samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIV La logique du fantasme 1966 – 1967 Leçon du 10 Mai 1967

Leçon du 10 Mai 1967

 

Bon… Je veux d’abord vous annoncer qu’à mon grand regret je ne ferai pas ce cours — ou ce séminaire, comme vous voudrez l’appeler — mercredi prochain. Pour la raison qu’il y a la grève, qu’après tout j’entends pour ma part la respecter, outre les incommodités que nous donnerait qu’on nous annonce que, toute électricité étant coupée, ce que je me donne tant de mal, depuis de nombreuses séances, pour faire fonctionner ici, à votre bénéfice et au mien, serait rendu inutile. Donc, il faudra le réinscrire d’ici la fin de la séance, pour que les personnes qui arrivent en retard n’ignorent point qu’il n’y aura de prochain “séminaire”, puisqu’on l’appelle ainsi, que dans quinze jours. Nous sommes, je crois, le 10 mai, ça fait donc le 24. Rendez-vous au 24.

Quelqu’un a-t-il quelque observation à me faire sur ce que je vous ai communiqué à la dernière séance ? Quelqu’un s’est-il fait quelque réflexion comportant spécialement — j’éclaire ma lanterne — ce que j’ai écrit au tableau ?

Il ne semble pas… Et je ne sais pas si je dois ou non en respirer !…. Est-ce à cause de la profonde distraction avec laquelle on reçoit ce que je peux inscrire ? Mais enfin, je me suis fait, en rentrant chez moi, un sang d’encre, pour avoir écrit au tableau la formule de petit a bien sûr, racine de 5 moins 1 sur 2 — et puis, tout de suite après, la valeur de racine de 5 : 2,236… Enfin, et quelque chose. Je me suis livré à quelques plaisanteries sur la table des logarithmes, mais j’aurais mieux fait de vous préciser, bien sûr, que ce que j’écrivais-là n’était pas la valeur de petit a, mais de racine de 5. Qu’on ne s’imagine pas que petit a, c’est deux, virgule et quelque chose ! Puisqu’au contraire petit a est inférieur à l’unité. C’est un chiffre qui est un petit peu plus élevé que six dixièmes, ce qui n’est pas inutile à connaître pour quand vous voulez inscrire ces longueurs ou ces lignes dont je me sers et mettre dans une proportion à peu près exacte la longueur du petit a à côté de la longueur définie pour équivaloir à l’unité. La seconde erreur que j’ai faite, c’est qu’à la suite d’une longue série d’égalités, nommément celle qui s’inscrit par un plus a sur 1, par exemple, j’ai fini à la fin, par écrire : égale petit a, alors que c’était 1 qu’il fallait écrire.

Bon, enfin, pour ceux qui ont copié ces formules, qu’ils les corrigent !

Nous continuons de nous avancer dans notre objet de cette année et, bien sûr, cette logique que j’élabore devant vous sous le nom d’une logique du fantasme, á une fin que j’ai plusieurs fois définie et dont il faut bien qu’enfin elle vienne à s’appliquer. À s’appliquer à quelque chose qui ne saurait être, bien sûr, qu’une oeuvre de criblage ou même à proprement parler de critique, contre ce qui est avancé à un certain niveau de l’expérience et sous une forme théorique qui, parfois, prête à défaut.

Dans ce dessein, j’ai ouvert, ou plutôt rouvert, à votre usage, un ouvrage qui n’avait pas manqué de me paraître important au moment qu’il a surgi, et il est à vous tous accessible puisqu’il a été traduit en français sous le nom de La névrose de base, de quelqu’un qui assurément ne manque ni de talent ni de pénétration analytique et qui s’appelle M. Bergler. C’est un ouvrage que je vous recommande — puisque vous allez avoir encore quinze jours devant vous — que je vous recommande à titre d’exemple ou de support… occasionnel, de ce à quoi peut servir notre travail ici. En vous le recommandant à titre d’exemple, bien sûr, ce n’est pas vous le recommander à titre de modèle ! C’est pourtant, je l’ai déjà dit, un ouvrage d’un grand mérite. Ce n’est pas certes par ces voies que nous verrons d’aucune façon s’éclairer ce qu’il en est de la nature de la névrose. Mais, assurément, ce n’est pas dire non plus qu’il ne soit pas là aperçu quelque ressort essentiel. Les notions de structure qui sont ici mises en avant (et qui d’ailleurs, au sens où j’emploie pour l’instant ce mot, ne sont pas le _privilège de cet auteur), ce qui s’énonce d’habitude dans la notion de souches — que pour la même raison on étage du superficiel au profond ou inversement du profond au superficiel — celles nommément dont part l’auteur ; c’est à savoir que, dans les cas qu’il envisage, mais encore faut-il ajouter qu’il les considère de beaucoup comme les plus nombreux dans la névrose, les cas définis à son sens par ce qu’il appelle “la régression orale”, se définissent par quelque chose qu’après tout je n’ai pas de raison — puisque c’est là résumé en quelques lignes — de ne pas directement emprunter à son texte (ce sera plus sûr !)

“Les névrosés oraux font surgir constamment la situation du triple mécanisme de l’oralité que voici :

Premièrement : je me créerai le désir masochique d’être rejeté, par ma mère”…  Que quelqu’un écrive : 1° Être rejeté, tout à fait dans le coin, en haut, à droite.

Muriel ! si vous voulez bien, vous me rendrez ce service. Prenez ces gros machins qui sont là pour ça.)

“Deuxièmement : je ne serai pas”… Je finis le premier paragraphe : «…              je me créerai le désir masochique “, donc, d’être rejeté par ma mère, en créant ou déformant des situations dans lesquelles quelque substitut de l’image préœdipienne de ma mère refusera mes désirs.”

Ceci est la couche la plus profonde, celle dont l’accès est le plus difficile, celle contre la révélation de laquelle le sujet se défendra le plus fortement et le plus longtemps.

(Je dis ceci pour les auditeurs les plus novices de cette salle.

“Deuxièmement : je ne serai pas conscient de mon désir d’être rejeté et de ce que je suis l’auteur de ce rejet ; je verrai seulement que j’ai raison de me défendre, que mon indignation est bien justifiée, ainsi que la pseudo-agressivité que je témoigne en face de ces refus.”

(2°- Pseudo-agressivité. Écrivez seulement ces mots, s’il vous plaît.)

