mardi, novembre 5, 2024
Recherches Lacan

LIII LES PSYCHOSES 1955 – 1956 Leçon du 18 avril 1956

Leçon du 18 avril 1956

 

L’intérêt de la distinction sur laquelle j’insiste cette année, au premier plan de nos propos, entre le signifiant et le signi­fié, doit s’avérer être particulièrement justifié par la consi­dération des psychoses. Je vous le montre par divers abords. Je voudrai aujourd’hui vous le faire sentir par la lecture de quelques uns des morceaux du témoignage que nous a laissé Schreber.

Que ce sujet ait été « exceptionnellement doué », comme il s’exprime lui-même, pour l’observation des phénomènes dont il est le siège, et pour la recherche même de leur vérité, c’est quelque chose que nous ne pouvons pas négliger, et qui donne à ce témoignage sa valeur exceptionnelle.

Au moment où je vais choisir un de ces morceaux pour vous en faire part, je vous répète une fois de plus la question. Remarquez que ce que nous faisons dans l’exercice de notre mode de pensée analytique dans l’abord d’une question en général de perturbation mentale, qu’elle s’avère d’une façon patente comme telle ou qu’elle soit latente, dans des symp­tômes ou des comportements, c’est de chercher toujours la signification. C’est ce qui nous distingue. C’est ce pourquoi l’on nous fait crédit. C’est qu’en quelque sorte nous sachions la trouver plus loin et mieux que d’autres; je dirais plus, que nous en ayons vraiment le privilège. C’est là le crédit qui est attaché à la psychanalyse de ne pas nous laisser tromper sur la véritable signification, quand nous décelons la portée que prend pour le sujet un objet quelconque, c’est toujours d’une signification qu’il s’agit, en ce sens que quelque chose dans le sujet est intéressé dans le registre de cette significa­tion. C’est justement là que se produit, si l’on peut dire, la bifurcation, le point où je veux vous arrêter, pour vous mon­trer qu’il y a un carrefour, c’est-à-dire qu’à partir du moment où nous arrivons à rechercher quel est l’ordre d’intérêt qui prend le sujet dans une signification quel­conque, nous sommes tout naturellement menés sur le plan du désir, sur le plan de l’instinct, en fin de compte, comme représentant le type, le moule, préformation de ce désir, de cette appétence du sujet qui le prend dans cette signification, qui l’y fait corrélatif de l’objet, institué dès lors dans un cer­tain registre de relations instinctuelles, d’où toute la construction de la théorie des instincts, sur laquelle reposent les assises de la découverte analytique.

Dès que ce champ est, si peu que ce soit, rempli, nous pou­vons constater à l’intérieur de ce maniement que nous ferons des significations, nous pouvons nous poser des problèmes. Je dirai que nous ne les posons pas en raison même de la richesse du registre des significations auxquelles nous sommes par cette voie presque d’emblée parvenus.

Il y a là tout un monde, je dirai même presque tout un labyrinthe relationnel, qui, déjà en lui-même comporte suf­fisamment de bifurcations, de communications, de retours, pour que nous nous en croyions satisfaits c’est à dire en fin de compte que nous y soyons à proprement parler perdus, le fait est sensible dans notre maniement quotidien de ces significations.

Prenons un exemple qui est très actuel dans notre sujet, celui de la libido, de l’attachement homosexuel, pour autant qu’il entre comme participant, comme composant essentiel dans le drame de l’Œdipe. Qu’est-ce que nous dirons ? C’est que dans cette fixation, cette signification de la relation homosexuelle tend à se faire jour dans la relation de l’Œdipe, dans l’Œdipe inversé: nous expliquerons beaucoup de choses dans ce registre. La plupart du temps dans le cas de la névrose, nous dirons: le sujet se défend contre cet atta­chement, cette relation qui toujours tend à apparaître plus ou moins secrète, plus ou moins latente, dans ses comporte­ments. Qu’est-ce que nous chercherons comme cause de défense, le fait que le sujet a plus d’une façon de se défendre, mais que d’une façon générale, il y a ces différents modes de se défendre, qui s’appellent déjà défenses. Et à cette défense nous attribuons une cause, et cette cause par exemple nous la définissons comme crainte de la castration

Est-ce que vous ne sentez pas que cette chose que je prend comme le premier exemple qui est d’usage courant, nous la manions à tors et à travers, avec la plus grande simplicité 2 Nous ne manquons d’ailleurs jamais d’explications, parce que si nous n’avons pas celle-là ou que ce soit une autre, n’est-il pas sensible, et le moindre texte analytique le rend sensible, c’est que la question n’est jamais posée, de quel ordre de cohérence il peut bien s’agir ? À savoir en quoi l’orientions homosexuelle de l’investissement libidinal est­-il posé ? Pourquoi admettons-nous tout simplement et d’emblée qu’elle comporte cette cohérence causale pour le sujet ? En quoi la capture par l’image homosexuelle comporte-t-elle, même pour le sujet qu’il perdra son pénis ? Il faut pour cela ou bien que dans un cas donné nous détermi­nions une expérience spéciale, encore devrons-nous deman­der de quelle ordre elle a été, et en fin de compte quel ordre de causalité implique ce qu’on appelle le processus primaire. Jusqu’où pouvons-nous y admettre la relation causale, quels sont les modes de causalité qui sont appréhendés par le sujet dans une relation de capture imaginaire quelconque ? Suffit-­il que nous, qui la voyons du dehors, cette relation imagi­naire, et toutes ses implications d’ailleurs puisqu’il s’agit de l’imaginaire, ce sont des implications elles-mêmes construites, soit donnée dans le sujet. Je ne dis pas que nous ayons tort de penser qu’automatiquement entre en jeu la crainte de la castration avec toutes ces conséquences chez un sujet mal pris dans la capture passivante de la relation homo­sexuelle, je dis que nous ne nous posons jamais la question, je dis qu’il est probable que la question aurait des réponses différentes selon les différents cas, qu’il ne va pas de soi que cette cohérence causale qui en somme est reconstruite et impliquée par une sorte d’extrapolation tout à fait abusive de ce que les choses de l’imaginaire comporteraient dans le réel. je dis que nous ne nous posons jamais de questions sur ce plan, que nous pensons, quand nous en avons besoin que nous glissons tout naturellement à faire intervenir là, où il s’agit du principe du plaisir, là où il s’agit de résolution, de retour à l’équilibre, d’exigence du désir, que nous faisons implicitement, au moment où nous le voulons, intervenir le principe de réalité, si ça sert à expliquer quelque chose; si ça ne sert à rien expliquer, nous faisons intervenir autre chose.

