samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LIII LES PSYCHOSES 1955 – 1956 Leçon du 25 avril 1956

Leçon du 25 avril 1956

 

« C’est de là que résultent les innombrables malentendus

que je dois présumer de la part de Dieu, en ont résulté les tortures intellectuelles presque insupportables que je devais ­subir pendant des années. Aussi longtemps que Dieu voit par mon intermédiaire, participe à mes impressions… ». Dans l’étude d’un cas quel qu’il soit, et celui-là en particulier, il me semble qu’on ne peut que toucher, vérifier ceci, qu’on ne trouve vraiment le rythme qui permet de s’y inté­resser pleinement dans bien des cas. Dans cette analyse du président Schreber, l’essaie de refaire pour vous, de me repor­ter au texte allemand.

« Aussi longtemps que la volupté d’âme dans mon cœur, permet la jouissance, ou aussi longtemps que mon activité intellectuelle fait sortir des pensées formulées en mots, aussi longtemps que ces trois choses parallèles se produisent; Dieu est pour ainsi dire satisfait et la tendance à se retirer de moi ne se fait ou bien pas du tout sentir, ou bien seulement dans le minimum…, qui comme je dois le supposer est condi­tionné dans un risque périodique par les dispositions que l’on avait prises une fois, il y a des années, et qui sont contra­dictoires à l’ordre de l’univers. C’est ce qui sert à maintenir à une juste distance tout ce qui tend à se précipiter vers lui, à se concentrer dans une sorte de point central, par la vertu de la force d’attraction qu’exerce son propre être sur ce qui reste au monde d’existant.

…Mais d’un autre côté, l’homme n’est pas capable de jouir et de penser sans cesse. Donc aussitôt que je m’aban­donne au rien penser, sans laisser se produire simultanément les soins de la volupté dans le sens précis…

… Le retrait des rayons réapparaît immédiatement avec ces phénomènes accessoires plus ou moins désagréables pour moi, sensation douloureuse, crise de hurlements, accompa­gnés par un vacarme quelconque dans ma proximité.

Il y ajoute:

« En ces occasions, on me ferme régulièrement les yeux, par miracle, pour me priver de mes impressions visuelles. Autrement, celles-ci maintiendraient leur effet attractif sur les régions… »

Nous pourrions, d’ores et déjà poursuivre cette lecture. Arrêtons-nous un instant. J’ai commencé par là pour bien vous indiquer ce que j’entends faire aujourd’hui, à savoir vous mener dans un certain nombre d’endroits que j’ai choi­sis, je pense, au mieux dans cette lecture assez énorme que représentent les quelques 400 ou 450 pages du livre de Schreber, pour vous montrer quelque chose qui, direz-vous, se trouve bien au niveau du phénomène.

En d’autres termes, nous allons apparemment nous contenter non seulement de nous faire les secrétaires de l’aliéné, comme on dit, pour faire un reproche à l’impuis­sance des aliénistes; c’était ce à quoi se limitait pendant long­temps la recherche de la psychiatrie classique; mais je dirais que d’un autre côté le faire au point où nous nous trouve­rions, presque tomber sous d’autres reproches qui seraient plus graves, non seulement d’en être les secrétaires, mais de prendre ce qu’il nous raconte au pied de la lettre – ce qui à la vérité est justement ce qui jusqu’ici a été considéré comme la chose à éviter.

Enfin de compte, n’est-ce pas que c’était en raison d’une sorte de crainte qui arrêtait les prétendus secrétaires de l’aliéné, à savoir que les premiers et grands observateurs qui ont fait les premiers classements dans les diverses formes de la maladie ? Est-ce que ce n’est pas en somme de n’avoir pas été assez loin dans leur manière d’écouter l’aliéné qui leur avait desséché, si l’on peut dire, le matériel qui leur était offert au point qu’il n’a pas pu leur apparaître que comme quelque chose d’essentiellement problématique et fragmen­taire ? Car si nous nous reportons à l’expérience de tous les jours, vendredi, j’ai une psychose hallucinatoire chronique. Je ne sais pas ci ceux qui étaient là n’ont pas été frappés com­bien est plus vivant ce qu’on obtient, plus suggestives les questions posées par la nature du délire, si simplement, au lieu d’essayer à tout prix de repérer si l’hallucination est ver­bale ou sensorielle, ou non sensorielle, on écoute simple­ment la malade. Celle dont il s’agissait l’autre jour nous faisait surgir l’invention dans sa vie d’une sorte de repro­duction imaginaire de toutes sortes de questions dont on sentait qu’elles avaient été dans une situation antérieure impliquées par la suite même, sans que la malade l’ait for­mulé à proprement parler.

Trouvez-vous que c’est une très mauvaise façon de résu­mer le sentiment qu’a pu donner l’autre jour la malade que j’ai présentée vendredi ?

