vendredi, octobre 11, 2024
Recherches Lacan

LXIV La logique du fantasme 1966 – 1967 Leçon du 21 Juin 1967

Leçon du 21 Juin 1967

 

Il me faut bien… Il me faut bien, aujourd’hui, tourner court. Je vous ai annoncé, la dernière fois, que ce serait, pour cette année scolaire, mon dernier cours ; il faudra clore ce sujet sans avoir fait rien de plus que l’ouvrir. Je souhaite que d’aucuns le reprennent, si j’ai pu de ce désir les animer.

Pour tourner court, j’ai l’intention de terminer sur ce qu’on peut appeler un rappel clinique. Non pas, certes, que lorsque je parle de logique et nommément de logique du fantasme je quitte, fût-ce un instant, le champ de la clinique. Chacun sait, chacun témoigne, parmi ceux qui sont praticiens, que c’est dans l’au jour le jour des déclarations de leurs malades qu’ils retrouvent, très communément, mes principaux termes. Aussi bien moi-même n’ai-je pas été les chercher ailleurs.

Ce que je place — par ce que j’appelle ces termes-repères de mon enseignement — ce que je place, je veux dire ce dont j’ordonne la place, c’est le discours psychanalytique lui-même.

Pas plus tard qu’au début de cette semaine…- là, c’est un témoignage inverse en quelque sorte que celui qui m’est donné très souvent ; à savoir que tel malade a semblé donner à son analyste, l’après-midi même ou le lendemain de mon séminaire, quelque chose qui semble en être une répétition, au point qu’on se demanderait s’il a pu en avoir écho et si on s’émerveille d’autant plus des cas où c’est vraiment impossible — inversement je pourrais dire que, pas plus tard qu’au début de cette semaine, je trouvais, dans les propos de trois séances qui m’étaient apportées, d’une psychanalyse — peu importe qu’elle fût didactique ou thérapeutique — les termes mêmes que je savais (puisqu’on était lundi) que j’avais… “excogités” la veille, dans ce lieu de campagne où je prépare pour vous mon séminaire.

Donc, ce discours analytique, je ne fais rien que de donner en quelque sorte des coordonnées où il se situe. Mais qu’est-ce à dire ? Puisque je peux rapprocher, puisque chacun, si fréquemment, peut rapprocher ce discours, et il ne suffit pas de dire que c’est le discours d’un névrosé : ça ne le spécifie pas, ce discours ; c’est le discours d’un névrosé dans les conditions, même dans le conditionnement, que lui donne le fait de se tenir dans le cabinet de l’analyste. Et dès maintenant, ce n’est pas pour rien que j’avance cette condition de local.

Est-ce à dire que ces échos, voire ces décalques, signifieraient quelque chose de bien étrange ?

Chacun sait, chacun peut voir, chacun peut avoir éprouvé, que mon discours, bien sûr, ici, n’est pas celui de l’association libre.

Est-ce donc à dire que ce discours auquel nous recommandons la méthode, la voie, de l’association libre, ce discours des patients, fait, recouvre celui qui est ici le mien, qu’au moment où il y manque en quelque sorte et où il spécule… Où il introspecte… Où il élucubre, où il “intellectualise”, comme nous disons si aimablement. Non, sans doute. Il doit bien y avoir autre chose qui, encore, puisse dire que le patient obéit à la recommandation de l’association libre en tant qu’elle est la voie que nous lui proposons, peut tout de même, en quelque sorte légitimement, dire ces choses, et, en effet, chacun sait bien que si on le prie de passer par la voie des associations libres, ce n’est pas dire que ceci commande un discours lâche, ni un discours rompu. Mais tout de même, pour que quelque chose atteigne, parfois jusque dans les finesses, à telle distinction sur les incidences de son rapport à sa propre demande, à sa question sur son désir, c’est tout de même bien là quelque chose de nature à nous faire un instant réfléchir à ce qui conditionne ce discours au-delà de nos consignes.

