samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LVIII Le transfert 1960 – 1961 Leçon du 1er février 1961

Leçon du 1er février 1961

 

Je vous ai laissés la dernière fois en manière de relais dans notre propos sur le mot auquel je vous disais en même temps que je laissais jusqu’à la prochaine fois toute sa valeur d’énigme, sur le mot agalma.

 

Je ne croyais pas si bien dire. Pour un grand nombre, l’énigme était si totale qu’on se demandait : « Quoi ? Qu’est-ce qu’il a dit ? Est-ce que vous savez ? » Enfin, à ceux qui ont manifesté cette inquiétude, quelqu’un de ma maison a pu donner au moins cette réponse – qui prouve qu’au moins chez moi l’éducation secondaire sert à quelque chose – ça veut dire : ornement, parure. Quoi qu’il en soit, cette réponse n’était en effet qu’une réponse de premier aspect de ce que tout le monde doit savoir : agalma, de Žg‹llv/agallô/, parer, orner, signifie en effet – au premier aspect – ornement, parure. D’abord elle n’est pas si simple que cela la notion d’ornement, de parure, on voit tout de suite que ça peut nous mener loin. Pourquoi, de quoi se pare-t-on ? ou pourquoi se parer et avec quoi ?

 

Il est bien clair que, si nous sommes là sur un point central, beaucoup d’avenues doivent nous y mener. Mais enfin j’ai retenu, pour en faire le pivot de mon explication, ce mot agalma. N’y voyez nul souci de rareté mais plutôt ceci que dans un texte auquel nous supposons la plus extrême rigueur, celui du Banquet, quelque chose nous mène en ce point crucial qui est formellement indiqué, au moment où je vous ai dit que tourne complètement la scène et, qu’après les jeux de l’éloge tels qu’ils ont été jusque-là réglés par ce sujet de l’amour, entre cet acteur, Alcibiade, qui va tout faire changer. Je n’en veux pour preuve que <ceci> : lui-même change la règle du jeu en s’attribuant d’autorité la présidence. <213e> À partir de ce moment-là nous dit-il, ce n’est plus de l’amour qu’on va faire l’éloge mais de l’autre et nommément chacun <214d> de son voisin de droite. Vous verrez que pour la suite ceci a son importance, que c’est déjà beaucoup en dire, que, s’il va s’agir d’amour, c’est en acte dans cette relation de l’un à l’autre qui va ici avoir à se manifester.

 

Je vous l’ai fait observer déjà la dernière fois, il est notable qu’à partir du moment où les choses s’engagent sur ce terrain, avec le metteur en scène expérimenté que nous supposons être au principe de ce dialogue (ce qui nous est confirmé par l’incroyable généalogie mentale qui découle de ce Banquet – dont la dernière fois j’ai pointé à son propos l’avant-dernier écho <avec> le banquet de Kierkegaard – le dernier, je vous l’ai déjà nommé : c’est l’Erôs et Agapè d’Anders Nygren, tout cela se suspend toujours à l’armature, à la structure du Banquet), eh bien, ce personnage expérimenté ne peut faire dès qu’il s’agit de faire entrer en jeu l’autre, il n’y en a pas qu’un, il y en a deux autres, autrement dit au minimum ils sont trois. Cela, Socrate ne le laisse pas échapper dans sa réponse à Alcibiade quand, après cet extraordinaire aveu, cette confession publique, cette chose qui est entre la déclaration d’amour et presque dirait-on la malédiction, la diffamation de Socrate, <222cd> Socrate lui répond : « Ce n’est pour moi que tu as parlé, c’est pour Agathon ». Tout ceci nous fait sentir que nous passons à un autre registre.

 

La relation duelle de celui qui, dans la montée vers l’amour procède par une voie d’identification (si vous voulez, aussi bien de production de ce que nous avons indiqué dans le discours de Diotime) y étant aidé par ce prodige du beau et, venant à voir dans ce beau lui-même identifié ici au terme à la perfection de l’œuvre de l’amour, trouve dans ce beau son terme même et l’identifie à cette perfection.

 

Autre chose donc ici entre en jeu <autre chose que> ce rapport univoque qui donne au terme de l’œuvre d’amour ce but, cette fin de l’identification à ce que j’ai mis ici en cause l’année dernière, la thématique du souverain bien, du bien suprême. Ici nous est montré qu’autre chose soudain est substitué dans la triplicité, dans la complexité, qui nous montre, s’offre à nous livrer ce en quoi, vous savez, je fais tenir l’essentiel de la découverte analytique, cette topologie dont dans son fond résulte la relation du sujet au symbolique en tant qu’il est essentiellement distinct de l’imaginaire et de sa capture. C’est cela qui est notre terme, c’est cela que nous articulerons la prochaine fois pour clore ce que nous aurons à dire du Banquet. C’est cela à l’aide de quoi je ferai ressortir d’anciens modèles que je vous ai donnés de la topologie intrasubjective en tant que c’est ainsi que nous devons comprendre toute la seconde topique de Freud.

