samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIV La logique du fantasme 1966 – 1967 Leçon du 19 Avril 1967

Leçon du 19 Avril 1967

 

Je vous ai apporté un certain nombre d’énoncés, la dernière fois. J’en ai formulé de tels que par exemple : il n’y a pas d’acte sexuel. Je pense que la nouvelle en court à travers la ville… (rires). Mais enfin, je ne l’ai pas donnée comme une vérité absolue… ; j’ai dit que c’est ce qui était à proprement parler articulé dans le discours de l’inconscient.

Ceci dit, j’ai encadré cette formule et quelques autres dans une sorte de rappel, je dois dire assez dense, de ce qui en donne le sens et les prémisses aussi bien. Ce cours était une sorte d’étape marquée de points de rassemblement, qui pourra peut-être servir au titre d’introduction écrite à quelque chose, donc, que je poursuis ; que je veux poursuivre aujourd’hui, je dirais sous une forme peut-être plus accessible, en tout cas conçue… comme une… marche facile, une première façon de débrouiller les articulations dans lesquelles je vais m’avancer, qui sont toujours celles que j’ai présentifiées pour vous depuis deux ou trois de mes cours ; à savoir : cette articulation tierce entre le petit a, une valeur Un (qui n’est là que pour donner son sens à la valeur petit a, étant donné que celle-ci est un nombre, à proprement parler le Nombre d’or) et une deuxième valeur Un.

Bien sûr, je pourrais, une fois de plus, les réarticuler d’une façon que je pourrais dire être apodictique, en montrer la nécessité. Je procéderai autrement ; pensant plutôt commencer par exemplifier l’usage que je vais en faire, quitte à reprendre les choses par la suite de la façon nécessitée, dont je vais donc m’écarter ; je vais le faire sous un mode qu’on peut appeler éristique.

Ceci, donc, en pensant à ceux qui ne savent pas de quoi il s’agit. Il s’agit de psychanalyse. Il n’est pas nécessaire de savoir ce dont il s’agit dans la psychanalyse pour tirer profit de mon discours. Encore faut-il, ce discours, l’avoir un certain temps pratiqué. Je dois supposer que ce n’est pas là le cas pour tout le monde, spécialement parmi ceux qui ne sont pas psychanalystes.

Si j’ai ce souci de ceux qu’il convient d’introduire à ce que j’ai appelé mon discours, ce n’est bien entendu pas sans penser aux psychanalystes ; mais c’est aussi que, jusqu’à un certain point, il m’est nécessaire de m’adresser à ceux que je viens d’abord de définir — et que je me suis trouvé un jour épingler comme étant “le nombre” — il m’est nécessaire de m’adresser à eux pour que mon discours revienne en quelque sorte, d’un point de réflexion, aux oreilles des psychanalystes.

Il est en effet frappant — et interne à ce dont il s’agit — que le psychanalyste n’entre pas de plein vol dans ce discours ; précisément dans la mesure où ce discours intéresse sa pratique et qu’il est démontrable — la suite même de mon discours et de mon discours aujourd’hui, mettra le point sur ce pourquoi il est concevable — que le psychanalyste trouve dans son statut même — j’entends dans ce qui l’institue comme psychanalyste — ce quelque chose qui fasse résistance spécialement au point que j’ai introduit, inauguré dans mon dernier discours.

Pour dire le mot : l’introduction de la valeur de jouissance fait question, à la racine même d’un discours — de tout discours — qui puisse s’intituler discours de la vérité. Au moins pour autant — comprenez-moi — que ce discours entrerait en compétition avec le discours de l’inconscient, si ce discours de l’inconscient est bien, comme je vous l’ai dit la dernière fois, réellement articulé par cette valeur de jouissance.

Il est très singulier de voir comment le psychanalyste a toujours une petite retouche à faire à ce discours compétitif. C’est juste là où son énoncé éventuel est bien dans le vrai, qu’il trouve toujours à reprendre. Et il suffit d’avoir un peu d’expérience pour savoir que cette contestation est toujours strictement corrélative — quand on peut la mesurer — à cette sorte de gloutonnerie qui est liée, en quelque sorte, à l’institution psychanalytique et qui est celle constituée par l’idée de se faire reconnaître sur le plan du savoir.

La valeur de jouissance, ai-je dit, est au principe de l’économie de l’inconscient.

L’inconscient, ai-je dit encore — en soulignant l’article du — : parle du sexe. Non pas : parle sexe, mais : parle du sexe.

Ce que l’inconscient nous désigne sont les voies d’un savoir. Il ne faut pas, pour les suivre, vouloir savoir avant d’avoir cheminé.