Et, là, il nous faut bien sûr faire intervenir cet élément (aujourd’hui, je resterai vraiment au niveau des évidences les plus communes) et qui s’appelle l’interprétation.

Avant de se demander ce que c’est, comment, quand ; il faut la faire… Ce qui n’est pas sans provoquer, de plus en plus, chez l’analyste, quelque embarras, faute peut-être de poser la question au temps préalable à celui auquel je vais la poser. C’est celui-ci : comment le discours, le discours libre, le discours libre qui est recommandé au sujet, est-il conditionné de ce qu’il est en quelque sorte en passe d’être interprété ? Et c’est là ce qui nous amène à évoquer simplement quelques repères que les logiciens, ici, depuis longtemps nous donnent et c’est bien ce qui m’a poussé, cette année, à parler de logique. Ce n’est certes pas qu’ici j’aie pu faire un cours de logique. Ce n’était pas, avec ce que j’avais à recouvrir, compatible. J’ai essayé de donner l’armature d’une certaine logique, qui nous intéresse au niveau de ces deux registres : de l’aliénation, d’une part, de la répétition de l’autre. Ces deux schémas en quadrangle et foncièrement superposés, dont j’espère qu’une partie d’entre vous au moins se souviendra. Mais j’espère aussi avoir incité certains à ouvrir, comme ça, à entrouvrir, à lorgner un peu — quelques bouquins de logique, ne serait-ce que pour se rappeler les distinctions de valeur que le logicien introduit dans le discours, quand il distingue, par exemple, les phrases qu’on appelle assertives, des phrases impératives ou imploratives. Simplement, pour signaler qu’il se passe, qu’il peut se passer, il peut se poser, il se localise, au niveau des premières, des questions que les autres… — qui ne sont bien sûr pas moins des paroles pleines d’incidences, et qui pourraient aussi les intéresser, les logiciens, mais, chose curieuse, qu’ils n’abordent qu’à les contourner et en quelque sorte de biais, et qui fait que, ce champ, ils l’ont laissé jusqu’à ce jour assez intact… Ces phrases que j’ai appelées impératives, implorative pour autant qu’après tout, quoi ? Elles sollicitent bien quelque chose qui, si nous nous en référons à ce que j’ai défini comme acte, ne peut qu’intéresser la logique ; si elles sollicitent des interventions actives ce peut être quelquefois au titre d’actes… Néanmoins, seules les premières seraient, aux dires des logiciens, susceptibles d’être soumises à ce qu’on peut appeler la critique.

Définissons celle-ci comme cette critique, qui exige une référence aux conditions nécessaires pour que, d’un énoncé, puisse se déduire un autre énoncé.

Celui qui, aujourd’hui, serait ici parachuté pour la première fois et qui n’aurait jamais, bien sûr, oui parler de ces choses, trouverait qu’il y a là quelque chose de bien. Plat ; mais enfin, je suppose quand même que, pour tous, à – vos oreilles, résonne ici la distinction de l’énonciation et de l’énoncé.

Et ceci.   que l’énoncé, pour m’entendre — pour m’entendre dans ce que je viens de dire — est constitué par une chaîne signifiante. C’est dire que ce qui est, dans le discours, objet de la logique, est donc limité au départ par des conditions formelles, et c’est bien ce qui la fait désigner de ce nom, cette logique, de logique formelle.

Bon, eh bien, là, au départ — non pas certes énoncée au départ par celui qui est ici le grand initiateur, à savoir Aristote, énoncée seulement par lui d’une façon ambiguë, partielle, mais assurément dégagée dans les progrès ultérieurs —, nous voyons, au niveau de ce que j’ai appelé les “conditions nécessaires”, mise en valeur la fonction de la négation en tant qu’elle exclut le tiers.

Ceci veut dire que quelque chose ne peut être affirmé et nié en même temps sous le même point de vue. C’est là, au moins, ce que nous énonce Aristote. Ceci, expressément.

Après tout, nous pouvons bien là, tout de suite, mettre en marge ce que Freud nous affirme : que ce n’est pourtant pas là ce principe qu’on appelle de “non-contradiction”, limite à arrêter… À arrêter quoi ? — Ce qui s’énonce… dans l’inconscient.

