Conférences des 9 et 10 mars 1960
Annexe – Leçons publiques du Docteur Lacan
à la Faculté Universitaire de Saint-Louis, Bruxelles,
Les 9 et 10mars 1960 à 20h30
« Éthique de la psychanalyse »
La perspective ouverte par Freud sur la détermination par l’inconscient de l’homme en sa conduite a touché presque tout le champ de notre culture. Se rétrécira-t-elle dans la pratique analytique aux idéaux d’une normalisation, curieux à suivre dans leur diffusion vulgaire ? On sait que le Docteur Jacques Lacan propose à la communauté des psychanalystes l’épreuve d’un enseignement fort exigeant sur les principes de leur action. Au séminaire où il a formé une élite de praticiens et qu’il conduit depuis sept ans dans le service du Professeur Jean Delay, il en est venu cette année aux incidences morales du freudisme, croyant devoir passer outre l’abri d’un faux objectivisme pour présenter objectivement l action à quoi il a voué sa [vie].
Il tient en effet qu’une telle présentation est d’intérêt public, et d autant plus que cette action se juge au privé. Ainsi se risque-t-il aujourd’hui à introduire un auditoire non formé à une visée qui va à son cour même. Si le Docteur Jacques Lacan nepense pas qu’on puisse abandonner aux seuls religieux l’appareil de dogmes où se motive le précepte chrétien de notre morale, comportant primauté de l’amour et sens du prochain, on verra peut-être non sans surprise que Freud ici articule la question à sa véritable hauteur, et bien au-delà des préjugés que lui impute une phénoménologie parfois présomptueuse en ses critiques. D’où les sous-titres que nous a livrés le Docteur Jacques Lacan, pour ses deux conférences, sous réserve de sa liberté d’adaptation immédiate.
I. – Freud, concernant la morale, fait le poids correctement.
II. – La psychanalyse est-elle constituante pour une éthique qui serait celle que notre temps nécessite ?
Le philosophe y trouvera peut-être à rectifier la position traditionnelle de l’hédonisme, l’homme du sentiment à limiter son étude du bonheur, l’homme du devoir à faire retour sur les illusions de l’altruisme, le libertin même à reconnaître la voix du Père dans les commandements que sa Mort laisse intacts, le spirituel à resituer la Chose autour de quoi tourne la nostalgie du désir.
Conférence du 9 mars 1960
Mesdames, Messieurs,
Quand Monsieur le chanoine Van Camp est venu me demander, avec les formes de courtoisie raffinée qui sont les siennes, de parler à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, de quelque chose qui serait en rapport avec son enseignement, je ne trouvai, mon Dieu, rien de plus simple que de dire-nous étions alors en octobre -queje parlerai du sujet même que j’avais choisi pour cette année qui commençait alors, à savoir, l’« Éthique de la psychanalyse ». Je répète ici ces circonstances, ces conditions de choix, pour éviter, en somme, quelques malentendus. Quand on vient entendre un psychanalyste, on s’attend à entendre, une fois de plus, un plaidoyer pour cette chose discutée qu’est la psychanalyse, ou encore quelques aperçus sur ses vertus, qui sont évidemment, comme chacun sait, en principe de l’ordre thérapeutique. C’est précisément ce que je ne ferai pas ce soir et donc ce à quoi vous n’avez pas à vous attendre.
Je me trouve dans la position donc difficile de devoir vous mettre à peu près, au temps, au médium de ce que j’ai choisi cette année de traiter pour un auditoire, mon Dieu, forcément plus formé à cette discussion, à ce débat, à cette recherche que vous ne pouvez l’être, quel que soit l’attrait, l’attention que je vois marqués sur tous ces visages qui m’écoutent, puisque ceux qui me suivent, me suivent depuis, disons à peu près sept ou huit ans, et que c’est donc quelque chose de précisément focalisé sur ce thème, plutôt évité en général, des incidences éthiques de la psychanalyse, de la morale qu’elle peut suggérer, de la morale qu’elles présupposent, de la morale qu’elles contiennent, peut-être d’un pas en avant, grande audace, qu’elles nous permettraient de faire concernant le domaine moral. À vrai dire, celui qui vous parle est entré dans la psychanalyse assez tard pour, ma foi, comme tout un chacun de formé, d’éduqué, peut tenter de s’orienter dans le domaine de la question éthique, j’entends théoriquement, si peut-être, mon Dieu, par quelques-unes de ces expériences qu’on appelle de jeunesse. Mais enfin, il est déjà dans la psychanalyse depuis presque assez longtemps pour pouvoir dire qu’il aura passé bientôt la moitié de sa vie à écouter des vies, qui se racontent, qui s’avouent. Il écoute. J’écoute. De ces vies que donc, depuis près de quatre septénaires, j’écoute s’avouer devant moi, je ne suis rien pour peser le mérite. Et l’une des fins du silence qui constitue la règle de mon écoute est justement de taire l’amour. Je ne trahirai donc pas leurs secrets triviaux et sans pareils.
Mais il est quelque chose dont je voudrais témoigner. À cette place, je souhaite qu’achève de se consumer ma vie. C’est ceci, c’est cette interrogation, si je puis dire innocente, et même ce scandale qui, je crois, restera palpitant après moi, comme un déchet, à la place que j’aurai occupée et qui se forme à peu près ainsi. Parmi ces hommes, ces voisins, bons et commodes, qui se sont jetés dans cette affaire à laquelle la tradition a donné des noms divers, dont celui d’existence est le dernier venu dans la philosophie, dans cette affaire, dont nous dirons que ce qu’elle a de boiteux, est bien ce qui reste le plus avéré, comment se fait-il que ces hommes, support tous et chacun d’un certain savoir ou supporté par lui, comment se fait-il que ces hommes s’abandonnent les uns les autres, en proie à la capture de ces mirages par quoi leur vie, gaspillant l’occasion, laisse fuir leur essence, par quoi leur passion est jouée, par quoi leur être, au meilleur cas, n’atteint qu’à ce peu de réalité qui ne s’affirme que de n’avoir jamais été que déçu. Voilà ce que me donne mon expérience, la question que je lègue, en ce point, sur le sujet de l’éthique. Je rassemble ce qui fait, à moi, psychanalyste, en cette affaire, ma passion. Oui, je le sais, selon la formule de Hegel, tout ce qui est réel est rationnel, mais je suis de ceux qui pensent que la réciproque n’est pas à décrier, que tout ce qui est rationnel est réel. Il n’y a qu’un petit malheur, c’est que je vois la plupart de ceux qui sont pris, entre l’un et l’autre, le rationnel et le réel. Ils ignorent ce rassurant accord. Irais-je à dire que c’est de la faute de ceux qui raisonnent ? Une des plus inquiétantes applications de cette fameuse réciproque, c’est que ce qu’enseignent les professeurs est réel et, comme tel, a des effets autant qu’aucun réel, des effets interminables, indéterminables, voire même si cet enseignement est faux. Voilà sur quoi je m’interroge. Tant pis.