L’inconscient parle du sexe. Peut-on dire qu’il dit le sexe ? Autrement dit : dit-il la vérité ? Dire qu’il parte est quelque chose qui laisse en suspens ce qu’il dit. On peut parler pour ne rien dire ; c’est même courant. Ce n’est pas le cas de l’inconscient.

On peut dire des choses sans parler. Ce n’est pas le cas de l’inconscient non plus. C’est même le relief — bien entendu inaperçu — comme beaucoup d’autres traits, qui dépendent de ce que j’ai articulé en ce point de départ : que l’inconscient “ça parle”. Si on avait un petit peu d’oreille, on en déduirait que c’est obligé de parler, pour dire quelque chose !

Je n’ai encore jamais vu que personne ne l’ait dégagé ; quoique dans mon discours de Rome c’est dit au moins sous une dizaine de fores ; dont une m’a été récemment représentée au cours d’entretiens avec des jeunes fort sympathiques, très accrochés par une partie au moins de mon discours, à propos de la fameuse formule, qui a eu fortune d’autant plus, bien sûr, que c’est une formule — méfiance, toujours… à vouloir ramasser tout dans une formule — quand j’ai dit que l’analysé vous parle à vous analyste, puis parle de lui et quand il parlera de lui à vous… tout ira bien.

Les formules qui ont, comme celle-là, le bonheur d’être recueillies, doivent être replacées dans leur contexte, faute d’engendrer des confusions…

Est-ce que l’inconscient, donc, dit la vérité sur le sexe ? Je n’ai pas dit ceci, dont Freud, souvenez-vous, a déjà soulevé la question. Ceci, bien sûr, convient-il d’être précisé : c’était à propos d’un rêve, du rêve d’une de ses patientes, manifestement fait — ce rêve — pour le mener en bateau, lui, Freud ; lui faire prendre des vessies pour des lanternes. La génération des disciples d’alors était assez fraîche pour qu’il fallût lui expliquer cela comme un scandale. À la vérité, on s’en tire aisément : le rêve est la voie royale de l’inconscient ! Mais il n’est pas, en lui-même, l’inconscient.

Poser la question au niveau de l’inconscient est une autre paire de manches… que j’ai déjà retournées — je veux dire : les dites manches — comme je le fais, toujours très vite, et ne laissant pas place à l’ambiguïté, quand — dans mon texte qui s’appelle la chose freudienne, écrit en 1956 pour le Centenaire de Freud — j’ai fait surgir cette entité qui dit “Moi, la vérité, je parle”.

La vérité parle. Puisqu’elle est la vérité, elle n’a pas besoin de dire la vérité.

Nous entendons la vérité et ce qu’elle dit ne s’entend que pour qui sait l’articuler, ce qu’elle dit. Ce qu’elle dit où ? — Dans le symptôme, c’est-à-dire dans quelque chose qui cloche. Tel est le. rapport de l’inconscient, en tant qu’il parle, avec la vérité.

Il n’en reste pas moins qu’il y a une question que j’ai ouverte, l’année dernière, à mon premier cours, paru… (quand je dis : “l’année dernière” — je ne dis pas octobre, novembre dernier — l’octobre, le novembre d’avant)… celui qui a été publié dans les Cahiers pour la psychanalyse, sous le titre de la Vérité et la Science. La question y reste ouverte de savoir pourquoi — énoncé de Lénine qui introduit ce cahier — pourquoi “la théorie vaincra parce qu’elle est vraie” ?

Ce que j’ai dit tout à l’heure du psychanalyste, par exemple, ne donne pas tout de suite à cet énoncé une sanction qui convainque.

Marx lui-même là-dessus — comme tant d’autres — laisse passer quelque chose qui ne manque mas de faire énigme. Comme bien d’autres avant lui, en effet, à commencer par Descartes, il procédait, quant à la vérité, selon une singulière stratégie, qu’il énonce quelque part dans ces mots piquants : “L’avantage de ma dialectique est que je dis les choses peu à peu et, comme ils croient (au pluriel : ils) que je suis au bout, se hâtant de me réfuter, ils ne font qu’étaler leur ânerie”. Il peut paraître singulier que quelqu’un dont procède cette idée “que la théorie vaincra parce qu’elle est vraie”, s’exprime ainsi.

Politique de la vérité et, pour tout dire : son complément, dans l’idée qu’en somme seul ce que j’ai appelé tout à l’heure “le nombre” — à savoir ce qui est réduit à n’être que le nombre, à savoir que ce qu’on appelle dans le contexte marxiste “la conscience de classe”, en tant qu’elle est la classe du nombre — ne saurait se tromper !…. Singulier principe pourtant sur lequel tous ceux qui méritent d’avoir poursuivi dans sa foi (1) la vérité marxiste, n’ont jamais varié.

