à l’état de signifiant constitué.

ce moment, les choses sont simples. Mais l’ordre du signifiant en tant qu’il faut que le sujet le conquiert, l’acquiert, soit mis à l’endroit du signifiant dans un rapport d’implication qui touche à son être, en d’autres termes, que ce quelque chose se passe qui aboutit à la formation de ce que nous appelons dans notre langage lequel tombe bien dans la définition, dans la définition du signifiant, qui est bien de ne rien signifier, qu’il est capable à tout moment de donner des significations diverses, à savoir les plus imbéciles, à savoir ce que veut dire le surmoi; il n’est pas besoin d’aller bien loin dans la littérature analytique pour voir l’usage qui en est fait. Le surmoi est quelque chose, c’est précisément quelque chose qui nous pose la question de savoir quel est donc le schéma du surmoi, quel est l’ordre d’entrée, d’introduction, d’instance présente du signifiant qui est indispensable pour qu’un organisme humain fonctionne comme tel, c’est-à-dire un organisme humain qui n’est pas seulement dans un milieu naturel, mais qui a aussi à s’arranger, à fonctionner en raison, en fonction, en rapport avec un univers signifiant. Nous retrouvons là le carrefour auquel je vous ai laissés la dernière fois à propos des névroses. Quant aux symp­tômes, c’est toujours une implication précisément de l’orga­nisme humain dans quelque chose qui est structuré comme un langage, c’est-à-dire où tel ou tel élément de son fonc­tionnement va entrer en jeu comme signifiant.

J’ai été plus loin la dernière fois. J’ai pris l’exemple de l’hystérie pour vous dire la structure d’une névrose hysté­rique. C’est une question, c’est-à-dire c’est quelque chose qui est centré autour d’un signifiant qui, quant à sa signifi­cation, reste énigmatique; la question de la mort ou la ques­tion de la naissance étant les deux dernières très précisément qui n’ont justement pas de solution dans le signifiant. C’est ce qui donne aux névroses leur valeur existentielle par rap­port à cette définition.

Que veulent dire les psychoses ? Quelle est la fonction de ces rapports du sujet au signifiant dans les psychose ? C’est ceci qu’à plusieurs reprises nous avons déjà essayé de cerner.

Que nous soyons forcés ainsi d’aborder les choses, d’une façon qui soit toujours périphérique, c’est quelque chose qui doit avoir sa raison d’être dans la question elle-même, telle qu’elle se pose. C’est quelque choses que nous sommes forcés de constater pour l’instant à la façon d’un obstacle, une résistance, au sens propre du terme, c’est qui nous livrera enfin sa signification dans la mesure où nous aurons porté les choses assez loin pour nous rendre compte de pourquoi il en est ainsi.

Une fois de plus nous réabordons le problème avec cette fois-ci le dessein de faire, comme nous l’avons fait à chaque fois un pas de plus. Je vous ai signalé dans la psychose cette sorte de schéma auquel nous sommes arrivés, qu’il devait y avoir à un moment quelque chose qui ne s’était pas réalisé dans le domaine du signifiant, qui avait été « verworfen », qui avait fait l’objet d’une « Verwerfung », et que c’est cela qui réapparaît dans le réel; cette notion, cette différence essentielle qui se distingue de tout autre mécanisme assu­mable dans ce que nous connaissons de l’expérience quant aux rapports de l’imaginaire, du symbolique et du réel, c’est qu’il y a quelque chose de tout à fait distinct dans les psychoses de ce qui se passe ailleurs.

