samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LXIV La logique du fantasme 1966 – 1967 Leçon du 21 Décembre 1966

Leçon du 21 Décembre 1966

 

Je pense vous avoir donné la dernière fois la preuve que je peux supporter bien de petites épreuves : la lampe, comme ça, qui s’allume et qui s’éteint, hein ! Autrefois, dans les histoires de croque-mitaine, on vous expliquait par quoi on amenait les gens, dans certains coins, à leur autocritique. Ça servait à ça. Enfin… C’était moins désagréable pour moi que pour vous, je dois dire — car moi, je l’avais au-dessus de moi et vous dans les yeux.

Vous avez pu constater que ce ne sont pas ces sortes de menus inconvénients qui sont capables d’infléchir mon discours. C’est bien pourquoi j’espère que vous n’essaierez pas de référer à aucun fait de vain chatouillement personnel, le fait qu’aujourd’hui ça ne sera pas la fête, malgré que ce soit l’époque. Je vous en avertis tout de suite : je ne ferai pas aujourd’hui le séminaire que j’avais préparé à votre intention. Je m’en excuse, pour ceux qui, peut-être, auraient retardé quelque chose de leurs projets de vacances pour en bénéficier. À tout le moins, personne ne se sera dérangé absolument pour rien, puisque j’espère que vous avez chacun le petit exemplaire dont je vous fais hommage en cadeau de fin d’année. Je n’ai pas été jusqu’à vous mettre à chacun une dédicace, ignorant trop de vos noms, mais enfin ça peut toujours se faire !

Nous sommes arrivés au moment où je vais formuler sur l’inconscient des formules que je considère comme décisives, formules logiques dont vous avez vu la dernière fois apparaître sur le tableau noir l’inscrit, sous la forme de cet ou je ne, pense pas ou je ne suis pas, avec cette réserve : que ce ou n’est ni un vel (le ou de la réunion, l’un, l’autre, ou tous les deux), ni un aut (au : moins un, mais pas plus : il faut choisir). Ce n’est ni l’un ni l’autre.

Et ce me sera l’occasion d’introduire, je l’espère, d’une façon qui sera reçue dans le calcul logique, une autre fonction : celle qui, dans les tableaux de vérité, se caractériserait par cette opération qu’il faudrait appeler d’un terme nouveau, encore qu’il y en ait un dont je me sois déjà servi, mais qui pour avoir d’autres applications, peut faire ambiguïté. N’importe ! J’en ferai le rapprochement il ne s’agit de rien d’autre, je vous l’indique — je ne suis pas là pour jouer du mystère — que de ce que j’ai une fois ici indiqué sous le terme d’aliénation, mais qu’importe ! Ce sera à vous de faire le choix. En attendant, appelons cette opération omega et, dans le tableau de vérité, caractérisons là par ceci : des propositions sur lesquelles elle opère, si les deux sont vraies, le résultat de l’opération est faux.

Vous consulterez les tableaux de vérité que vous avez à la portée de la main, et vous verrez qu’aucun de ceux qui sont jusqu’ici en usage, de la conjonction à la disjonction, à l’implication, ne remplit cette condition.

Quand j’ai dit que la conjonction du vrai au vrai donne, par cette opération, le faux, je veux dire que toute autre conjonction y est vraie : celle du faux au faux, du faux au vrai, du vrai au faux.

Le rapport de ceci avec ce qu’il en est de la nature de l’inconscient, c’est ce que j’espère pouvoir articuler devant vous le 11 janvier, où de toute façon, je vous donne là rendez-vous. Vous pensez bien que si je ne le fais pas aujourd’hui — là-dessus, je pense, vous me faites confiance — c’est que ma formulation n’est pas prête, ni ce à quoi je pourrais aujourd’hui la limiter. Néanmoins, si effectivement c’est d’une certaine crainte de l’avancer devant vous dans toute sa rigueur, un jour où je suis dans un certain embarras, fait que j’ai passé ces dernières heures à m’interroger sur quelque chose qui n’est rien de moins que l’opportunité ou non de la continuation de ceci : que nous sommes tous ensemble pour l’instant et qui s’appelle mon séminaire.