“Troisièmement. Après quoi, je m’apitoierai sur moi-même en raison de ce qu’une “telle injustice” (entre guillemets) ne veut arriver qu’à moi (1) et je jouirai, une fois de plus, d’un plaisir masochique (1) ; »

(1) J.Lacan accentue ces mots en les disant.

 

Je passe sur ce que Bergler y ajoute de ce qu’il appelle le point de vue clinique, singulière différenciation d’ailleurs qu’il fait entre ceci qu’il considère comme résumant la genèse du trouble — l’élément génétique -, cette forme ou aspect clinique se définissant pour lui par l’intervention d’un Surmoi, dont la vigilance consiste précisément à maintenir la présence de l’élément qu’ici il désigne comme “masochique ; comme élément toujours actif dans le maintien de la défense.

Ce second point de vue est en lui-même à discuter et je ne le ferai pas aujourd’hui. Ce qu’aujourd’hui, sur ce sujet, j’avance est ceci : que nulle part n’est articulé en quoi ceci qui, au reste, est juste, que dans la position orale le sujet – disons – veut être refusé. Pourquoi il n’est pas vrai de dire que la pulsion orale consiste à vouloir obtenir, nommément, le sein. Si l’observation est fondée dans sa position radicale, dans nul point de ce travail de Bergler, il n’est de quelque façon rendu compte de ce que ceci veut dire au regard d’une pulsion définie comme orale, et pourquoi, en quelque sorte au départ, ce qui en semble la tendance disons naturelle est ainsi renversée. Point pourtant important en ceci que, précisément, c’est de sa position naturelle que le sujet arguera pour soutenir cette agressivité, que Bergler, très justement, dénomme “pseudo”, car ce n’en est pas une. Ceci, bien sûr, laissant ouvert ce dont il s’agit au niveau d’une agressivité qui ne serait pas-pseudo.

Comme, sur ce sujet, j’ai introduit un registre qui est à proprement parler celui du narcissisme, équivalent à ce que, dans la théorie ordinairement reçue, on appelle “narcissisme secondaire”, comme j’y ai mis l’agressivité comme étant sa dimension constitutive et comme distincte, à ce titre, de la pure et simple agression : nous nous trouvons-la dans un éventail de notions, depuis celle, brute, d’agression, qui ne convient en presque aucun cas, quand il s’agit de phénomènes névrotiques ; celui d’agressivité narcissique ; enfin de cette pseudo-agressivité que spécifie Bergler comme ressortant, à un certain niveau, de la névrose orale.

Je pointe simplement ces distinctions, sans leur donner pour l’instant leur développement complet.

Quoi qu’il en soit, la question se pose de ce qu’il convient de maintenir comme le statut — jusqu’à présent défini comme agressif — d’un certain temps de la pulsion orale et pourquoi, dans la névrose orale, cet accent de l’ “être refusé” est posé par Bergler comme étant le plus radical. La seule portée de ma remarque n’est pas d’en trancher quant aux faits, (outre que, bien sûr, d’en trancher impliquerait de chercher de quoi il parle, à savoir de quelle névrose, de quel moment de son abord), mais de ceci, qui manque dans un texte théorique, à savoir s’il n’y aurait pas à se pencher, précisément au point où ici les choses s’arrêtent, à savoir sur ce que veut dire et pourquoi est pertinent le terme d”être refusé”.

“Être refusé” suggère quelque suspens questionnant : “Être refusé” à quel titre ? “Être refusé” en tant que quoi ? Ce n’est tout de même pas pour nous — à nous supposer au seuil de la théorie analytique — chose nouvelle, que ce qui se passe quand nous nous présentons dans une relation, par exemple, que l’on qualifiera d’intersubjective. Vous savez, à cet égard, ce qui a pu être avancé dans un certain mode de pensée, qui est celui, hégélien, dont Sartre lui-même, détachant un rameau, a mis en valeur l’accent qu’à un certain niveau il peut prendre : celui qui a été qualifié d’exclusion radicale et mutuelle des consciences, du caractère incompatible de leur coexistence ; de cet ” ou lui ou moi” qui surgirait dès qu’à proprement parler apparaît la dimension du sujet.

C’est assez dire aussi combien ce relief tombe sous la portée des critiques qu’on peut avancer contre la genèse initialement prise dans “la lutte à mort”, et lutte à mort qui prend son statut de cette conception radicale du sujet comme absolument autonome, comme Selbstbewusstsein.

Est-ce de quelque chose de cet ordre qu’il s’agit ? Il ne semble assurément pas. Puisque tout ce que nous apporte l’expérience analytique concernant le stade dit oral y fait intervenir de bien autres dimensions, et nommément, cette dimension corporelle de l’agressivité orale, du besoin de mordre et de la peur d’être dévoré.

L”être refusé” donc, est-il à prendre dans cette occasion comme concernant l’objet ? À la vérité, on en verrait facilement pointer la justification en ceci : qu’être refusé serait, dans ce registre, à proprement parler, se sauver soi-même de l’engloutissement du partenaire maternel.

Ce serait peut-être aussi un peu trop simple que de répondre ainsi à la question du statut de l”être refusé”. Et dire que c’est trop simple est suffisamment souligné par ceci — ceci deux fois répété dans les lignes que je viens de vous lire, de Bergler — et qui associé à cette névrose orale, comme lui étant essentielle, la dimension du masochisme. L”être refusé” en question est un refus de défaite, est un “refus humiliant”, écrit encore ailleurs l’auteur, et c’est en ceci qu’il se permet d’introduire l’étiquette de masochisme, qu’il qualifie de “masochisme psychique” en l’occasion, consacrant en quelque sorte un usage vulgaire du terme de masochisme, dont je ne dis pas qu’il n’y ait pas, dans tel texte de Freud, prétexte à l’introduire, mais qui, étendu et pris dans cet usage où il est maintenant de plus en plus courant, est à proprement parler : ruineux.

L’allusion à la référence à l’objet, au niveau de ce refus, est-là seulement ce qui pourrait justifier l’introduction de la dimension du masochisme à ce niveau.

Il est inexact de dire que ce qui caractérise le masochisme, c’est le côté pénible, assumé comme tel, dans une situation. Aborder les choses sous cet angle aboutit à cet abus de faire — comme certains le font — de la dimension “sado-masochisme”, le registre essentiel, par exemple, de toute la relation analytique. Il y a là une véritable perversion, autant de la pensée de Freud que de la théorie et de la pratique. Et ceci est à proprement parler insoutenable, quand la dimension du masochisme est définie, précisément, sans doute, par le fait que le sujet assume une position d’objet, au sens le plus accentué que nous donnons au mot objet, pour le définir comme cet effet de chute et de déchet, de reste de l’avènement subjectif.