 

Aujourd’hui donc, ce que nous pointons, c’est quelque chose qui est essentiel à rejoindre cette topologie, dans la mesure où c’est sur le sujet de l’amour que nous avons à la rejoindre. C’est de la nature de l’amour qu’il est question, c’est d’une [opposition] <position>, d’une articulation essentielle trop souvent oubliée, élidée, et sur laquelle nous analystes pourtant nous avons apporté l’élément, la cheville qui permet d’en accuser la problématique, c’est là-dessus que doit se concentrer ce que j’ai aujourd’hui à vous dire à propos [d’agathon] <d’agalma>.

 

Il est d’autant plus extraordinaire, presque scandaleux que ceci n’ait pas été jusqu’ici mieux mis en valeur, que c’est d’une notion proprement analytique qu’il s’agit, que j’espère pouvoir vous faire sentir, vous faire tout à l’heure toucher du doigt.

 

Agalma, voici comment dans le texte il se présente : Alcibiade parle de Socrate, il dit qu’il va le démasquer – nous n’irons pas aujourd’hui jusqu’au bout de ce que signifie le discours d’Alcibiade – vous savez qu’Alcibiade entre dans les plus grands détails de son aventure avec Socrate. Il a essayé quoi ? que Socrate, dirons-nous, lui manifeste son désir car il sait que Socrate a du désir pour lui, ce qu’il a voulu c’est un signe.

 

Laissons ceci en suspens, il est trop tôt pour demander pourquoi. Nous sommes seulement au départ de la démarche d’Alcibiade et, au premier abord, cette démarche n’a pas l’air de se distinguer essentiellement de ce qu’on a dit jusque là. Il s’agissait au départ, dans le discours de Pausanias, de ce qu’on va chercher dans l’amour et il était dit que ce que chacun cherchait dans l’autre (échange de bons procédés) c’était ce qu’il contenait erômenon, de désirable. C’est bien de la même chose qu’il a l’air… qu’il semble s’agir maintenant. <216d> Alcibiade nous dit que Socrate est quelqu’un que ses dispositions amoureuses portent vers les beaux garçon,… – c’est un préambule – son ignorance est générale, il ne sait rien ‹gnoeÝ/agnoei/ du moins en apparence ! – et là, il entre dans la comparaison célèbre du silène qui est double dans sa portée. Je veux dire d’abord que c’est là son apparence, c’est-à-dire rien moins que belle et, d’autre part, que ce silène n’est pas simplement l’image qu’on désigne de ce nom, mais aussi quelque chose qui a son aspect usuel : c’est un emballage, un contenant, une façon de présenter quelque chose – ça devait exister. Ces menus instruments de l’industrie du temps étaient de petits silènes qui servaient de boîte à bijoux, d’emballage pour offrir les cadeaux et justement, c’est de cela qu’il s’agit.

 

Cette indication topologique est essentielle. Ce qui est important, c’est ce qui est à l’intérieur. Agalma peut bien vouloir dire parement ou parure, mais c’est ici avant tout objet précieux, bijou, quelque chose qui est à l’intérieur. Et ici expressément, Alcibiade nous arrache à cette dialectique du beau qui jusqu’ici était la voie, le guide, le mode de capture sur cette voie du désirable et il nous détrompe. et à propos de Socrate lui-même.

 

<216e> Iste ÷ti/Iste hoti/Sachez-le, dit-il, en apparence Socrate est amoureux des beaux garçons, oëte eà tiw kalow esti, m¡lei aétÒ oéd¡n/oute ei tis kalos esti melei auto ouden/, que l’un ou l’autre soit beau,/melei autô ouden/, cela ne lui fait ni chaud ni froid, il s’en bat l’œil, il la méprise au contraire. katafroneÝ/kataphroneî/, nous est-il dit. <la beauté>, à un point dont vous ne pouvez, pas vous faire idée tosoèton ÷son oéd’ n eàw oÛhyeÛ®/tosouton hoson oud’an eis oiètheiè/ vous ne pouvez même pas imaginer…et qu’à vrai dire, la fin qu’il poursuit – je le souligne parce que tout de même c’est dans le texte – il est expressément articulé en ce point que ce n’est pas seulement les biens extérieurs, la richesse par exemple, dont chacun jusque là (nous sommes des délicats) a dit que ce n’était pas cela qu’on cherchait chez les autres, [mais] <ni> aucun de ces autres avantages qui peuvent paraître d’aucune façon procurer /makaria/, un bonheur, une félicité,/hupo plèthous/ à qui que ce soit ; on a tout à fait tort de l’interpréter ici comme un signe qu’il s’agit de dédaigner les biens qui sont des biens pour la foule. [Il s’agit que] Ce qui est repoussé, c’est justement ce dont on a parlé jusque-là, les biens en général.

 

<216e> D’autre part. nous dit Alcibiade, son aspect étrange ne vous y arrêtez pas si, eÛrvneuñmenow/eirôneuomenos/ il fait le naïf, il interroge, il fait l’âne pour avoir du son, il se conduit vraiment comme un enfant il passe son temps à dire des badinages. Mais spoud‹santow de aætoè/spouda santos de autou/ – non pas comme on traduit – quand il se met à être sérieux… – mais, c’est – vous, soyez sérieux, faites-y bien attention, et ouvrez-le, le silène, ‹noixy¡ntow/anoichthentos/ entr’ouvert, je ne sais pas si quelqu’un a jamais vu les agalmata qui sont à l’intérieur, les joyaux [donc] <dont> tout de suite Alcibiade pose qu’il met fort en doute que quelqu’un ait jamais pu voir de quoi il s’agit.