Accompagnant l’élan d’un de mes patients vers un peu de réel, avec lui je dérape sur ce que j’appellerai le credo de bêtises dont on ne sait si la psychologie contemporaine est le modèle ou la caricature, à savoir, le moi considéré comme fonction de synthèse à la fois et d’intégration, la conscience considérée comme l’achèvement de la vie et l’évolution comme voie de l’avènement de l’univers de la conscience à l’application catégorique de ce postulat au développement psychologique de l’individu, à des notions comme celle de conduites appliquées de façon unitaire pour décomposer jusqu’à la niaiserie tout dramatisme de la vie humaine, pour camoufler ceci, que rien dans la vie concrète d’un seul individu ne permet de fonder l’idée qu’une telle finalité la conduise, qui la mènerait par les voies d’une conscience progressive de soi, que soutiendrait un développement naturel, à l’accord avec soi et au suffrage du monde d’où son bonheur dépend. Non que je ne reconnaisse aucune efficace au fatras qui se concrétise, de successions collectives, d’expérimentations enfin correctives sous le chef de la psychologie moderne. Il y a là des formes allégées de suggestion, si l’on peut dire, qui ne sont pas sans effet, qui peuvent trouver d’intéressantes applications à la fois du conformisme, voire de l’exploitation sociale. Le malheur, c’est seulement que ce registre, je le vois sans prise sur une impuissance qui ne fait que s’accroître à mesure que nous avons plus l’occasion de mettre en oeuvre lesdits effets. Une impuissance toujours plus grande de l’homme à rejoindre son propre désir, impuissance qui peut aller jusqu’à ce qu’il en perde le déclenchement charnel et que, celui-ci même restant disponible, fait qu’il ne sait plus lui trouver son objet et ne rencontre plus que malheur en sa recherche, qu’il vit dans une angoisse qui rétrécit toujours plus ce qu’on pourrait appeler sa chance inventive.
Ce qui se passe ici dans les ténèbres a été par Freud subitement éclairé au niveau de la névrose. À cette irruption de la découverte dans le sous-sol a correspondu l’avènement d’une vérité. Le désir n’est pas chose simple, il n’est ni élémentaire, ni animal, ni spécialement inférieur, il est la résultante, la composition, le complexe de toute une articulation dont le caractère décisif est ce que je me suis efforcé de démontrer, l’avant-dernier terme de ce que je dis là où je ne me tais point dans mon enseignement et, il faudra bien qu’un moment, je vous dise peut-être pourquoi je le fais. Ce caractère décisif du désir n’est pas un aperçu dans le sondage qui a permis Freud, n’est pas seulement d’être plein de sens, n’est pas d’être archétype, n’est pas de représenter une extension de la psychologie dite compréhensive, n’est pas notamment ce que représenterait un retour à un naturalisme micro macrocosmique, la conception ionienne de la connaissance n’est pas non plus de reproduire figurativement des expériences concrètes primaires comme une psychanalyse, dite génétique de nos jours, l’articule, arrivant à cette notion simpliste de confondre la progression d’où s’engendre le symptôme avec la régression du chemin thérapeutique pour aboutir à une sorte de rapport gigogne s’enveloppant soi-même autour d’une stéréotypie de frustration dans le rapport d’appui qui lie l’enfant à la mère. Tout cela n’est que semblant et source d’erreur. La caractéristique propre à l’intention freudienne où se situe ce désir en tant qu’il apparaît comme un objet nouveau pour la réflexion éthique, consiste en ceci, le propre de l’inconscient freudien est d’être traduisible et même là où il ne peut être traduit, c’est-à-dire à un certain point radical de symptôme, nommément du symptôme hystérique, comme étant de la nature de l’indéchiffré, donc du déchiffrable, c’est-à-dire de n’être représenté dans l’inconscient que de se prêter à la fonction de ce qui se traduit. Ce qui se traduit, techniquement, c’est ce qu’on appelle le signifiant, c’est-à-dire un élément qui a ces deux propriétés, ces deux dimensions, d’être lié synchroniquement à une batterie d’autres éléments qui lui sont substituables, d’autre part, d’être disponible pour un usage diachronique, c’est-à-dire la formation d’une chaîne, la constitution d’une chaîne signifiante. Voilà.
Il y a dans l’inconscient des choses signifiantes qui se répètent, qui courent constamment à l’insu du sujet, quelque chose, imaginé, ou de semblable à ce que je voyais tout à l’heure, en me rendant dans cette salle, à savoir ces bandes lumineuses publicitaires, queje voyais glisser au fronton de nos édifices. Ce qui les rend intéressantes pour le clinicien, c’est qu’elles se trouvent, ces chaînes, à se fourrer dans des circonstances propices dans ce que, dans ce qui est foncièrement de la même nature qu’elles, à savoir notre discours conscient au sens le plus large, à savoir tout ce qu’il y a de rhétorique dans notre conduite, c’est-à-dire beaucoup plus que nous ne croyons. Et vous le voyez, je laisse ici le côté dialectique. Là-dessus, vous allez me demander qu’est-ce que c’est que ces éléments signifiants. Je répondrai, l’exemple le plus pur du signifiant, c’est la lettre, une lettre typographique. (Bruits divers). Une lettre, cela ne veut rien dire. Pas forcément. Pensez aux lettres chinoises pour chacune desquelles vous trouvez au dictionnaire un éventail de sens qui n’a rien à envier à celui qui répond à nos mots. Qu’est-ce à dire ? Qu’entends-je en vous donnant cette réponse ? Pas ce qu’on peut croire, puisque ceci veut dire que leur définition aux lettres chinoises, tout autant que celles de nos mots, n’a de portée que d’une collection d’emplois et, qu’à strictement parler, aucun sens ne naît d’un jeu de lettres ou de mots qu’en tant qu’il se propose comme modification de leur emploi déjà reçu. Ceci implique que toute signification qu’il acquiert, ce jeu, participe des significations auxquelles il a déjà été liées, si étrangères entre elles que soient les réalités qui sont intéressées à cette réitération. Et ceci constitue la dimension que j’appelle la métonymie, qui fait la poésie de tout réalisme. Ceci implique, d’autre part, que toute signification nouvelle ne s’engendre que de la substitution d’un signifiant à un autre, dimension de la métaphore par où la réalité se [charge] de poésie. Voilà ce qui se passe au niveau de l’inconscient et ce qui fait qu’il est de la nature d’un discours. Si tant est que nous nous permettons de qualifier discours un certain usage des structures du langage. La poésie déjà s’effectue-t-elle à ce niveau ? Tout nous le laisse entendre. Mais limitons-nous à ce que nous voyons. Ce sont des effets de rhétorique. La clinique le confirme, qui nous les montre se faufilant dans le discours concret et dans tout ce qui discerne de notre conduite comme marquée de l’empreinte du signifiant. Voilà qui ramènera ceux d’entre vous qui sont assez avertis, aux origines même de la psychanalyse, autant que l’étude de la science des rêves, du lapsus, voire du mot d’esprit. Voilà qui, pour les autres ceux qui en savent plus, les avertit du sens dans lequel se fait un effort de reprise de notre information.