Bien entendu, il ne suffit pas que nous nous tenions là pour croire que nous avons tout compris. Il s’agit de savoir pourquoi les choses se passent ainsi. Mais si nous ne prenons pas en quelque sorte dans leur équilibre qui se situe à un niveau du phénomène signifiant-signifié, qui est très loin de pouvoir être épuisé par ce qu’on peut appeler la psycholo­gie, ou la parapsychologie classique, traditionnelle, à savoir si nous sommes dans l’hallucination, l’interprétation, la sen­sation, la perception ou autre catégorie d’école, dont on sent bien que ce n’est pas du tout à ce niveau-là que se pose le problème, il semble que c’est déjà un très mauvais départ, même pour nous laisser le moindre espoir d’arriver à poser correctement le problème, ce n’est que le délire, à quel niveau se produit le déplacement, l’anomalie, l’aberration, le changement de place du sujet, par rapport à des phéno­mènes de sens.

Tout ceci est évidemment lié pour la plupart des auditeurs, aussi bien psychologues que médecins, aussi bien à un ensei­gnement qu’à un exercice, ce qui après tout ne devrait pas tellement les effrayer, parce que à peu près rien n’a été fait dans ce genre, on ne saurait trop leur proposer de recourir à ce qui doit quand même être accessible à l’expérience de l’homme du commun.

Je vais vous proposer un de ces exercices. Réfléchissez: par exemple, si on vous posait des questions là-dessus, à ce que c’est que la lecture ? Qu’est-ce que vous appelez lec­ture ? Qu’est-ce qui sera le moment où cela rend visible le moment optimum de la lecture ? Quand êtes-vous bien sûrs que vous lisez ? Vous me direz que ça ne fait aucun doute, on a le sentiment de la lecture. Nous pensons que si nous nous mettons à saisir les caractères qui doivent être conscients pour qu’il n’y ait pas épelage, déchiffrage, il se produit quelque chose qui s’impose comme une sorte d’influence qui sera une certaine ligne de signification.

Voilà en effet le problème central. Il est tout de même bien malheureux qu’il y ait beaucoup de choses qui aillent contre; à savoir que dans les rêves nous pouvons avoir le même sen­timent, c’est-à-dire de lire quelque chose, alors que manifes­tement nous ne sommes pas capables d’affirmer qu’il y ait la moindre correspondance avec un seul signifiant. L’absorp­tion de certains toxiques peut nous mener au même senti­ment. Et ceci nous donnera l’idée que nous ne pouvons pas nous fier à l’appréhension sentimentale de la chose, qu’il faut donner une formule un tant soit plus précise, et qui fasse intervenir l’objectivité du rapport du signifiant et du signifié.

Engagez-vous dans cette voie, c’est à partir de ce moment là que la question commence. Vous verrez du même coup que les complications commencent avec. Car il n’y a pas besoin d’imager par des cas extrêmes dans le genre de celui qui fait semblant de lire.

Évidemment nous avons tous vu cela.

Dans un temps lointain où je faisais quelques petits voyages dans des pays qui ont, dans un temps lointain conquis leur indépendance, j’ai vu un monsieur m’introdui­sant, c’était l’intendant d’un seigneur de l’Atlas, il a pris le petit papier qui lui était destiné. J’ai aussitôt constaté qu’il ne pouvait rien apercevoir car il le tenait à l’envers. Mais, avec beaucoup de gravité, il articulait quelque chose, histoire de ne pas perdre la face devant l’entourage respectueux; lisait­-il ou ne lisait-t-il pas ? Incontestablement, il lisait l’essen­tiel, savoir si j’étais accrédité. Il y a l’autre cas extrême; c’est celui où vous savez déjà par cœur ce qu’il y a dans le texte, même si vous savez lire, ça arrive plus souvent qu’on ne croit, car, mon Dieu, pour la plupart des textes de Freud, qui sont ceux de votre usage courant dans ce qu’on peut appeler la formation psychologique et médicale, on peut dire que vous savez déjà tout cela par cœur, et qu’une grande partie du temps, vous passez à épuiser l’abondante littérature, vous ne lisez que ce que vous savez déjà par cœur.

C’est ce qui fait relativer singulièrement ce qui fait le fond de ce qu’on appelle une littérature scientifique au moins dans notre domaine, car il bénéficie de quelque privilège dans ce que je viens d’appeler la problématique du signifié et du signi­fiant. En fin de compte, on a souvent l’impression que ce qui dirige au plus profond l’intention du discours scientifique, ce n’est peut-être justement rien d’autre que de rester bien exac­tement dans les limites de ce qui a été dit. Je veux dire qu’en fin de compte, il semblerait que la dernière tentation de ce discours serait simplement de prouver que le signataire est, si je puis dire, du point de vue du discours, comme un signe fait à ceux avec qui il communique, qu’il est non-nul. Il est capable d’écrire ce que tout le monde écrit par exemple.

Dans ces conditions, puisque aussi bien nous ne sommes pas sans attacher une certaine importance au discours, pour­quoi accorder moins d’importance au témoignage en tout cas plus singulier, voire quelque fois plus original, que peut nous donner même un sujet présumé être dans l’ordre de l’insensé, puisque le décrochage nous est donné dans la vie scientifique la plus commune et la plus courante, le décro­chage nous est donné tout à fait patent, et manifeste d’une sorte de manque flagrant de correspondance entre les capa­cités intellectuelles de tel ou tel auteur qui assurément, variant dans de très grandes limites, et la remarquable uni­formité de ce qu’il nous apporte dans le discours ?