Ceci nous permet de revenir comme à une question à la bifurcation, c’est-à-dire au moment où l’interrogation sur la signification nous a introduits à une nouvelle vue des intérêts que prend le sujet dans une relation foncièrement imaginaire du désir, celle tout au moins que nous pouvons concevoir au premier abord comme essentiellement imaginaire.

Avant de nous engager dans ce catalogue, dans ce laby­rinthe, dans cette complication des instincts et dans ses équi­valences, dans leurs débouchés les uns dans les autres, c’est là qu’il faut nous arrêter et nous dire: Est-ce que tout inté­rêt significatif du sujet humain, ne comporte pas la considé­ration comme telle des lois, seulement des lois biologiques qui font que pour le sujet humain un certain nombre de significations seront instinctivement, biologiquement, indi­viduellement intéressantes. Il y a aussi, quelle est la part là-dedans de ce qui relève à proprement parler du signifiant.

En d’autres termes, est-ce que pour tout ce qui est signifi­cation pour l’être humain ne se pose pas la question de l’insis­tance du jeu propre de la façon de l’intervention dans ses intérêts, tous, quels qu’ils soient, si profonds, si primitifs, si élémentaires que nous les supposions, des lois propres du signifiant étudiées comme telles.

Pendant des jours et des leçons, j’ai essayé, par tous les moyens de vous faire entrevoir cette chose que nous pour­rons appeler provisoirement autonomie du signifiant, c’est­-à-dire qu’il y a des lois propres sans doute extrêmement difficiles à isoler, puisque ce signifiant nous le voyons et nous le mettons toujours en jeu dans les significations.

C’est là l’intérêt de la considération linguistique du pro­blème, c’est que dans ce phénomène le plus fondamental des relations inter humaines, qui s’appelle le langage, je vous ai montré qu’il était impossible même de le saisir, de l’aborder, de s’apercevoir comment il fonctionne, si nous ne faisons pas fondamentalement et au départ de distinction du signi­fiant et du signifié, qui nous montre que le signifiant a ses lois propres, indépendamment du signifié, de sorte que s’il est vrai – c’est là le pas que je vous demande de faire dans ce séminaire – que le sens de la découverte psychanalytique çà n’est pas simplement d’avoir des significations, mais d’avoir été beaucoup plus loin qu’on n’a jamais été dans la lecture des significations s’il est vrai qu’il y a autre chose que cela, que l’essentiel de la découverte analytique ce n’est pas cela, le fait de ne pas s’occuper que de ça représente justement, doit représenter, doit se retrouver exactement partout où notre recherche analytique se heurte à des impasses, soit à des confusions, soit la plupart du temps à des sortes de cercles et de tautologies.

Or, je dis qu’il est vrai que la découverte analytique ce n’est pas cela. Et son ressort est dans ceci, non pas simple­ment, comme nous l’avions jusqu’ici méconnu, des significa­tions dites libidinales, dites instinctuelles, à toute une série de comportements humains. C’est vrai, il y a ça! Mais c’est que ces significations, que toute une zone de significations – et qui sont des plus primordiales, des plus enracinées, des plus proches des besoins au sens de l’insertion la plus animale dans l’entourage en tant que nutritif et en tant que captivant; que ces significations pour l’être humain sont soumises dans leur suite, dans leur formation, je dirai plus dans leur instauration, dans leur venue au jour, à des lois qui sont celles du signifiant.

Quand je vous ai parlé du jour et de la nuit, c’était pour vous faire sentir qu’au-delà de tout ce que recouvre le jour, la notion même de jour, le mot jour, la notion de la venue au jour est quelque chose d’à proprement parler insaisissable dans aucune réalité; il n’y a aucune définition, aucune limite si ce n’est que cette fonction de l’opposition du jour et de la nuit est quelque chose, comme une opposition signifiante, fondamentale, qui dépasse infiniment toute espèce de signi­fication, qu’elle arrive à recouvrir. Et si j’ai pris le jour et la nuit, c’est parce que notre sujet, c’est bien entendu, l’homme et la femme. Et que le signifiant homme comme le signifiant femme sont autre chose qu’attitude passive ou qu’attitude active; qu’attitude agressive ou qu’attitude cédante; sont autre chose que des comportements, qu’il y a un signifiant caché là derrière, sans aucun doute, bien entendu qui n’est nulle part absolument incarnable, mais qui quand même est au plus, de la façon la plus proche, incarné dans l’existence du mot homme et du mot femme.

