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Recherches Lacan

LXXIV L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre 1976 – 1977 Leçon du 19 avril 1977

Leçon du 19 avril 1977

J’ai un petit inconvénient aujourd’hui, j’ai mal au dos, de sorte que ça ne m’aide pas à tenir debout. Mais, quand je suis assis, j’ai aussi mal. Ça n’est certainement pas une raison parce qu’on ne sait pas ce qui est intentionnel pour qu’on élucubre ce qui est censé l’être.

Le Moi, puisqu’on appelle ça comme ça — on appelle ça comme ça dans la seconde topique de Freud — le Moi est supposé avoir des intentions, ceci du fait qu’on lui attribue ce qu’il jaspine, ce qu’on appelle son dire. Il, dit, en effet ; il dit et il dit impérativement. C’est tout au moins comme ça qu’il commence à s’exprimer.

L’impératif, c’est ce que j’ai appuyé, disons, du signifiant indice 2, S2 ; ce signifiant indice 2 dont j’ai défini le sujet, j’ai dit qu’un signifiant c’est ce qui représentait le sujet pour un autre signifiant. Dans le cas de l’impératif, c’est celui qui écoute qui, de ce fait, devient sujet. Ça n’est pas que celui qui profère ne devienne pas, lui aussi, sujet incidemment. Oui. Je voudrais attirer l’attention sur quelque chose, il n’y a en psychanalyse que des je voudrais. Je suis évidemment un psychanalyste qui a un peu trop de bouteille, mais c’est vrai que le psychanalyste, au point où j’en suis arrivé, dépend de la lecture qu’il fait de son analysant, de ce que son analysant lui dit en propres termes. Est-ce que vous entendez, parce qu’après tout je ne suis pas sûr que ce porte-voix fonctionne ? Est-ce que ça fonctionne le… dans les… Hein ? Oui ? Bon. Ce que son analysant croit lui dire, ceci veut dire que tout ce que l’analyste écoute ne peut être pris, comme on s’exprime, au pied de la lettre. Là il faut que je fasse une parenthèse, j’ai dit la tendance que cette lettre, dont ce pied indique l’accrochage au sol, ce qui est une métaphore, une métaphore piètre, ce qui va bien avec pied, la tendance que cette lettre a à rejoindre le Réel, c’est son affaire ; le Réel dans ma notation étant ce qui est impossible à rejoindre. Ce que son analysant, à l’analyste en question, croit lui dire, n’a rien à faire — et ça, Freud s’en est aperçu — n’a rien à faire avec la vérité. Néanmoins il faut bien penser que croire, c’est déjà quelque chose qui existe, il dit ce qu’il croit vrai. Ce que l’analyste sait, c’est qu’il ne parle qu’à côté du vrai, parce que le Vrai, il l’ignore. Freud là, délire, juste ce qu’il faut, car il s’imagine que le Vrai, c’est ce qu’il appelle, lui, le noyau traumatique. C’est comme ça qu’il s’exprime formellement, à savoir que, à mesure que le sujet énonce quelque chose de plus près de son noyau traumatique, ce soi-disant noyau, et qui n’a pas d’existence, il n’y a que la roulure, que l’analysant est tout comme son analyste, c’est-à-dire comme je l’ai fait remarquer en invoquant mon petit-fils, l’apprentissage qu’il a subi d’une langue entre autres, qui est pour lui lalangue que j’écris, on le sait, en un seul mot, dans l’espoir de ferrer, elle, la langue, ce qui équivoque avec faire-réel.

Lalangue quelle qu’elle soit est une obscénité. Ce que Freud désigne de, — pardonnez-moi ici l’équivoque -, l’obrescène [?], c’est aussi bien ce qu’il appelle l’autre scène, celle que le langage occupe de ce qu’on appelle sa structure, structure élémentaire qui se résume à celle de la parenté.

je vous signale que il y a des sociologues qui ont énoncé sous le patronage d’un nommé Robert Needham, qui n’est pas le Needham qui s’est occupé avec tellement de soin de la science chinoise, qui est un autre Needham — le Needham de la science chinoise ne s’appelle pas Robert — lui, le Needham en question, s’imagine faire mieux que les autres en faisant la remarque, d’ailleurs juste, que la parenté est à mettre en question, c’est-à-dire qu’elle comporte dans les faits autre chose, une plus grande variété, une plus grande diversité que ce que, — il faut bien le dire, c’est à ça qu’il se réfère -, que ce que les analysants en disent. Mais ce qui est tout à fait frappant, c’est que les analysants, eux, ne parlent pas que de ça, de sorte que la remarque incontestablement que la parenté a des valeurs différentes dans les différentes cultures, n’empêche pas que le ressassage par les analysants de leur relation à leurs parents, d’ailleurs, il faut le dire, proches, est un fait que l’analyste a à supporter. Il n’y a aucun exemple qu’un analysant note la spécificité, la particularité qui différencie d’autres analysants, son rapport à ses parents plus ou moins immédiats.