Le fait que le masochiste instaure une situation réglée à l’avance et réglée dans ses détails — qui peut aller jusqu’à le faire séjourner sous une table, dans la position d’un chien — ceci fait partie d’une mise en scène, d’un scénario, qui a son sens et son bénéfice et qui, incontestablement, est au principe d’un bénéfice de jouissance, quelque note que nous puissions y ajouter ou non, concernant le maintien, le respect et l’intégrité du principe de plaisir.

Que cette jouissance soit étroitement liée à une manœuvre de l’Autre, dirai-je, qui s’exprime le plus communément sous la forme du contrat (quand je dis “du contrat”, je dis : du contrat écrit) de quelque chose qui dicte tout autant à l’Autre — et bien plus encore à l’Autre qu’au masochiste lui-même — toute sa conduite : c’est ceci qui doit nous instruire, concernant le rapport qui donne sa spécificité, son originalité, à la perversion masochisme et qui est hautement fait pour nous éclairer jusqu’en son fonds sur la part qu’y joue l’Autre — au sens où j’entends ce terme : j’entends l’Autre avec un grand A — l’Autre : lieu où se déploie dans l’occasion une parole qui est une parole de contrat.

Réduire l’usage du terme “masochisme”, après cela, à être quelque chose qui se présente comme simplement une exception, une aberration, à l’accès du plaisir le plus simple, est quelque chose de nature à engendrer tous les abus, dont le premier — dont le premier est ceci, pour lequel, mon Dieu, je ne croirai pas employer un terme trop fort ni inapproprié en relevant dans les lignes de Bergler — d’un bout à l’autre de ce livre remarquable, rempli d’observations très fouillées et toutes très instructives — de relever pourtant ce quelque chose que j’appellerai une exaspération qui n’est pas loin de réaliser une attitude méchante à l’égard du malade : tous ces gens qu’il appelle — qu’il appelle, comme si c’était là un grand tort de leur part — “collectionneurs d’injustices” ! Comme si, après tout, nous étions dans un monde où la justice soit un état si ordinaire qu’il faille vraiment y mettre du sien pour avoir à se plaindre de quelque chose ! Ces “collectionneurs d’injustices”, chez qui, assurément, il décèle leur opération la plus secrète dans le fait d’être rejetés : mais après tout, ne pouvons-nous pas nous-mêmes émettre contre e Bergler cette idée que, dans certains cas, après tout, être rejeté… (comme nous l’avons d’ailleurs suffisamment dans les fantasmes, mais c’est autre chose : je parle ici de la réalité)… Il vaut peut-être mieux, de temps en temps, être rejeté qu’être accepté trop vite ! La rencontre qu’on peut faire avec telle ou telle personne qui ne demande qu’à vous adopter, n’est pas toujours… La meilleure solution n’est pas toujours de ne pas y échapper !

Pourquoi cette partialité ?-qui, en quelque sorte, implique qu’il serait dans l’ordre, dans la nature des choses, dans leur bonne pente, de faire toujours tout ce qu’il faut pour être admis. Ceci supposant qu”être admis” est toujours être admis à une table bienfaisante.

Ceci, assurément, n’est pas sans être de nature inquiétante et ne pas nous paraître, à l’occasion, à pointer, pour remarquer que telle ou telle chose qui peut se passer dans le monde, et par exemple, tout simplement, pour l’instant, dans un certain petit district de l’Asie du Sud-Ouest. Mais de quoi s’agit-il ? Il s’agit de convaincre certaines gens qu’ils ont bien tort de ne pas vouloir être admis aux bienfaits du capitalisme ! Ils préfèrent être rejetés ! C’est à partir de ce moment-là, semble-t-il, que devraient se poser les questions sur certaines significations. Et nommément celle-ci, par exemple, qui nous montrerait — qui nous montrerait sans doute, mais ce n’est pas aujourd’hui que je ferai dans cette direction même les premiers pas — que si Freud a écrit quelque part que “l’anatomie c’est le destin”, il y a peut-être un moment où, quand on sera revenu à une saine perception de ce que Freud nous a découvert, on dira — je ne dis même pas “la politique c’est l’inconscient” — mais, tout simplement : l’inconscient c’est la politique !

Je veux dire que ce qui lie les hommes entre eux, ce qui les oppose, est précisément à motiver de ce dont nous essayons pour l’instant d’articuler la logique.

Car c’est faute de cette articulation logique que ces glissements peuvent se produire, qui font qu’avant de s’apercevoir de ce que pour être rejeté, pour qu”être rejeté” soit essentiel, comme dimension, pour le névrotique, il faut en tout cas ceci : qu’IL S’OFFRE.

Comme je l’ai écrit quelque part : aussi bien le névrotique que ce que nous faisons nous-mêmes — et pour cause, puisque ce sont ces chemins que nous suivons — ça consiste précisément, avec de l’offre, à essayer de faire de la demande, et que bien entendu une telle opération, ni dans la névrose, ni non plus dans la cure analytique, ne réussit pas toujours, surtout si elle est conduite maladroitement. Ceci aussi, d’ailleurs est de nature… (car nul discours analytique n’est sans présenter pour nous l’occasion — en l’interrogeant — l’occasion de nous apercevoir de ce qu’il implique dans un certain cours innocent, où il ne sait jamais lui-même — je dis : ce discours analytique — jusqu’où il va dans ce qu’il articule)… Ceci nous permettrait de nous apercevoir, en effet, que si la clef de la position névrotique tient à ce rapport étroit à la demande de l’Autre, en tant qu’il essaie de la faire surgir, c’est bien – comme je le disais à l’instant — parce que lui s’offre et que, du même coup, nous voyons-là le caractère fantasmatique et donc caduc de ce mythe — de ce mythe introduit par la prêcherie analytique — et qui s’appelle l’oblativité. C’est un mythe de névrosé.