En fin de compte, si ces registres de l’être sont quelque part, c’est en fin de compte dans les mots. Il n’est pas forcé que ce soit des mots verbalisés. Il se peut que ce soit un signe sur une muraille, il se peut que pour le primitif ce soit une peinture, une pierre, mais quelque chose qui est ailleurs que dans toute espèce de mode particulière de type de comporte­ment, de relation, de pattern, qui s’appelle attitude ou com­portement féminin ou masculin.

La réalité humaine – ceci n’est pas une nouveauté, parce qu’à partir du moment où je vous le dis vous devez recon­naître que nous ne disons absolument pas autre chose en disant par exemple que le complexe d’Œdipe est absolument essentiel pour l’être humain pour accéder à une structure humanisée du réel; c’est cela que ça veut dire, et ça ne peut pas vouloir dire autre chose; car il faut que toute cette com­position relationnelle avec la cristallisation de l’Œdipe où le sujet bien entendu ne peut pas être considéré comme pure­ment et simplement pris dans un champ, et duquel, par les lignes de force d’une relation triangulaire où à tout instant nous ne pouvons articuler le complexe d’Œdipe et ses diverses modalités, ses divers résultats et toutes les consé­quences que nous lui donnons que dans la mesure où le sujet est à la fois lui et les deux autres des partenaires. C’est ce que signifie exactement le terme d’identification que vous employez à tout instant.

Si cette intersubjectivité, avec ce qu’elle a à une certaine étape de vécu typiquement, avec cette crise que l’on appelle « déclin » et qui sanctionne par l’introduction dans le sujet d’une certaine nouvelle dimension que nous appelons plus ou moins proprement et avec toutes les discussions que cela comporte; si en somme, une crise dont nous avons défini et localisé le champ sous le nom de l’Œdipe, n’a pas simple­ment en elle-même cette structure, elle incontestablement et évidemment symbolique. On ne peut pas penser le com­plexe d’Œdipe autrement. S’il n’y a pas organisation dialec­tique dans le complexe d’Œdipe, nous ne savons plus ce que les pots veulent dire, si nous ne les disons pas comme une structure symbolique, mais si nous ajoutons que le passage du sujet par cette expérience symbolique ou dialectique est essentiel à son accès à la réalité, et par toutes nos voies, par tout ce qui court dans la littérature, dans la façon dont nous expliquons les choses, dont nous nous accordons sur un cer­tain nombre de principes fondamentaux, cela implique donc que pour qu’il y ait réalité, qu’il y ait accès suffisant à la réa­lité, que la réalité ait son poids, que le sentiment de la réalité soit pour nous un juste guide, pour qu’il n’y ait pas réalité psychotique, c’est-à-dire franchissement de la réalité dans la psychose, il faut que le complexe d’Œdipe ait été vécu. je ne pense même pas que la question fasse doute.

Mais le fait que ce ne serait pas généralement reçu ne change rien à la question. Il suffit que certains le tiennent pour sûr pour que par là même soit posé cette question. C’est donc d’une certaine expérience purement symbolique, à un de ces niveaux tout au moins impliquant la conquête de la relation symbolique comme telle, que dépend l’équilibration, la juste situation du sujet humain dans la réalité, dans son ensemble. Et après tout, maintenant à y réfléchir, qu’avons-nous besoin même de la psychanalyse pour le savoir? Comment ne sommes-nous pas étonnés que depuis longtemps les phi­losophes n’aient pas mis l’accent sur le fait que la réalité humaine est irréductiblement structurée comme signifiante ?

C’est de là que je partais une fois de plus la dernière fois, que sont bâties si je puis dire ces arches, que ces lignes de force sont faites, du signifiant comme tel, qu’il y ait un cer­tain nombre d’éléments.

je parlais tout à l’heure du jour et de la nuit, de l’homme et de la femme, de la paix et de la guerre. je pourrai encore énumérer un certain nombre de choses qui sont quelque chose qui ne se dégage pas du monde réel, qui lui donne son bâti, ses axes, sa structure, qui l’organise, qui font que l’homme s’y retrouve, qui font qu’il y a pour lui en effet une réalité, telle que nous la faisons intervenir dans l’analyse suppose à l’intérieur lui-même, cette trame, ces nervures de signifiant comme tel.

L’important d’attirer l’attention là-dessus, ce n’est pas de vous apporter cela comme quelque chose de nouveau. je veux dire que je vous l’apporte comme quelque chose de perpétuellement impliqué dans notre discours, mais de jamais isolé comme tel, ce qui pourrait jusqu’à un certain degré n’avoir pas d’inconvénient, mais qui en a, qui en a pré­cisément par exemple quand vous lisez tout ce qui est écrit sur les psychoses. Et vous verrez que quand on parle des psychoses les mêmes mécanismes d’attraction, de répulsion, de conflit, de défense, sont mis en cause dans notre discours, que quand nous parlons des névroses; mais que les résultats quand même, phénoménologiquement et psychopathologi­quement sont tout de même distincts ne disons pas opposés, si le mot opposé en effet veut dire quelque chose dans notre propre registre. Mais pourtant nous ne donnons pas enfin de compte d’autre explication.

Nous nous contentons des mêmes effets de signification. C’est là qu’est l’erreur. C’est là que quelque chose ne peut manquer de nous apparaître comme franchement insuffisant. C’est là que je vous prie de vous arrêter un instant sur l’exis­tence de la structure du signifiant comme tel, pour tout dire, existe dans la psychose.