Si je me pose cette question, c’est qu’elle vaut d’être posée : ce petit volume (1) que je vous ai remis

 

(1) “Le langage et l’inconscient”

 

et qui me semble devoir être rappelé à votre attention juste avant que j’apporte une formule logique qui permette en quelque sorte d’assurer d’une façon ferme et certaine ce qu’il en est de la réaction du sujet pris dans cette réalité de l’inconscient, il n’est pas vain que ce volume vous témoigne de ce qu’il en est des difficultés de ce séjour, pour ceux dont c’est la praxis et la fonction que d’y être. Peut-être est-ce faute de mesurer le rapport qu’il y a de cet “y être” à un certain “n’y être pas” nécessaire. Ce volume vous témoignera de ce qu’a été une rencontre autour de ce thème de l’inconscient. Y ont participé et y avaient un rôle éminent deux de mes élèves, de ceux qui m’étaient les plus chers, d’autres encore… tout y est, jusqu’aux marxistes du C.N.R.S.

Vous verrez à la première page, en tout petits caractères, une très singulière manifestation. Quiconque est ici analyste y reconnaîtra ce que l’on appelle techniquement, ce à quoi Freud fait allusion en un point des cinq grandes psychanalyses (je vous laisse le soin — ça vous permettra de les refeuilleter un peu — de trouver ce point), ce que Freud et la police, d’une même voix, annellent “le cadeau” ou “la carte de visite”. Si un jour, il vous arrive que votre appartement soit visité en votre absence, vous pourrez constater, peut-être, que la trace que peut laisser le visiteur est une petite merde. Nous sommes là sur le plan de l’objet petit a. Nulle surprise à ce que de telles choses se produisent dans les rapports avec des sujets que vous traquez par votre discours sur les voies de l’inconscient.

À la vérité, il y a de grandes et fortes excuses à la carence que démontrent les psychanalystes d’aujourd’hui à se tenir à la hauteur théorique qu’exige leur praxis. Pour eux, la fonction des résistances est quelque chose dont vous pourrez voir que les formules que je veux être aussi sûr de moi que possible, le jour où j’essaierai de vous les donner dans leur essentielle et dans leur vraie instance… Vous verrez la nécessité qui s’attache à la résistance et qu’elle ne saurait d’aucune façon se limiter au non-psychanalysé. Aussi bien, du schème que j’essaierai de vous donner du rapport, non pas du non pensé, et du non-être (ne me croyez pas sur les pentes de la mystique !) mais du je ne suis pas et du je ne pense pas qui permettront, pour la première fois, je crois, et d’une façon sensible, de marquer non seulement la différence, le non recouvrement de ce qui s’appelle résistance et de ce qui s’appelle défense, mais, même, de marquer d’une façon absolument essentielle, encore qu’elle soit jusqu’ici inédite, ce qu’il en est de la défense, qui est proprement ce qui cerne et ce qui préserve exactement le je ne suis pas. C’est faute de le savoir que tout est déplacé, décalé, dans la visée où chacun fantasme ce qu’il peut en être de la réalité de l’inconscient. Ce quelque chose qui nous manque et qui fait le scabreux de ce à quoi nous sommes affrontés non pas par quelque contingence, à savoir : cette nouvelle conjonction de l’être et du savoir. Cette approche distincte du terme de la vérité —, fait de la découverte de Freud quelque chose qui n’est d’aucune façon réductible et critiquable au moyen d’une réduction à quelque idéologie que ce soit.