 

(1) Peut-être : voie.

 

Pourquoi la conscience de classe serait-elle aussi sûre dans son orientation — j’entends : alors même qu’elle ne sait rien ou sait fort peu, de la théorie — quand la conscience de classe fonctionne, à entendre les théoriciens, même au niveau non éduqué, si proprement elle est réduite à ceux qui appartiennent au niveau défini dans l’occasion par le terme de « la classe exclue des profits capitalistes » ?

Peut-être la question concernant la force de la vérité est-elle à chercher dans ce champ où nous sommes introduits, qui est celui — métaphorique — que nous pouvons — je le répète : par métaphore — appeler le marché de la vérité ; si, comme de la dernière fois, vous pouvez l’entrevoir, le ressort de ce marché est la valeur de jouissance.

Quelque chose s’échange en effet, qui n’est pas la vérité en elle-même. Autrement dit, le lien de qui parle à la vérité n’est pas le même selon le point où il soutient sa jouissance.

C’est bien toute la difficulté de la position du psychanalyste : qu’est-ce qu’il fait ? de quoi jouit-il à la place qu’il occupe ? C’est l’horizon de la question, que je n’ai fait encore qu’introduire, la marquant dans son point de fêlure, sous le terme du désir du psychanalyste.

La vérité, donc, dans cet échange qui se transmet par une parole, dont l’horizon nous est donné par l’expérience analytique, n’est pas en elle-même l’objet d’échange. Comme il se voit dans la pratique : ceux des psychanalystes qui sont là en témoignent par leur pratique ; bien sûr ils ne sont pas là pour rien, ils sont là pour ce qui, de la vérité, peut tomber de cette table, voire ce qu’ils pourront en faire en truquant un petit peu.

Telle est la nécessité où les oblige le fait d’un statut entravé concernant la valeur de jouissance attachée à leur position de psychanalystes. J’en ai eu — je peux dire — confirmation, je l’aurai — assurément — renouvelée. Je vais prendre un exemple

Quelqu’un qui n’est pas psychanalyste, M. Deleuze pour le nommer, présente un livre de Sacher Masoch : Présentation de Sacher Masoch. Il écrit sur le masochisme incontestablement le meilleur texte qui ait jamais été écrit ! J’entends : le meilleur texte, comparé à tout ce qui a été écrit sur ce thème dans la psychanalyse. Bien sûr a-t-il lu ces textes ; il n’invente pas son sujet. Il part d’abord de Sacher Masoch… qui a tout de même son petit mot à dire quand il s’agit du masochisme. Je sais bien qu’on a un petit peu tranché sur son nom, que maintenant on dit. “maso”, (rires). Mais qu’enfin, il dépend de nous de marquer la différence qu’il y a entre “maso” et “masochiste”, même “masochien” ou “masoch” tout court Quoi qu’il en soit, ce texte, sur lequel nous reviendrons sûrement, car, littéralement, je puis dire… (comme un sujet sur lequel je ne suis pas resté muet, puisque j’ai écrit Kant avec Sade, mais où il n’y a littéralement vraiment qu’un aperçu, nommément sur ceci, que le sadisme et le masochisme sont deux voies strictement distinctes, même si bien sûr, on doit, toutes les deux, les repérer dans la structure, que tout sadiste n’est pas automatiquement “maso”, ni tout “maso” un sadiste qui s’ignore. Il ne s’agit pas d’un gant qu’on retourne. Bref, il se peut que M. Deleuze — j’en jurerai d’autant plus qu’il me cite abondamment — ait fait profit de ces textes)… Mais n’est-il pas frappant que ce texte vraiment anticipe sur tout ce que je vais avoir effectivement, maintenant, à en dire, dans la voie que nous avons ouverte cette année. Alors qu’il n’est pas un seul des textes analytiques qui ne soit entièrement, à reprendre et à refaire dans cette nouvelle perspective.

J’ai pris soin de me faire confirmer, par l’auteur que je cite, lui-même, qu’il n’a aucune expérience de la psychanalyse.

Tels sont les points — que je désire marquer ici, à leur date, parce qu’après tout, avec le temps, ils peuvent changer — les points qui prennent valeur exemplaire et méritent d’être retenus, ne serait-ce que pour exiger de moi que j’en rende pleinement compte, je veux dire dans le détail. Là-dessus, il me reste à entrer dans l’articulation de cette structure, dont le trait, très simple, qui est au tableau, donne la base et le fondement et dont déjà vous n’êtes pas sans avoir, de ma bouche, quelques éclaircissements sur la façon dont ça va servir.