Mais qu’est-ce qui motive ces besoins qui s’expriment dans ces biais paradoxaux, et toujours si mal définis si on les rapporte purement et simplement au bénéfice, recueilli ou non à leur suite, de la réalité ; si on omet cette première étape essentielle et à la lumière seule de laquelle (je dis : étape), ce qui ressort de ses résultats dans le réel peut se juger ? C’est l’articulation logique de la position — névrotique dans le cas présent — et aussi bien de toutes les autres. Sans une articulation logique qui ne fait pas intervenir aucun préjugé de ce qui est à souhaiter pour le sujet ; qu’en savez-vous ? Qu’en savez-vous, si le besoin… si le sujet a besoin de se marier avec telle ou telle ? Et s’il a loupé son mariage à tel détour, si ce n’est pas, pour lui, une veine ? De quoi vous mêlez-vous, autrement dit ? Alors que la seule chose à quoi vous ayez affaire, c’est à la structure logique de ce dont il s’agit. De ce dont il s’agit nommément, quant à une position comme celle que (1)   — Pour la qualifier du désir.

(1) Ce “que” est à entendre comme un “où” d’être rejeté —

 

Vous avez d’abord à savoir ce que le sujet, à ce niveau, poursuit. Quelle est, pour le névrotique, la nécessité, le bienfait peut-être, qu’il y a à être rejeté ? Et y épingler, de surplus, le terme de masochique est simplement, dans l’occasion, y introduire une note péjorative, qui est immédiatement suivie — comme je l’ai fait remarquer tout à l’heure — d’une attitude directive de l’analyste et qui peut, à l’occasion, aller jusqu’à devenir persécutive.

Voilà pourquoi il est tout à fait nécessaire de reprendre les choses comme j’entends le faire cette année et, puisque nous y sommes, de rappeler que si je suis parti, cette année, de l’acte sexuel dans sa structure d’acte, c’est en relation à ceci : que le sujet ne vient au jour que par le rapport d’un signifiant à un autre signifiant et que ceci en exige — je veux dire de ces signifiants — le matériel.

Faire un acte, c’est introduire ce rapport de signifiants par quoi la conjoncture est consacrée comme significative, c’est-à-dire comme une occasion de penser.

On met l’accent sur la maîtrise de la situation, parce qu’on imagine que c’est la volonté qui préside au fort-da, par exemple, fameux, du jeu de l’enfant. Ce n’est pas le côté actif de la motricité qui est là la dimension essentielle. Le côté actif de la motricité ne se déploie, ici, que dans la dimension du jeu (j.e.u). C’est sa structure logique qui distingue cette apparition du fort-da, pris pour exemplaire et devenu maintenant un bateau. C’est parce que c’est la première thématisation signifiante — sous forme d’opposition phonématique — d’une certaine situation, qu’on peut le qualifier d’actif, mais seulement au sens ou désormais nous n’appellerons actif que ce qui a, au sens où je l’ai définie, la structure de l’acte.

La mise en question de l’acte. Dans cette relation si distordue, cachée, exclue, mise à l’ombre, qu’est la relation entre deux êtres appartenant à deux classes, qui sont définitives pour l’état civil et pour le conseil de révision, mais que précisément notre expérience nous a appris à voir pour n’être absolument plus évidentes pour la vie familiale par exemple et assez brouillées pour la vie secrète. Autrement dit : ce qui définit l’homme et la femme.

La théorie et l’expérience analytiques apportent ici la notion de satisfaction. Je veux dire comme essentielle à cet acte. Satisfaction — dans le texte de Freud : Befriedigung — introduit la notion d’une paix survenant. Cette satisfaction est-elle la satisfaction de la décharge, de la détumescence ? Satisfaction simple en apparence et tout à fait propre à être reçue. Néanmoins, il est clair que tout ce que nous développons en termes plus ou moins propres ou impropres, implique que la satisfaction — puisque nous distinguons celle, par exemple, qui serait de l’ordre prégénital de celle qui est génitale — implique une autre dimension celle impliquée même par ces différences.

Qu’assurément, d’abord, un terme comme celui de “relation d’objet”– se soit ici imposé, va de soi ; ce qui n’ôte rien au caractère bouffon de ce qui se passe quand on essaie d’inscrire sous ce terme, de le varier, de l’échelonner selon le plus ou moins d’aise où s’inscrit la relation. Car il ne s’agit de rien d’autre quand on distingue la relation génitale par ces deux traits : d’une part, la prétendue tendresse qu’on pourrait facilement, aisément — je me targue de le faire — soutenir qu’elle n’est en aucun cas que la réversion d’un mépris et, d’autre part, ce qu’on y accentue de la prétendue essence de la rupture, voir du deuil. Ainsi, le progrès de la relation — j’entends : la “relation sexuelle” (entre guillemets) — en tant qu’elle deviendrait génitale, serait qu’on aurait d’autant plus d’aise à penser du partenaire. “Tu peux crever” !

Reprenons les choses d’un autre plan de certitude à quoi l’acte sexuel satisfait-il ?

Il est bien évident, d’abord, qu’on peut répondre, et légitimement, simplement : au plaisir. Je ne connais qu’un seul registre où cette réponse soit pleinement tenable : c’est un plan ascétique, qui est tenu dans l’histoire par Diogène, qui fait le geste public de la masturbation, comme le signe de cette affirmation théorique d’un hédonisme dit — en raison même de ce mode de manifestation — cynique et qu’on peut considérer comme un traitement, Vandlung (1), un traitement médical du désir –

 

(1) cf. Behandlung.

 

Il n’est pas sans se payer d’un certain prix, et puisque, tout à l’heure, j’ai introduit la dimension politique — chose curieuse et tout à fait sensible : ce type philosophique s’exclut lui-même, comme il se voit non pas seulement aux anecdotes, mais à la position du personnage dans son tonneau — eût-il un visiteur comme Alexandre -, qui se paie d’une exclusion de la dimension de la cité.

Je le répète : il y a là quelque chose dont on aurait tort de sourire, c’est une face à proprement parler ascétique, un mode de vivre. Il n’est probablement pas si courant qu’il parait. Je ne peux rien en dire : je n’ai pas essayé.

(Vous entendez ou pas ? Vous n’entendez pas ? Alors à quoi ça sert tous ces machins ? Bon, je vais essayer de parler plus fort.)

Donc, il ne faudra pas oublier ce lieu du plaisir, de la moindre… tension. Bon. Seulement, il est clair qu’il n’est pas suffisant, ce lieu ; que bien d’autres modes, qu’une très grande variété de modes, apparaissent, de satisfaction au niveau de la recherche impliquée par l’acte sexuel.