Pourquoi frapper d’avance d’une sorte de caducité ce qui sortira d’un sujet dont nous pouvons en effet présumer que le psychisme, comme on dit, est dans une situation profondé­ment perturbée dans ses relations au monde extérieur ? Peut-­être ce qu’il nous dit garde-t-il quand même sa valeur?

En fait, quand nous nous apercevons, pas simplement à propos d’un cas aussi remarquable que le Président Schreber, mais à propos du moindre des sujets, que si nous savons l’écouter, ce qui apparaît est principalement dans l’ordre du délire des P.H.C. quelque chose qui manifeste justement comme un rapport du sujet très spécifique et, dont lui seul peut témoigner, mais dont il témoigne avec la plus grande énergie, par rapport à l’ensemble du système du langage dans ses différents ordres, où il se manifeste, il se présentifie dans un sujet. Nous n’avons vraiment aucune raison de ne pas recueillir comme tel, sous prétexte de je ne sais quoi qui serait ineffable, incommunicable, dans je ne sais quelle sensation affective du sujet, vous savez, quoi, tout ce qu’on échafaude sur les prétendus phénomènes primitifs, élémentaires, alors que ce dont nous voyons témoigner le sujet, c’est effective­ment d’un certain virage dans le rapport de langage, dans quelque chose qu’on peut appeler dans l’ensemble une éroti­sation ou une passivation, ou une certaine façon de subir dans son ensemble le phénomène du langage, le phénomène du discours, d’une façon qui nous en révèle assurément une dimension à partir du moment où nous ne cherchons pas la commune mesure, le plus petit dénominateur des psychis­mes, et où, justement nous avons à faire la distance entre ce qu’il y a de vécu psychique, et l’usage, la situation en quelque sorte demi-externe où est non seulement l’aliéné mais tout sujet humain, par rapport à tout phénomène de langage. Nous sommes en droit méthodologiquement d’accepter le témoignage de l’aliéné sur sa position par rapport au lan­gage comme quelque chose dont nous devons tenir compte dans l’ensemble de l’analyse du phénomène des rapports du sujet au langage.

Ce témoignage est quelque chose que nous trouvons – c’est l’intérêt majeur pour quelqu’un qui lit l’histoire de Schreber. C’est l’intérêt majeur et permanent de ce leg qu’il nous a fait de ses mémoires, de ces choses mémorables et dignes d’être méditées.

Ceci n’est pas tout à fait perdu dans l’air pour nous avancer dans cette direction, nous avons déjà la notion, par lui-même, que quelque chose a été en lui et à un moment donné au moins s’est manifesté comme profondément per­turbé, une certaine rupture, une certaine fissure est apparue, qui est à proprement parler de l’ordre des relations à l’autre; ce qu’il appelle mystérieusement « l’assassinat d’âme », qui reste dans une sorte de demi-ombre est quelque chose où notre expérience des catégories analytiques nous permet de nous repérer dans quelque chose qui essentiellement rapport dans l’image qui est là, aux origines du moi et à la notion même de ce qui est pour le sujet l’ellipse de son être, ce quelque chose dans quoi il se réfléchit, sous le nom de moi.

Si il y a quelque chose qui s’est passé sur ce plan, si nous en avons le témoignage par le sujet, nous pouvons le relier à une certaine problématique qui s’insère entre cette image du moi et une image de l’Autre surélevée, exhaussée par rapport à la première, celle du grand Autre, qu’est l’image paternelle, en tant qu’elle instaure la double perspective à l’intérieur du sujet, du moi et de l’idéal du moi, pour ne pas parler à cette occasion du surmoi, et que nous avons aussi l’impression que c’est dans la mesure où il a ou non acquis ou à quelque moment perdu cet Autre, à l’intérieur duquel il peut pleine­ment s’affirmer dans son discours, qu’il rencontre à un cer­tain moment cet autre purement imaginaire, cet autre aminci, cet autre déchu, avec lequel il ne peut avoir d’autres rapports que d’un autre qui le frustre et qui fondamentale­ment le nie, qui littéralement le tue.

C’est quelque chose essentiellement réduit à ce qu’il y a de plus radical dans l’aliénation purement imaginaire, dans la pure et simple capture, par cette sorte d’aliénation qui va très manifestement et aussitôt en résulter, de ce qu’on peut appeler le discours permanent, sous-jacent à toute l’inscrip­tion au cours de l’histoire du sujet, ce quelque chose qui double tous les actes du sujet, qui est ce qui est à la fois pré­sent, qui n’est pas du tout impossible à voir surgir chez le sujet normal. je vous en donnerai des exemples qui sont presque accessibles à une sorte d’extrapolation vécue, si je puis dire, celle du personnage isolé dans une île déserte qui est un des thèmes de la pensée moderne. Et ce n’est certai­nement pas pour rien depuis qu’on a inventé Robinson Crusoë, on n’a pas à remonter très haut les exemples.

Le premier à ma connaissance qu’il y a dans l’histoire c’est Balthasar Gracian qui l’a inventé. On voit un person­nage qui à un certain moment vit dans une île déserte.