Néanmoins, je répète, le petit a, ici, c’est ce que, déjà, à propos de l’objet ainsi designé, j’ai pu vous faire sentir comme étant en quelque sorte ce qu’on pourrait appeler “la monture” — la monture du sujet : métaphore qui implique que le sujet est le bijou et la monture – ce qui le supporte, ce qui le soutient — le cadre. Déjà, je le rappelle, pourtant, l’objet petit a„ nous l’avons défini et imagé comme ce qui fait chute dans la structure, au niveau de l’acte le plus fondamental de l’existence du sujet ; puisque c’est l’acte d’où le sujet ; comme tel, s’engendre, à savoir : la répétition. Le fait du signifiant, signifiant ce qu’il répète, voilà ce qui engendre le sujet et quelque chose en tombe.

Rappelez-vous comment la coupure de la double boucle, dans ce menu objet mental qui s’appelle le plan projectif, découpe ces deux éléments qui sont respectivement : — la bande de Moebius qui, pour nous, fait figure du support du sujet et : — la rondelle qui obligatoirement en reste, qui est inéliminable de la topologie du plan projectif.

Ici, cet objet petit a est supporté d’une référence numérique pour figurer ce qu’incommensurable, d’incommensurable à ce dont son fonctionnement de sujet, quand ce fonctionnement s’opère au niveau de l’inconscient, et qui n’est rien d’autre que le sexe, tout simplement.

Bien sûr, ce Nombre d’or n’est-il là que comme un support choisi d’avoir ceci de privilégié — qui nous le fait retenir, mais simplement comme fonction symbolique — d’avoir ceci de privilégié, que je vous ai déjà indiqué comme j’ai pu, faute de pouvoir vous en donner — ce serait vraiment nous entraîner — la théorie mathématique la plus moderne et la plus stricte, d’être si je puis dire l’incommensurable qui resserre le moins vite les intervalles dans lesquels il peut se localiser. Autrement dit : celui qui, pour parvenir à une certaine limite d’approximation, demande — de toutes les formes (elles sont multiples et je pense, presque infinies) de l’incommensurable — d’être celui qui demande le plus d’opérations.

Je vous rappelle, en ce point, ce dont il s’agit c’est à savoir que si le petit a est ici reporté sur le 1, permettant de marquer de a2 sa différence                (1-a)       d’avec le 1 ceci tenant à sa propriété propre de petit a : qu’il soit tel que l + a soit égal à 1, d’où il est facile de déduire que

1-a = a2, (faites   á une petite multiplication et vous le verrez tout de suite). Le a2, ensuite sera reporté sur ce a qui est ici dans le -1 (ici, par exemple…) et engendrera un a3, lequel a3 sera reporté sur le a2, pour qu’il sorte, au niveau de la différence, un a4, lequel sera reporté ainsi pour qu’il apparaisse ici un a5.

Vous voyez que, de chaque côté, s’étalent, l’une après l’autre, toutes les puissances paires de a d’un côté et les puissances impaires de l’autre. Les choses étant telles qu’à les continuer à l’infini, car il n’y aura jamais d’arrêt ni de terme à ces opérations, leur limite n’en sera pas moins : a, pour             la somme des puissances paires ; a2 — à savoir la première différence — pour la somme des puissances impaires.

C’est donc ici que viendra s’inscrire, à la fin de l’opération, ce qui, dans la première opération, était ici marqué comme la différence : ici,,  au a, le a va venir à la fin s’ajouter, réalisant dans sa somme, ici, le 1, constitué par la complémentation du a par ce a2.

Ce qui, ici s’est constitué par l’addition de tous les restes, étant égal au A premier, d’où nous sommes partis.

Je pense que le caractère suggestif de cette opération ne vous échappe pas ; d’autant plus qu’il y a beau temps — il y a au moins un mois ou un mois et demi — que je vous ai fait remarquer comment il pouvait supporter, faire image, pour l’opération de ce qui se réalise dans la voie de la pulsion sexuelle, sous le nom de sublimation.

Je n’y reviendrai pas aujourd’hui, car il faut que j’avance. Simplement, à l’indiquer ainsi, vous donner la visée de ce que nous allons avoir à faire en nous servant de ce support. Comme vous le verrez et comme déjà vous pouvez le pressentir, il ne saurait nous suffire. Tout nous indique, à la réussite même si “sublime”, c’est le cas de le dire, de ce qu’il nous présente, pour pressentir que si les choses en étaient ainsi : que la sublimation nous fasse atteindre à cet Un parfait, lui-même placé à l’horizon du sexe, il me semble que depuis le temps qu’on en parle, de cet Un, ça devrait se savoir… Il doit rester, entre les deux séries — celles des puissances paires et impaires du magique petit a — quelque chose comme une béance, un intervalle. Tout, en tout cas, dans l’expérience l’indique.