Vous le savez, Freud, dès La Science des Rêves, le souligne : contradiction — c’est-à-dire qu’une même chose soit affirmée et niée très proprement en même temps, sous le même angle — c’est là ce que Freud nous désigne comme étant le privilège, la propriété de l’inconscient.

S’il était besoin de quelque chose pour… confirmer, à ceux dans la caboche desquels ça n’a encore pas pu entrer, que l’inconscient est structuré comme un langage… Je dirais : — Comment, alors, pouvez-vous même justifier que Freud prenne soin de souligner cette absence, dans l’inconscient, du principe de non-contradiction ? Car le principe de non-contradiction… Ça n’a absolument rien à faire avec le réel ! Ce n’est pas que dans le réel il n’y ait pas de contradiction, il n’est pas question de contradiction dans le réel !

Si l’inconscient. N’est-ce pas ? Comme ceux qui, ayant à parler de l’inconscient, enfin… dans des lieux où, en principe, on donne un enseignement, commencent par dire “que ceux qui sont dans cette salle et qui croient que l’inconscient est structuré comme un langage, sortent !” ; certes, ils ont bien raison, parce que ça prouve qu’ils savent déjà tout !…. Et qu’en tout cas, pour apprendre que ce soit autre chose, ils n’ont pas besoin de rester ! Mais, cette autre chose, si c’est les “tendances”, comme on dit, la tendance pure ou la tension, en tout cas, hein ! Il n’est pas question qu’elle soit autre chose que ce qu’elle est ! Elle peut se composer, à l’occasion, selon le parallélogramme des forces, elle peut s’inverser — pour autant que nous y supposons une direction — n’est-ce pas ? Mais c’est dans un champ toujours soumis, si l’on peut dire, à composition !

Mais, dans le principe de contradiction, il s’agit d’autre chose. Il s’agit de négation. La négation, ça ne traîne pas comme ça dans les ruisseaux ! Vous pouvez aller chercher sous le pied d’un cheval, vous ne trouverez jamais une négation!

Donc, si l’on souligne, si Freud, qui tout de même devait en savoir un bout, prend soin de souligner que l’inconscient n’est pas soumis au principe de contradiction, eh bien ! C’est bien parce qu’il peut être, lui, question qu’il y soit soumis ! Et s’il est question qu’il y soit soumis, c’est bien évidemment à cause de ce qu’on voit : qu’il est structuré comme un langage ! Dans un langage… l’usage d’un langage, c’est interdit. Ce qui, après tout, peut participer d’une certaine convention ; cet interdit a un sens : le principe de contradiction fonctionne ou ne fonctionne pas. Si on remarque que quelque part il ne fonctionne pas, c’est parce qu’il s’agit d’un discours ! L’invoquer, ça veut dire que l’inconscient viole cette loi logique et ça prouve, du même coup, qu’il est installé dans le champ logique et qu’il articule des propositions.

Alors, rappeler cela n’est pas, bien sûr — sinon incidemment — pour revenir aux bases, aux principes, mais plutôt pour, à ce propos, vous rappeler que les logiciens nous apprennent que la loi de non-contradiction – encore qu’on a pu s’y tromper assez longtemps — ça n’est pas la même chose, c’est à distinguer, de ce qu’on appelle la loi de bivalence.

Autre chose est d’interdire dans l’usage logique — pour autant qu’il s’est donné les buts limités que je vous ai dit tout à l’heure, limités dans son champ aux phrases assertives, limités à ceci : de dégager les conditions nécessaires pour que, d’un énoncé, se déduise une chaîne correcte, c’est-à-dire qui permette de faire la même assertion sur un autre énoncé, assertion qui est affirmative ou négative — autre chose est de fonder ça et de dire – loi de bivalence — : toute proposition est ou bien vraie ou bien fausse.