Si le temps m’en est laissé, je prendrai ici… et si je vous l’annonce ce n’est pas pour la vanité de vous agiter quelque oripeau destiné à vous allécher en la circonstance, mais plutôt pour vous indiquer ce à quoi vous ne perdriez rien à rouvrir Descartes d’abord, puisqu’aussi bien c’est là le pivot autour de quoi je fais tourner ce retour nécessaire aux origines du sujet, grâce à quoi nous pouvons le reprendre, le reprendre en termes de sujet. Pourquoi ? Parce que, précisément, c’est en termes de sujet que Freud articule son aphorisme, son aphorisme essentiel, autour de quoi j’ai appris à tourner non pas seulement à moi-même, mais à ceux qui m’écoutent, le wo es war, soll Ich werden. Le “Ich”, dans cette formule, et à la date où elle a été articulée — dans Les Nouvelles Conférences, vous le savez — ne saurait d’aucune façon être -pris pour la fonction “das Ich” telle qu’elle est articulée dans la seconde tonique, comme je l’ai traduite : là où c’était, là dois — je — j’ai ajouté comme sujet mais c’est un pléonasme le “Ich” allemand, ici, c’est le sujet — devenir.

De même que j’ai ravivé devant vous le sens du Cogito, à mettre autour du “je suis” les guillemets qui l’éclairent, l’irai dans l’aphorisme de Freud, où nous pouvons — formule plus digne de la pierre que celle dont il avait rêvé : ici, a été découvert le secret du rêve — le “wo es war, soll ich werden” si vous le gravez, ne manquez pas de faire sauter la virgule c’est “là ou c’était” qui doit devenir “Ich”. Ce qui veut dire — à la place où Freud place cette formule, la terminale dans un de ses articles – ce qui veut dire que ce dont il s’agit dans cette indication, n’est pas l’espoir que tout d’un coup, chez tous les êtres humains, comme on s’exprime dans un langage de vermine : “le moi doit déloger le ça” ; Mais ça veut dire que Freud indique-là rien moins que cette révolution de la pensée que son œuvre nécessite.

Or, il est clair que c’est là un défi, et dangereux pour quiconque s’avance, comme c’est mon cas, pour le soutenir à sa place. “Odiosum mundo me fecit logica” — Un certain Abélard, comme peut-être certains d’entre vous l’ont encore à l’oreille, écrivit un jour ces termes — “la logique m’a fait odieux au monde”… et c’est sur ce terrain que j’entends porter des termes décisifs, qui ne permettent plus de confondre ce dont il s’agit quand il s’agit de l’inconscient. On verra ou non si quelqu’un peut articuler que, là, je glisse dehors, ou essaie d’en détourner.

Pour saisir ce qu’il en est de l’inconscient, je veux marquer, pour qu’en quelque sorte vous y puissiez préparer votre esprit par quelque exercice, que ce qui nous y est interdit, c’est exactement cette sorte de mouvement de la pensée qui est proprement celui du -cogito, qui tout autant que l’analyse nécessite l’Autre (avec un grand A). Ce qui n’exige nullement la présence de quelque imbécile.

Quand Descartes oublie son cogito, qu’il l’articule dans ce mouvement du Discours de la méthode, qu’il développe en écrit, il s’adresse quelqu’un. Il le mène sur les chemins d’une articulation toujours plus pressante. Et puis, tout d’un coup, quelque chose se passe, qui consiste à décoller de ce chemin tract, pour en faire surgir cet autre chose qui est le “je suis”.

Il y a là cette sorte de mouvement que j’essaierai – jour vous de qualifier de façon plus précise, qui est celui que l’on ne trouve que quelquefois au cours de l’Histoire, que je pourrais vous désigner le mène au VIIème Livre d’Euclide, dans la démonstration dont nous sommes encore serfs, car nous n’en avons pas trouvé d’autres et elle est du même ordre, très exactement de démontrer (quelle que soit la formule que vous pourriez, si ça se trouvait, donner de la genèse des nombres premiers) qu’il serait nécessaire — personne n’a encore trouvé cette formule, mais la trouverait-on !- qu’il se déduit nécessairement qu’il y en aurait d’autres que cette formule ne peut pas nommer. C’est cette sorte de nœud où se marque le point essentiel de ce qu’il en est d’un certain rapport qui est celui du sujet à la pensée.