Dans la théorie analytique, Freud tout d’abord et le pre­mier l’a puissamment articulé, il a bien marqué, et jusque dans les textes que nous travaillons, le Président Schreber, la distinction qu’il y a entre une projection intentionnelle, une jalousie où je suis jaloux dans l’autre de mes propres senti­ments, où c’est moi qui signifie qu’en moi-même ce sont mes propres pulsions d’infidélité que j’impute à l’autre; la dis­tinction radicale qu’il y a entre cette conviction passionnelle avec une conviction délirante, à propos de laquelle Freud essaie de nous apporter la formule que ce qui a été rejeté de l’intérieur réapparaît par l’extérieur, ou, comme on essaie de l’exprimer dans ce langage amplificateur, que ce qui a été sup­primer dans l’idée réapparaît dans le réel. Mais justement, qu’est-ce que cela veut dire ? Car dans la névrose aussi nous le voyons ce jeu de la pulsion, et nous voyons ses consé­quences. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose d’essentielle­ment confus, directement impensable, quelque chose qui nous laisse à désirer, quelque chose dont le maniement est tout à fait défectueux et insensé dans cette simple formule ? Si nous nous limitons à celle-là, c’est celle à laquelle tous les auteurs se limitent. Quand je vous l’ai présentée sous cette forme, je ne voulais pas présenter quelque chose d’original, je pense trouver quelqu’un qui pourrait m’aider à y regarder de plus près dans les travaux de Katan, des cas analogues au pré­sident Schreber, où il a essayé de serrer de très près ce méca­nisme de la néo-formation psychotique. Vous verrez, c’est en cela que ce sera très illustratif, à quelles difficultés concep­tuelles, à quelle sorte d’impasse extravagante – d’où il sort – au prix de quelles formules contradictoires dans lesquelles on est forcé de s’engager, si on avance dans ce problème d’une réalisation distincte de l’épreuve du réel, ou d’une réalité, dans le sentiment du réel; dans quelles difficultés on s’engage si on confond, si peu que ce soit, la notion de réalité avec celle d’objectivité voire avec celle de signification. Car toute une prétention phénoménologique, qui pour l’instant déborde largement le domaine de la psychanalyse, et qui n’y règne que pour autant qu’elle règne également ailleurs, est fondée sur ce quelque chose qui confond le domaine de la signifiance et le domaine de la signification; partant de travaux qui ont leur grande rigueur, qui sont pré­cisément des élaborations dans la fonction du signifiant, elle a glissé – et c’est là la confusion fondamentale qui existe dans ce que nous appelons la phénoménologie prétendue psy­chologique – elle glisse au domaine de la signification, c’est-­à-dire qu’elle est conduite comme une chienne à la piste, et que tout comme la chienne, çà ne la mènera absolument jamais à aucune espèce de résultat scientifique.

La prétendue opposition  de l’« Erklären » et du « Verstehen ». Et là nous devons maintenir qu’il n’y a de structure scientifique que là où il a « Erklären », et le « Verstehen », c’est l’ouverture vers toutes les confusions.

L’«Erklären » n’implique pas du tout de signification mécanique, ni d’autre façon des choses de cet ordre. La nature de l’« Erklären » n’implique pas du tout de significa­tion mécanique, ni d’aucune façon des choses de cet ordre. La nature de l’« Erklären » c’est la recherche et le recours essentiel au signifiant, comme étant le seul fondement de toute structuration scientifique concevable et possible.

Abordons maintenant le problème de nos psychoses. Par exemple dans le cas Schreber, nous voyons au départ une période de trouble, période, moment fécond, dans lequel il y a tout un ensemble symptomatique qui à la vérité, pour être en général passé à l’as, exactement pour nous avoir glissé entre les doigts, n’a pu être élucidé analytiquement, et n’est jamais la plupart du temps que reconstruit. Cette période nous pouvons en la reconstruisant y trouver, à très peu de choses près, toute l’apparence des significations et des méca­nismes dont nous suivons le jeu dans la névrose. Rien ne res­semble autant à une symptomatologie névrotique qu’une symptomatologie prépsychotique. Au moment où nous nous intéressons à la psychose comme telle, au moment où le diagnostic est fait, nous avons affaire à un moment où l’on nous dit tout ce qui est de l’inconscient est là, étalé au dehors, tout ce qui est de l’« Id » est passé dans le monde extérieur. Et ceci est si clair, les significations qui sont là ont pour effet véritablement paradoxal que nous ne pouvons précisément pas – c’est la position classique et qui garde sa valeur – inter­venir analytiquement.