Il est certain que c’est un problème psychologique acces­sible sinon à l’imagination, du moins à l’expérience. Qu’est­-ce qui va se passer quand le sujet humain vit tout seul? Qu’est-ce que devient le discours latent: je vais vendre du bois pour quelqu’un qui va vendre du bois ?

Si vous interrogez simplement ce que deviennent les voca­lisations pour une personne, simplement qui se perd en mon­tagne, c’est-à-dire qui pendant un certain temps a le sentiment de ne plus savoir où elle est, d’être isolée – et ce, n’est sans doute pas sans raison que le phénomène soit plus particuliè­rement en montagne – peut-être que ces lieux sont moins humanisés que les autres – ce qui se passe d’une sensible mobilisation du monde extérieur par rapport à une significa­tion prête à surgir de tous les coins, c’est quelque chose qui peut nous donner assez l’idée de ce côté perpétuellement prêt à affleurer d’un discours mi-aliéné. Et l’existence permanente de ce discours dans le sujet, je crois qu’elle peut être considé­rée comme quelque chose dont ce qui se passe chez l’aliéné où les phénomènes de verbalisation chez un délirant comme Schreber, ne fait que nous donner en somme l’accentuation dont il s’agit, à partir de là, de nous poser le problème de savoir pourquoi – et, dans la formule que je vous indique, en marge de quoi – pour signifier quoi, mobilisé par quoi, le phénomène apparaît chez le délirant et chez l’aliéné.

Je prend un autre passage, également choisi au hasard. Parce qu’en fait tout ceci est tellement accentué, insistant, répété chez Schreber, qu’on trouve vraiment partout une confirmation du témoignage des phénomènes que j’indique.

« Chez moi, par contre… » – il parle des autres aliénés, (il a lu Kraepelin) pour qui les phénomènes sont intermittents. « Chez moi, par contre, ces phénomènes dans la conversation des voix n’existent point, depuis le début de mon contact avec Dieu l’Unique, exception faite des premières semaines, quand il y a eu à part les périodes sacrées, encore des périodes non sacrées. Donc depuis presque sept années, il n’y avait même pas un seul moment, sauf pendant le sommeil, où je n’aurais pas entendu des voix. Elles m’accompagnent à tout endroit et à toute occasion. Elles continuent à se faire entendre même si je suis en conversation avec d’autres gens; elles poursuivent librement leur cours, même si je m’occupe aussi attentivement que possible d’autres choses. Quand par exemple, je lis un livre ou un journal, je joue du piano, c’est seulement aussi longtemps que je parle moi-même à haute voix avec d’autres gens ou en étant seul qu’elles sont cou­vertes par le son plus puissant du mot parlé, et ne sont ainsi pas entendues par moi pendant ces moments. Mais le recom­mencement immédiat des phrases, reprises avec un son extrême du milieu de la phrase, me fait savoir de toute façon que le fil de la conversation n’a pas été interrompu, c’est-à­-dire que les stimulations du sens ou l’oscillation de nerf, par lesquels les faits auditifs plus faibles correspondant aux voix se manifestent, ont continué aussi pendant que je parlais à haute voix ».

Après quoi, il y a quelques considérations sur le ralentisse­ment de la cadence qui est effectivement un des phénomènes essentiels. C’est là-dessus que nous devons pousser plus loin notre analyse, à savoir dans quelle mesure avec le progrès, l’avancement, une évolution des phénomènes tout à fait essen­tiel à la structure du signifiant comme tel, à savoir la possibi­lité -, ce qui est absolument essentiel aux phénomènes de significations comme tels -, le fait si on peut dire que le signi­fiant n’est pas découpable. je veux dire qu’on ne sectionne pas un morceau de signifiant comme on sectionne une bande de magnétophone. Si vous sectionnez une bande de magnéto­phone, la phrase quant à son effet ne s’arrête pas au point où vous l’aurez interrompue, au milieu.

En d’autres termes, le signifiant comporte en lui-même toutes sortes d’implications qui feront que ce n’est pas seu­lement parce que vous serez écouteur ou déchiffreur de pro­fession que vous pourrez dans certains cas compléter la phrase. Dans d’autres cas limités à un certain nombre de pos­sibilités très réduites, la façon dont la phrase doit se complé­ter en fin de compte, fait apercevoir ce qu’il faut introduire dans le signifiant, l’unité de signification est quelque chose qui montre essentiellement d’une façon permanente le signi­fiant fonctionnant selon certaines lois qui en sont l’élément essentiel, le fait qu’à l’intérieur du délire les voix jouent sur cette propriété n’est pas quelque chose que nous puissions tenir pour indifférent quant au fait qu’il s’agit d’interpréter, de ce pourquoi précisément, le sujet entre dans un certain rapport avec le signifiant comme tel; si vraiment tous les phénomènes d’une façon telle que ça soit de leur mise en évi­dence dans le phénomène du délire… que ce soit un phénomène manifeste dans toutes ses extériorisations que nous ne pouvons pas éliminer l’hypothèse que le motif fon­damental soit justement un rapport plus radical et en quelque sorte plus global au phénomène du signifiant comme tel qui soit ce qui est en jeu dans la psychose, première étape de l’esprit à partir de laquelle nous nous poserons la question de savoir pourquoi en effet, à une certaine étape de la vie d’un sujet, ce rapport considéré comme essentiel et fondamental au signifiant est le quelque chose qui, disons pour nous limiter à ce que nous constatons, devient l’entière occupation, l’investissement des capacités d’intérêt du sujet. Aborder le problème à ce niveau n’est pas du tout nous limiter, n’est pas du tout changer l’ordination de l’énergé­tique de la dynamique analytique, n’est justement, absolu­ment pas, en rien, repousser la notion de libido, ni de son économie comme telle. C’est justement de voir ce qu’il peut y avoir d’intéressé dans ce rapport global ou articulé diffé­remment ou électif au signifiant. Ce que signifie cet intérêt