En effet, les significations apparaissent, je dirai même si proliférantes plus proliférantes qu’ailleurs. Cela n’est pas en raison d’un motif, d’un départ, d’une relation essentielle par où la psychose se distingue radicalement de la névrose qui est que ce dont il s’agit ce n’est pas de je ne sais quelle perte également du sujet dans le labyrinthe des significations, de je ne sais quel point mort où il s’est arrêté dans ce que nous appelons fixation dans l’ordre de ces relations significatives, mais qu’il s’agit de quelque chose qui arrive à un moment au jour, qui se manifeste dans les relations du sujet au signifiant. Qu’est-ce que ceci comporte et va pouvoir dire ?

Essayez ce que peut être l’apparition d’un pur signifiant, de ce signifiant que nous pouvons d’abord concevoir comme tellement distinct en lui-même de la signification. Il faut que nous pensions que ce qui distingue le signifiant c’est vrai­ment cela, d’être distinct. C’est-à-dire d’être en lui-même sans signification propre, l’apparition d’un pur signifiant, c’est là quelque chose bien entendu que nous ne pouvons même pas imaginer, par définition. Et pourtant dès que nous nous posons des questions d’origine, il faut quand même que nous nous approchions de ce que ça peut représenter.

Est-ce que vous ne voyez pas que ces signifiants de base sans lesquels l’ordre des significations humaines, l’ordre de ces intérêts – c’est notre expérience qui à tout instant nous le fait sentir – ne saurait s’établir, – est-ce que ce n’est pas justement cela que nous expliquent toutes les mythologies ? Est-ce que vous vous imaginez le terme de « pensée magique », avec lequel la connerie scientifique moderne s’exprime pour chaque fois qu’on se trouve devant quelque chose qui semble dépasser ces petites cervelles ratatinées de gens dont il semble que pour pénétrer dans le domaine de la culture, la condition première et indispensable est que rien d’eux-­mêmes les prenne dans un désir quelconque qui les huma­nise. Est-ce que vraiment le terme de « pensée magique » vous paraît suffire pour expliquer que des gens, des gens qui avaient toutes les chances d’avoir les mêmes rapports sur la naissance, qui nous ont interprété la naissance du monde comme le jour et la nuit, comme la terre, le ciel, comme des entités qui se conjuguent et qui copulent, et qui, dans une famille mêlée d’assassinats, d’incestes, d’éclipses extraordi­naires, de disparitions, métamorphoses, mutilations de tel ou tel terme. Et vous croyez que pour ces gens-là, ces choses ils les prennent vraiment au pied de la lettre ? S’imaginer qu’ils expliquent quelque chose, c’est vraiment les mettre au niveau mental de l’évolutionnisme de nos jours qui, lui, croit expliquer quelque chose…

je crois que dans le mode de l’insuffisance de la pensée, nous n’aurions dans ce cas-là, absolument rien à envier aux Anciens.

N’est-il pas clair que ces mythologies c’est très précisé­ment quelque chose qui veut dire ça, qui vise ce qui est en effet essentiel à la position, à l’installation, à la tenue debout de l’homme dans le monde. Savoir en effet quels sont les signifiants primordiaux. Comment on peut concevoir leurs rapports, leur généalogie. Il n’y a pas besoin d’aller les cher­cher dans les mythologies grecque, égyptienne. M. Griaule est venu nous expliquer la mythologie en Afrique. Ils s’ima­ginent qu’il s’agissait réellement d’un placenta divisé en quatre; et l’un arraché avant les autres, entraînant avec lui un morceau de placenta, introduisant la première dissymé­trie avec la dialectique entre ces quatre éléments primitifs, sans cesse qui sert à expliquer aussi bien la division des champs, la façon dont on porte les vêtements, ce que signi­fiaient les vêtements, le tissage, tel ou tel art, etc…

C’est très précisément la généalogie des signifiants pour autant qu’elle est essentielle à un être humain pour s’y reconnaître, pour s’y retrouver, pour y découvrir, non pas seulement les poteaux d’orientation qui se plaquent comme une espèce de moule extérieur stéréotypée sur ces conduites; ça ne lui donne pas simplement des patterns; ça lui permet une libre circulation dans un monde désormais mis en ordre. Est-ce que ce n’est pas de cela justement qu’il s’agit quand, dans cette psychologie l’homme moderne, peut être bien moins loti, nous en savons le soupçon depuis quelque temps, qu’un primitif, pour s’y retrouver dans cette ordre de signifiances, et qui en est réduit sur beaucoup de choses, il faut bien le dire, tout à fait à la différence du pri­mitif qui a tout de même des clefs grâce à ses mythes, pour toutes sortes de situations extraordinaires, il y a des clefs pour le cas où il se met en rupture avec tout; il est encore pris, il retrouve encore la possibilité des signifiants qui le supportent à ce moment-là, qui lui disent par exemple très exactement la forme de la punition que comporte sa sortie qui peut produire à plus d’un niveau des désordres et de la règle qui lui impose son rythme fondamental. Nous, nous en sommes, me semble-t-il, plutôt réduits à rester très peu­reusement dans un conformisme, et à craindre de devenir un petit peu fous, dès que nous ne disons pas, en somme, exac­tement la même chose que tout le monde. C’est plutôt ça la situation de l’homme moderne.