Le paradoxe de ceci n’a jamais échappé à personne, et simplement les raisons qu’on a données pour expliquer ce paradoxe, ont simplement toutes le caractère, -Je crois que c’est pour cela qu’il serait intéressant de faire l’analyse des textes tels que ceux que nous avons indiqués tout à l’heure, – de nous faire entrer dans les tautologies, dans des contra­dictions, dans des superstructurations d’hypothèses tout à fait insensées. Il suffit de s’intéresser un peu à la littérature analytique comme symptôme pour s’en apercevoir.

Où est le ressort ? Est-ce que c’est en effet que le monde de l’objet soit atteint, capturé, induit d’une façon quel­conque par une signification en rapport avec les pulsions qui caractérisent les psychoses ? Est-ce que c’est, si vous voulez, l’édification du monde extérieur qui serait ce qui caractéri­serait les psychoses, si nous en croyons la définition qu’on nous donne ? Parce qu’en effet s’il y a bien quelque chose dont on pourrait également se servir pour définir la névrose, c’est cela: la névrose est bien ce quelque chose encore; à par­tir de quel moment décidons-nous le sujet a franchi les limites; il a franchi celle-là, il est dans le délire.

Prenons le cas de notre Président Schreber. Le Président Schreber pendant la période prépsychotique vit quelque chose qu’il nous donne à l’état vivant, c’est cette question dont je vous disais qu’elle est au fond de toute forme névro­tique; c’est bien dans cette période après-coup, avec les petits morceaux, il nous montre qu’il a été en proie à d’étranges pressentiments; qu’il a été tout d’un coup envahi par cette image qui était celle vraiment semble-t-il la moins faite pour entrer dans l’esprit d’un homme de son espèce et de son style, qu’il devait après tout être fort beau d’être une femme en train de subir l’accouplement. Pour nous bien entendu, qui suivons tout le développement de la psychose, tout ceci ne nous paraît pas très surprenants.

Alors, pourquoi allons-nous faire une limite entre le moment où il était encore à cette période de confusion panique et le moment où son délire a fini par construire effectivement qu’il était une femme et pas n’importe laquelle, qu’il était la femme divine, ou plus exactement la promise de Dieu, ce qui a été la construction de son délire.

[ p. 217,l.27  la femme divine ou plus exactement la promise de Dieu]

Est-ce que c’est là quelque chose qui suffit à donner la définition de son cas, le franchissement, l’entrée dans la psy­chose ? Assurément pas. Katan rapporte un cas qu’il a vu se déclarer à une période beaucoup plus précoce que celle de Schreber. C’était le cas d’un jeune homme. Et il a pu avoir une notion tout à fait directe; il est arrivé à peine au moment où le cas virait. Il s’agit d’un jeune à l’époque de la puberté, dont il analyse fort bien toute la période pré-psychotique, en ceci que nous avons la notion que chez le sujet rien de l’ordre de son accession à quelque chose qui peut le réaliser dans le type viril, rien n’est là, tout a manqué; et que c’est par l’inter­médiaire d’une sorte d’imitation, d’accrochage, à la suite d’un de ses camarades, (je résume la notion analytique que nous pouvons prendre du cas de ses symptômes) qu’en somme il essaie de conquérir la typification de l’attitude virile comme telle; c’est dans la mesure où, comme lui et à sa suite, il se livre aux premières manœuvres sexuelles, celles de la puberté, la masturbation nommément, qu’ensuite il y renonce sur l’injonction du dit camarade, qu’il se met à s’identifier à lui pour toute une série d’exercices qui sont appelés conquête sur soi-même, c’est-à-dire qu’il se com­portait comme s’il était en proie à un père sévère, ce qui était le cas de son camarade; comme lui il s’intéressait à une fille qui, comme par hasard, est la même que celle à laquelle son camarade s’intéresse; et quand il sera allé assez loin dans cette identification à son camarade, la jeune fille lui tombera toute préparée dans les bras; c’est là manifestement le méca­nisme du « comme si » que Mme Hélène Deutsch dans un article dont je vous donne le sens, a mis en valeur comme une dimension tout à fait significative dans la symptomatologie des schizophrénies, mécanisme de compensation, à propre­ment parler, imaginaire, (vous devez retrouver là l’utilité de la distinction de ces registres), une sorte de compensation imaginaire de l’Œdipe absent, de l’Œdipe en tant que qu’il lui aurait donné le signifiant, la virilité sous la forme non pas de l’image paternelle, mais du non-père.