en tant que tel dans le phénomène de la psychose et comment s’est analysée la psychose à partir de là. Une brève petite note à propos de l’intelligence divine et l’intelligence humaine. «Je crois pouvoir dire que l’intelli­gence divine est égale au moins à la somme de toutes les intelligences humaines qui existaient pendant les généra­tions passées. Car Dieu assimile après la mort tous les nerfs humains. Il unit donc en soi l’ensemble des intelligences, en élevant progressivement tous les souvenirs qui n’avaient un intérêt que pour les individus respectifs et qui par consé­quent ne sont pas considérés comme parties intégrantes d’une intelligence généralement de valeur. Il n’y a aucun doute pour moi, par exemple, que Dieu sait ce que sont les chemins de fer, connaît leur essence et leur but précis. D’où Dieu a-t-il acquis cette connaissance ? Dieu n’a en soi dans des conditions conformes à l’ordre de l’univers que une impression extérieure d’un train qui roule comme de tout autre événement sur terre. Il aurait eu la possibilité de pro­curer par la force d’une assomption sur quelqu’un… par les questions ferroviaires des renseignements d’état sur le but et le fonctionnement de ces phénomènes. Mais il n’avait guère de motifs pour prendre une telle mesure. Avec le temps, des générations entières, donc qui connaissaient couramment toute la signification des chemins de fer, reve­naient à Dieu. Ainsi la connaissance des chemins de fer était acquise par Dieu même ». Ceci pour vous rappeler la notion qui est une notion que nous devons prendre comme telle, si élaborée qu’elle nous paraisse chez le sujet, elle est fondée sur l’expérience primitive, l’équivalence entre la notion de nerfs et les propos qui les personnifient. Les nerfs, c’est la somme de cet univers de verbiage, de ritournelle ou d’insis­tance verbalisée, qui sont devenus à partir d’un certain moment son univers, à partir d’un certain moment où par contre toutes les présences contingentes, accessoires, si on peut dire, de ce qui l’entoure, sont frappées d’irréalité, deviennent ces hommes bâclés à la 6-4-2. Les présences pour ce sujet sont devenues essentiellement présences ver­bales et la somme de ces présences verbales est effectivement pour lui identique à la totale présence divine, c’est-à-dire à la seule et unique présence qui devient pour lui son corré­latif et son répondant.

La notion donc que je vous donne là, au passage, celle qui fait de l’intelligence divine la somme des intelligences humaines a chez lui, encore que la formule en soit assez rigoureuse et assez élégante pour que nous ayons l’impres­sion d’être là devant un petit bout de système philoso­phique. Il faudrait très peu de choses – que je vous demande: de qui est-ce ? Pour savoir si ce n’est pas Spinoza.   La question est de savoir ce que vaut ce témoignage du sujet dans un ensemble remarquablement cohérent de témoignages, il nous donne son expérience, et comme une expérience qui s’impose comme étant devenue dès lors la structure même de la réalité.[ p. 238,l.18… ce témoignage du sujet]Le cinquième chapitre, entres autres, va concerner en par­ticulier ce qu’on appelle la langue fondamentale. Cette langue fondamentale dont le vous ai dit, qu’au témoignage du sujet elle est faite d’une espèce de haut allemand, particulièrement savoureux et très légèrement truffé d’expressions archaïques puisées aux sous-jacences étymologiques de cette langue.« À part la langue habituelle, il y a encore une sorte de langue des nerfs dont en général l’homme qui normalement se porte bien n’est pas conscient. Pour pouvoir comprendre au mieux ce phénomène, il faut, selon mon avis, se rappeler les procédés qui entrent en jeu quand un homme cherche à retenir dans sa mémoire certains mots dans un ordre déterminé. Par exemple, l’enfant qui apprend par cœur un poème qu’il doit réciter à l’école, ou un prêtre le sermon qu’il veut tenir à l’église; on répète ces mots dans le silence. »

Nous approchons. On sent qu’il y a quelque chose qui prouve que le sujet a certainement plus médité sur la nature du surgissement de la parole que peut-être nous l’avons fait jusqu’à présent.