Alors bien entendu, à partir du moment où nous incar­nons tant soit peu cette présence du signifiant dans le réel nous pouvons peut-être nous imaginer aussi qu’en effet si quelque chose dont nous avons le sentiment de la sortie d’un signifiant, que ça s’est produit de la sortie d’un signifiant, avec tout ce que cela peut comporter de retentissement, jusqu’au plus intime des comportements et des pensées, il est certain que l’apparition de tel ou tel registre, comme celui d’une nouvelle religion, ça n’est pas quelque chose que nous puissions manipuler facilement, l’expérience le prouve. Quand nous nous intéressons à ces problèmes en termes sim­plement de virage des significations, de changement du senti­ment, de changement des rapports, du moins socialement conditionnés, que l’élément du nouveau symbole de la créa­tion d’un signifiant nouveau que son apparition littéralement dans le monde, et dont on ne sait donc pas qu’elle s’accom­pagne de toutes sortes de phénomènes dits révélatoires, et qui peuvent chez ses porteurs, apparaître sous un mode souvent assez perturbant pour que les termes dont nous nous servons dans les psychoses nous paraissent absolument inap­propriés pour désigner leurs réactions; le caractère rava­geant à son apparition de quelque chose qui est une nouvelle structure dans les relations entre les signifiants de base, c’est quelque chose que nous pouvons entrevoir comme devant être étudié en visant, recherchant, ce que peut être l’appari­tion d’un nouveau terme dans l’ordre du signifiant.

Cela n’est pas notre affaire. En fait, nous avons affaire à ce quelque chose tel que si nous le voyons à l’état résiduel, à l’état de noyau irréductible dans un certain nombre de phé­nomènes qui sont à notre portée, qui sont ceux que nous considérons chez des sujets pour lesquels nous touchons du doigt, avec évidence, l’intervention de quelque chose qui se passe au niveau de la relation dite oedipienne, simplement la question supplémentaire que le vous invite à vous poser, est ceci si nous ne pouvons pas nous intéresser à ce que peut constituer l’apparition d’un signifiant, phénomène qu’à proprement parler nous n’avons jamais ou professionnelle­ment à considérer comme tel, ce que tous nos propos jusqu’à présent nous poussent à mettre au premier plan, pour nous interroger là-dessus, est-ce qu’il n’est pas conce­vable, et plus concevable en effet que partout ailleurs, chez des sujets qui sont immédiatement accessibles, qui sont les psychotiques, de considérer les conséquences d’un manque essentiel d’un signifiant ?

Là encore, je ne dis rien de nouveau. je formule simple­ment d’une façon claire ce qui est perpétuellement impliqué dans notre discours quand nous parlons du complexe d’Œdipe, nous disons qu’un cas ou une névrose, comme on s’exprime plus ou moins proprement – une névrose sans Œdipe, de temps en temps nous sommes amenés à penser qu’il y en a peut-être ? Ce n’est pas vrai, mais on l’a soulevé. Dans une psychose nous admettons assez volontiers qu’il y a eu quelque chose qui n’a pas fonctionné, qui ne s’est pas com­plété dans l’Œdipe, essentiellement en essayant de voir, d’après un cas paranoïaque tout à fait homologue par certains côtés au cas du président Schreber qu’un analyste, a eu à étudier in vivo. C’est bien à cela qu’il arrive. Rien n’est concevable dans le déroulement depuis la période prépsychotique jusqu’à l’épanouissement de la structure psychotique qu’il nous présente comme une tentative de restitution, dont il voit très bien que ce n’est pas une restitution comme une autre, dont il dit des choses qui vont en fin de compte être très proches de ce que je vais vous dire, à ceci près que manifeste­ment il s’embrouille et se perd perpétuellement, parce qu’il ne peut arriver à formuler les choses comme celles-ci, comme je vous propose de les formuler: la psychose consiste en un manque quelque part, un trou, le manque au niveau du signi­fiant comme tel; cela peut vous paraître insuffisant, imprécis. Mais c’est tout de même assez suffisant pour se formuler, même si nous ne pouvons pas dire – et pour cause -, ce que c’est ce signifiant, ce que ça va être.

Nous allons au moins qu’est ce signifiant pouvoir le cerner par approximation dans un certain secteur, dans un certain champ; nous pouvons désigner, je dirai, l’ensemble des significations avec lequel apparaît, connoté dans son approche – si on peut parler de l’approche d’un trou, mais en effet, pourquoi pas ? Il n’y a rien de plus dan­gereux que l’approche d’un vide. Et il y a une autre forme de défense, peut-être que celle provoquée par une tendance ou une signification interdite, c’est la défense qui consiste à ne pas s’approcher de l’endroit par exemple où il n’y a pas de réponse à la question. Bien entendu, nous y sommes bien tranquilles. Et somme toute, on peut bien le dire, c’est la caractéristique des gens normaux. « Ne posons pas de questions ».

Nous l’avons appris, c’est pour cela que nous sommes là. Mais du fait que nous sommes psychanalystes, il faut faire un tout petit retour sur cette conséquence primitive de l’éducation que nous avons eue, il faut nous dire que nous sommes peut-être quand même faits pour justement, au moins dans la stricte mesure où cela peut nous servir à éclairer les malheu­reux qui, eux, se sont posés des questions. Car en fin de compte, nous sommes certains maintenant que chez les névrosés il y a une question; eux c’est sûr qu’ils se la sont posée; chez les psychotiques, ce n’est pas sûr; la réponse leur est peut-être venue avant que la question se soit posée, c’est une hypothèse. Ou bien la question s’est posée toute seule, ce n’est pas impensable.