Eh quoi ! N’avons-nous donc qu’à lire notre désir dans ces hiéroglyphes ? Non. Reportez-vous au texte freudien sur les thèmes que je viens d’évoquer, rêves, lapsus, voire mots d’esprit, vous verrez que vous n’y verrez jamais le désir s’articulant en clair. Le désir inconscient, c’est ce que veut celui, cela qui tient le discours inconscient, c’est ce pourquoi celui-là parle, c’est dire qu’il n’est pas forcé, tout inconscient qu’il soit, de dire la vérité. Bien plus, le fait même qu’il parle lui rend possible le mensonge. Le désir y répond à l’intention vraie de ce discours. Que peut être l’intention d’un discours où le sujet, en tant qu’il parle, est exclu de la conscience ? Voilà qui va poser à la morale de l’intention droite, quelques problèmes inédits dont nos modernes exégètes ne se sont pas encore avisés apparemment d’aborder le problème. En tout cas, pas ce thomiste qui, à une date déjà ancienne, n’a rien trouvé de mieux que de mesurer au principe de l’expérience pavlovienne la doctrine de Freud pour l’introduire dans la considération distinguée des catholiques. En effet ainsi, recevant ainsi, jusqu’à ce jour, chose curieuse, les témoignages d’une satisfaction égale de ceux qu’il gloussait [?], en somme, à savoir la faculté des lettres qui couronnait sa thèse, et de ceux dont on peut dire qu’il les trahissait, à savoir ses collègues psychanalystes. J’ai trop d’estime pour les capacités présentes de ses auditeurs, littéraires et psychanalytiques, pour penser que cette satisfaction soit autre que celle d’un silence complice sur les difficultés que met vraiment en jeu la psychanalyse en morale. L’amorce de la réflexion serait, semble-t-il, d’observer que, peut-être, c’est à mesure qu’un discours est plus privé d’intention qu’il peut se confondre avec une, avec la vérité, la présence même de la vérité dans le réel, sous une forme impénétrable.
Faut-il en conclure que c’est une vérité pour personne jusqu’à ce qu’elle soit déchiffrée ? Devant ce désir dont la conscience n’a plus rien à faire qu’à le savoir inconnaissable autant que la chose en soi, mais reconnue tout de même pour être la structure de ce « pour soi » par excellence qu’est une chaîne de discours, qu’allons-nous penser ? Ne vous semble-t-il pas de toute façon plus à portée que nous, j’entends, que notre tradition philosophique, de se conduire correctement vis-à-vis de cet extrême de l’intime, mais qui est en même temps internité exclue, sauf si sur cette terre de Belgique longtemps secouée du souffle des sectes mystiques, voire d’hérésies, faisait, non tant de choix politiques que d’hérésies religieuses, l’objet de partis pris, dont le secret entraînait dans leurs vies les effets propres d’une conversion avant que la persécution montrât qu’on y tenait plus qu’à cette vie.
J’approche ici une remarque queje ne crois pas déplacée de faire dans l’Université à qui je parle. Sans doute est-ce un progrès qui se reflète dans la tolérance que constitue la coexistence de deux enseignements qui se séparent, d’être ou de n’être pas confessionnels. J’aurais d’autant plus de mauvaise grâce à le contester que nous-mêmes, en France, nous avons pris, tout récemment, semblable voie. Il me semble pourtant voir apparaître un résultat assez curieux dans cette séparation, en tant qu’elle aboutit à une sorte de mimétisme des pouvoirs qui s’y représentent. Je dirais qu’une épître de Saint Paul me paraît, quant à moi – et le moins qu’on puisse dire est que je ne professe aucune appartenance confessionnelle -, une épître de Saint Paul me paraît aussi importante à commenter en morale qu’une autre de Sénèque. De cette séparation résulte pourtant ce que j’appellerais une curieuse neutralité, dont il me semble moins important de savoir au bénéfice de quel pouvoir elle joue que d’être sûr qu’en tout cas elle ne joue pas au détriment de tous ceux dont ces pouvoirs s’assurent. Il s’est répandu une sorte de division étrange dans le champ de la vérité. Pour revenir à mes deux épîtres, je ne suis pas sûr que l’une et l’autre ne perdent l’essentiel de leur message à n’être pas commentées dans le même lieu. Autrement dit, le domaine de la croyance ne me paraît pas, pour autant qu’il soit ainsi connoté, suffire à être exclu de l’examen de ceux qui s’attachent au savoir. Pour ceux qui croient, d’ailleurs, c’est bien d’un savoir qu’il s’agit.
Quand Saint Paul s’arrête pour nous dire, « Que dirais-je donc ? Que la Loi est péché ? Que non pas. Toutefois, je n’ai eu connaissance du péché que par la loi. En effet, je n’aurais pas eu l’idée de la convoitise si la loi ne m’avait dit “tu ne convoiteras pas”. Mais le péché, trouvant l’occasion, a produit en moi toutes sortes de convoitises grâce au précepte. Car sans la loi, le péché est sans vie. Or moi, j’étais vivant jadis sans la loi. Mais quand le précepte est venu, le péché a repris vie alors que moi j’ai trouvé la mort. Et pour moi, le précepte qui devait mener à la vie s’est trouvé mené à la mort, car le péché, trouvant l’occasion, m’a séduit grâce au précepte, et par lui m’a donné la mort. » Il me semble qu’il n’est pas possible à quiconque, croyant ou incroyant, de ne pas se trouver sommé de répondre à ce qu’un tel texte comporte de message articulé sur un mécanisme d’ailleurs parfaitement vivant, sensible, tangible pour un psychanalyste et, à vrai dire, je n’ai eu dans un de mes séminaires qu’à embrancher directement sur ce texte pour qu’il a fallu juste le temps de l’audition musicale, ce demi-temps qui fait passer la musique à un autre mode sensible, pour que mes élèves s’aperçoivent que ce n’était plus moi qui parlais Mais, de toute façon, le choc qu’ils ont reçu de la chanson de cette musique, me prouve que, d’où qu’ils vinssent, cela ne les avait jamais fait entendre, au niveau où je l’amenai de leur pratique, le sens de ce texte. Il y a donc une certaine façon dont la science se débarrasse d’un champ dont on ne voit pas pourquoi elle allégerait si facilement sa charge et je dirais de même qu’il arrive à mon gré un peu trop souvent depuis quelque temps, que la foi laisse à la science le soin de résoudre les problèmes quand les questions se traduisent en une souffrance un peu trop difficile à manier. Je ne suis certes pas pour me plaindre que des ecclésiastiques renvoient leurs ouailles à la psychanalyse. Ils font certes là fort bien, ce qui me heurte un peu, c’est qu’ils le fassent, me semble-t-il, sous la rubrique, l’accent qu’il s’agit là de malades qui pourront donc trouver sans doute quelque bien, fût-ce à une source disons mauvaise. Si je blesse quelques bonnes volontés, j’espère tout de même au jour du jugement que je serai pardonné du fait que, du même coup, j’aurai incité cette bonté à rentrer en elle-même, à savoir sur les principes d’un certain non vouloir.