Notre thèse — c’est celle à laquelle donne corps notre cours de cette année — est ceci : de l’impossibilité de saisir l’ensemble de ces modes, en dehors d’une scrutation logique, seule capable de rassembler, dans leur variété comme dans leur ampleur, les différents modes de cette satisfaction. L’ensemble dont il s’agit c’est celui qui instaure ce que nous appellerons — provisoirement et sous réserve — un être masculin et un être féminin, dans cet acte fondateur que nous avons évoqué au départ de notre discours de cette année, en l’appelant l’acte sexuel. Si j’ai dit qu’il n’y a pas d’acte sexuel, c’est au sens où cet acte conjoindrait, sous une forme de répartition simple, celle qu’évoque dans la technique, par exemple dans les techniques usuelles. Dans Celle du serrurier, l’appellation de pièce mâle ou de pièce femelle. Cette répartition simple constituant le pacte, si l’on peut dire inaugural, par où la subjectivité s’engendrerait comme telle : mâle ou femelle.

J’ai fait état, en son temps et en son lieu, du fameux “tu es ma femme”. Eh bien, il est tout à fait clair qu’il ne suffit pas que je le dise pour que je reste son homme. Mais enfin, cela suffirait-il, que ça ne résoudrait rien !

Je me fonde comme “son” quelque chose. C’est un vœu d’appartenance, qui est gros d’un pacte, au minimum d’un pacte de préférence. Ça ne situe absolument rien ni de l’homme ni de la femme. Tout au plus peut-on dire que ce sont deux termes opposés et qu’il est indispensable qu’il y en ait deux, mais ce qu’est chacun et aucun, est tout à fait exclu du fondement dans la parole, quant à ce qui est de l’union. Matrimoniale, si vous voulez, ou de tout autre. Qu’une certaine dimension la porte jusqu’à la dimension de sacrement ne change absolument rien. Absolument rien à ce dont il s’agit, c’est, à savoir : de l’être de l’homme ou de la femme.

Ça laisse en particulier si complètement à côté la catégorie de la féminité ; puisque j’ai pris l’exemple du “tu es ma femme”… et qu’il n’est jamais mauvais de rapporter cet exemple qui est celui du maître même de la psychanalyse, dont on peut dire que pour lui ce pacte a été extraordinairement prévalant la chose a frappé tous ceux qui l’ont approché ; uxorious comme on dit en anglais, uxorieux, ainsi le qualifie Jones, après tant d’autres — mais dont après tout ce n’est pas un mystère non plus que sa pensée a buté jusqu’à la fin sur le thème :”Que veut une femme ?”. Ce qui revient à dire : qu’est-ce qu’être une femme ?

Il faut vous ajouter que, depuis, 67 ans de… surgery (1) psychanalytique n’ont pas fait que nous en

(1) “purgerie” ?

sachions plus sur ce qu’il en est de la jouissance féminine ; quoique de la femme ou de la mère – on ne sait pas trop comment on s’exprime — nous parlions sans arrêt. C’est quand même quelque chose qui vaut qu’on le relève.

C’est pourquoi il est important de s’apercevoir… et ce schéma heuristique que je vous ai donné sous la forme de ces trois lignes : du petit a, du Un qui suit (du Un percé) et de l’Autre –   nous rappelle simplement ceci, qui est la monnaie de ce que nous articulons à cours de journée., à savoir que l’acte sexuel implique un élément tiers à tous les niveaux. Savoir, par exemple ce qu’on appelle la mère — la mère dans l’Œdipe sur laquelle sont accrochés tous les ravalements de la vie amoureuse — en tout cas interdit qui reste toujours présent dans le désir de ce fait ou encore le phallus en tant qu’il doit manquer à celui qui l’a — c’est-à-dire à l’homme, en tant que le complexe de castration veut dire quelque chose, quelque chose qui n’est pas du tout encore mis au jour, puisqu’il implique que nous inventions à son propos la portée d’une négation spéciale ; car enfin, : s’il ne l’a pas, dans le registre et pour autant que l’acte sexuel peut exister, ça n’est pas dire pour autant non plus qu’il le perde ! (le sujet de cette négation, j’espère, pourra être abordé avant la fin de cette année)- que ce phallus, d’autre part, devient l’être du partenaire qui ne l’a pas.

C’est ici que nous trouvons sans doute la raison pourquoi Aristote — comme je l’ai rappelé la dernière fois — si soumis à la grammaire, paraît-il — nous dit-on — qu’il fût, à développer l’éventail, la liste, le catalogue des Catégories — curieusement, après avoir tout dit (la qualité, la quantité, le poté, le poù, le Tó ti, et tout… tout ce qui suit dans la baraque), n’a absolument pas soufflé… Encore que la langue grecque — comme la nôtre — soit absolument soumise à ce que Pichon appelle la “sexuisemblance”, à savoir qu’il y a le fauteuil et qu’il y a la photo (comme d’ailleurs… tenez… en passant… amusez-vous à renverser l’orthographe : ça vous instruira beaucoup sur une dimension tout à fait dissimulée de la relation analytique le photeuil (p, h, o) et la auto (f, a, u), c’est très amusant !) … Enfin, quoi qu’il en soit, Aristote n’a jamais songé à soutenir à propos d’aucun étant, ce qui tout de même s’imposait tout autant de son temps que du nôtre, de savoir s’il y avait une catégorie du sexe.

De deux choses l’une : ou il n’était pas, autant qu’on le dit, guidé par la grammaire, ou bien il y a à cela, alors, à cette omission, quelque raison. Elle est probablement liée à ceci : quand j’ai parlé, tout à l’heure, d’être masculin ou d’être féminin, il y avait là un emploi fautif ; à savoir que, peut-être, l’être est-il — comme s’exprime encore Pichon — “insexuable” ; que le to ti, la quiddité du sexe, est peut-être manquante ; qu’il n’y a peut-être que le phallus. Cela expliquerait en tout cas bien des choses. En particulier cette lutte sauvage qui s’établit autour et qui nous donne assurément la raison visible, sinon dernière, de ce qu’on appelle “la lutte des sexes”! Seulement, je crois aussi, là encore, que la lutte des sexes est quelque chose auquel, d’ailleurs, l’Histoire démontre que ce sont les psychanalystes les plus superficiels qui se sont arrêtés. Néanmoins, il reste qu’une certaine alétheia -à prendre dans le sens, avec l’accent, de Verborgenheit que lui donne Heidegger- est peut-être, à proprement parler, à instaurer quant à ce dont il s’agit concernant l’acte sexuel.