 

Nous savons que non seulement c’est là le discours de la passion, mais que c’est le discours de la passion en son point le plus tremblant, à savoir celui qui est en quelque sorte tout entier contenu dans l’origine. Avant même qu’il <ne> s’explique, il est là, lourd du coup de talon de tout ce qu’il a à nous raconter qui va partir. C’est donc bien le langage de la passion.

 

Déjà ce rapport unique, personnel : « … personne n’a jamais vu ce dont il s’agit, comme il m’est arrivé de voir ; et je l’ai vu ! » je les ai trouvés, ces <216e> agalmata à tel point déjà divins xrus/chrusa/, c’est chou, c’est en or, totalement [belles] <beaux> si extraordinaires, faramineux, qu’il n’y avait plus qu’une chose à faire, ¡m braxeÝ/en brachei/, dans le plus bref délai, <217a> par les voies les plus courtes, faire tout ce que pouvait ordonner Socrate, poiht¡on/poièteon/, ce qui est à faire ; ce qui devient le devoir, c’est tout ce qu’il plaît à Socrate de commander.

 

Je ne pense pas inutile que nous articulions un tel texte pas à pas. On ne lit pas ça comme on lit France-Soir ou un article de l’International Journal of Psychoanalysis. Il s’agit bien de quelque chose dont les effets sont surprenants. D’une part ces agalmata (au pluriel) on ne nous dit pas jusqu’à nouvel ordre ce que c’est et, d’autre part, cela entraîne tout d’un coup cette subversion, cette tombée sous le coup des commandements de celui qui les possède. Vous ne pouvez pas tout de même (ne> pas retrouver quelque chose de la magie que je vous ai déjà pointée autour du Che vuoi ? Que veux-tu ? C’est bien cette clé, ce tranchant essentiel de la topologie du sujet qui commence à : Qu’est-ce que tu veux ? – en d’autres termes : Y a-t-il un désir qui soit vraiment ta volonté ?

 

<117a> Or – continue Alcibiade -, comme je croyais que lui aussi c’était du sérieux quand il parlait de Íra/hôra/, ¡m» Íra/emè hôra/ – on traduit – la fleur de ma beauté… et commence toute la scène de séduction.

 

Mais je vous ai dit, nous n’irons pas plus loin aujourd’hui, nous essaierons de faire sentir ce qui rend nécessaire ce passage du premier temps à l’autre, à savoir pourquoi il faut absolument à tout prix que Socrate se démasque. Nous allons seulement nous arrêter à ces agalmata. Je peux bien vous dire que ce n’est pas – faites-moi ce crédit – à ce texte que remonte pour moi la problématique d’agalma, non pas d’ailleurs qu’il y aurait à cela le moindre inconvénient car ce texte suffit pour la justifier, mais je vais vous raconter l’histoire comme elle est.

 

Je peux vous dire que, sans à proprement pouvoir la dater, ma première rencontre avec agalma est une rencontre comme toutes les rencontres, imprévue. C’est dans un vers de l’Hécube d’Euripide qu’il m’a frappé il y a quelques années et vous comprendrez facilement pourquoi. C’était quand même un peu avant la période où j’ai fait entrer ici la fonction du phallus, dans l’articulation essentielle que l’expérience analytique et la doctrine de Freud nous montrent qu’il a, entre la demande et le désir ; de sorte qu’au passage, je n’ai pas manqué d’être frappé de l’emploi qui était donné de ce terme dans la bouche d’Hécube. Hécube dit : « Où est-ce qu’on va m’emmener, où est-ce qu’on va me déporter? ».

 

Vous le savez, la tragédie d’Hécube se place au moment de la prise de Troie et, parmi tous les endroits qu’elle envisage dans son discours, il y a : « Sera-ce à cet endroit à la fois sacré et pestiféré… Délos ? » – comme vous [puisqu’] le savez on n’avait ni le droit d’y accoucher, ni d’y mourir. Et là, devant la description de Délos, elle fait allusion à un objet qui était célèbre, qui était – comme la façon dont elle en parle l’indique – un palmier dont elle dit que ce palmier, il est ÈdÝow galma dÛaw/ôdinos agalma dias/, c’est-à-dire ôdinos, de la douleur, agalma dias, le terme dias désigne < Latone >, il s’agit de l’enfantement d’Apollon, c’est l’agalma de la douleur de la divine. Nous retrouvons la thématique de l’accouchement mais tout de même assez changée, car là ce tronc, cet arbre, cette chose magique érigée, conservée comme un objet de référence à travers les âges, c’est quelque chose qui ne peut manquer – à nous en tout cas du moins, analystes – d’éveiller tout le registre qu’il y a autour de la thématique du phallus < féminin > en tant que son fantasme est là, nous le savons, à l’horizon et situe cet objet infantile < comme fétiche >.