Si j’ai touché l’année dernière au pari pascalien, c’est dans le même dessein. Si vous vous référez à ce qui apparaît dans les mathématiques modernes, comme ce qu’on appelle “l’appréhension diagonale”, autrement dit ce qui permet à Cantor d’instaurer une différence entre les infinis, vous avez toujours le même mouvement. Et plus simplement, si vous le voulez bien, d’ici la prochaine fois vous procurer sous cette forme ou sous une autre : Fides quaerens intellectum de Saint Anselme, au chapitre II (pour que je ne sois pas forcé, moi, de vous le lire), vous lirez, dussiez-vous vous donner quelque mal pour vous procurer ce petit bouquin (ceci, c’est la traduction de Koyré, qui est parue chez Vrin ; je ne sais pas s’il en reste, mais assurément il n’en restera pas !) — vous lirez le chapitre II, pour reparcourir, à titre d’exercice, ce qu’il en est de ce que l’imbécillité universitaire a fait tomber dans le discrédit sous le nom d’argument ontologique”. On croyait que Saint Anselme ne savait pas que ce n’est pas parce qu’on peut penser le plus parfait qu’il existe. Vous verrez, dans ce chapitre, qu’il le savait fort bien, mais que l’argument est d’une tout autre portée, et de la portée de cette démarche – que j’essaie de vous désigner, qui consiste à conduire l’adversaire sur un chemin tel que ce soit de son brusque détachement que surgisse une dimension jusqu’alors inaperçue.

Telle est l’horreur de la relation à la dimension de l’inconscient que ce mouvement vite impossible ; tout est permis à l’inconscient sauf d’articuler : “donc je suis”. C’est ce qui nécessite d’autres abords, et proprement les abords logiques que j’essaierai de tracer devant vous, de ce qui rejette à son néant et à sa futilité tout ce qui a été articulé en termes vaseux de psychologue autour de l’auto-analyse.

Mais si assurément toute la difficulté que je puis avoir à ranimer, dans un champ dont la fonction s’affirme et se cristallise, justement des difficultés — appelons-les noétiques si cela vous convient — de l’abord théorique de l’inconscient, point trop compréhensible, qui n’exclut mas qu’à ce milieu ana jonction se fasse sur le plan de la technique et d’interrogations précises, justement, par exemple, de pouvoir exiger que s’y rouvrent les termes dont se justifie la psychanalyse didactique.

La question, pour moi, peut se poser de ce qu’il en est des conséquences d’un discours, que des circonstances et aussi bien le dessein pour moi d’user de leur détour – de celui que m’imposaient ces circonstances — d’ouvrir ce discours sur Freud à un public plus large.

Le galant homme dont la signature est au bas de ce que j’ai appelé “le cadeau”, écrit “sied-il, sous prétexte de liberté, de tolérer que le forum se transforme en cirque ?”

Ici, le cadeau m’est précieux : la vérité surgit, même de l’incontinence.

Ce serait moi qui, précisément, dans ce volume, substituerais le cirque au forum, Dieu me bénisse si j’avais vraiment roussi ! Sûr ! Dans ce petit article sur l’inconscient, j’ai bien eu en effet, en le rédigeant, le sentiment que je m’exerçais à ce quelque chose d’à la fois rigoureux et crevant les limites, sinon celles du toit du cirque tout du moins celles de l’acrobatie, et pourquoi pas de la clownerie si vous voulez ! Pour substituer quelque chose qui n’a en effet aucun rapport avec ce que j’ai pu dire dans ce forum de Bonneval, qui était comme tous les forums, une foire !