C’est ceci qui justifie l’emploi, par moi, de ce schème, qui, je le souligne en passant, pour ne pas faire de confusion avec d’autres choses que j’ai dites dans d’autres circonstances et nommément concernant la structure et la fonction de la coupure — dont je vous ai dit parfois que, telle que je la symbolise quand je la fais jouer sur ce qu’on appelle “le plan projectif”, je prétends non pas faire une métaphore, mais, à proprement parler, parler du support réel de ce dont il s’agit. Il n’en est bien entendu pas de même dans ce très simple petit schème : de ce Un, que j’ai fait la dernière fois, pointillé et perforé, de cet Autre et de ce petit a.

C’est cette triplicité très simple, autour de laquelle peut et doit se développer un certain nombre de points que nous avons à mettre en relief à ce propos, concernant ce qu’il en est, de ce qui rapporte au sexe ; tout ce qui est du symptôme et dont, cette année, j’entends poser — certes d’une façon répétée et je ne saurais trop répéter les choses quand il s’agit de catégories nouvelles — répéter ce qui va nous servir de base :

Le Un (pour commencer par le milieu) est le plus litigieux. Le Un concerne cette prétendue union sexuelle, c’est-à-dire le champ où i est mis en question de savoir.

Si peut se produire l’acte de partition que nécessiterait la répartition des fonctions définies comme mâle et femelle. Nous avons dit déjà, avec la métaphore du chaudron, que j’ai rappelée la dernière fois, qu’il y a en tout cas ici, provisoirement, quelque chose que nous ne pouvons désigner que de la présence d’un gap, d’un trou si vous voulez. Il y a quelque chose qui ne colle pas, qui ne va pas de soi et qui est précisément ce que je rappelais tout à l’heure de l’abîme qui sépare toute promotion, toute proclamation, de la bipolarité mâle et femelle, de tout ce que nous donne l’expérience concernant l’acte qui la fonde.

Je veux ici pour aujourd’hui, dans le temps qui m’est imparti, souligner, que c’est de là, de ce champ Un, de ce Un fictif — de ce Un auquel se cramponne toute une théorie analytique dont vous m’avez entendu les dernières fois, à maintes reprises, dénoncer la fallace — il importe de poser que c’est de là, de ce champ désigné Un, numéroté Un, non assumé comme unifiant – au moins jusqu’à ce que nous en ayons fait la preuve — que c’est ce là que parte toute vérité ; en tant que pour nous, analystes, (et pour bien d’autres, avant même que nous soyons apparus — quoique pas bien longtemps — pour une pensée qui date de ce que nous pouvons appeler de son nom après tout : le tournant marxiste) : LA VÉRITÉ N’A PAS D’AUTRE FORME QUE LE SYMPTÔME.

La (?) symptôme, c’est-à-dire : la signifiance des discordances entre le réel et ce pour quoi il se donne. L’idéologie, si vous voulez. Mais là une condition : c’est que, pour ce terme, vous alliez jusqu’à y inclure la perception elle-même.

La perception, c’est le modèle de l’idéologie. Puisque c’est un crible par rapport à la réalité. Et d’ailleurs, pourquoi s’en étonner ? Puisque tout ce qui existe d’idéologies, depuis que le monde est plein de philosophes, ne s’est après tout jamais construit que sur une réflexion première, qui portait sur la perception.

J’y reviens : ce que Freud appelle “le fleuve de boue”, concernant le plus vaste champ de la connaissance ; toute cette part de la connaissance absolument inondante dont nous émergeons à peine, pour l’épingler du terme de connaissance mystique : à la base de tout ce qui s’est manifesté au monde, de cet ordre, il, n’y a QUE l’acte sexuel. Envers de ma formule : il n’y a pas d’acte sexuel.

La position freudienne, il est tout à fait superflu de prétendre s’y rapporter en quoi que ce soit, si ce n’est pas prendre à la lettre ceci : à la base de tout ce qu’a apporté, jusqu’à présent, mon Dieu, de satisfaction, la connaissance… (je dis : la connaissance, je l’ai épinglée mystique pour la distinguer de ce qui est né de nos jours sous la forme de           la science)… de tout ce qui est de la connaissance, il n’y a, à son principe, que l’acte sexuel.

Lire, dans Freud, qu’il y a, dans le psychisme, des fonctions désexualisées, ça veut dire — dans Freud — qu’il faut chercher le sexe à leur origine. Ça ne veut pas dire qu’il y a ce qu’on appelle en tels lieux, pour des besoins politiques, la fameuse “sphère non conflictuelle”, par exemple : un moi plus ou moins fort, plus ou moins autonome, qui pourrait avoir une appréhension plus ou moins aseptique de la réalité.

Dire qu’il y a des rapports à la vérité (je dis la vérité) que l’acte sexuel n’intéresse pas, ceci est proprement ce qui n’est pas vrai. Il n’y en a pas.

Je m’excuse de ces formules, à propos desquelles je suggère que leur tranchant peut être un peu trop vivement ressenti. Mais je me suis fait à moi-même cette observation : d’abord que tout ça est impliqué dans tout ce que j’ai énoncé jamais, pour autant que je sais ce que je dis ; mais aussi cette remarque : que le fait que je sache ce que je dis, ça ne suffit pas ! Ça ne suffit pas pour que vous l’y reconnaissiez. Parce que, dans le fond, la seule sanction de ce que je sais ce que je dis, c’est ce que je ne dis pas ! Ce n’est pas mon sort propre ; c’est le sort de tous ceux qui savent ce qu’ils disent.

C’est ça qui rend la communication très difficile. Ou bien ; on sait ce qu’on dit et on le dit. Mais, dans bien des cas, il faut considérer que c’est inutile, parce que personne ne remarque que le nerf de ce que vous avez à faire entendre, c’est justement ce que vous ne dites jamais. C’est ce que les autres disent et qui continue à faire son bruit et, plus encore, qui entraîne des effets. C’est ce qui nous force, de temps en temps, et même plus souvent qu’à notre tour, à nous employer au balayage. Une fois qu’on s’est engagé dans cette voie, on n’a aucune raison de finir. Il y a eu, autrefois, un nommé Hercule, qui a, paraît-il, achevé son travail dans les écuries d’un nommé Augias. C’est le seul cas que je connaisse de nettoyage des écuries, au moins quand il s’agit d’un certain domaine !