Je ne vais pas m’étendre ici… Et d’abord, parce que je l’ai déjà fait : j’ai indiqué dès mes premières leçons de cette année quelques… J’ai fait quelques hints, pour vous faire sentir à quel point il est facile de démontrer que ce n’est pas seulement parce qu’on ne sait pas, qu’une proposition peut être facilement construite qui vous fasse sentir combien cette bivalence – cette bivalence comme tranchée — est problématique. Toutes les nuances qu’il a et qui s’inscrivent dans… entre l’est-il vrai qu’il soit faux ? Ou il est faux qu’il soit vrai ;– ce n’est pas du tout quelque chose de linéaire, d’univoque et de tranché.

Mais, justement, c’est bien cela qui donne toute sa valeur à la présence de cette dimension, qui est la nôtre, celle à l’intérieur de laquelle se situe ce discours auquel nous demandons de ne pas regarder plus loin — si je puis dire — que le bout de son nez… ; il suffit que vous ayez à vous poser la question, dis-je à ceux qui chez moi entrent en analyse, de savoir si vous devez dire ça ou pas : elle est tranchée. C’est la façon la plus claire dénoncer la règle analytique. Mais, tout de même, ce que je ne lui dis pas, — mais qui est le pied sur lequel, lui, il part, c’est que ce n’est que la vérité, au dernier terme, qui est-là posée comme devant être cherchée dans les failles des énoncés. Failles, qu’en somme, je lui donne tout le loisir — que je lui recommande presque — de multiplier, mais qui dès lors, bien sûr, supposent — supposent au principe de la règle même que je lui donne — une cohérence impliquant réfection éventuelle des dites failles. Réfection qui est à faire, selon quelles normes sinon celles qu’évoque, que suggère, la présence de la dimension de la vérité. Cette dimension est inévitable, dans l’instauration du discours analytique..-

Le discours analytique, c’est un discours soumis à cette loi de solliciter cette vérité — dont j’ai parlé, déjà, en les termes qui sont ici les plus appropriés : une vérité qui parle — de la solliciter, en somme, d’énoncer un verdict, un dict véritable.

Bien sûr, la règle en prend une tout autre valeur !…. Cette vérité qui parle et dont on attend le verdict… on la caresse, on l’apprivoise, on lui passe la main dans le dos !

C’est ça, le vrai sens de la règle ! On veut lui faire la pige. Et pour lui faire la pige on fait semblant, en somme, — c’est ça le sens de la règle de l’association libre — on fait semblant de ne pas s’en soucier et de s’en foutre ; de penser à autre chose, comme ça, elle lâchera peut-être le morceau. Voilà le principe. Ces choses… Je rougis presque, enfin… D’en faire ici un… morceau              !

Mais, ne l’oubliez pas, j’ai affaire à des psychanalystes ; c’est-à-dire à ceux qui – ce que je dis là… Qui est, enfin… tangible et presque à la portée de tout le monde — ont le plus de tendance à l’oublier et, bien sûr, ils ont pour cela de fortes raisons. Je vais les dire tout de suite.

Donc, la question est là, je la pointe en passant, c’est qu’en somme on interroge la vérité d’un discours, qui — s’il est vrai, suivant Freud, ce que j’ai dit tout à l’heure — est la vérité d’un discours qui peut dire oui et non, en même temps, de la même chose (puisque c’est un discours non soumis au principe de contradiction) et qui, se disant, se faisant, comme drôle de discours, introduit une vérité. Ça aussi c’est fondamental ! À preuve, si fondamental (encore que, bien sûr, pas toujours dégagé… dans le type d’enseignement que j’évoquais tout à l’heure), c’est si fondamental que c’est de là que relève le sursaut auquel on sait, on sent, on a le témoignage, que Freud a eu affaire, quand il a eu… — c’est sûrement là que ça s’est passé — à expliquer à sa bande (vous savez, là… les copains viennois, hein, du mercredi…) que… il y avait un patient qui avait eu des rêves faits exprès pour le foutre dedans, lui, Freud ! Sursaut. ! sursaut dans l’assemblée et même probablement clameur !…. Puisque, aussi bien, on voit que Freud… se met, enfin, à… se donner un peu de mal pour résoudre la question. Il explique ça, bien sûr, comme il peut ; c’est à savoir que, les rêves ne sont pas l’inconscient, que les rêves peuvent être menteurs. Il n’en reste pas moins que le moins qu’on puisse dire c’est que, cet inconscient, faut pas le pousser ! Je veux dire que si cette dimension doit être préservée — ce que fait Freud — c’est au nom de ceci : que l’inconscient, lui, préserve une vérité… qu’il n’avoue pas ! Et que si on le pousse, alors là bien sûr, il peut se mettre à mentir à pleins tuyaux. Avec les moyens qu’il a. Mais qu’est-ce que ça veut dire tout ça ?