Néanmoins, il n’est pas mauvais de voir qu’avec le support le plus favorable à telles articulations traditionnelles, nous voyions pourtant déjà la nécessité d’une complexité qui est celle dont, en tout cas, nous devons partir. N’oublions pas que si le premier 1 — celui sur lequel je viens de projeter la succession des opérations — est là, il n’est là que pour figurer le problème à quoi, précisément, en tant que tel, le sujet a à être confronté, si ce sujet est le sujet qui s’articule  dans l’inconscient ; c’est à savoir : le sexe. Ce 1 du milieu — des trois éléments de mon petit mètre de poche — ce 1 du milieu, c’est le lieu de la sexualité.

Restons-en là ! Nous sommes à la porte !

La sexualité, hein ! C’est un genre, une moire, une flaque, une “marée noire” comme on dit depuis quelque temps. Mettez le doigt dedans, vous le portez au bout du nez : là, vous sentez de quoi il s’agit. Ça tient du sexe quand on dit “sexualité”. Pour que ce soit du sexe, il faudrait pouvoir articuler quelque chose d’un petit peu plus ferme.

Je ne sais pas, là, à quel point d’une bifurcation, où m’engager. Parce que c’est un point d’extrême litige. Est-ce qu’il faut qu’ici je vous donne tout de suite l’idée de ce que ça pourrait être – si ça marchait ! — la subjectivation du sexe ? Évidemment, vous pouvez y rêver ! Vous ne faites même que ça, parce que c’est ce qui fait le texte de vos rêves ! Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Qu’est-ce que ça pourrait être, si ça était ?…. si ça était et si on donne un sens à ce que je suis en train de développer devant vous : un signifiant, dans l’occasion ce qu’on appelle — et vous allez voir tout de suite comme on va être embarrassé ! — car si je dis “mâle” ou “femelle”, quand même, hein ?…. c’est bien animal,               ça ! alors, je veux bien “masculin” ou “féminin”… Là, s’avère tout de suite que Freud, le premier qui s’est avancé dans cette voie de l’inconscient, là-dessus est absolument sans ambages : il n’y a pas le moindre moyen… Je dis… (ce n’est pas que je dise à vous qui êtes là devant moi : “à quelle dose êtes-vous masculin et à quelle dose féminin ?”, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; il ne s’agit pas non plus de la biologie, ni de l’organe de Wolff et de Müller)… il est impossible de donner un sens, j’entends un sens analytique, aux termes masculin et féminin.

Si un signifiant, pourtant, est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant, ça devrait être là le terrain élu. Car vous voyez comme les choses seraient bien, seraient pures, si nous pouvions mettre quelque subjectivation — j’entends pure et valable — sous le terme mâle. Nous aurions ce qui convient. A savoir qu’un sujet se manifestant comme mâle serait représenté comme tel, j’entends comme sujet, auprès de quoi ? D’un signifiant désignant le terme femelle et dont il n’y aurait AUCUN BESOIN qu’il détermine le moindre sujet ! La réciproque étant vraie !

Je souligne que si nous interrogeons le sexe quant à sa subjectivation possible, nous ne faisons pas là preuve d’aucune exigence manifestement exorbitante d’intersubjectivité.

Il se pourrait que ça tienne comme ça. Ça serait même non seulement ce qui serait souhaitable, mais ce qui, tout à fait clairement — si vous interrogez ce que j’ai appelé tout à l’heure la conscience de classe, la classe de tous ceux qui croient que l’homme et la femme, ça existe — ça ne pourrait pas être autre chose que ça et comme ça, ça serait très bien, si c’était. Je veux dire que le principe de ce qu’on appelle comiquement — je dois dire que, là, le comique est irrésistible — “la relation sexuelle”,    si je pouvais faire… (dans une assemblée comme ça, qui me devient familière, une assemblée où je peux faire entendre, juste comme il convient, qu’il n’y a pas d’acte sexuel, ce qui veut dire : il n’y a pas d’acte à un certain niveau et justement c’est bien pour ça que nous avons à chercher comment il se constitue)… si je pouvais faire que le terme de “relation sexuelle” prenne dans chacune de vos têtes exactement la connotation bouffonne qu’elle mérite — cette locution — j’aurais gagné quelque chose !