Il n’y a qu’un seul domaine, semble-t-il — et je n’en suis pas sûr – qui n’ait pas de rapport avec l’acte sexuel en tant qu’il intéresse la vérité : c’est la mathématique, au point où elle conflue avec la logique. Mais je crois que c’est ce qui a permis à Russel de dire qu’on ne sait jamais si ce qu’on y avance est vrai. Je ne dis pas ! Vraiment vrai ! Vrai, tout simplement.

En fait, c’est vrai, à partir d’une position définitionnelle de la vérité : si tel et tel et tels axiomes sont vrais, alors un système se développe, dont il y a à juger s’il est ou non consistant.

Quel est le rapport de ceci avec ce que je viens de dire, à savoir avec la vérité, pour autant qu’elle nécessiterait la présence, la mise en question comme telle de l’acte sexuel ?

Eh bien, même après avoir dit ça, je ne suis pas sûr, même, que ce merveilleux, ce sublime déploiement moderne de la Mathématique logique, ou de la Logique mathématique, soit tout à fait sans rapport avec le suspens de s’il y a ou non un acte sexuel.

Il me suffirait d’entendre le gémissement d’un Cantor. Car c’est sous la forme d’un gémissement qu’à un moment donné de sa vie il énonce qu’on ne sait pas que la grande difficulté, le grand risque de la mathématique, c’est d’être le lieu de la liberté. On sait que Cantor l’a payée très cher, cette liberté !

De sorte que la formule que le vrai concerne le réel, en tant que nous y sommes engagés par l’acte sexuel, par cet acte sexuel dont j’avance, d’abord, qu’on n’est pas sûr qu’il existe — quoiqu’il n’y ait que lui qui intéresse la vérité — me paraîtrait la formule la plus juste, au point où nous en arrivons.

Donc, le symptôme, tout symptôme, c’est en ce lieu de l’Un troué qu’il se noue. Et c’est en cela qui comporte toujours, quelque étonnant que cela nous paraisse, sa face de satisfaction. Je dis : au symptôme.

La vérité sexuelle est exigeante et il vaut mieux y satisfaire un peu plus que pas assez.

Du point de vue de la satisfaction, un symptôme, à ce titre, nous pouvons concevoir qu’il soit plus satisfaisant que la lecture d’un roman policier.

Il y a plus de rapport entre un symptôme et l’acte sexuel qu’entre la vérité et le “je ne pense pas”, fondamental, dont je vous ai rappelé au début de ces réflexions, que l’homme y aliène son “je ne suis pas”, trop peu supportable. Par rapport à quoi, notre alibi de l”‘être rejeté” de tout à l’heure, encore que pas tellement agréable en soi-même, peut nous paraître plus supportable.

Alors ? Fini pour l’instant avec l’Un. Il fallait que ceci je l’indique. Passons à l’Autre, comme au lieu où prend place le signifiant. Parce que je ne vous ai pas dit jusqu’ici il était là le signifiant, parce que le signifiant n’existe que comme répétition. Parce que c’est lui qui fait venir la chose dont il s’agit comme vraie.

À l’origine, on ne sait pas d’où il sort. Il n’est rien,- vous ai-je dit la dernière fois que ce trait qui est aussi coupure, à partir duquel la vérité peut naître.

L’Autre, c’est le réservoir de matériel, pour l’acte. Le matériel s’accumule, très probablement, du fait que l’acte est impossible.

Quand je dis ça, je ne dis pas qu’il n’existe pas. Ça ne suffit pas pour le dire. Puisque l’impossible c’est le réel, tout simplement. Le réel pur. La définition du possible exigeant toujours une première symbolisation.

Si vous excluez cette symbolisation, vous apparaîtra beaucoup plus naturelle cette formule : l’impossible c’est le réel.

Il est un fait qu’on n’a pas prouvé, de l’acte sexuel, la possibilité, dans aucun système formel. Vous voyez j’insiste, hein ? J’y reviens !

Qu’est-ce que ça prouve, qu’on ne puisse pas le prouver ? Maintenant que nous savons très bien que non-computabilité, non-décidabilité même, n’impliquent pas du tout irrationalité ; qu’on définit, qu’on cerne parfaitement bien, qu’on écrit des volumes entiers sur ce domaine du statut de la non-décidabilité et qu’on peut parfaitement la définir logiquement.

En ce point, alors, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est que cet Autre, le grand, là, avec un grand A ? Quelle est sa substance hein ?

Je me suis laissé dire — car, à la vérité, quoiqu’à la vérité il faut croire que je m’en laisse de moins en moins dire, puisqu’on ne l’entend plus… Enfin, que je ne l’entends plus : ça ne vient plus à mes oreilles. Je me suis laissé dire, pendant un temps, que je camouflais, sous ce lieu de l’Autre, ce qu’on appelle agréablement et après tout pourquoi pas, l’esprit. L’ennuyeux, c’est que c’est faux.

L’Autre, à la fin des fins et si vous ne l’avez pas encore deviné, l’Autre, là, tel qu’il est là écrit, c’est le corps !

Pourquoi appellerait-on quelque chose comme un volume ou un objet, en tant que soumis aux lois du mouvement, en général, comme ça, un corps ? Pourquoi parlerait-on de la chute des corps ? Quelle curieuse extension du mot “corps”! Quel rapport entre une petite balle qui tombe de la tour de Pise au corps qui est le nôtre, si ce n’est qu’à partir de ceci, que c’est d’abord le corps, notre présence de corps animal, qui est le premier lieu où mettre des inscriptions, le premier signifiant, comme tout est a pour nous le suggérer dans notre expérience ; à ceci près, bien sûr, que nous passionnons toujours les choses : quand on parle de la blessure, on ajoute narcissique et on pense tout de suite que ça doit bien embêter le sujet, qui naturellement est un idiot ! Il ne vient pas à l’idée que l’intérêt de la blessure, c’est la cicatrice.

La lecture de la Bible pourrait être là pour nous rappeler, avec les roseaux mis au fond du ruisseau où vont paître les troupeaux de Jacob, que les différents trucs pour imposer au corps la marque ne datent pas d’hier et sont tout à fait radicaux ; que si on ne part pas de l’idée que le symptôme hystérique, sous sa forme la plus simple, celui de la ragade (1) n’a pas à être considéré comme un mystère, mais

 

(1) cf. l’anglais : to rag, déchirer ; le français : raquer.