Chacun sait que Freud était un grossier matérialiste. D’où vient alors qu’il n’ait pas su résoudre le problème pourtant si facile de l’instance morale par le recours classique de l’utilitarisme ? Habitude, en somme, dans la conduite, recommandable pour le bien-être du groupe. C’est si simple, et en plus, c’est vrai. L’attrait de l’utilité est irrésistible, tellement qu’on voit des gens se damner pour le plaisir de donner leur commodité à ceux dont ils se sont mis en tête qu’ils ne pourraient vivre sans leur secours. C’est là sans doute un des phénomènes les plus curieux de la sociabilité humaine, mais l’essentiel est dans le fait que l’objet utile pousse incroyablement à l’idée de le faire partager au plus grand nombre, parce que c’est vraiment le besoin du plus grand nombre comme tel qui en a donné l’idée. Il n’y a qu’une chose, c’est que, quel que soit le bienfait de l’utilité et l’extension de son règne, ceci n’a strictement rien à faire avec la morale, qui consiste, comme Freud l’a vu, articulé et n’en a jamais varié, au contraire de bien des moralistes classiques, voire traditionalistes, voire socialistes, qui consiste primordialement dans la frustration d’une jouissance posée en loi apparemment avide.
Sans doute, l’origine de cette loi primordiale, Freud prétend la retrouver, selon une méthode goethéenne, d’après les traces qui restent sensibles d’événements critiques. Mais ne vous y trompez pas. Ici le schéma est démissioniste et l’ontogenèse, reproduisant la phylogenèse, n’est qu’un mot-clef utilisé à des fins de conviction omnibus. C’est l’onto qui est ici en trompe l’œil, car il n’est pas l’étant de l’individu, mais le rapport du sujet à l’être si ce rapport est de discours. Et le passé du discours concret de la lignée humaine s’y retrouve, pour autant qu’au cours de son histoire, il lui est arrivé des choses qui ont modifié ce rapport du sujet à l’être. Ainsi, sauf une alternative à l’hérédité des caractères acquis qu’en certains passages Freud paraît admettre, c’est la tradition d’une condition qui fonde d’une certaine façon le sujet dans le discours. Et ici, nous ne pouvons manquer de remarquer, d’accentuer cette chose dont je suis étonné qu’aucun critique, qu’aucun commentateur de Freud ne laissait apparaître, dans son caractère massif, cette condition. La préoccupation, la méditation de Freud autour de la fonction, du rôle, de la figure, du Nom du père, le marque comme entièrement articulable, toute sa référence éthique autour de la tradition proprement judéo-chrétienne. Lisez ce petit livre qui s’appelle Moise et le monothéisme, ce livre sur lequel s’achève la méditation de Freud quelques mois avant sa mort, ce livre qui le consumait, qui le préoccupait pourtant déjà depuis de longues années, ce livre qui n’est que le terme et l’achèvement de ce qui commence avec la fondation, la création du complexe d’Œdipe et se poursuit dans ce livre si mal compris, si mal critiqué qui s’appelle Totem et Tabou, vous y verrez alors une figure qui apparaît, concentrant sur elle l’amour et la haine, figure magnifiée, figure magnifique marquée d’un style de cruauté active et subie.
On pourrait épiloguer longtemps sur les raisons personnelles, sur le groupe familial et l’expérience d’enfance qui ont induit Freud, fils du vieux Jacob Freud, patriarche prolifique et besogneux d’une petite famille de la race indestructible, on pourrait épiloguer longtemps sur ce qui a introduit Freud à cette image. L’important n’est pas de faire la psychologie de Freud, sur lequel il y aurait ici beaucoup à dire. Je la crois, quant à moi, cette psychologie, plus féminine qu’autre chose, comme j’en vois la trace dans cette extraordinaire exigence monogamique qui, chez lui, va le soumettre à cette dépendance qu’un de ses disciples, l’auteur de sa biographie, appelle uxorieuse.
Freud, dans la vie courante, je le vois très peu père. Il n’a vécu, je crois, le drame oedipien que sur le plan de la horde analytique, et pour une mère, il était, comme dit je crois quelque part Dante, la Mère Intelligence et ce que nous avons appelé nous-mêmes et dont je vous parlerai demain soir, la Chose freudienne qui, tout d’abord, est la chose de Freud, à savoir ce qui est au centuple du désir-intention. L’important, c’est comment il a découvert cette Chose et d’où il part quand il la suit à la piste chez ses patients.
Cette fonction de l’objet phobique autour de quoi tourne la réflexion de Totem et Tabou, cette fonction qui la met sur [la voie de] la fonction du Père qui est de constituer un pont tournant dans la préservation du désir et non pas, comme on l’écrit non sans inconvénient, dans une tradition analytique, toute puissance de la pensée, principe corrélatif d’un interdit portant sur la mise à [l’écart] de ce désir. Les deux principes croissent et décroissent ensemble, si leurs effets sont différents, la toute-puissance du désir engendrant la crainte de la défense qui s’ensuit chez le sujet, l’interdiction chassant du sujet son énoncé, l’énoncé du désir pour le faire passer à un autre, à cet inconscient qui ne sait rien de ce que supporte sa propre énonciation. Ce Père n’interdit le désir avec efficace, c’est ce que nous enseigne Totem et Tabou, que parce qu’il est mort, et j’ajouterai parce qu’il ne le sait pas lui-même, entendez qu’il est mort. Tel est le mythe que Freud propose à l’homme moderne en tant que l’homme moderne est celui pour qui Dieu est mort, entendons que lui croit le savoir. Pourquoi Freud s’engage-t-il en ce paradoxe ? Pour expliquer que le désir n’en sera que plus menaçant et donc l’interdiction plus nécessaire et plus dure. Dieu est mort, plus rien n’est permis. Le déclin du complexe d’Œdipe est le deuil du Père, mais il se solde par une séquelle durable, l’identification qui s’appelle le Surmoi, le Père non-aimé devient l’identification qu’on accable de reproches en soi-même.
Voilà ce que Freud nous apporte, rejoignant par les mille filets de son témoignage un mythe très ancien, celui qui, de quelque chose de blessé, de perdu, de châtré dans un roi de mystère, fait dépendre la terre toute entière gâtée [?]. Il faut suivre dans le détail ce que représente cette pesée de la fonction du Père, il faut ici introduire les distinctions les plus précises concernant ce que j’ai appelé son instant symbolique, le Père promulgué et siège de la loi articulée où se situe le déchet de déviation, de déficit autour de quoi se spécifie la structure de la névrose et, d’autre part, l’incidence de ce point de quelque chose que l’analyse contemporaine néglige constamment et qui, pour Freud, est partout sensible, partout vivant, cette incidence du Père réel, pour autant qu’en fonction de cette structure, cette incidence, même bonne, même bénéfique, peut entraîner, déterminer des effets ravageants, maléfiques. Nous entrons dans tout un détail de l’articulation clinique où je ne puis pas, ne serait-ce que pour des raisons d’heure, m’engager, ni vous entraîner plus loin. Qu’il vous suffise de savoir que, s’il est quelque chose qui, par Freud, est promu au premier plan de l’expérience morale, c’est quelque chose qui nous montre le drame qui se joue à une certaine place qu’il nous faut bien appeler, quelque soit la dénégation motivée de Freud, concernant tout penchant personnel à ce qu’on appelle le sentiment religieux, la religiosité, qui est tout de même la place où s’articule comme telle une expérience dont c’est certes le cadet des soucis de Freud de la qualifier religieuse puisqu’il tend à l’universaliser, mais que pourtant il articule dans les termes mêmes où l’expérience religieuse proprement judéo-chrétienne l’a, elle-même, historiquement développée et articulée.