Nous retrouvons là le substitut, la tentative d’équivalence, une équivalence. Dans le cas dont il s’agit, – à force d’échouer, – la psychose, quand elle éclate d’une façon qui ne va pas comporter de significa­tion foncièrement différente de la période-psychotique, le sujet va toujours se comporter en homosexuel inconscient. Il s’y comportait déjà auparavant. Tout le comportement par rapport à l’ami qui est l’élément pilote de sa tentative de structuration au niveau de la puberté, va se retrouver dans son délire. À partir de quel moment délire-t-il ? Il délire à partir du moment où il dit que son père le poursuit pour le tuer, pour le voler également, pour le châtrer également. Le sujet comme on dit, est là par tous les contenus impliqués dans les significations névrotiques. Mais on ne met pas en relief ceci qui est pourtant le point essentiel, le délire com­mence à partir du moment où l’initiative vient d’un Autre, (avec un A), où l’initiative est là fondée sur une activité sub­jective. « L’Autre veut cela » et d’ailleurs il faut y mettre des réserves. Il veut cela, et il veut aussi surtout qu’on le sache, il veut le signifier.

Nous entrons, dès qu’il y a délire, à pleine voile dans le domaine d’une inter-subjectivité dont tout le problème est de savoir pourquoi elle est fantasmatique. Mais au nom du fantasme dont nous avons l’omniprésence dans la névrose, aussi attachés à la signification du fantasme, nous oublions la structure, à savoir qu’il s’agit de signifiants, et de signi­fiants comme tels, maniés par un sujet à des fins signifiantes, tellement purement signifiantes que la signification, elle reste très souvent problématique et d’autant plus que ce que nous avons rencontré dans cette symptomatologie implique toujours ce que je fais rentrer aujourd’hui dans le jeu de notre dialectique; parce que je vous l’avais promis, qu’il faut bien que chaque thème rentre à son moment, un thème, que je vous ai déjà annoncé l’année dernière à pro­pos du rêve de l’injection d’Irma, dans le mécanisme dit de l’immixtion des sujets, le propre de la dimension intersub­jective, c’est-à-dire que vous avez dans le réel un sujet capable de se servir du signifiant comme tel, c’est-à-dire non pas pour vous informer, comme on dit, mais très précisé­ment pour vous leurrer, que cette possibilité soit là essen­tielle, c’est cela qui distingue l’existence du signifiant. Mais ce n’est pas tout.

Dès qu’il y a sujet et usage du signifiant, il y a usage pos­sible de l’entre-je; c’est-à-dire du sujet interposé. Cette im­mixtion des sujets, dont vous savez que c’est l’un des éléments les plus manifestes du rêve de l’injection d’Irma, à savoir les trois praticiens appelés à la queue leu leu par Freud, qui veut savoir ce qu’il y a dans la gorge d’Irma. Et ces trois per­sonnages bouffonnant qui opèrent, qui parlent, qui sou-tien­nent des thèses, qui ne disent que des bêtises. ces « entre-je » jouent là un rôle essentiel. Ils sont en marge de l’interrogation de Freud qui est celle-ci: qu’est-ce qui joue son rôle dans ce qui est à ce moment là sa préoccupation essentielle, sa préoc­cupation majeure, celle où lui-même dans une lettre à Fliess, rejoint ce que je suis en train de vous dire quand il parle de la défense qui est la préoccupation dont je parle, et qui dit à Fliess : «Je suis en train », à propos de la défense, «)e suis au beau milieu de ce qui est hors de la nature ».