Nous avons tout de même assez appris le maniement de ces choses pour savoir qu’une question n’est pas la question du sujet, qu’il n’y a pas de question sans qu’il y ait un autre à qui il la pose; quelqu’un me disait récemment dans une analyse: « en fin de compte, je n’ai rien à demander à per­sonne ». C’est un aveu triste. je lui ai fait remarquer qu’en tout cas, s’il avait quelque chose à demander, il faudrait for­cément qu’il le demande à quelqu’un. C’est l’autre face de la même question. Si nous nous mettons fortement cette rela­tion dans la tête, il ne nous paraîtrait pas extravagant que je dise qu’il est aussi possible que la question se soit posée la première, que ce ne soit pas le sujet qui l’ait posée. Tout ce qui se passe à l’entrée d’une psychose, ce que je vous ai mon­tré dans les présentations des malades -rappelez-vous, ceux qui y viennent, un petit sujet qui, à nous, nous paraissait très lucide. Il était bien clair que depuis longtemps, vu la façon dont il avait crû et prospéré dans l’existence au milieu de cette anarchie, simplement un peu plus patente que chez les autres, de la situation familiale, il s’était attaché, sans très bien savoir ce qui se passait à un ami; et que tout à coup il était arrivé quelque chose, et il n’était pas capable d’expliquer quoi. Et nous avons très bien compris qu’il y avait eu quelque chose qui s’était passé quand la fille de son partenaire, à tra­vers l’existence de celui qui était devenu vraiment son point d’enracinement dans l’existence, la fille lui était apparue: il se passait quelque chose d’inexplicable. Nous, nous complétons dans ces cas-là, naturellement. Nous disons: il a senti cela comme incestueux, d’où défense; et puis tout cela naturelle­ment, bien sûr. D’ailleurs nous ne sommes pas très sûrs quant à l’articulation exacte de ces choses. Nous avons appris grâce à Freud, que le principe de contradiction ne fonctionne pas dans l’inconscient. C’est une formule suggestive et intéres­sante, mais qui, si on s’arrête là, est un peu courte, mais grâce à cela ça nous évite à nous dans notre discours, de tenir moins de compte du principe de contradiction. Quand une chose ne marche pas dans un sens, elle est expliquée par son contraire. C’est pourquoi les choses sont admirablement expliquées dans l’analyse. Voilà!

On retrouvait ce petit bonhomme « extrêmement lucide », lui parfaitement avait beaucoup moins bien compris que nous que ses manifestations étaient tout à fait frappantes, parce que littéralement il butait là devant quelque chose; et pourquoi ne pas dire que justement il lui manquait tout à fait la clef pour s’y retrouver, et que ce quelque chose qui s’est passé, c’est que littéralement, il est allé se mettre trois mois sur son lit pour comprendre ce qui se passait. Il était dans la perplexité.

Si on ne touche pas là justement du doigt ce quelque chose qui se retrouve, si on sait le regarder à chaque moment, qui s’appelle la prépsychose, à savoir le sentiment qu’en effet le sujet, lui, est arrivé à ce qui pour lui était le bord du trou. Si nous voyons, si nous savons retenir cela, justement, un minimum de sensibilité de notre part, que notre métier pourrait nous donner, nous pouvons prendre au pied de la lettre ce que nous voyons, au pied de la lettre ce que nous voyons, au pied de la lettre si nous savons le chercher et le regarder, et peut-être voir s’il ne s’agit pas de l’assomption, et de comprendre ce qui se passe là où nous ne sommes pas. Il ne s’agit pas de phénoménologie. Il s’agit de savoir que nous sommes capables de concevoir, non pas d’imaginer, de concevoir ce qui en résulte, si nous partons de cette idée: qu’est-ce qui se passe pour un sujet quand la question lui vient du trou, quand le départ vient de là où il n’y a pas de signifiant, quand c’est justement le manque qui se fait sentir comme tel, quand c’est du manque qu’il s’agit. Je vous le répète, il ne s’agit pas de phénoménologie. Il ne s’agit pas de faire les fous. Nous le faisons assez croyez-­moi d’habitude, parce qu’on a bien souvent cette impres­sion dans notre dialogue interne. Il ne s’agit pas de cela du tout. Il s’agit littéralement, avec un cas pareil, d’approcher certaines conséquences telles qu’elles sont concevables d’une situation ainsi déterminée.

Le sujet, l’ensemble signifiant implicite, tel qu’il lui suffit à faire son petit monde de petit homme solitaire dans la foule du monde moderne, est tout à fait clair. Tous les tabourets n’ont pas quatre pieds. Il y en a qui se tiennent debout avec trois. je vous assure pour la plupart des gens dans notre monde moderne, les points d’appui sont excessivement réduits. Dès qu’on est arrivé à des tabourets sur trois pieds, il n’est plus question qu’il en manque un seul, parce que les choses vont tout de suite très loin. C’est peut-être tout sim­plement de cela qu’il s’agit. Il s’agit donc de savoir ce qui se passe quand le sujet est confronté à un certain carrefour de son histoire biographique avec une chose qui existe là depuis toujours, pour laquelle nous nous sommes, en suivant ces choses à la trace, contentés de la notion de Verwerfung, à savoir qu’il peut y avoir au départ pas assez de pieds pour le tabouret, et puis qu’il tienne quand même un certain moment.

Il s’agit donc de savoir ce qui se passe quand le sujet se trouve affronté non pas à un conflit, bien entendu, cela pourra entraîner toutes sortes de conflits, et plus d’un; c’est justement là que nous nous apercevons de la structure parti­culière du conflit. Mais en ne nous laissant pas arrêter à cette constellation conflictuelle, en voyant si la structure des conflits est différente, que leur constellation ne se motive et ne s’explique que si on voit le problème, la question posée d’une façon toute différente, d’une sorte de décompensation significative, qui est celle de la névrose. Quand nous voyons que ce qui se passe est infiniment plus manifeste, plus ordon­nant dans ce quelque chose que nous pouvons concevoir comme ce qui se passe, si tout d’un coup, parce que le signi­fiant est toujours solidaire, je veux dire que tout ce qui était éléments fondamentaux du signifiant ne forme jamais – parce que la signifiance même du signifiant – que quelque chose de cohérent, quand le sujet à propos du manque du signifiant doit être nécessairement amené à remettre en cause l’ensemble du signifiant.