Le monothéisme intéresse Freud en quel sens ? Il sait certes aussi bien que tel de ses disciples, que les dieux sont innombrables et mouvants comme les figures du désir, qu’ils en sont les métaphores vivantes, mais non pas le seul Dieu, et s’il va rechercher le prototype dans un modèle historique, le modèle visible du Soleil, de la première révolution religieuse égyptienne, [celle] d’Akhénaton, c’est pour rejoindre le modèle spirituel de sa propre tradition, le Dieu des dix commandements. Le premier, il semble [adopter], en faisant de Moïse un Égyptien pour répudier ce que j’appellerais la racine raciale du phénomène, la psychologie de la Chose; le deuxième fait enfin articuler comme telle dans son exposé la primauté de l’invisible en tant qu’elle est la caractéristique de la promotion du lien paternel, fondé sur la foi et la loi. La promotion du lien paternel sur le lien maternel, lui, est fondé sur sa charnalité manifeste, ce sont les termes mêmes dont Freud se sert. La valeur sublimatoire, si je puis m’exprimer ainsi, de la fonction du Père est soulignée en propres termes en même temps qu’affleure la forme proprement verbale, voire poétique, de sa conséquence, puisque c’est à la tradition des prophètes qu’il remet la charge historique de faire progressivement affleurer au cours des âges le retour d’un monothéisme refoulé comme tel par une tradition sacerdotale plus formaliste dans l’histoire d’Israël. Préparant, en somme, en image et selon les Écritures, la possibilité de la répétition de l’attentat contre le Père primordial dans – c’est toujours Freud qui écrit – le drame de la Rédemption où il devient patent.
Il me semble important de souligner ces traits essentiels de la doctrine freudienne, car, auprès de ce que ceci représente de courage, d’attention, d’affrontement à la vraie question, il me paraît de faible importance de savoir ou de faire grief à Freud qu’il ne croie pas que Dieu existe ou même qu’il croie que Dieu n’existe pas. Le drame dont il s’agit est articulé avec une valeur humaine universelle et ici Freud dépasse assurément par son ampleur le cadre de toute éthique, au moins de celles qui entendent ne pas procéder par les voies de l’Imitation de Jésus-Christ. La voie de Freud, dirais-je qu’elle procède à hauteur d’homme ? Je ne le dirais pas volontiers. Vous verrez peut-être demain où j’entends situer Freud par rapport à la tradition humaniste.
Au point où nous en sommes, je vois l’homme sur-déterminé par un Logos qui est partout où est aussi son ànagé ( ?), sa nécessité. Ce Logos n’est pas une super-structure, bien plus, il est plutôt une sous-structure puisqu’il soutient l’intention, qu’il articule en lui le manque de l’être et conditionne sa vie de passion et sacrifice. Non, la réflexion de Freud n’est pas humaniste et rien ne permet de lui appliquer ce terme, elle est pourtant de tolérance et de tempérament. Humanitaire, disons-le, malgré les mauvais relents de ce mot en notre temps, mais, chose curieuse, elle n’est pas progressiste, elle ne fait nulle foi à un mouvement de liberté immanente, ni à la conscience, ni à la masse. Étrangement, et c’est par quoi il dépasse le milieu bourgeois de l’éthique contre lequel il ne saurait d’ailleurs s’insurger, non plus que contre tout ce qui se passe à notre époque, étant comprise l’éthique qui règne à l’Est, éthique qui, comme toute autre, est une éthique de l’ordre moral et du service de l’État.
La pensée de Freud est démarquante. La douleur même lui paraît inutile. Le malaise de la civilisation lui paraît se résumer en ceci, tant de peine pour un résultat dont les structures terminales sont plutôt aggravantes. Les meilleurs sont ceux-là qui toujours plus exigent d’eux-mêmes. Qu’on laisse à la masse comme aussi bien à l’élite quelques moments de repos. N’est-ce pas cela, au milieu de tant d’implacable dialectique, une palinodie dérisoire ? J’espère demain vous montrer que non.
La morale, comme tradition antique, nous l’enseigne, à trois niveaux, celui du souverain bien, celui de l’honnête et celui de l’inutile. La position de Freud, au niveau du souverain bien, compte maintenant [… ] est que le plaisir n’est pas le souverain bien, il n’est pas non plus ce que la morale refuse, il indique que cela n’étant pas le bien, le bien n’existe pas et que le souverain bien ne saurait être représenté. Le destin de Freud, c’est que la
psychanalyse ne peut plus se caractériser comme l’esquisse de l’honnêteté de notre temps, il est bien loin de Jung et de sa religiosité, qu’on est étonné de voir préférer dans des milieux catholiques, voire protestants, comme si la gnose païenne, voire une sorcellerie rustique, pouvaient renouveler les voies d’accès à l’Éternel. Retenons que Freud est celui qui nous a apporté la notion que la culpabilité trouvait ses racines au niveau de l’inconscient, articulée sur un crime fondamental dont nul individuellement ne peut, ni n’a à répondre. La raison, pourtant, est chez elle au plus profond de l’homme, dès lors que le désir est échelle de langage articulé, même s’il n’est pas articulable. Sans doute ici allez-vous m’arrêter. Raison, qu’est-ce à dire, y a-t-il logique là où il n’y a pas de négation ? Certes, Freud l’a dit et montré, il n’y a pas de négation dans l’inconscient, mais il est aussi vrai à une analyse rigoureuse que c’est de l’inconscient que la négation provient, comme le met si joliment en français en valeur l’articulation « ne », de ce « ne » discordantiel qu’aucune nécessité de l’énoncé ne nécessite absolument. Ce « je crains qu’il ne vienne », qui veut dire que je crains qu’il vienne, mais aussi bien qui implique jusqu’à quel point je le désire. Freud, assurément, parle au cœur de ce nœud de vérité où le désir et sa règle se donnent la main, en ce « ça » où sa nature participe moins de l’étant de l’homme que de ce manque à être dont il porte la marque. Cet accord de l’homme à une nature qui, mystérieusement, s’oppose à elle-même et où il voudrait qu’il trouve à se reposer de sa peine, trouvant le temps mesuré de la raison, voilà, j’espère vous le montrer, ce que Freud nous indique sans pédantisme, sans esprit de réforme et comme ouvert à une folie qui dépasse de loin ce qu’Erasme a sondé de ses racines.
Conférence du 10 mars 1960
Monseigneur, Mesdames, Messieurs,
Je vous quittai hier sur une série de jugements en coups de tranchoir sur Freud, sur sa position dans l’éthique, sur l’honnêteté de sa visée. Pour qui ? Je crois qu’il est bien plus près du commandement évangélique « Tu aimeras ton prochain » qu’il n’y consent. Car il n’y consent pas, il le répudie comme excessif en tant qu’impératif, sinon moqué en tant que précepte par ses fruits apparents dans une société qui garde le nom de chrétienne, mais il est de fait qu’il interroge sur ce point, qu’il en parle dans cet ouvrage étonnant qui s’appelle Le malaise de la civilisation. Tout est dans le sens du « comme toi-même » qui achève la formule, et la passion méfiante de celui qui démasque, arrête Freud devant ce « comme ». C’est du poids de l’amour qu’il s’agit, car il sait que l’amour de soi est bien grand, il le sait supérieurement, ayant reconnu que la force du délire est d’y trouver sa source. « Sie lieben ihren wahnen wie sich selbst », ils aiment leur délire comme soi-même. Cette force est celle qu’il a désignée sous le nom de narcissisme et qui comporte une dialectique secrète où les psychanalystes se retrouvent mal; la voici. C’est pour la faire concevoir que j’ai introduit dans la théorie la distinction proprement méthodique du symbolique, de l’imaginaire et du réel.