La précision d’un exercice de cirque est d’autant moins donnée à tout le monde que ce que je suis en train de vous démontrer, quand je vous parle du cogito, c’est quelque chose qui, en effet, a la forme d’un cirque, à ceci près que le circuit ne se ferme pas, qu’il y a quelque part ce petit ressaut qui fait passer ce “je pense” à ce “je suis”, qui fait aussi franchir à telle ou telle date, combien rare, des révolutions du sujet, un pas essentiel.

Celui que j’ai pris le dernier est celui de Cantor… Sachez qu’on lui a, à lui, assez craché dessus pour qu’il en ait fini sa vie dans un asile. Rassurez-vous, ce ne sera pas mon cas ! (rires) Je suis un peu moins sensible que lui aux articulations des collègues et des autres. Mais la question que je me pose c’est de savoir, maintenant que j’articule — dans une dimension qui est véhiculée par celle de la vente assez stupéfiante de ces Écrits  — que j’articule donc ce discours, s’il va falloir ou non que je m’occupe de la foire. Car, bien entendu, on ne peut pas compter sur ceux dont c’est le métier de se faire valoir, avec le happage, au passage, de n’importe quel petit truc qu’on accroche dans le discours de Lacan, ou dans le discours de quelqu’un d’autre, pour faire un papier où “il” démontre son originalité.

Entre le congrès de Bonneval et le moment où je suis passé ici, j’ai vécu au milieu d’une foire. Une foire où j’étais-là le bestiau : c’est moi qui étais en vente sur le marché. Ça ne m’a pas dérangé. D’abord, parce que ces opérations ne me concernaient pas — je veux dire dans mon discours — et qu’ensuite, ça n’empêchait pas les mêmes gens qui s’occupaient de ce service de venir à mon séminaire et de gratter tout ce que je disais — je veux dire de l’écrire avec soin, avec d’autant plus de soin qu’ils savaient très bien qu’il n’en avait plus pour longtemps, étant donné leurs propres desseins. Donc, ce n’est pas de n’importe quelle foire qu’il s’agit.

Ce qui va venir maintenant sur la foire, ça va être toutes sortes d’autres choses, qui vont consister — comme ça s’est déjà fait et déjà avant la parution de mes Écrits — qui vont consister à s’emparer de n’importe laquelle de mes formules pour la faire servir à Dieu sait quoi ! Comme à tenter de me démontrer que je ne sais pas lire Freud ! Depuis trente ans que je ne fais que ça !

Alors, qu’est-ce qu’il va falloir que je réponde ? Que je fasse répondre ? Quel tintouin ! Peut-être ai-je des choses plus utiles à faire. Nommément, de m’occuper du point où ces choses peuvent porter fruit, à savoir chez ceux qui me suivent dans la praxis.