 

Le fétiche qu’il reste ne peut pas ne pas être non plus pour nous l’écho de cette signification. Mais en tout cas, il est bien clair qu’agalma ne peut pas là être traduit d’aucune façon par ornement, parure, ni même comme on voit souvent dans les textes, statue – car souvent yeÇn/theôn/agalmata, quand on traduit rapidement on croit que ça colle, qu’il s’agit dans le texte des statues des dieux.

 

Vous le voyez tout de suite, ce sur quoi je vous retiens, ce qui fait je crois que c’est un terme à pointer dans cette signification, cet accent caché qui préside à ce qu’il faut faire pour retenir sur la voie de cette banalisation qui tend toujours à effacer pour nous le sens véritable des textes, c’est que chaque fois que vous rencontrez agalma – faites bien attention – même s’il semble s’agir des statues des dieux, vous y regarderez de près, vous vous apercevrez qu’il s’agit toujours d’autre chose.

 

Je vous donne déjà – nous ne jouons pas ici aux devinettes – la clé de la question en vous disant que c’est l’accent fétiche de l’objet dont il s’agit qui est toujours accentué. Aussi bien d’ailleurs, je ne fais pas ici un cours d’ethnologie, ni même de linguistique. Et je ne vais pas, à ce propos, accrocher la fonction du fétiche ni de ces pierres rondes, essentiellement au centre d’un temple (le temple d’Apollon par exemple). Vous voyez très souvent (c’est très connu, cette chose) le dieu lui-même représenté, [un] fétiche de quelque peuple, tribu de la boucle du Niger, c’est quelque chose d’innommable, d’informe, sur quoi peuvent à l’occasion se déverser énormément de liquides de diverses origines, plus ou moins puants et immondes et dont la superposition accumulée, allant du sang à la merde, constitue le signe que là est quelque chose autour de quoi toutes sortes d’effets se concentrent faisant du fétiche en lui-même bien autre chose qu’une image, qu’une icône, en tant qu’elle serait reproduction.

 

Mais ce pouvoir [spécial] < occulte > de l’objet reste au fond de l’usage dont même pour nous, l’accent est encore conservé dans le terme d’idole ou d’icône. Dans le terme d’idole, par exemple dans l’emploi qu’en fait Polyeucte, ça veut dire : c’est rien du tout, ça se fout par terre. Mais tout de même si vous dites d’un tel ou d’une telle : « j’en fais mon idole », ça veut dire tout de même [quelque chose qui n’est] que vous n’en faites pas simplement la reproduction de vous ou de lui < mais > que vous en faites quelque chose d’autre, autour de quoi il se passe quelque chose.

 

Aussi bien il ne s’agit pas pour moi ici de poursuivre la phénoménologie du fétiche mais de montrer la fonction que < ceci occupe à sa place >. Et pour ce faire je peux rapidement vous indiquer que j’ai essayé, dans toute la mesure de mes forces, de faire le tour des passages qui nous restent de la littérature grecque où est employé le mot agalma. Et ce n’est que pour aller vite que je ne vous lirai pas chacun.

 

Sachez simplement par exemple que c’est de la multiplicité du déploiement des significations que je vous dégage la fonction, en quelque sorte centrale, qu’il faut voir à la limite des emplois de ce mot ; car bien entendu, nous ne nous faisons pas l’idée – je pense ici dans la ligne de l’enseignement que je vous fais – que l’étymologie consiste à trouver le sens dans la racine.

 

La racine d’agalma, c’est pas si commode. Ce que je veux vous dire, c’est que les auteurs, en tant qu’ils le rapprochent [d’agalos] d’‹gauñw/agauos/de ce mot ambigu qu’est/agamai/, j’admire < je suis étonné > mais aussi bien je porte envie, je suis jaloux de, qui va faire ‹g‹zv/agazô/qu’on supporte avec peine, va vers ‹gaÛomai/agaiomai/qui veut dire être indigné, que les auteurs en mal de racines (je veux dire de racines qui portent avec elles un sens, ce qui est absolument contraire au principe de la linguistique) en dégagent gal/gal/ou gel/gel/le gel de gel‹v/gelaô/le gal qui est le même dans gl®nh/glènè/la pupille et galènè – l’autre jour, je vous l’ai cité au passage – c’est la mer qui brille parce qu’elle est parfaitement unie : bref, que c’est une idée d’éclat qui est là cachée dans la racine. Aussi bien ‹glañw/aglaos/, Aglaè, la Brillante est là pour nous y faire un écho familier. Comme vous le voyez, cela ne va pas contre ce que nous avons à en dire. Je ne le mets là qu’entre parenthèses, parce que aussi bien ça n’est plutôt qu’une occasion de vous montrer les, ambiguïtés de cette idée que l’étymologie est quelque chose qui nous porte non pas vers un signifiant mais vers une signification centrale.