Le même moi-même sans doute, et de toute la rage collante où la bulle vitale bout sur elle-même et se gonfle en une palpitation à la fois vorace et précaire, non sans fomenter en son sein le point vif d’où son unité rejaillira, disséminée de son éclatement même. Autrement dit, je suis lié à mon corps par l’énergie propre que Freud a mis au principe de l’énergie psychique, l’Éros, qui fait les corps vivants se conjoindre pour se reproduire, qu’il appelle Libido, mais ce que j’aime en tant qu’il y a un moi, où je m’attache d’une concupiscence mentale, n’est pas ce corps dont le battement et la pulsation échappent trop évidemment à mon contrôle, mais une image qui me trompe en me montrant mon [corps ?] dans sa Gestalt, sa forme. Il est beau, il est grand, il est fort, il l’est plus encore même d’être laid, petit et misérable. je m’aime moi-même en tant que je me méconnais essentiellement, je n’aime qu’un autre, un autre avec un petit a initial, d’où l’usage de mes élèves de l’appeler « le petit autre ». Rien d’étonnant à ce que ce ne soit rien que moi-même que j’aime dans mon semblable et ce que, non seulement dans le dévouement névrotique, si j’indique ce que l’expérience nous apprend, mais dans la forme extensive et utilisée de l’altruisme, qu’il soit éducatif ou familial, philanthropique, totalitaire ou libéral, à quoi l’on souhaiterait souvent devoir répondre comme la vibration de la croupe magnifique de la bête infortunée, rien d’étonnant que l’homme ne fasse rien passer dans cet altruisme que son amour-propre, sans doute dès longtemps détecté dans ses extravagances, même glorieuses, par l’investigation moraliste de ses prétendues vertus, mais que l’investigation analytique du moi permet d’identifier à la forme de l’outre, à l’outrance de l’ombre dont le chasseur devient la proie, à la vanité d’une forme visuelle. Telle est la face éthique de ce que j’ai articulé pour le faire entendre sous le terme du stade du miroir.
Le moi est fait, Freud nous l’enseigne, des identifications superposées en matière, manière de pelure, cette sorte de garde-robe dont les pièces portent la marque du tout-fait si l’assemblage en est souvent bizarre. Des identifications à ses formes imaginaires, l’homme croit reconnaître le principe de son unité sous les espèces d’une maîtrise de soi-même dont il est la dupe nécessaire, qu’elle soit ou non illusoire, car cette image de lui-même ne le contient en rien ; si elle est immobile, seule sa grimace, sa souplesse, sa désarticulation, son démembrement, sa dispersion aux quatre vents commencent d’indiquer quelle est sa place dans le monde. Encore a-t-il fallu longtemps pour qu’il abandonne l’idée que le monde fût fabriqué à son image et que ce qu’il y retrouvait, de cette image, sous la forme des signifiants dont son industrie avait commencé de parsemer le monde, [c’était ?] de ce monde, l’essence. C’est ici qu’apparaît l’importance décisive du discours de la science dite physique et ce qui pose la question d’une éthique à la mesure d’un temps spécifié comme notre temps. Ce que le discours de la science démasque, c’est que plus rien ne reste d’une esthétique transcendantale par quoi s’établirait un accord, fût-il perdu, entre nos intuitions et le monde. La réalité physique s’avère désormais comme impénétrable à toute analogie avec un quelconque type de l’homme universel, elle est pleinement, totalement inhumaine, le problème qui s’ouvre à nous n’est plus le problème de la co-naissance, d’une connaissance, d’une connaturalité par quoi s’ouvre à nous l’amitié des apparences. Nous savons ce qu’il en est de la terre et du ciel, l’un et l’autre sont vides de Dieu et la question de savoir ce que nous y faisons apparaître dans les disjonctions qui constituent nos techniques. Nos techniques, vous allez peut-être là-dessus me reprendre, techniques humaines et au service de l’homme. Bien sûr, mais qui ont pris une mesure d’efficacité, pour autant que leur principe est une science qui ne s’est, si je puis dire, déchaînée, qu’à renoncer à tout anthropomorphisme, fût-ce à celui de la bonne Gestalt des sphères dont la perfection était le garant de ce qu’elles fussent éternelles et, aussi bien à celui de la Force dont l’impetus s’est ressenti au cœur de l’action humaine.
Une science de petits signes et d’équations a pris en fait une science qui participe de l’inconcevable, en ceci, précisément, qu’elle donne raison à Newton contre Descartes, une science qui n’a pas forme atomique par hasard, car c’est la production de l’atomisme du signifiant qui l’a structurée. Il faut reconnaître l’atomisme même contre lequel nous nous insurgeons quand il s’agit de nous comprendre, cet atomisme sur lequel on a voulu reconstruire notre psychologie et ou seulement nous ne reconnaissions pas que nous étions par lui, cet atomisme, habités. C’est pour cela que Freud a réussi à partir des hypothèses de l’atomisme psychologique, c’est que, qu’on puisse dire ou non qu’il l’assume, il traite les éléments de l’association, non comme des idées exigeant la genèse de leur épuration à partir de l’expérience, mais comme des signifiants dont la constitution implique d’abord leur relation à ce qui se cache de radical dans la structure comme telle, soit le principe de la permutation, à savoir qu’une chose puisse être mise à la place d’une autre par quelqu’un et par cela seulement la représente. Il s’agit d’un tout autre sens du mot représentation que celui des peintures, des Abschäumungen, où le réel serait censé jouer avec nous d’on ne sait quel strip-tease. Aussi bien Freud l’articule proprement, usant pour dire ce qui est refoulé, non du terme de Vorstellung, encore que l’accent soit mis sur le représentatif dans le matériel de l’inconscient, mais de Vorstellung Repräsentanz. Je ne vais pas là m’étendre. Ce que je vous indique, c’est que je ne me complais ici à aucune construction philosophique. J’essaie de me reconnaître dans les matériaux les plus immédiats de mon expérience et, si je recours au texte de Freud pour témoigner de cette expérience, c’est parce qu’il y a là une conjonction rare, quoiqu’en dise une critique aussi vétilleuse qu’incompréhensive, comme il arrive à ceux qui n’ont à la bouche que le mot de compréhension, un rare accord, dis-je, exceptionnel dans l’histoire de la pensée entre le dire de Freud et la Chose qu’il nous découvre. Je dis entre son dire et la Chose, ce que cela comporte de lucidité chez lui va de soi, mais, après tout, conformément même à ce qu’il nous découvre, l’accent de conscience mis sur tel ou tel point de sa pensée est ici secondaire. J’irai jusque-là.