Le fait qu’il ne parle que de ça, est en quelque sorte quelque chose qui bouche toutes les nuances de sa relation spécifique, de sorte que La parenté en question — c’est un livre paru au Seuil — que La parenté en question met en valeur ce fait primordial que c’est de lalangue qu’il s’agit. Ça n’a pas du tout les mêmes conséquences que l’analysant ne parle que de ça parce que ses proches parents lui ont appris lalangue, il ne différencie pas ce qui spécifie sa relation à lui avec ses proches parents. Il faudrait là s’apercevoir que ce que j’appellerai dans cette occasion, la fonction de vérité, est en quelque sorte amortie par quelque chose de prévalant, et il faudrait dire que la culture est là tamponnée, amortie, et que, à cette occasion, on ferait mieux peut-être d’évoquer la métaphore, puisque culture est aussi une métaphore, la métaphore de l’agri du même nom. Il faudrait substituer à l’agri en question le terme de bouillon de culture, ça serait mieux d’appeler culture un bouillon de langage.

Associer librement, qu’est-ce que ça veut dire ? je m’efforce là de pousser les choses un petit peu plus loin. Qu’est-ce que veut dire associer librement ? Est-ce que c’est une garantie — ça semble quand même être une garantie — que le sujet qui énonce va dire des choses qui aient un peu plus de valeur ? Mais enfin chacun sait que la ratiocination, ce qu’on appelle comme ça en psychanalyse, la ratiocination a plus de poids que le raisonnement. Qu’est-ce qu’a à faire ce qu’on appelle des énoncés, avec une proposition vraie ? Il faudrait tâcher, comme l’énonce Freud, de voir sur quoi est fondé ce quelque chose, qui ne fonctionne qu’à l’usure, dont est supposée la Vérité. Il faudrait voir, s’ouvrir à la dimension de la vérité comme varité variable, c’est-à-dire de ce que, en condensant comme ça les deux mots, j’appellerais la varité, avec un petit é avalé, la varité.

Par exemple, je vais donner quelque chose qui a bien son prix. Si un sujet analysant glisse dans son discours un néologisme, comme je viens d’en faire par exemple à propos de la varité, qu’est-ce qu’on peut dire de ce néologisme ? Il y a quand même quelque chose qu’on peut en dire, c’est que le néologisme apparaît quand ça s’écrit. Et c’est justement bien en quoi ça ne veut pas dire, comme ça, automatiquement, que ce soit le Réel ; ce n’est pas parce que ça s’écrit, que ça donne poids à ce que j’évoquai tout à l’heure à propos de l’au pied de la lettre.

Bref, il faut quand même soulever la question de savoir si la psychanalyse — je vous demande pardon, je demande pardon au moins aux psychanalystes — ça n’est pas ce qu’on peut appeler un autisme à deux ? Il y a quand même une chose qui permet de forcer cet autisme, c’est justement que lalangue est une affaire commune et que c’est justement là où je suis, c’est-à-dire, capable de me faire entendre de tout le monde ici, c’est là ce qui est le garant — c’est bien pour ça que j’ai mis à l’ordre du jour la transmission de la psychanalyse — c’est bien ce qui est le garant que la psychanalyse ne boite pas irréductiblement de ce que j’ai appelé tout à l’heure autisme à deux.

On parle de la ruse de la raison ; c’est une idée philosophique. C’est Hegel qui a inventé ça. Il n’y a pas la moindre ruse de la raison. Il n’y a rien de constant, contrairement à ce que Freud a énoncé quelque part, que la voix de la raison était basse, mais qu’elle répète toujours la même chose. Elle ne répète des choses qu’à tourner en rond. Pour dire les choses, la raison répète le symptôme. Et le fait qu’aujourd’hui j’aie à me présenter devant vous avec ce qu’on appelle un sinthome physique, n’empêche pas qu’à juste titre vous pouvez vous demander si ça n’est pas intentionnel, si par exemple je n’ai pas abondé dans une telle connerie de comportement que mon symptôme, tout physique qu’il soit, soit quand même quelque chose qui soit par moi voulu. Il y a aucune raison de s’arrêter dans cette extension du symptôme, puisque c’est quelque chose de suspect, qu’on le veuille ou non. Pourquoi ce symptôme ne serait-il pas intentionnel ?