 

Car aussi bien on peut s’intéresser non pas au gal, mais à la première partie de l’articulation phonématique, à savoir ‹gl/aga/qui est proprement ce en quoi l’agalma nous intéresse par rapport à l’agathos. Et dans le genre, vous savez que < si > je ne rechigne pas à la portée du discours d’Agathon, je préfère aller franchement à la grande fantaisie du Cratyle. Vous verrez que l’étymologie d’agathon, c’est ‹gastñw/agastos/admirable, donc Dieu sait pour quoi aller chercher agaston, l’admirable qu’il y a dans le yoñn/thoon/rapide ! Telle est d’ailleurs la façon dont tout dans le Cratyle est interprété, il y a des choses assez jolies ; dans l’étymologie d’nyrvpow/anthrôpos/il y a le langage articulé. Platon était vraiment quelqu’un de très bien.

 

Agalma, à la vérité, ce n’est pas de ce côté-là que nous avons à nous tourner pour lui donner sa valeur ; agalma, on le voit, a toujours rapport aux images à condition que vous voyiez bien que, comme dans tout contexte, c’est toujours d’un type d’images bien spéciales. Il faut que je choisisse parmi les références. Il y en a dans Empédocle, dans Héraclite, dans Démocrite. Je vais prendre les plus vulgaires, les poétiques, celles que tout le monde savait par cœur dans l’Antiquité. Je vais les chercher dans une édition juxtalinéaire de l’Iliade et de l’Odyssée. Dans l’Odyssée par exemple il y a deux endroits où l’on trouve agalma.

 

C’est d’abord au livre III dans la Télémachie et il s’agit des sacrifices que l’on fait pour l’arrivée de Télémaque. Les prétendants, comme d’habitude, en mettent un coup et on sacrifie au dieu < un > boñw/boos/ce qu’on traduit par une génisse, c’est un exemplaire de l’espèce bœuf. Et on dit qu’on convoque tout exprès un nommé Laerkès qui est orfèvre, comme < Héphaistos > et qu’on le charge de faire un ornement d’or, agalma, pour les cornes de la bestiole. Je vous passe tout ce qui est pratique concernant la cérémonie. Mais ce qui est important, ce n’est pas ce qui se passe après, qu’il s’agisse d’un sacrifice genre vaudou, ce qui est important, c’est ce qui est dit qu’ils attendent d’agalma ; agalma en effet est dans le coup, on nous le dit expressément. L’agalma, c’est justement cet ornement d’or, et c’est [à la faim de] < en offrande à > la déesse Athéna que ceci est sacrifié, afin que, l’ayant vu, elle en soit kex‹roito/kecharoito/, gratifiée – employons ce mot, puisque c’est un mot de notre langage. Autrement dit, l’agalma apparaît bien comme une espèce de piège à dieux, les dieux, ces êtres réels, il y a des trucs qui leur tirent l’œil.

 

Ne croyez pas que ce soit le seul exemple que j’aie à vous donner de l’emploi d’agalma. Par exemple quand, au livre VIII de la même Odyssée, on nous raconte ce qui s’est passé à la prise de Troie c’est-à-dire la fameuse histoire du grand cheval qui contenait dans son ventre les ennemis et tous les malheurs. < Le cheval > qui était enceint de la ruine de Troie les Troyens qui l’ont tiré chez eux s’interrogent et ils se demandent ce qu’on va en faire. Ils hésitent et il faut bien croire que cette hésitation, c’est bien celle-là qui était pour eux mortelle, car il y avait deux choses à faire – ou bien, le bois creux, lui ouvrir le ventre pour voir ce qu’il y avait dedans – ou bien, l’ayant traîné au sommet de la citadelle, l’y laisser pour être quoi ? m¡ga/mega/agalma. C’est la même idée, c’est le charme. C’est quelque chose qui est là aussi embarrassant pour eux que pour les Grecs. C’est un objet insolite pour tout dire, c’est ce fameux objet extraordinaire qui est tellement au centre de toute une série de préoccupations encore contemporaines – je n’ai pas besoin d’évoquer ici l’horizon surréaliste.

 

Ce qu’il y a de certain c’est que, pour les Anciens aussi, l’agalma c’est quelque chose autour de quoi on peut en somme attraper l’attention divine. Il y en a mille exemples que je pourrais vous donner. Dans l’histoire d’Hécube (encore dans Euripide), dans un autre endroit, on raconte le sacrifice aux mânes d’Achille, de sa fille Polyxène. Et c’est très joli ; nous avons là l’exception qui est l’occasion d’évoquer en nous les mirages érotiques : c’est le moment où l’héroïne offre elle-même une poitrine admirable qui est semblable, nous dit-on, à agalma Éw Žg‹lmatow/hôs agalmatos/. Or il n’est pas sûr… rien n’indique qu’il faille nous contenter là de ce que cela évoque, à savoir la perfection des organes mammaires dans la statuaire grecque. Je crois bien plutôt que ce dont il s’agit, étant donné qu’à l’époque c’était pas des objets de musée, c’est bien plutôt de ce dont nous voyons partout ailleurs l’indication dans l’usage qu’on fait du mot quand on dit que dans les sanctuaires, dans des temples, dans des cérémonies on accroche Žn‹ptv/anaptô/ des agalmata. La valeur magique des objets qui sont ici évoqués est liée bien plutôt à l’évocation de ces objets que nous connaissons bien qu’on appelle des ex-voto. Pour tout dire, pour des gens beaucoup plus près que nous de la différenciation des objets à l’origine, c’est beau comme des [saints] <seins> d’ex-voto ; et en effet les [saints] <seins> d’ex-voto sont toujours parfaits, ils sont faits au tour, au moule. D’autres exemples ne manquent pas, mais nous pouvons en rester là.