Si la relation sexuelle existait, c’est cela qu’elle voudrait dire : que le sujet de chaque sexe peut toucher quelque chose dans l’autre, au niveau du signifiant. J’entends que ceci ne comporterait, chez l’autre, ni conscience, ni même inconscient ! Simplement : l’accord. Ce rapport du signifiant au signifiant, quand il se trouve, est assurément ce qui nous émerveille dans un certain nombre de petits points saisissants… des tropismes, chez l’animal. Nous en sommes loin, quand là ce qu’il s’agit de l’homme, et peut-être aussi bien, d’ailleurs, chez l’animal, où les choses ne se passent que par l’intermédiaire de certains repères de phanères, qui, certainement, doivent prêter à quelques ratés !

Quoi qu’il en soit, la vertu de ce que j’ai articulé ainsi n’est pas toute décevante. Je veux dire que ces signifiants, faits pour que l’un présente et représente à l’autre, à l’état pur, e sexe opposé ; mais ils existent au niveau cellulaire ! On appelle ça le chromosome sexuel !

Il serait surprenant que nous puissions un jour, avec quelque chance de certitude, établir que l’origine du langage — à savoir ce qui se passe avant qu’il engendre le J J, sujet — ait quelque rapport avec ces jeux de la matière qui nous livrent les aspects que nous trouvons dans la conjonction des cellules sexuelles. Nous n’en sommes pas là et nous avons autre chose à faire !…. Simplement, ne nous étonnons pas qu’à la distance où nous sommes, de ce niveau, où se manifesterait, en somme, quelque chose qui n’est pas du tout fait pour ne pas nous séduire — à ce niveau où ce pourrait désigner quelque chose que j’appellerai ” transcendance de la matière”…(croyez-moi : ce n’est pas moi qui ait inventé ça, c’est déjà apparu à quelques autres personnes).,. seulement, si je ne désigne ce point d’extrême, tout en soulignant expressément qu’il est tout à fait irrésolu, que le pont n’est pas fait, c’est simplement pour vous marquer que par contre, dans l’ordre de ce qu’on appelle plus ou moins proprement la pensée, on a pendant tout le cours des siècles — au moins de ceux qui nous sont connus — jamais rien fait d’autre que de parler comme si ce point était résolu ! Pendant des siècles, la connaissance, sous une forme plus ou moins masquée, plus ou moins figurée, plus ou moins en contrebande, n’a jamais fait que parodier ce qu’il en serait, si l’acte sexuel existait au point qui nous permit de définir ce qu’il en est, comme disent les Hindous, de Purusha et de Prâkriti, d’animus et d’anima et de toute la lyre !….

Ce qui est exigé de nous, c’est de faire un travail plus sérieux. Travail nécessité simplement par ceci : c’est qu’entre ce jeu des significations primordiales, telles qu’elles seraient inscriptibles en termes, je le souligne, impliquant quelque sujet, eh bien, nous en sommes séparés par toute l’épaisseur de quelque chose que vous appellerez comme vous voudrez : la chair, ou : le corps, à condition d’y inclure ce qu’y apporte de spécifique notre condition de mammifère, à savoir une condition tout à fait spécifiée et nullement nécessaire, comme l’abondance de tout un règne nous le prouve (je parle du règne animal) ; rien n’implique la forme que prend pour nous la subjectivation de la fonction sexuelle, rien n’implique que ce qui vient y jouer, à titre symbolique, y soit nécessairement lié. Il suffit de réfléchir à ce que ça peut être chez un insecte et aussi bien, d’ailleurs, les images qui peuvent en dépendre — ne nous privons-nous pas d’en user ?-pour faire apparaître, dans le fantasme, tel ou tel trait singulier de nos rapports au sexe.

Eh bien voilà, j’ai pris une des deux voies qui s’offraient à moi tout à l’heure. Je ne suis pas star que j’aie eu raison. Il faut maintenant que je reprenne l’autre ; l’autre et pour vous désigner pourquoi le Un vient ici à droite du a dans ce point (1) que j’ai désigné comme représentant ici localement, par un signifiant, le fait du sexe.

(1) ou. loin ?

Il y a là une surprenante convergence entre ce dont il s’agit vraiment — c’est-à-dire ce que je suis en train de vous dire– et ce que j’appellerais d’autre part le point majeur de l’abjection psychanalytique.

Je dois dire que vous devez uniquement à Jacques Alain Miller, qui a fait de mes Ecrits un index raisonné, de n’avoir pas eu (vu) l’index alphabétique, dont je m’étais, je dois dire, un tant soit peu mis à jubiler en l’imaginant commencer par le mot abjection. Il n’en a rien été, ce n’est pas une raison pour que ce mot ne prenne pas sa place.