 

Je dis ceci est la clef fondamentale de la position du pro­blème concernant l’entrée dans la psychose, concernant la succession des étapes dans la psychose, concernant la signi­fication de la psychose.

À tout instant les questions sont posées dans la psychose dans des termes qui impliquent ce que je suis en train de vous dire. Qu’est ce par exemple qu’un Katan, quand il essaie de trouver le sens de l’hallucination, dit et formule? Il dit « l’hallucination c’est un mode défense comme les autres » Et il s’aperçoit d’ailleurs qu’il y a des phénomènes différents et très voisins les uns des autres. Il y a ce qu’on peut appeler simplement l’interprétation, cette certitude d’interprétation sans contenu. Je vous l’ai déjà fait sentir. Et puis l’hallucina­tion, avec ce qu’elle comporte de différent, pour les deux, il admet les mêmes mécanismes qui sont destinés en quelque sorte à protéger à protéger le sujet, selon un mode différent de celui qui se passe dans les névroses. Dans les névroses, nous dirons que c’est la signification qui disparaît, qui va se nicher quelque part, qui est pour un temps éclipsé. Et puis la réalité, elle, tient le coup. Les défenses sous ces modes ne sont pas suffisantes dans le cas de la psychose. Et, pour pro­téger les sujets, quelque chose apparaît dans la réalité pro­fondément perturbée. Il voit là du dehors d’où pourrait venir la menace, c’est-à-dire quelque chose qui éprouverait en lui la pulsion instinctuelle à laquelle il s’agit à tout prix de faire face. en somme, ici on ne va pas assez loin.

Le terme de réalité que nous employons vaguement paraît tout à fait insuffisant. Pourquoi ne pas oser dire – car nous avons une singulière prudence dans notre langage – que nous admettons comme mécanisme le « id ». Ici en somme il a le pouvoir de changer, modifier, perturber ce qu’on peut appe­ler la vérité de la chose, puisqu’il s’agit d’une chose qui jus­tement l’intéresse, ou est censée, par définition, l’intéresser, puisque c’est de cela qu’il s’agit dans le cas de Schreber.

Par exemple, il s’agirait de le protéger contre les tenta­tions homosexuelles il s’agit donc, non pas seulement qu’il ne voit pas la personne réelle. D’ailleurs, jamais personne n’a été à dire – et Schreber moins que les autres – que tout d’un coup c’est la face même de ses semblables mâles qui lui étaient tout d’un coup par la main de l’Éternel recouverte d’un manteau. Il les voyait toujours fort bien. Nous admet­tons simplement qu’il ne les voyait pas vraiment. C’est-à­-dire pour ce qu’ils étaient pour lui, pour des objets effectifs d’une attraction amoureuse.

À partir du moment où nous osons en effet parler non pas de réalité, vaguement, comme si c’était la même chose, la réa­lité des murailles contre lesquelles nous nous cognons, mais signifiante, c’est-à-dire ce quelque chose qui se présente pour nous non pas simplement comme des arrêts, des butées, des obstacles, mais comme quelque chose qui se vérifie, qui s’ins­taure de soi-même comme orientant ce monde, comme y introduisant des êtres, pour les appeler par leur nom.

Pourquoi ne pas admettre aussi, puisque nous admettons des choses mystérieuses, qu’entre toutes le « id » est capable d’escamoter la vérité de la chose.

Nous pouvons aussi poser la question en sens inverse. À savoir: qu’est-ce qui se passe quand la vérité de la chose manque, quand il n’y a rien pour la représenter dans sa vérité, quand par exemple le registre du père, dans sa fonc­tion essentielle, dans ce qui fait qu’il est pensé comme père, avec toutes les connotations que ce terme implique – parce que le père n’est pas seulement le générateur, parce qu’il est beaucoup d’autres choses encore, qu’il est celui qui possède la mère, qu’il est celui qui la possède de droit, qu’il est celui qui la possède en principe en paix; que les registres et les fonctions de cette exigence, et surtout la façon dont il va intervenir dans la formation, pour le conflit, pour la réalisa­tion de l’œdipe, où le fils, c’est-à-dire quelque chose qui est aussi une fonction, et corrélative de cette fonction du père, va prendre forme, avec tout ce que cela comporte, semble-t-il, si notre expérience existe, d’essentiel pour l’accession au type de la réalité – eh bien, qu’est-ce qui se passe, si, cela est pensable, concevable, et à quel moment ce quelque chose s’est produit, qui est un manque, dans la fonction formatrice du père, dans sa présence, si le père a eu un certain mode de relation et de rapport effectif tel que ce n’est pas le conflit qui a caractérisé les choses, que ce n’est pas un effet du conflit, par une crainte de la castration par exemple, que le fils a pris la position féminine, si ce n’est par exemple (pour appeler les choses par leur nom)  si le père lui-même pour des raisons tenant à de mul­tiples causes, et qui ne sont pas du tout forcément des éléments qui soient en eux mêmes conflictuels, qui soient des modes de présentation du sujet dont il s’agit. Nous avons tous connu ce qui résulte à un certain niveau de, si on peut dire, la proli­fération des monstres socialement, ce qui résulte pour un fils d’un de ces personnages, que je n’appelle pas en vain monstres, monstres sociaux, monstres sacrés comme on dit, qui sont des personnages qui peuvent être très souvent mar­qués d’un certain style de rayonnement ou de réussite, mais d’une façon tellement unilatérale, tellement toute dans le registre d’une ambition effrénée, ou d’une domination, ou d’un autoritarisme, ou d’un talent, ou d’un génie; il n’est pas forcé que toutes les choses dont il s’agit se caractérisent ni par le génie, ni par le talent, ni par le médiocre, ni par le mauvais. Simplement par l’unilatéral et le monstrueux, parce que cela comporte de (…) dans les relations interpersonnelles. Nous savons très bien, nous connaissons ce type de psychotiques ou de délinquants qui prolifèrent dans l’ombre d’une per­sonnalité paternelle d’un caractère exceptionnel. Cela n’est certainement pas par hasard si ce type de délinquant ou de subversion de personnalité psychotique se produit spéciale­ment dans ces situations spéciales.