« Il en est de même avec l’oraison mentale à laquelle la communauté est invité du haut de la chaire, c’est-à-dire que l’homme incite ses nerfs à des privations conformes à l’usage des mots respectifs, les organes de la voix proprement dits n’entrent pas en fonction, ou seulement involontairement. »

Il se rend bien compte que le phénomène, la position d’exception de la parole, est quelque chose qui se situe à un tout autre niveau que la mise en exercice des organes qui peuvent plus ou moins à ce moment là faire passer à la matérialisation.

« L’application de cette langue de nerfs dépend dans des conditions normales, conformes à l’ordre de l’univers, uni­quement de la volonté de l’homme dont les nerfs sont en cause. Aucun homme ne peut forcer un autre à se servir de la langue des nerfs. Par contre, il est arrivé dans mon cas, depuis le revirement critique de ma maladie nerveuse, que mes nerfs aient été mis en action de l’extérieur sans cesse et sans relâche. La qualité d’agir de telle façon sur les nerfs d’un homme est surtout propre aux rayons divins. C’est de là que provient le fait que Dieu a été depuis toujours en mesure d’inspirer des rêves aux hommes »

Cette subite introduction du rêve comme appartenant, comme essentiellement, au monde du langage, il semble qu’il n’est pas vain de remarquer quel surprenant illogisme cela représentait de la part d’un aliéné qui, par définition, n’est pas censé connaître le caractère hautement signifiant que nous donnons au rêve depuis Freud. Il est bien certain que Schreber n’en avait aucune espèce de notion.

«J’ai senti une certaine influence, comme d’une action pro­venant du Professeur Fleschig, je ne saurai expliquer ce fait que le Professeur Fleschig ait essayé d’assujettir les rayons divins. A part les nerfs du Professeur Fleschig, d’autres rayons divins se sont mis en contact avec mes nerfs de façon à agir à mes côtés, d’amener à des formes opposées à l’ordre de l’uni­vers et des droits naturels de l’homme, à disposer de l’usage de ces nerfs, et, si j’ose dire, de plus en plus grotesque, cette action se fit donc remarquer assez tôt sous la forme d’une obli­gation de penser, d’une compulsion à penser, un terme employé par les voix intérieures mêmes, et qui ne saurait guère être connu par d’autres gens, parce que ce phénomène se trouve hors de toute expérience humaine. La nature de l’obligation à penser consiste en ce que l’homme est forcé de penser sans relâche. En d’autres termes le droit naturel d’un homme d’accorder de temps en temps à ses nerfs de l’intellect le repos nécessaire par un rien penser, me fut refusé depuis par des rayons qui me… entrer et qui désiraient savoir sans cesse ce que je pense. On me posa même la question en ces termes: à quoi pensez-vous ? A cet instant, puisque cette question représente déjà par sa forme un non-sens complet, un homme, comme tout le monde le sait, peut aussi bien à certains moments penser à rien, penser à mille choses à la fois. mes nerfs ne réagissaient pas à une telle question contradictoire en soi-même. j’étais donc obligé de recourir à un système de fal­sification de penser, en répliquant par exemple à la question posée: c’est l’ordre de l’univers auquel un tel désir essaie de penser. C’est-à-dire qu’on obligeait mes nerfs par l’action de la langue de me… aux vibrations qui correspondaient à l’usage de ces mots. Cela fut la cause que le nombre des points dont provenaient les adjonctions de nerfs augmentaient avec le temps. À part le Professeur Fleschig, le seul dont je savais avec certitude qu’il a été, au moins pendant un certain temps parmi les vivants; c’étaient surtout des âmes décédées qui commencèrent à s’intéresser de plus en plus à moi »

Là-dessus, considérations et précisions dans une note: « Dans cette réponse, le mot «penser» a été retranché. Les âmes avaient l’habitude déjà avant que les situations contradictoires à l’ordre de l’univers se fassent remarquer, d’exprimer leurs pensées dans le commerce entre elles d’une façon grammaticalement incomplète, c’est-à-dire de retran­cher certains mots dont on pouvait se passer sans changer le sens. Cette habitude dégénéra au cours du temps en un abus. On peut en faire moins parce que les nerfs de l’intellect de l’homme sont fortement dans la langue fondamentale, sont toujours excités par de telles phrases morcelées, parce qu’ils cherchent automatiquement à trouver le mot qui manque. Ainsi j’entends -pour mentionner un seul des innombrables exemples-depuis des années, toujours la même question cent fois: <,pourquoi ne le dites-vous pas ? où on retranche les mots qui sont nécessaires pour compléter la phrase. Les rayons se donnent eux-mêmes la réponse à peu près comme ceci: “parce que je suis bête” Depuis des années mes nerfs doivent supporter sans cesse de pareils non-sens affreux et monotones, qui sortent pour ainsi dire d’eux-mêmes. Je m’expliquerai plus tard en détail sur la raison qui fut déci­sive pour le choix des phrases respectives et les effets qu’on avait l’intention d’obtenir». Cette phénoménologie qui est celle d’une relation ambiguë, à savoir alternativement très significative, car toute la suite du chapitre est une chose qui est d’une richesse quant aux significations ambiantes en un certain contexte culturel. Ce n’est pas pour rien que ce délire s’épanouit chez un sujet d’une bourgeoisie d’assez longue tradition. Les Schreber effectivement ont été des gens dont nous pouvons repérer l’histoire à partir du XVIe siècle comme ayant fait partie de la vie intellectuelle de leur pays d’une façon assez brillante. je reviendrai par la suite sur la personnalité particulière du père de Schreber.