 

comme le principe même de toute possibilité signifiante. Il n’y a pas à se casser la tête : que le corps est fait pour inscrire quelque chose qu’on appelle la marque, ça éviterait à tous bien des soucis et le ressassement de bien des sottises. Le corps est fait pour être marqué. On l’a toujours fait. Et le premier commencement du geste d’amour, c’est toujours, un tout petit peu, ébaucher plus ou moins ce geste.

Voilà. Ceci dit, quel est le premier effet, l’effet le plus radical de cette irruption de l’Un en tant qu’il représente l’acte sexuel, au niveau du corps ?

Eh bien, c’est ce qui fait quand même notre avantage sur un certain nombre de spéculations dialoguées sur les rapports de l’Un et du multiple : Nous, nous savons que ça n’est pas du tout si dialectique que ça : quand cet Un fait irruption au champ de l’Autre, c’est-à-dire au niveau du corps : le corps tombe en morceaux.

Le corps morcelé : voilà ce que notre expérience nous démontre exister aux origines subjectives. L’enfant rêve de dépeçage Il rompt la belle unité de l’empire du corps maternel. Et ce qu’il ressent comme menace, c’est d’être, par elle, déchiré.

Il ne suffit pas de découvrir ces choses et de les expliquer par une petite mécanique, un petit jeu de balle l’agression se reflète, se réfléchit, revient, repart !….

Qu’est-ce qui a commencé ? Avant cela, il pourrait bien être utile de mettre en suspens sa fonction, à ce corps morcelé. C’est-à-dire le seul biais par où il nous a intéressés en fait, à savoir sa relation, à ce qu’il peut en être de la vérité, en tant qu’elle-même est suspendue à l’alétheia et à la Verborgenheit, au caractère recelé de l’acte sexuel.

À partir de là, bien sûr, la notion de l’Éros, sous la forme que j’ai récemment raillée d’être la force qui unirait d’un attrait irrésistible, toutes les cellules et les organes que rassemble notre sac de peau : conception pour le moins mystique, car ils ne font pas la moindre résistance à ce qu’on les en extraie et le reste ne s’en porte pas plus mal ! C’est évidemment une fantaisie compensatrice des terreurs liées à ce fantasme orphique que je viens de vous décrire.

D’ailleurs, ce n’est pas du tout explicatif. Parce qu’il ne suffit pas que la terreur existe pour qu’elle explique quoi que ce soit. C’est plutôt elle qu’il faudrait expliquer. C’est pourquoi il vaut mieux se diriger dans la voie de ce que j’appelle “système consistant”, logique, car en effet, il faut que nous en arrivions maintenant à ceci POURQUOI Y A-T-IL CET AUTRE (avec un grand A) ?

Qu’est-ce que c’est que la position de cet étrange double, que prend — remarquez-le — le simple ? Car l’Autre (avec un grand A), lui, n’est pas deux.

Cette position, donc, de double ; que prend le simple, quand il s’agit d’expliquer ce curieux Un, qui, lui, se noue dans la bête à deux dos, autrement dit dans l’étreinte de deux corps. Car c’est de cela qu’il s’agit. Ce n’est pas de ce drôle d’Un, qu’il est, lui, l’Autre, encore plus drôle. Il n’y a entre eux — je veux dire : ce champ de l’Un, ce champ de l’Autre – aucun lien. Mais tout le contraire. C’est même pour cela que l’Autre c’est aussi l’inconscient. C’est-à-dire le symptôme sans son sens, privé de sa vérité, mais par contre chargé toujours plus de ce qu’il contient de savoir. Ce qui les coupe l’Un de l’Autre, c’est très précisément cela qui constitue le sujet.

Il n’y a pas de sujet de la vérité, sinon de l’acte en général, de l’acte qui peut-être ne peut pas exister en tant qu’acte sexuel. Ceci est très spécifiquement cartésien le sujet ne sait rien de lui, sinon qu’il doute. Le doute… le doute, comme dit le jaloux qui vient de voir par le trou de la serrure un arrière-train en position d’affrontement avec des jambes qu’il connaît bien : Il se demande si ce n’est pas Dieu et son âme !…. Le fondement du sujet de Descartes, son incompatibilité avec l’étendue n’est pas          raison suffisante à identifier à l’étendue, le corps ; mais son exis… son exclusion de sujet est par contre, par là, fondée. Et à le prendre par le biais que je vous présente, la question de son intime union avec le corps — je parle du sujet, non pas de l’âme — n’en est plus une.

Il suffit de réfléchir à ceci : qu’il n’y a (attention, hein, ceux qui ne sont pas habitués !) quant au signifiant, c’est-à-dire à la structure, aucun autre support -d’une surface par exemple — que le trou qu’elle constitue par son bord. Il n’y a que cela qui la définit. Élevez les choses d’un degré, prenez les choses au niveau du volume : il n’y a d’autre support du corps que le tranchant qui préside à son découpage.

Ce sont là des vérités topologiques, dont je ne trancherai pas ici si elles ont rapport ou non avec l’acte sexuel, mais toute élaboration possible de ce qu’on appelle une algèbre de bords, exige ceci — qui nous donne l’image de ce qu’il en est du sujet, à ce joint entre ce que nous avons défini comme l’Un et l’Autre – : le sujet, est toujours d’un degré structural au-dessous de ce qui fait son corps.

C’est ce qui explique aussi que, d’aucune façon, sa passivité, à savoir ce fait par quoi il dépend d’une marque du corps, ne saurait être d’aucune façon compensée par aucune activité, fût-elle son affirmation en acte. Alors, de quoi l’Autre est-il l’Autre ?

J’en suis bien chagrin : le temps, une certaine démesure, peut-être aussi un certain usage, paradoxal, de la coupure – mais dans ce cas-là prenez-le pour intentionnel — fera que je vous laisserai ici, aujourd’hui, avec le terme de l’heure. L’Autre n’est l’Autre que de ceci qui est le premier temps de mes trois lignes : à savoir ce petit a. C’est de là que je suis parti lors de nos derniers entretiens, pour vous dire que sa nature est celle de l’incommensurable, ou plutôt, que c’est de son incommensurable que surgit toute question de mesure.

C’est sur ce petit a, objet ou non, que nous reprendrons notre entretien de la prochaine fois.

Print Friendly, PDF & Email