Supposons que ce soit justement ceci qui comporte pour le sujet l’impossibilité d’assumer la réalisation du signifiant père, au niveau symbolique, qu’est-ce qu’il reste ? Il reste évidemment tout de même la relation imaginaire, c’est-à­-dire justement que c’est une image, que c’est quelque chose qui ne s’inscrit pas du tout dans une dialectique triangulaire quelconque, mais que comme la personne réelle est une image, la relation sera réduite à cette image: sa fonction essentielle d’aliénation spéculaire, de modèle, quelque chose à quoi le sujet peut s’accrocher, s’appréhender sur le plan imaginaire, existera quand même. Elle existera justement dans le rapport tout à fait démesuré d’un personnage ou d’un type qui se manifeste purement et simplement dans l’ordre de la puissance et non pas dans l’ordre du pacte.

Ce que nous verrons apparaître, c’est quelque chose dont nous parlons, la relation de rivalité, l’agressivité, la crainte, et tout ce que vous voudrez. Mais ce qu’il faut voir, c’est que ce qui peut se produire et ce qui se produit, c’est quelque chose qui va très loin, parce que dans la mesure où cela reste sur le plan de la relation imaginaire, et où cette relation ima­ginaire est prise dans un rapport purement duel et dans un rapport démesuré, elle va prendre une toute autre significa­tion que la relation d’exclusion réciproque que comporte l’affrontement spéculaire. Elle va prendre l’autre fonction qui est celle de la capture imaginaire, biologiquement, elle va prendre en elle-même et d’emblée la fonction sexualisée, sans avoir besoin d’aucun intermédiaire, d’aucune identifi­cation à la mère ni à qui que ce soit. Le sujet va prendre, ce que nous voyons chez les animaux, la position intimidée, chez le poisson ou le lézard. La relation imaginaire va s’ins­taurer elle-même, toute seule, d’emblée, sur un plan qui n’a lui-même rien de typique, qui a simplement ceci de déshu­manisant, il ne laisse pas place à la relation d’exclusion, réci­proque, à la relation d’agressivité en tant qu’elle permet de fonder l’image du moi sur cet orbite que donne l’autre modèle, l’autre plus achevé comme tel.

Et nous aurons, d’ores et déjà, à ce niveau-là, la possibi­lité de concevoir quelque chose qui va introduire une sorte d’aliénation plus radicale qu’une autre dans les rapports entre les sujets, une relation d’aliénation sans aucun doute, mais qui ne sera pas celle, si l’on peut dire, liée à un signifié néantisant, comme cela se passe dans un certain mode de la relation rivalitaire avec le père, mais avec, si je puis dire, un anéantissement du signifiant, dont il faudra que le sujet porte la charge, assume la compensation, longuement, dans sa vie, par une série d’identifications purement conformistes à des gens qui lui donneront le sentiment de ce qu’il faut pour être un homme.

C’est ainsi que la situation se soutient longtemps, nous permet de voir que des psychotiques ont vécu compensés dans l’existence, ont eu apparemment tous les modes ordi­naires de comportements considérés comme normalement virils, et que mystérieusement – et Dieu sait pourquoi – tout d’un coup ceux-ci se décomposent.

Est-ce que cela nous ne pouvons pas le concevoir au moment où quelque chose rend nécessaires les béquilles imaginaires qui ont pu permettre au sujet la compensation de cette absence du signifiant? Comment est-ce comme tel que le signifiant repose ses exigences ?

Comment ce qui est manque intervient, interroge comme tel ? Et comment les réponses, si elles sont données comme cela, que le sujet va donner, doivent passer nécessairement par une série de phénomènes qui sont alors caractérisés comme phénomènes de signifiants, c’est-à-dire par cette grande perturbation de discours intérieur au niveau phéno­ménologique du terme, qui va se produire chez le sujet ? Comment est-ce que l’entrée de la question posée par un manque du signifiant va se manifester?

D’abord par un phénomène qu’il faut considérer comme un phénomène de frange, c’est-à-dire une mise en jeu du signifiant comme tel, du rapport du sujet au discours, de la relation au discours intérieur, au discours masqué de l’autre qui est toujours en nous, et qui apparaît tout à coup éclairé, se révèle dans sa fonction propre, parce que c’est en quelque sorte la seule chose qui à ce moment peut retenir le sujet dans le niveau du discours, qui est tout entier menacé, tout entier menace de lui manquer, est là, prêt à disparaître, et qui consti­tue pour lui la véritable menace, le véritable crépuscule mena­çant de la réalité, qui caractérise l’entrée dans les psychoses.

C’est le point que nous essaieront d’avancer un peu plus la prochaine fois.

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