 

Ce dont il s’agit, c’est du sens brillant, du sens galant, car le mot galant provient de galer  [éclat qui est] en vieux français ; c’est bien, il faut le dire, de cela que nous, analystes, avons découvert la fonction sous le nom d’objet partiel. C’est là une des plus grandes découvertes de l’investigation analytique que cette fonction de l’objet partiel. La chose dont nous avons à cette occasion le plus à nous étonner, nous autres analystes, c’est qu’ayant découvert des choses si remarquables tout notre effort soit toujours d’en effacer l’originalité.

 

Il est quelque part dit, dans Pausanias, aussi à propos d’un usage d’agalma, que les agalmata qui se rapportent dans tel sanctuaire aux sorcières qui étaient là exprès pour retenir, empêcher de se faire l’accouchement d’Alcmène étaient ”mndrñterow/amudroteros amudrotera/, un tant soit peu effacés. Eh bien, c’est ça !

 

Nous avons effacé aussi, nous, tant que nous avons pu, ce que veut dire l’objet partiel ; c’est-à-dire que notre premier effort a été d’interpréter ce qu’on avait fait comme trouvaille, à savoir ce côté foncièrement partiel de l’objet en tant qu’il est pivot, centre, clé du désir humain, ça valait qu’on s’arrête là un instant… Mais non, que nenni ! On a pointé ça vers une dialectique de la totalisation, c’est-à-dire le seul digne de nous, l’objet plat, l’objet rond, l’objet total, l’objet sphérique sans pieds ni pattes, le tout de l’autre, l’objet génital parfait à quoi, comme chacun sait, irrésistiblement notre amour se termine ! Nous ne nous sommes pas dit à propos de tout ça que – même à prendre les choses ainsi – peut-être qu’en tant qu’objet de désir, cet autre est l’addition d’un tas d’objets partiels (ce qui n’est pas du tout pareil qu’un objet total), que nous-mêmes peut-être, dans ce que nous élaborons, ce que nous avons à manier de ce fond qu’on appelle notre Ça, c’est peut-être d’un vaste trophée de tous ces objets partiels qu’il s’agit.

 

A l’horizon <de> notre ascèse à nous, <de> notre modèle de l’amour, [nous l’avons mis de l’autre] <nous avons mis l’autre>… en quoi nous n’avons pas tout à fait tort, mais de cet autre, nous avons fait l’autre à qui s’adresse cette fonction bizarre que nous appelons l’oblativité : nous aimons l’autre pour lui-même – du moins quand on est arrivé au but et à la perfection, au stade génital qui bénit tout ça !

 

Nous avons certainement gagné quelque chose à ouvrir une certaine topologie de la relation à l’autre dont aussi bien, vous le savez, nous n’avons pas le privilège puisque toute une spéculation contemporaine diversement personnaliste tourne là autour. Mais c’est quand même drôle qu’il y ait quelque chose que nous ayons complètement laissé de côté dans cette affaire – c’est bien forcé de le laisser de côté quand on prend les choses dans cette visée particulièrement simplifiée – et qui suppose, avec l’idée d’une harmonie préétablie, le problème résolu : qu’en somme, il suffit d’aimer génitalement pour aimer l’autre pour lui-même.

 

Je n’ai pas apporté – parce que je lui ai fait un sort ailleurs et vous le verrez bientôt sortir – le passage incroyable qui, là-dessus, est développé sur le sujet de la caractérologie du génital, dans ce volume qui s’appelle La Psychanalyse d’aujourd’hui. La sorte de prêcherie qui se déroule autour de cette idéalité terminale est quelque chose dont je vous ai depuis bien longtemps, je pense, fait sentir le ridicule. Nous n’avons pas aujourd’hui à nous y arrêter. Mais quoi qu’il en soit, il est bien clair qu’à revenir au départ et aux sources, il y a au moins une question à poser sur ce sujet. Si vraiment cet amour oblatif n’est en quelque sorte que l’homologue, le développement, l’épanouissement de l’acte génital en lui-même (qui suffirait, je dirai, à en donner le mot, le la, la mesure), il est clair que l’ambiguïté persiste au sujet de savoir si cet autre, notre oblativité est ce que nous lui dédions dans cet amour tout amour, tout pour l’autre, si ce que nous cherchons c’est sa jouissance (comme cela semble aller de soi du fait qu’il s’agit de l’union génitale) ou bien sa perfection.