Il est un fait que lalangue, j’écris ça élangue, s’élongent à se traduire l’une dans l’autre, mais que le seul savoir reste le savoir des langues, que la parenté ne se traduit pas en fait, mais elle n’a de commun que ceci que les analysants ne parlent que de ça. C’est même au point que ce que j’appelle dans l’occasion un vieil analyste en est fatigué.

Pourquoi est-ce que Freud n’introduit pas quelque chose qu’il appellerait le lui. Quand j’ai écrit mon petit machin là, pour vous jaspiner, j’ai fait un lapsus — un de plus ! — au lieu d’écrire comme moi — ce comme moi n’était pas spécialement bienveillant, il s’agissait de ce que j’appellerais la débilité mentale, — j’ai fait un lapsus, j’ai, à la place de comme moi, écrit comme ça. Écrire — puisque tout ça s’écrit, c’est même là ce qui constitue le dire — écrire que l’analysant se débrouille avec moi c’est aussi bien moi avec lui. Que l’analyse ne parle que du Moi et du Ça, jamais du Lui, c’est quand même très frappant. Lui pourtant, est un terme qui s’imposerait, et si Freud dédaigne d’en faire état, c’est bien, il faut le dire, qu’il est égocentrique, et même super-égocentrique ! C’est de ça qu’il est malade. Il a tous les vices du maître, il ne comprend rien à rien. Car le seul maître, il faut bien le dire, c’est la conscience, et ce qu’il dit de l’inconscient n’est qu’embrouille et bafouillage, c’est-à-dire retourne à ce mélange de dessins grossiers et de métaphysique qui ne vont pas l’un sans l’autre.

Tout peintre est avant tout un métaphysicien, un métaphysicien qui l’est en ceci qu’il fait des dessins, grossiers. C’est un barbouilleur, d’où les titres qu’il donne à ses tableaux. Même l’art abstrait se titrise comme les autres – j’ai pas voulu dire titularise parce que ça ne voudrait rien dire – même l’art abstrait a des titres, des titres qu’il s’efforce de faire aussi vides qu’il peut, mais quand même ça se titrise.

Sans cela, Freud eût tiré les conséquences de ce qu’il dit lui-même que l’analysant ne connaît pas sa vérité, puisqu’il ne peut la dire. Ce que j’ai défini comme ne cessant pas de s’écrire, à savoir le symptôme, y est un obstacle. J’y reviens. Ce que l’analysant dit en attendant de se vérifier, ce n’est pas la vérité, c’est la varité du symptôme. Il faut accepter les conditions du mental aux premiers rangs desquelles est la débilité, ce qui veut dire l’impossibilité de tenir un discours contre quoi il n’y a pas d’objection, mentale, précisément.

Le mental, c’est le discours. On fait de son mieux pour arranger que le discours laisse des traces. C’est l’histoire de l’Entwurf, du projet de Freud mais la mémoire est incertaine. Ce que nous savons, c’est qu’il y a des lésions du corps que nous causons, du corps dit vivant, qui suspendent la mémoire ou tout au moins ne permettent pas de compter sur les traces qu’on lui attribue quand il s’agit de la mémoire du discours.

Il faut soulever ces objections à la pratique de la psychanalyse. Freud était un débile mental, comme tout le monde, et comme moi-même à l’occasion, en particulier en outre, névrosé, un obsédé de la sexualité, comme on l’a dit. On ne voit pas pourquoi ne serait pas aussi valable l’obsession de la sexualité qu’une autre, puisque pour l’espèce humaine la sexualité est obsédante à juste titre. Elle est en effet anormale au sens que j’ai défini : il n’y a pas de rapport sexuel. Freud, c’est-à-dire un cas, a eu le mérite de s’apercevoir que la névrose n’était pas structurellement obsessionnelle, qu’elle était hystérique dans son fond, c’est-à-dire liée au fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel, qu’il y a des personnes que ça dégoûte, ce qui quand même est un signe, signe positif, que ça les fait vomir.

Le rapport sexuel, il faut le reconstituer par un discours, c’est-à-dire quelque chose qui a une toute autre finalité. Ce à quoi le discours sert d’abord, il sert à ordonner, j’entends à porter le commandement que je me permets d’appeler intention du discours, puisque il en reste, de l’impératif, dans toute intention. Tout discours a un effet de suggestion. Il est hypnotique. La contamination du discours par le sommeil vaudrait d’être mise en relief, avant d’être mise en valeur par ce qu’on appelle l’expérience intentionnelle, soit prise comme commandement imposé aux faits. Un discours est toujours endormant, sauf quand on ne le comprend pas. Alors, il réveille.