Mais la sortie de délire, qui est celle qui surgit dans une sorte de deuxième premier temps du délire, est tellement liée à ce qu’on peut appeler le complexe d’encerclement culturel dont nous avons vu trop tristement à notre époque l’épa­nouissement avec le célèbre parti qui a lancé toute l’Europe dans la guerre, à savoir l’encerclement par les slaves, par les juifs, tout cela y est intégralement, chez ce brave homme qui ne semble pas jusque là avoir tellement participé à quelque tendance politique passionnelle quelle qu’elle soit, sinon par son appartenance incontestable et affirmée pendant la période de ses études à ces corporations d’étudiants. D’autre part, nous avons toute la suite de phénomènes beaucoup plus profonds, singuliers, problématiques, et je vais vous indiquer là quelque chose sur quoi nous reviendrons par la suite, l’existence corrélative de ces représentations « l’exis­tence des âmes » qui sont dès lors pour lui significatives, à savoir celles de tous ces supports de phrases qui dès lors l’incluent en quelque sorte perpétuellement dans leur tumulte. Ces âmes qu’il se désigne, qu’il situe, autour des­quelles il désorganise tout un univers et qui viennent avec le temps à s’amenuiser dans ces fameux petits hommes qui ont beaucoup attiré l’attention des analystes et en particulier de Katan qui a consacré un article à ces petits hommes, qui sont  peut-être la source de toutes sortes d’interprétation plus ou, grâce à certains éléments de significations moins ingénieuses qui sont données par le sort de ces petits hommes qui viennent habiter sa tête, qui sont en quelque sorte la réduction en un seul nerf, avec le temps et à la suite des successives réduc­tions, soustractions ou adjonctions de nerfs qui sont le pro­cessus de résorbation qu’il sent comme étant celui par où il s’intègre à lui-même à le détruire, sans de même coup les autres personnages de ces autres phantasmatiques, ces petits hommes ont été assimilés par les analystes, au nom des lois de la recherche de la signification appliquée dans l’analyse à l’équivalent des spermatozoïdes que le sujet à partir d’un certain moment de sa maladie se refuse à perdre, si on peut dire, en se refusant, comme s’est indiqué dans l’histoire de sa maladie, à la masturbation.

Il n’y a pas lieu de refuser une pareille interprétation. À la vérité, ce qui nous semble, c’est que si nous l’admettons, elle n’épuise pas complètement le problème. Le fait que ces personnages soient en quelque sorte des personnages régressifs retournés à leur cellule procréatrice originelle, c’est cela qui est la question. Et à la vérité c’est très frappant de voir comment Katan dans l’interprétation qu’il donne de ces petits hommes semble oublier des travaux très anciens de Silberer, qui est le premier à avoir parlé des rêves où il s’agisse dans certaines images nettement soit du spermato­zoïde, soit en effet de la cellule femelle primitive, l’ovule. Et à cette époque qui peut passer pour archaïque de l’analyse, Silberer avait très bien vu que la question n’était pas de savoir quelle fonction dans le rêve, le moment psycholo­gique du sujet, jouaient les petites images, qu’elles fussent fantasmatiques ou qu’elles fussent oniriques.

Il est curieux de voir en 1908 faire entrer à propos la notion de ce que signifie leur apparition. Et si elle n’a pas très précisément le sens de l’apparition d’une signification mortelle, à savoir qu’il s’agit d’un retour aux origines qui est le terme des précédents, l’équivalent d’une manifestation de l’instinct de mort. Dans le cas présent, nous ne pouvons pas ne pas le toucher du doigt, puisque ces significations concer­nant les petits hommes se produisent dans le contexte de cette sorte de crépuscule du monde qui va pour lui au début de son délire, et pour une phrase vraiment constitutive du mouve­ment du délire, à ce crépuscule, à cette réalisation totale et complète de tous les êtres humains qui l’entourent, qui est un des éléments les plus caractéristiques. Quoiqu’il en soit, il est certain que nous ne pouvons pas à cette occasion ne pas nous faire la remarque, si ce n’est d’une certaine incomplé­tude, d’une réalisation de la fonction du père comme tel qu’il s’agit chez Schreber. Car c’est autour de cela que tour­nent les auteurs. Ils essaient d’expliquer l’éclatement, l’éclo­sion du délire de Schreber par le fait que, non pas que Schreber soit à ce moment là en conflit avec son père, parce qu’il y a longtemps qu’il a disparu de la scène, et que loin d’être à un moment d’échec de sa vie, de son accession à des fonctions pleinement paternelles, c’est justement au contraire au moment où il franchit d’une manière particu­lièrement brillante une étape de sa carrière qui le met en une position d’autorité et d’autonomie qui semble le solliciter à ce moment-là d’assumer vraiment cette position paternelle et se référer à elle. C’est donc d’une espèce de vertige du succès, plus que du sentiment de l’échec que dépendrait le délire du Président Schreber. C’est bien autour de cela que tous les auteurs, quels qu’ils soient, quelque diversité qu’ils essaient d’intro­duire par rapport à la première interprétation de Freud, c’est autour de cela que tourne la compréhension qu’ils donnent du mécanisme déterminant, au moins sur le plan psychique, de la psychose.