Les représentations ici n’ont plus rien d’apollinien. Elles sont dans une destination élémentaire. Notre appareil neurologique opère en ceci que nous hallucinons ce qui peut répondre en nous à nos besoins, perfectionnement, peut-être, par rapport à ce que nous pouvons présumer du mode réactionnel de l’huître planquée sur son rocher, mais dangereux en ceci qu’il nous livre à la merci d’un simple échantillonnage gustatif, si je puis dire, ou palpatoire de la sensation et, au dernier terme, à nous pincer pour savoir si nous ne rêvons pas. Tel est du moins le schéma que nous pouvons donner de ce qui s’articule dans le double principe qui [commande ?], selon Freud, l’événement psychique, principe de plaisir et principe de réalité pour autant que s’y articule la physiologie de la relation dite « naturelle » de l’homme au monde.
Nous ne nous attarderons pas au paradoxe que constitue une telle conception du point de vue d’une théorie de l’adaptation de la conduite pour autant que celle-ci fait la loi de la tentative de reconstruction d’une certaine conception de l’éthologie, de l’éthologie par exemple animale. Ce qu’il faut voir, c’est ce qu’introduit, dans ce schéma de l’appareil, son fonctionnement effectif en tant que Freud y découvre la chaîne des effets proprement inconscients. On n’a pas authentiquement aperçu le renversement qu’au niveau même du double principe, l’effet de l’inconscient comporte, renversement, ou plutôt décussation des éléments auxquels ces principes sont ordinairement associés. C’est que c’est au soin de la satisfaction du besoin que se consacre la fonction du principe de réalité et, notamment, ce qui s’y attache épisodiquement de conscience, en tant qu’elle est liée aux éléments du sensoriel privilégié en ce qu’ils sont intéressés par l’image primordiale du narcissisme, mais qu’inversement, ce sont les processus de la pensée, tous les processus de la pensée y étant compris, j’allais dire, compromis, le jugement lui-même qui sont dominés par le principe du plaisir et gisant dans l’inconscient d’où ils ne sont tirés que par la verbalisation théorisante qui les en extrait à la réflexion, avec ce seul principe d’efficace pour cette réflexion, qu’ils sont déjà organisés, nous l’avons dit hier, selon la structure du langage. C’est la conséquence, ou plutôt la vraie raison de l’inconscient que l’homme sache à l’origine qu’il subsiste dans une relation d’ignorance. Ce qui veut dire que la première division que comporte l’événement psychique de l’homme, c’est celle-ci, par quoi tout ce à quoi il résonne comme le comprenant sous quelque chef d’appétit, de sympathie et, en général, de plaisance, laisse en dehors et contourne la Chose à quoi est destiné tout ce qu’il éprouve dans une orientation du signifiant déjà prédicatif. Tout cela n’a pas été déniché par moi dans l’Entwurf, dans ce Projet de Psychologie, découvert dans les papiers de la correspondance avec Fließ. Cela y est clair, certes, mais cela ne prend valeur qu’à montrer l’ossature d’une réflexion qui s’est épanouie en une pratique incontestable, la liaison étroite de ce que Freud appelle proprement la Wisßbegierde, ce qui en allemand est très fort, la cupido sciendi, et il faudrait dire en français l’avidité curieuse. Cette liaison étroite qu’il démontre avec le tournant décisif de la libido est un fait massif qui se répercute en mille traits déterminants dans le développement individuel de l’enfant.
Cette Chose, pourtant, je vais vous dire, et je m’en excuse, n’est point objet et ne saurait l’être en ce que son terme ne surgit comme corrélat d’un sujet hypothétique qu’autant que ce sujet disparaît, s’évanouit, fading du sujet, et non terme sous la structure signifiante. Ce que l’intention montre en effet, c’est que cette structure signifiante est déjà là avant que le sujet prenne la parole et, avec elle, se fasse porteur d’aucune vérité, ni prétendant à aucune reconnaissance. La Chose est donc ce qui, dans le vivant quel qu’il soit que vient habiter le discours et qui se profère en parole, marque la place où il pâtit de ce que le langage se manifeste dans le monde, c’est ainsi que vient à apparaître l’être partout où l’Eros de la vie trouve la limite de sa tendance unitive. Celle-ci, cette tendance à l’union, est, dans Freud, d’un niveau organismique, biologique, comme on dit. Elle n’a pourtant rien à faire avec ce qu’appréhende une biologie, dernière venue des sciences physiques, mais avec mode de prise en tant qu’il est érotisé des orifices principaux du corps, d’où la fameuse définition freudienne de la sexualité dont on a voulu déduire une prétendue relation d’objet dite orale, anale, génitale, relation qui porte en elle une profonde ambiguïté en tant qu’elle confond un corrélatif naturel avec un caractère de valeur camouflé sous une notion de norme de développement.
C’est avec de telles confusions que la malédiction de Saint Matthieu, à l’endroit de ceux qui assemblent de nouveaux fardeaux pour en charger les épaules des autres, viendrait à frapper ceux qui autorisent chez l’homme la [supposition ?] de quelque tare personnelle au principe de l’insatisfaction attachée [à la condition humaine ?].
Freud, s’il a, mieux que jamais n’a fait au fil des siècles la casuistique ontologique, détecté les motifs du ravalement de la relation amoureuse, l’a rapporté d’abord au drame de l’Œdipe, c’est-à-dire à un conflit dramatique articulant une refonte plus profonde du sujet, une Urverdrängung, un refoulement archaïque. Dès lors, sa place au refoulement secondaire qui permet, qui force à se disjoindre les courants qu’il distingue comme ceux respectivement de la tendresse et du désir. Freud n’a jamais, pour autant, eu l’audace de proposer une cure radicale de ce conflit inscrit dans la structure. S’il a déclaré, comme jamais aucune caractérologie primitive ni moderne, ce qu’il a désigné comme type libidineux, c’est aussi pour formuler expressément qu’il en venait à ce résultat à entériner que, sans doute, il y avait au dernier terme quelque chose d’irrémédiablement faussé dans la sexualité humaine. Voilà sans doute pourquoi Jones, dans l’article nécrologique qui lui vint en charge de celui qui était le maître le plus passionnément admiré, et lui, d’autre part, partisan déclaré d’une Aufklärung résolument anti-religieuse, n’a pu s’empêcher de le situer dans sa conception du destin de l’homme sous le patronage, écrit-il, des Pères de l’Église. Disons plus. Si Freud met à la charge de la moralité sexuelle, la nervosité régnante chez le civilisé moderne, il ne prétend même pas avoir de solution à proposer dans le général pour un meilleur aménagement de cette moralité.
L’objet imaginé récemment par la psychanalyse, comme mesure de l’adéquation libidinale informerait de son type toute une réalité comme mode de relation du sujet au monde, vorace, rétentive, ou encore, comme on s’exprime en un terme qui porte, hélas, la marque d’une intention moralisante où il faut dire que la défense de la psychanalyse en France a cru devoir enjoliver sa première gourme, relation à l’objet oblative qui s’avérerait l’avènement idyllique de la relation génitale. Hélas, est-ce au psychanalyste de refouler la perversion foncière du désir humain dans l’enfer du prégénital comme connoté de régression affective et de faire rentrer dans l’oubli la vérité avouée dans le mystère antique « Eros est-il un Dieu noir » ? L’objet dont on fait ainsi état ne dessine qu’une imputation grossière des effets de frustration que l’analyse se chargerait de tempérer, ceci avec le seul résultat de camoufler des séquences beaucoup plus complexes dont la richesse autant que la singularité semblent subir, dans une certaine utilisation orthopédique de l’analyse, une étrange éclipse.