La défense c’est en effet cela c’est quelque chose qui a un rapport tellement essentiel au signifiant, qui est tellement liée, non pas à la prévalence de la signification, mais à l’ido­lâtrie du signifiant comme tel, qu’il est impossible de la concevoir autrement. Ceci n’est qu’une indication. L’immix­tion des sujets, est-ce que ce n’est pas très précisément là ce quelque chose qui nous apparaît à portée de la main dans le délire ? L’immixtion des sujets, cette chose qui est tellement essentielle à toute relation intersubjective qu’on peut dire que je crois qu’il n’y a pas de langue qui ne comporte des tournures grammaticales tout à fait spéciales pour l’indiquer. Pour vous faire comprendre ce que je veux dire, je vais prendre un exemple. C’est toute la différence qu’il y a entre « le médecin-chef qui a fait opérer ce malade par son interne » et « le médecin-chef qui devait opérer ce malade, il l’a fait opérer par son interne ». Vous devez bien sentir, encore que là ça aboutisse à la même action, ça veut dire deux choses complètement différentes. Dans le délire, c’est de cela qu’il s’agit tout le temps. On leur « fait faire » ceci. C’est là qu’est le problème, loin que nous puissions dire tout simplement que l’« Id » est là tout brutalement présent, et réapparaissant dans le réel. Tout se passe comme si dans une sorte d’impasse ou de perplexité concernant le signifiant dont il s’agit au fond de la psychose, le sujet réagissait par cette tentative de resti­tution, de compensation de la crise déchaînée fondamentale­ment, là aussi, par quelque question sans doute. Qu’est-ce… ? Je n’en sais rien. Je suppose qu’il réagit à l’absence du signifiant par une affirmation d’autant plus appuyée d’un autre qui, lui, comme autre est essentiellement énigmatique. L’Autre (avec un A), le vous ai dit qu’il était exclu, qu’il était exclu en tant que porteur de signifiant. Il est d’autant plus puissamment affirmé qu’entre lui et le sujet, au niveau du petit autre, au niveau de l’imaginaire, se passent tous ces phénomènes d’entre-je qui, eux, vont constituer ce qui est apparent dans la symptomatologie de la psychose.

La question est justement tellement sensiblement éclairée par la nature des phénomènes qui se passent au niveau de l’entre-je, au niveau de l’autre du sujet, de celui qui a l’ini­tiative dans le délire, du professeur Fleschig dans le cas de Schreber, du Dieu qui est tellement capable de séduire qu’il met en danger l’ordre du monde, en raison de l’attraction. L’important, le révélateur aussi, le significatif, c’est le cas de le dire, est de voir apparaître au niveau de l’entre-je, c’est-à-dire au niveau du petit autre, du double du sujet, de ce quelque chose qui est à la fois son moi et pas son moi, des paroles qui sont une espèce de commentaire courant de l’existence, que nous voyons dans l’automatisme mental, ce commentaire des actes, cet écho de la pensée. Mais ceci est encore là bien plus accentué, puisqu’il y a une espèce, puisqu’il y a une espèce d’usage en quelque sorte taquinant du signifiant comme tel. Ce sont des phrases qui sont com­mencées, puis interrompues pour simplement (…) comme nécessaires; c’est-à-dire en tant qu’elles organisent et ne peuvent pas manquer à ce niveau de signifiant, qui est une phrase et qui comprend un milieu, un début et une fin qui ne peut pas ne pas se terminer, et qui au contraire joue sur l’attente, la relation temporelle, le ralentissement, tout un jeu qui se produit lui, au niveau imaginaire du signifiant comme tel comme si ici, l’énigme faute de pouvoir se for­muler d’une façon vraiment ouverte, autrement d’abord que par l’affirmation de l’initiative de l’autre, donnait sa solution en montrant ce dont il s’agit; c’est d’un rapport de signifiant comme tel, c’est du signifiant qu’il s’agit.

Ce qui au fond du rêve de l’injection d’Irma apparaît comme la formule en caractères gras, à savoir quelque chose qui est là pour nous montrer la solution de ce qui est au bout du désir de Freud, c’est de s’apercevoir qu’il n’y a rien de plus important qu’une formule de chimie organique, de même dans le délire nous trouvons là l’indication dans ces phénomènes des commentaires, dans le bourdonnement du discours à l’état pur, qui se produit autour du phénomène, l’indication, dans le phénomène lui-même, que ce dont il s’agit c’est de la question du signifiant.

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