Ne pouvons-nous pas justement, faire quelques remar­ques, que si effectivement nous posons la question des dif­férents modes dont peut, si on peut dire chez un sujet en phase critique, emporter en général… aussi bien normal que pathologique.

Nous donnerons là, si on peut dire, trois réponses au sujet de la fonction du père. Normalement, c’est-à-dire par l’intermédiaire du com­plexe d’Œdipe, nous aurons la voie, je ne dis pas que c’est l’essentielle, de la conquête de la réalisation œdipienne, de l’intégration et de l’introjection de l’image oedipienne. Mais le moyen, la voie, le médium que Freud nous dit, sans aucune espèce d’ambiguïté, c’est la relation agressive, c’est la relation de rivalité.

En d’autres termes, Freud nous apprend que normalement, c’est par la voie d’un conflit imaginaire que se fait l’intégration symbolique.

Il y a une autre voie qui se manifeste comme étant d’une autre nature. Elle nous est présente dans un certain nombre de phénomènes que nous connaissons. L’expérience ethnolo­gique nous montre l’importance; quelque résiduelle qu’elle soit dans le plus grand nombre des critiques, du phénomène de la couvade qui est celui par où la réalisation imaginaire se fait caractéristiquement par la mise en jeu symbolique de la conduite. Est-ce que ce n’est pas quelque chose de cette nature que nous avons pu situer dans la névrose ? D’un autre côté, quand je vous ai parlé du cas de cet hystérique décrit par Elssler qui à la suite d’une certaine rupture traumatique de son équilibre se met à appréhender tous les symptômes d’une espèce de grossesse symbolique; car il ne s’agit pas de grossesse imaginaire, dans ce phénomène du sujet dont je vous ai parlé il y a quelques semaines.

N’y a-t-il pas une troisième voie qui est en quelque sorte incarnée dans le délire ? Et je crois qu’il y a quelque chose de tout à fait frappant. Regardez ce que sont ces êtres. Ils ont un corrélatif manifeste dans le délire du Président Schreber. Ils sont des formes de résorption, mais ils sont aussi – et là les analystes touchent à quelque chose de justes – la repré­sentation de ce qui va arriver dans l’avenir. Schreber le dit, le monde va être repeuplé par ce qu’il appelle des hommes ­Schreber, par des hommes d’esprit Schréberien, c’est-à-dire de menus êtres fantasmatiques qui vont engendrer une sorte de procréation d’après le déluge, qui est la perspective, le point de fuite vers l’avenir. N’êtes-vous pas frappés que, de même que nous venons d’apercevoir les deux formes précé­dentes, la forme normale et la forme névrotique ou parané­vrotique, l’accent mis dans un cas sur la réalisation symbolique du père, par la voie du conflit imaginaire, dans l’autre cas par la réalisation imaginaire du père, par la voie d’un exercice symbolique de la conduite. Ici, qu’est-ce que nous voyons ? Nous voyons se réaliser dans l’imaginaire quelque chose de tout à fait singulier, en somme, ce quelque chose qui n’intéresse personne, ni les névrosés, ni la civilisa­tion primitive. Je ne dis pas qu’ils ne les connaissent pas. Je crois que c’est erroné de dire que les primitifs ne savent pas le côté réel de la génération par le père. Simplement, ca ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse c’est l’engendrement de l’âme. C’est l’engendrement de l’esprit du père. C’est le père justement en tant que symbolique ou en tant qu’imaginaire.

Mais nous voyons curieusement surgir dans le délire, sous la forme de ces petits hommes, une fonction imaginaire. C’est curieusement rien d’autre chose, que la fonction réelle d’une génération, tout au moins si nous faisons l’identifica­tion que les analystes font entre ces petits hommes et les spermatozoïdes, cette sorte de mouvement tournant entre les trois fonctions, définissant du même coup comment sont utilisés, dans des cadres différents, la problématique de la fonction paternelle et quelque chose que je vous prie de rete­nir pour l’usage et l’utilisation que nous pouvons en faire dans l’ordre de la psychose.

Quoiqu’il en soit, puisque nous nous sommes mainte­nant engagés dans la lecture de ce texte et dans une espèce d’entreprise de vraiment actualiser au maximum cette lec­ture dans le registre dialectique signifiant-signifié, nous pou­vons utiliser comme méthode de repérage de la psychose, je dirais à tous et à chacun de ceux qui sont ici, si vous abor­dez, et assurément c’est légitime au fond de la probléma­tique de l’analyse les questions de l’être, je dirais ne les prenez pas de trop haut, vous n’en avez aucun besoin, puisque dans ce que je vous ai donné de la phénoménologie des névroses et des psychoses, c’est au niveau d’une dialec­tique phénoménale tout à fait articulée, et qu’on le veuille ou qu’on ne veuille pas la nommer, c’est tout de même la parole qui dans le centre de référence est l’accent principal.

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