Quoi qu’il en soit, comme vous le voyez, cette question ne me laisse pas indifférent. C’est bien parce qu’elle ne me laisse pas indifférent que je me suis trouvé me la poser avec la plus grande acuité. Je dois dire qu’une seule chose me retient de la trancher de la façon dont vous voyez qu’ici elle se dessine : c’est non pas votre qualité, Messieurs et Mesdames, encore que je suis loin de ne pas m’en sentir honoré, d’avoir parmi mes auditeurs, aujourd’hui ou d’autres, quelques-unes des personnes les plus formées et de celles pour lesquelles il n’est pour moi pas vain de me proposer à leur jugement. Néanmoins, cela tout seul suffirait-il à justifier ce qu’aussi bien peut être transmis par la voie de l’écrit ? Malgré tout, au niveau de l’écrit, il arrive que ce qui vaut quelque chose surnage, quoique bien entendu, dans une université comme l’Université Française où depuis près de cent ans on est kantien, les responsables — comme je vous l’ai déjà fait remarquer dans une de mes notes — n’ont pas, au cours des cent ans où ils ont marqué et poussé devant eux des foules d’étudiants, trouvé moyen de faire sortir une édition complète de Kant. Ce qui me fait hésiter, ce qui fait que peut-être (peut-être si ça me chante) je continuerai ce discours, ce n’est donc – pas votre qualité mais votre nombre. Car après tout c’est ce qui me frappe. C’est ce pour quoi cette année, j’ai renoncé à cette fermeture du séminaire qui a eu, les années précédentes, son petit temps d’essai et l’occasion de manifester son inefficacité. C’est à cause de ce nombre, de ce quelque chose d’incroyable qui fait que des gens, une bonne partie de ceux qui sont là, des gens — que je salue puisqu’aussi bien ils sont là pour me prouver qu’il y a dans ce que je dis quelque chose qui résonne, qui résonne assez pour que ceux-là viennent m’entendre, plutôt que le discours de tel ou tel de leurs professeurs concernant des choses qui les intéressent, parce que ça fait partie de leur programme — viennent m’entendre, moi qui n’en fais pas partie — ceci me donne quand même le signe qu’à travers ce que je dis, qui ne peut certes pas masser pour de la démagogie, il doit bien y avoir quelque chose où ils se sentent intéressés.

C’est par là qu’assurément je peux me justifier, si ça se trouve, de poursuivre ce discours public. Ce discours, certes, qui comme pendant les quinze ans qu’il a déjà durs, est un discours où assurément tout n’est pas donné à l’avance. que j’ai construit et dont des parts entières restent encore éparses dans des mémoires, qui en feront ma foi ce qu’elles voudront ; il y a pourtant des parties qui mériteraient plus et mieux.

Je ferai référence au “flot d’esprit” dans ce que je vous dirai de la formule de ce que j’ai appelé tout à l’heure “l’opération oméga”. Pendant trois mois, devant des gens qui n’en croyaient mas leurs oreilles, qui se demandaient si je plaisantais, j’ai parlé du “Mot d’esprit”. Je vous invite, puisque vous allez être en vacances, à vous procurer, si par hasard c’est possible (car on ne sait pas, les œuvres de Freud, elles aussi, sont introuvables !), à vous procurer le “clot d’esprit”, et à vous en pénétrer. S’il m’arrive de devoir prendre des vacances, moi aussi, c’est la première chose – de mes séminaires du massé — dont j’essaierai de donner par écrit un équivalent.

Là-dessus, vous voilà pourvus, pour ce tempo intermédiaire, de ce que je voulais dire : ce n’est pas toujours la fête. En tout cas, pas toujours pour moi.

La dernière fois que j’ai fait allusion à la fête, c’était dans un petit écrit, qui n’était pas un écrit du tout, puisque j’ai tenu à ce qu’il reste dans l’état du discours que j’ai émis devant un public médical assez large. L’accueil de ce discours a été une des expériences de ma vie. Ce n’est pas d’ailleurs une expérience qui m’a surpris. Si je ne la renouvelle pas plus, c’est que j’en connais bien d’avance les résultats. Je dois vous dire que je n’ai pas pu résister à y apporter une modification qui n’a vraiment rien à faire avec le discours : cette allusion à la fête, à la fête du Banquet… si c’était une allusion Le public reconnaîtra mieux dans le bulletin de ma petite Ecole sans doute, que dans celui du Collège de Médecine où il sera d’autre part publié, l’allusion à la fête du Banquet. Il s’agit de celle où viennent, qui en mendiant, qui en égarée, deux personnages, deux personnages allégoriques que vous connaissez, qui s’appellent Poros et Penia : le Poros de la psychanalyse et la Pépia universitaire. Je suis en train de m’interroger jusqu’où je peux laisser aller l’obscénité. Quel qu’en soit l’enjeu, la chose vaut qu’on y regarde à deux fois, je veux dire : même si l’enjeu est ce que l’autre appelle, assez comiquement, l’Éros philosophique.

Bonnes fêtes

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