Le rôle singulier du phallus dans sa foncière disparité, je cherche ici un équivalent du terme anglais organ, dans la disparité de sa fonction par où se situe la fonction virile dans cette duplicité de la castration surmontée de l’autre, dont la dialectique semble soumise au passage par la formule « il n’est pas sans l’avoir », tandis que, d’autre part, la féminité est soumise à l’expérience primitive de sa privation pour en venir à souhaiter de le faire être symboliquement dans le produit de l’enfantement, que celui-ci doive ou non l’avoir. Ce tiers objet, le phallus, détaché de la dispersion osirienne à quoi tout à l’heure nous faisions allusion, joue la fonction métonymique la plus secrète selon qu’il s’interpose ou se résorbe dans le fantasme du désir, entendons que ce fantasme est au niveau de la chaîne de l’inconscient, ce qui correspond à l’identification du sujet qui parle comme de moi dans le discours de la conscience. Dans le fantasme, le sujet s’éprouve comme ce qu’il veut au niveau de l’Autre, cette fois avec un grand A, c’est-à-dire à la place où il est vérité sans conscience et sans recours.
C’est là qu’il se fait en cette absence épaisse qui s’appelle le désir. Le désir n’a pas d’objet, sinon, comme ses singularités le démontrent, celui accidentel, normal ou non, qui s’est trouvé venir signifier, que ce soit en un éclair ou dans un rapport permanent, les confins de la Chose, c’est-à-dire de ce Rien autour de quoi toute passion humaine resserre son spasme à modulation courte ou longue, à retour périodique. La passion de la bouche la plus passionnément gavée, c’est ce Rien où, dans l’anorexie mentale, il réclame la privation où se reflète l’Amour. La passion de l’avare, c’est ce Rien où est réduit l’objet enfermé dans sa cassette bien-aimée. Comment, sans la copule qui vient à conjoindre l’être comme manque et ce Rien, la passion de l’homme trouverait-elle à se satisfaire ? C’est pourquoi, si la femme se contente, au secret d’elle-même, de celui qui satisfait à la fois son besoin et ce manque, l’homme cherchant son manque à être au-delà de son besoin, pourtant si mieux assuré que celui de la femme, trouve ici la pente d’une inconstance ou, plus exactement, d’une duplication de l’objet, dont les affinités avec ce qu’il y a de fétichisme dans l’homosexualité ont été très curieusement sillonnées par l’expérience analytique, sinon toujours justement et bien rassemblées dans la théorie. Ne croyez pas, pour autant, que je fasse la femme plus favorisée sur le chemin de la jouissance. Ses difficultés à elle non plus ne manquent pas et sont probablement plus profondes. Mais ce n’est pas notre objet ici d’en traiter, encore que, bientôt, il doive être abordé par notre groupe avec la collaboration de la Société hollandaise.
Ai-je réussi seulement à faire passer en votre esprit les chaînes de cette topologie, qui met au cœur de chacun de nous cette place béante d’où le Rien nous interroge sur notre sexe et sur notre existence, c’est là la place où nous avons à aimer le prochain comme nous-mêmes, parce qu’en lui cette place est la même. Rien n’est assurément plus proche de nous que cette place et, pour le faire entendre, j’emprunterai la voix du Poète qui, quels que soient ses accents religieux, a été reconnu pour un des leurs, dans leurs aînés, par les surréalistes, il s’agit de Germain Nouveau, de celui qui signait « Humilis ».
Tel est le commandement de l’amour du prochain et contre quoi Freud a raison de s’arrêter, interloqué de son invocation, parce que l’expérience montre, ce que l’analyse a articulé comme un moment décisif de sa découverte, c’est l’ambivalence par quoi la haine suit comme son ombre tout amour pour ce prochain qui est aussi de nous ce qui est le plus étranger. Comment ne pas le harceler dès lors des épreuves à faire jaillir de lui le seul cri qui pourra nous le faire connaître ? Comment Kant ne voit-il pas à quoi se heurte sa raison pratique toute bourgeoise, de s’ériger en règle universelle ? La débilité des preuves qu’il en avance n’a en sa faveur que la faiblesse humaine dont se soutient le corps nu qu’un Sade peut lui donner, de la jouissance sans frein, pour tous. Il y faudrait plus que du sadisme, un amour absolu, c’est-à-dire impossible. Voit-il par là la clef de cette fonction de la sublimation sur laquelle je suis en train d’arrêter ceux qui me suivent dans mon enseignement, et où l’homme, sous diverses formes, tente de composer avec la Chose, dans l’Art fondamental qui la lui fait représenter dans le vide du Vase où s’est fondée l’alliance de toujours, dans la Religion qui lui inspire la crainte et de se tenir à juste distance de la Chose, dans la Science qui n’y croit pas et par laquelle nous la voyons maintenant confrontée à la méchanceté fondamentale de la Chose.
Le Trieb freudien, notion première et la plus énigmatique de la théorie, en est venu, je dirai, à achopper, au grand scandale des disciples de Freud, sur la formule et sur la forme de l’instinct de mort. Voici la réponse de la Chose quand nous n’en voulons rien savoir, elle non plus ne sait rien de nous, mais n’est-ce pas là aussi une forme de la sublimation autour de quoi l’être de l’homme, une fois de plus, tourne sur ses gonds. Cette libido dont Freud nous dit qu’aucune force en l’homme n’est plus à portée de se sublimer, n’est-elle pas le dernier fruit de la sublimation par quoi l’homme moderne répond à sa solitude ? Que la prudence ici me garde de m’avancer trop vite! Que les lois soient par nous gardées par quoi seulement nous pouvons retrouver le chemin de la Chose, qui sont les lois de la Parole, par quoi elle est cernée. J’ai, peut-être follement, posé devant vous la question qui est au cœur de l’expérience freudienne, en ce que, même parmi ceux qui pourraient en paraître les mieux préservés, les pièges de la maîtrise psychologique ne sont guère éventés. Je me suis laissé dire qu’il est des séminaires où l’on faisait la psychologie du Christ. Qu’est-ce à dire ? Est-ce pour savoir par quel bout son désir pouvait être attrapé ?
J’enseigne quelque chose dont le terme est obscur. Il me faut ici m’excuser, j’y ai été poussé par une nécessité pressante, dont celle qui me fait ici paraître devant vous n’est qu’un petit moment qui vous aidera, j’espère, à comprendre. Mais je ne suis pas content d’être là, ce n’est pas ma place, mais au chevet de la couche où mon patient me parle, aussi, que le philosophe ne se lève pas comme il arriva à Ibn Arabi pour venir à ma rencontre en me prodiguant les marques de sa considération et de son amitié, pour finalement m’embrasser et me dire « oui », car, bien entendu, comme Ibn Arabi, à mon tour, je lui répondrai en lui disant « oui », et sa joie s’accentuera de constater que je l’aurai compris. Mais, prenant conscience de ce qui aura provoqué sa joie, il me faudra ajouter « non ».