 

Quand on évoque des idées aussi hautement morales que celle de l’oblativité, la moindre des choses qu’on puisse en dire, avec laquelle on puisse réveiller les vieilles questions, c’est quand même d’évoquer la duplicité de ces termes. En fin de compte ces termes, sous une forme aussi abrasée, simplifiée, ne se soutiennent que de ce qui est sous-jacent, c’est-à-dire l’opposition toute moderne du sujet et de l’objet. Aussi bien dès qu’un auteur un peu soucieux d’écrire dans un style perméable à l’audience contemporaine développera ces termes, ce sera autour de la notion du sujet et de l’objet qu’il commentera cette thématique analytique : nous prenons l’autre pour un sujet et non pas pour purement et simplement notre objet. L’objet étant situé ici dans le contexte d’une valeur de plaisir, de fruition, de jouissance, l’objet étant tenu pour réduire cette unique de l’autre (en tant qu’il doit être pour nous le sujet) à cette fonction omnivalente (si nous n’en faisons qu’un objet) d’être après tout un objet quelconque, un objet comme les autres, d’être un objet qui peut être rejeté, changé, bref d’être profondément dévalué.

 

Telle est la thématique qui est sous-jacente à cette idée d’oblativité, telle qu’elle est articulée, quand on nous en fait un espèce de corrélatif éthique obligé de l’accès à un véritable amour qui serait suffisamment connoté d’être génital.

 

Observez qu’aujourd’hui je suis moins en train de critiquer – c’est pour ça aussi bien que je me dispense d’en rappeler les textes – cette niaiserie analytique, que de mettre en cause ce sur quoi même elle repose, c’est à savoir qu’il y aurait une supériorité quelconque en faveur de l’aimé, du partenaire de l’amour à ce qu’il soit ainsi, dans notre vocabulaire existentialo-analytique, considéré comme un sujet. Car je ne sache pas qu’après avoir donné tellement une connotation péjorative au fait de considérer l’autre comme un objet, quelqu’un ait jamais fait la remarque que de le considérer comme un sujet, ça n’est pas mieux. Car si un objet en vaut un autre selon sa noèse, à condition que nous donnions au mot objet son sens de départ (que ce soit les objets en tant que nous les distinguons et pouvons les communiquer), s’il est donc déplorable que jamais l’aimé devienne un objet, est-il meilleur qu’il soit un sujet ?

 

Il suffit pour y répondre de faire cette remarque que si un objet en vaut un autre, pour le sujet c’est encore bien pire, car ce n’est pas simplement un autre sujet qu’il vaut. Un sujet strictement en est un autre ! Le sujet strict, c’est quelqu’un à qui nous pouvons imputer quoi ? rien d’autre que d’être comme nous cet être qui ¦naryron ¦xein ¦pow/enarthron echein epos/, qui s’exprime en langage articulé, qui possède la combinatoire et qui peut à notre combinatoire répondre par ses propres combinaisons donc, que nous pouvons faire entrer dans notre calcul comme quelqu’un qui combine comme nous.

 

Je pense que ceux qui sont formés à la méthode que nous avons ici introduite, inaugurée, n’iront pas là-dessus me contredire, c’est la seule définition saine du sujet, en tout cas la seule saine pour nous – celle qui permet d’introduire comment obligatoirement un sujet entre dans la Spaltung déterminée par sa soumission à ce langage. À savoir qu’à partir de ces termes nous pouvons voir comment il est strictement nécessaire qu’il se passe quelque chose, c’est que dans le sujet il y a une part où ça parle tout seul, [ce en quoi] <ce à quoi> néanmoins le sujet reste suspendu. Aussi bien – c’est justement ce qu’il s’agit de savoir et comment peut-on en venir à l’oublier – quelle fonction peut occuper dans cette relation justement élective, privilégiée, qu’est la relation d’amour le fait que ce sujet avec lequel entre tous nous avons le lien de l’amour… en quoi justement cette question a un rapport avec ceci qu’il soit l’objet de notre désir. Car si on suspend cette amarre, ce point tournant, ce centre de gravité, d’accrochage de la relation d’amour, si on la met en évidence et si, en la mettant, on ne la met pas en la distinguant, il est véritablement impossible de dire quoi que ce soit qui soit autre chose qu’un escamotage concernant la relation de l’amour. C’est précisément à cela, à cette nécessité d’accentuer le corrélatif objet du désir en tant que c’est ça l’objet, non pas l’objet de l’équivalence, du transitivisme des biens, de la transaction sur les convoitises, mais ce quelque chose qui est la visée du désir comme tel, ce qui accentue un objet entre tous d’être sans [balance] <équivalence> avec les autres. C’est avec cette fonction de l’objet, c’est à cette accentuation de l’objet que répond l’introduction en analyse de la fonction de l’objet partiel.

 

Et aussi bien d’ailleurs tout ce qui fait, vous le savez, le poids, le retentissement, l’accent du discours métaphysique, repose toujours sur quelque ambiguïté. Autrement dit, si tous les termes dont vous vous servez quand vous faites de la métaphysique, étaient strictement définis, n’avaient chacun qu’une signification univoque, si le vocabulaire de la philosophie d’aucune façon triomphait (but éternel des professeurs !) vous n’auriez plus à faire de métaphysique du tout, car vous n’auriez plus rien à dire. Je veux dire que vous vous apercevriez que les mathématiques, c’est beaucoup mieux, là on peut agiter des signes ayant un sens univoque parce qu’ils n’en ont aucun.