L’Un que je mets là — par pure référence mathématique, je veux dire qu’il figure simplement ceci : que pour parler d’incommensurable il faut que j’aie une unité de mesure

et il n’y a pas d’unité de mesure qui ne soit mieux symbolisée que par le Un — le sujet sous la forme de son support le petit a se mesure, Se MESURE AU SEXE (entendez ça comme on dirait qu’il se mesure au boisseau ou à la pinte), c’est ça le Un ; l’unité sexe, rien de plus.

Eh bien, ce n’est pas rien que ce Un ; il s’agit de savoir jusqu’à quel point converge, comme je l’ai dit tout à l’heure, avec ce Un qui règne au fondement mental-même — jusqu’à ce jour — des psychanalystes, sous la forme de la vertu unitive, qui serait au principe de tout ce qu’ils déroulent de discours sur la sexualité : il ne suffit pas de la vanité de la formule que le sexe “unisse”, il faut encore que l’image primordiale leur en soit donnée par… la fusion dont bénéficierait le jouisseur de la “jouissade”: le petit baby, dans le sein de sa mère (où nul jusqu’à ce jour, n’a pu nous témoigner qu’il soit dans une position plus commode que n’est la mère elle-même à le porter ; et où s’exemplifierait ce que vous avez entendu encore ici, l’année dernière, dans le discours de M. Conrad Stein (que nous n’avons plus revu d’ailleurs depuis, je le regrette) : comme nécessaire à la pensée du psychanalyste, comme représentant ce Paradis perdu de la fusion du moi et du non moi, qui — je le répète : à les entendre, les psychanalystes — serait le corner stone (la pierre angulaire), sans laquelle rien ne saurait être pensé de l’économie de la libido ; car c’est de cela qu’il s’agit !

Je pense qu’il y a là une véritable pierre de touche, que — je me permets de le signaler à qui que ce soit qui entende me suivre- : c’est que toute personne qui reste de quelque façon attachée à ce schéma du narcissisme primaire, peut bien se mettre à la boutonnière tous les œillets lacaniens qu’elle voudra, ladite personne n’a absolument rien à faire, de près ni de loin, avec ce que j’enseigne.

Je ne dis pas que cette question du narcissisme primaire, dans l’économie de la théorie, ne soit pas quelque chose qui pose question et mérite un jour d’être accentué.

Je commence aujourd’hui précisément, à faire remarquer que si la valeur de jouissance prend origine dans le manque marqué par le complexe de castration — autrement dit l’interdit de l’auto-érotisme portant sur un organe précis, qui ne joue-là rôle et fonction que d’introduire cet élément d’unité à l’inauguration d’un statut d’échange, d’où dépend tout ce qui va être ensuite économie, chez l’être parlant dont il s’agit dans le sexe- il est clair que l’important est de voir la réversion qui en résulte : à savoir que c’est pour autant que le phallus désigne – depuis quelque chose de porté à la valeur, par ce moine ue constitue le complexe de castration- ce quelque chose qui fait précisément la distance du petit a à l’unité du sexe. C’est à partir de là, comme toute l’expérience nous l’enseigne, que l’être qui va venir, être porté, à la fonction de partenaire -dans cette épreuve où le sujet est mis, de l’acte sexuel – la femme, pour imager mon discours, va prendre, elle, sa valeur d’objet de jouissance.

Mais, en même temps et du même coup, regardez ce qui s’est passé : il ne s’agit plus de “il jouit”; “il jouit de”. La jouissance est passée du subjectif à l’objectif, au point de glisser au sens de possession, dans la fonction typique, telle que nous avons à la considérer comme déductible de l’incidence du complexe de castration, et – ceci, je l’ai déjà amené la dernière fois – elle est constituée par ce virage qui fait du partenaire sexuel un objet phallique. Point que je ne mets ici en relief, dans le sens de 1″‘homme” à la “femme” (les deux, entre guillemets), que pour autant que c’est là que l’opération est, si je puis dire, la plus scandaleuse. Car elle est articulable, bien sûr, tout autant dans l’autre sens; à ceci près que la femme n’a pas à faire le même sacrifice, puisqu’il est déjà porté à son compte, au départ.

En d’autres termes, je souligne la position de ce que j’appellerai la fiction mâle, qui pourrait à peu près ainsi s’exprimer . “on est ce qui a”. Il n’y a rien de plus content qu’un type qui n’a jamais vu plus loin que le bout de son nez et qui vous exprime la formule, comme ça, provocante “en avoir ou pas”…”on est ce qui a” ;       “ce qui a” ce que vous savez… Et puis “On a ce qui est”. Les deux choses se tiennent. “Ce qui est”, c’est l’objet de désir : c’est la femme.