Les animaux de laboratoire sont lésés non pas parce qu’on leur fait plus ou moins mal, ils sont réveillés, parfaitement, parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur veut, même si on stimule leur prétendu instinct. Quand vous faites bouger des rats dans une petite boîte, vous stimulez son instinct alimentaire, comme on s’exprime; c’est de la faim tout simplement qu’il s’agit. Bref, le réveil, c’est le Réel sous son aspect de l’impossible, qui ne s’écrit qu’à force ou par force, c’est ce qu’on appelle la contre-nature.

La nature, comme toute notion qui nous vient à l’esprit, est une notion excessivement vague. A vrai dire, la contre-nature est plus claire, que le naturel. Les pré-socratiques, comme on appelle ça, avaient un penchant au contre-nature. C’est tout ce qui mérite qu’on leur attribue la culture. Il fallait qu’ils soient doués pour forcer un peu le discours, le dire impératif dont nous avons vu qu’il endort.

La vérité réveille-t-elle ou endort-elle ? Ça dépend du ton dont elle est dite. La poésie dite endort. Et j’en profite pour montrer le truc qu’à cogité François Cheng qui s’appelle en réalité Cheng Tai-Tchen. Il a mis François comme ça, histoire de se résorber dans notre culture, ce qui ne l’a pas empêché de maintenir très ferme ce qu’il dit. Et ce qu’il dit, c’est L’écriture poétique chinoise, c’est paru au Seuil et j’aimerais bien que vous en preniez de la graine, vous en preniez de la graine, si vous êtes psychanalyste, ce qui n’est pas le cas de tout le monde ici.

Si vous êtes psychanalyste, vous verrez que ces forçages par où un psychanalyste peut faire sonner autre chose, autre chose que le sens, car le sens, c’est ce qui résonne à l’aide du signifiant; mais ce qui résonne, ça ne va pas loin, c’est plutôt mou. Le sens, ça tamponne, mais à l’aide de ce qu’on appelle l’écriture poétique, vous pouvez avoir la dimension de ce que pourrait être l’interprétation analytique.

C’est tout à fait certain que l’écriture n’est pas ce par quoi la poésie, la résonance du corps s’exprime. Il est quand même tout à fait frappant que les poètes chinois s’expriment par l’écriture et que, pour nous, ce qu’il faut, c’est que nous prenions la notion, dans l’écriture chinoise, de ce que c’est que la poésie, non pas que toute poésie, – je parle de la nôtre spécialement -, que toute poésie soit telle que nous puissions l’imaginer par l’écriture, par l’écriture poétique chinoise; mais peut-être, y sentirez-vous quelque chose, quelque chose qui soit autre que ce qui fait que les poètes chinois ne peuvent pas faire autrement que d’écrire. Il y a quelque chose qui donne le sentiment qu’ils n’en sont pas réduits là, c’est qu’ils chantonnent, c’est qu’ils modulent, c’est qu’il y a ce que François Cheng a énoncé devant moi, à savoir un contre-point tonique, une modulation qui fait que ça se chante, car de la tonalité à la modulation, il y a un glissement. Que vous soyez inspirés éventuellement par quelque chose de l’ordre de la poésie pour intervenir, c’est bien en quoi je dirai, c’est bien vers quoi il faut vous tourner, parce que la linguistique est quand même une science que je dirais très mal orientée. Si la linguistique se soulève, c’est dans la mesure où un Roman Jakobson aborde franchement les questions de poétique. La métaphore, et la métonymie, n’ont de portée pour l’interprétation qu’en tant qu’elles sont capables de faire fonction d’autre chose. Et cette autre chose dont elles font fonction, c’est bien ce par quoi s’unissent, étroitement, le son et le sens.

C’est pour autant qu’une interprétation juste éteint un symptôme, que la vérité se spécifie d’être poétique. Ce n’est pas du côté de la logique articulée, – quoique à l’occasion j’y glisse -, ce n’est pas du côté de la logique articulée qu’il faut sentir la portée de notre dire, non pas bien sûr qu’il y ait quelque part quelque chose qui mérite de faire deux versants. Ce que toujours nous énonçons, parce que c’est la loi du discours, ce que toujours nous énonçons comme système d’opposition, c’est cela même qu’il nous faudrait surmonter, et la première chose serait d’éteindre la notion de Beau.

Nous n’avons rien à dire de beau. C’est d’une autre résonance qu’il s’agit, à fonder sur le mot d’esprit. Un mot d’esprit n’est pas beau, il ne se tient que d’une équivoque, ou, comme le dit Freud, d’une économie. Rien de plus ambigu que cette notion d’économie. Mais tout de même, l’économie fonde la valeur. Une pratique sans valeur, voilà ce qu’il s’agirait pour nous d’instituer.

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