 

De toute façon, quand vous parlez d’une façon plus ou moins passionnée des rapports du sujet et de l’objet, c’est parce que vous mettez sous le sujet quelque chose d’autre que ce strict sujet dont je vous parlais tout à l’heure et, sous l’objet, autre chose que l’objet que je viens de définir comme quelque chose qui, à la limite, confine à la stricte équivalence d’une communication sans équivoque d’un objet scientifique. Pour tout dire, si cet objet vous passionne c’est parce que là-dedans, caché en lui il y a l’objet du désir, agalma (le poids, la chose pour laquelle c’est intéressant de savoir où il est, ce fameux objet, savoir sa fonction et savoir où il opère aussi bien dans l’inter que dans l’intrasubjectivité) et en tant que cet objet privilégié du désir, c’est quelque chose qui, pour chacun, culmine à cette frontière, à ce point limite que je vous ai appris à considérer comme la métonymie du discours inconscient où il joue un rôle que j’ai essayé de formaliser – j’y reviendrai la prochaine fois – dans le fantasme.

 

Et c’est toujours cet objet qui, de quelque façon que vous ayez à en parler dans l’expérience analytique – que vous l’appeliez le sein, le phallus, ou la merde – est un objet partiel. C’est là ce dont il s’agit pour autant que l’analyse est une méthode, une technique qui s’est avancée dans ce champ délaissé, dans ce champ décrié, dans ce champ exclu par la philosophie (parce que non maniable, non accessible à sa dialectique et pour les mêmes raisons) qui s’appelle le désir. Si nous ne savons pas pointer, pointer dans une topologie stricte, la fonction de ce que signifie cet objet à la fois si limité et si fuyant dans sa figure, qui s’appelle l’objet partiel, si donc vous ne voyez pas l’intérêt de ce que j’introduis aujourd’hui sous le nom d’agalma (c’est le point majeur de l’expérience analytique) et je ne puis le croire un instant étant donné que, quel que soit le malentendu de ceci, la force des choses fait que tout ce qui se fait, se dit de plus moderne dans la dialectique analytique tourne autour de cette fonction foncière, radicale, référence kleinienne de l’objet en tant que bon ou mauvais, ce qui est bien considéré dans cette dialectique comme une donnée primordiale. C’est bien là ce sur quoi je vous prie d’arrêter un instant votre esprit.

 

Nous faisons tourner un tas de choses, un tas de fonctions d’identification : identification à celui auquel nous demandons quelque chose dans l’appel d’amour et, si cet appel est repoussé, l’identification à celui-là même auquel nous nous adressions comme à l’objet de notre amour (ce passage si sensible de l’amour à l’identification) et puis, dans une troisième sorte d’identification (il faut lire Freud un petit peu : les Essais de psychanalyse), la fonction tierce que prend ce certain objet caractéristique en tant qu’il peut être l’objet du désir de l’autre à qui nous nous identifions. Bref, notre subjectivité, nous la faisons tout entière se construire dans la pluralité, dans le pluralisme de ces niveaux d’identification que nous appellerons l’Idéal du Moi, Moi Idéal, que nous appellerons aussi [identifié] Moi désirant.

 

Mais il faut tout de même savoir où fonctionne, où se situe dans cette articulation l’objet partiel. Et là vous pouvez remarquer simplement, au développement présent du discours analytique, que cet objet, agalma, petit a, objet du désir, quand nous le cherchons selon la méthode kleinienne, est là dès le départ avant tout développement de la dialectique, il est déjà là comme objet du désir. Le poids, le noyau intercentral du bon ou du mauvais objet (dans toute psychologie qui tend à se développer et s’expliquer en termes freudiens) c’est ce bon objet ou ce mauvais objet que Mélanie Klein situe quelque part dans cette origine, ce commencement des commencements qui est même avant la période dépressive. Est-ce qu’il n’y a pas là quelque chose dans notre expérience, qui à soi tout seul est déjà suffisamment signalétique ?

 

Je pense avoir assez fait aujourd’hui en disant que c’est autour de cela que concrètement, dans l’analyse ou hors de l’analyse, peut et doit se faire la division entre une perspective sur l’amour qui, elle, en quelque sorte, noie, dérive, masque, élide, sublime tout le concret de l’expérience (cette fameuse montée vers un Bien suprême dont on est étonné que nous puissions encore, nous, dans l’analyse, garder de vagues reflets à quatre sous, sous le nom d’oblativité, cette sorte d’aimer en Dieu, si je peux dire, qui serait au fond de toute relation amoureuse), ou si, comme l’expérience le démontre, tout tourne autour de ce privilège, de ce point unique et constitué quelque part par ce que nous ne trouvons que dans un être quand nous aimons vraiment. Mais qu’est-ce que cela… justement agalma, cet objet que nous avons appris à cerner, à distinguer dans l’expérience analytique et autour de quoi, la prochaine fois, nous essaierons de reconstruire, dans sa topologie triple (du sujet, du petit autre et du grand Autre), en quel point il vient jouer et comment ce n’est que par l’Autre et pour l’Autre qu’Alcibiade, comme tout un chacun, veut faire savoir à Socrate son amour.

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