Cette fiction, simplette je dois dire, est sérieusement en voie de révision. Depuis quelque temps on s’est aperçu que c’est un tout petit peu plus compliqué. Mais encore que dans un rapport dénommé Direction de la cure et les principes de son pouvoir, j’ai cru devoir le réarticuler avec soin, on ne semble pas avoir très bien vu ce que comporte ce que j’opposerai à Cette fiction mâle, comme étant – pour reprendre un de mes mots de la dernière fois – la valeur homme-elle : “on n’est pas ce qu’on a”. Ce n’est pas tout à fait la même phrase, faites attention, hein ? “On est ce qui a”, mais “on n’est pas ce qu’on a”. En d’autres termes, c’est pour autant que l’homme à l’organe phallique, qu’il ne l’est pas. Ce qui implique que, de l’autre côté, on peut et même on est ce qu’on a – ce qu’on n’a pas. C’est-à-dire : c’est précisément en tant qu’elle n’a pas le phallus que la femme peut en prendre la valeur.

Tels sont les points qu’il est extrêmement nécessaire d’articuler au départ de toute induction de ce que dit l’inconscient sur le sexe, parce que ceci est proprement ce que nous avons appris à lire dans son discours ! Seulement, là où je parle de complexe de castration – avec bien star tout ce qu’il comporte de litigieux, car le moins qu’on puisse dire c’est qu’il peut prêter un tant soit peu à erreur sur la personne, et spécialement du côté mâle, concernant ce que nous décrit si bien la Genèse, à savoir la femme conçue comme ce quelque chose dont le corps de l’homme a été privé. (On appelle ça, dans ce chapitre que vous connaissez bien, une “côte”. C’est par pudeur  !…) Ce qu’il convient de voir, c’est qu’en tout cas, là où je parle du complexe de castration comme originel dans la fonction économique de la jouissance, le psychanalyste se gargarise du terme de “libido objectale”. L’important, c’est de voir que s’il y a quelque chose qui mérite ce nom, c’est précisément le report de cette fonction négativée qui est fondée dans le complexe de castration.

La valeur de jouissance interdite au point précis, au point d’organe constitué par le phallus, c’est elle qui est reportée comme “libido objectale” ; contrairement à ce qu’on dit, à savoir que la libido dite narcissique serait le réservoir d’où a à s’extraire ce qui sera libido objectale. Ca peut vous paraître une subtilité. Parce qu’après tout, me direz -vous,           si, quant au narcissisme, il y a la libido qui se porte sur le corps propre, eh bien – encore que vous précisiez les choses – c’est d’une partie de cette libido qu’il s’agit  !… me diriez-vous. Dans ce que j’énonce présentement, il n’en est rien ! Très précisément en ceci c’est que pour dire qu’une chose est extraite de l’autre, il faudrait supposer qu’elle en est purement et simplement séparée par la voie de ce qu’on appelle une coupure, mais PAS SEULEMENT par une coupure : par quelque chose qui joue ensuite la fonction d’un bord.

Or c’est précisément ce qui est discutable et non seulement ce qui est discutable, mais ce qui est d’ores et déjà tranchable, c’est qu’il n’y a mas homomorphisme, il n’y a pas structure telle que le lambeau phallique (si l’on peut dire) soit saisissable à la façon d’une partie de l’investissement narcissique. C’est qu’il ne constitue pas ce bord, ce qu’il faut que nous maintenions entre ce qui permet au narcissisme de construire cette fausse assimilation de l’un à l’autre, qui est doctrinée dans les théories traditionnelles de l’amour. Les théories traditionnelles de l’amour laissent en effet l’objet de bien dans les limites du narcissisme.

Mais le rapport dont il s’agit vraiment : l’économie de la jouissance -est distinct . La libido objectale en tant qu’elle introduit quelque chose qui, si je puis dire, nous laisse à désirer la note exacte de l’acte qui se prétend sexuel, est d’une nature (c’est le cas de le dire) à proprement parler tranchée, distincte. C’est ici que gît le point vif, autour duquel il est essentiel de ne pas fléchir. Car, comme vous le verrez dans la suite, c’est seulement autour de ce point que peuvent prendre leur place juste, spécialement tout ce qui se passe dans le champ de l’acte analytique, qu’il s’agisse du rapport analysé-analyste ou des effets de régression.

Je m’excuse de laisser en suspens ; la loi de mon discours ne me permet pas de le trancher au point de chute qui toujours me conviendrait ; l’heure nous interrompt ici, aujourd’hui. Je poursuivrai la prochaine fois.

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