Bien sûr, l’inconscient… ça n’a de sens — sauf pour les imbéciles qui pensent que c’est le mal — ça n’a de sens, dès lors, que si l’on voit que ça n’est pas, ce que nous appellerons, comme ça, si vous voulez, un “sujet à part entière”. Ou plus exactement qu’il est d’avant, d’avant le sujet à part entière ; il y a un langage d’avant que le sujet… ne soit… supposé… savoir… quoi que ce soit.

Il y a donc une antériorité logique du statut de la vérité sur quoi que ce soit, qualifiable de sujet, qui puisse s’y loger.

C’est ça qui… — Je sais bien que quand je dis ces. choses, quand je les ai écrites pour la première fois dans La Chose freudienne, ça a fait… Enfin, ça a sa petite résonance romantique. Qu’est-ce que vous voulez, je n’y peux rien, la vérité est un personnage auquel on a depuis longtemps donné une peau, des cheveux et même un puits peur s’y loger et… Et pour y faire le ludion… Il s’agit, à ça, de trouver la raison. Ce que je veux simplement vous dire, c’est que c’est – je vous l’ai dit tout à l’heure — impossible à exclure, pour la raison que vous allez voir.

C’est que si l’interprétation n’a pas ce rapport à ce qu’il n’y a aucun moyen d’appeler autrement que : la vérité ; si elle n’est que ce derrière quoi, enfin, on… on l’abrite, dans la manipulation, comme ça, de tous les jours, hein !…. on ne va pas tracasser, comme ça, les… petits mignons qu’on contrôle, à leur foutre sur le râble la charge de la vérité… Alors on leur dit que l’interprétation a — ou non — “réussi” comme on dit, parce qu’elle a… quoi ? — c’est le critère, hein ! — eu son effet de discours !…. ce qui ne peut rien être d’autre… qu’un discours ! C’est-à-dire qu’il y a eu du matériel, ça a rebondi, le type a continué à déblatérer.

Bon. Mais si c’est ça, alors… si ce n’est que pur effet de discours, ça a un nom que la psychanalyse connaît parfaitement et qui est d’ailleurs pour elle un problème, ce qui est drôle… c’est ça très précisément et pas autre chose, qu’on appelle : la suggestion ! Et si l’interprétation n’était que ce qui rend du matériel, je veux dire : si on élimine radicalement la dimension de la vérité, toute interprétation n’est que suggestion.

C’est ce qui met à leur place ces spéculations fort intéressantes — parce qu’on voit bien qu’elles ne sont faites que pour éviter ce mot de vérité — quand M. Glover parle d’interprétation exacte ou inexacte, il ne peut le faire que pour éviter cette dimension de la vérité et il le fait, le cher homme, (lui, qui est un homme qui sait très bien ce qu’il dit) non pas seulement pour éviter la dimension — car vous allez ; voir qu’il ne l’évite pas — seulement voilà : c’est qu’on peut parler de dimension de la vérité, mais qu’il est bien difficile de parler d’interprétation “fausse”. La bivalence est polaire, mais elle laisse embarrassé quant au tiers exclu. Et c’est pour ça qu’il admet la fécondité éventuelle — je dis : Glover — de l’interprétation inexacte. Reportez-vous à son texte. L’inexacte, ça ne veut pas dire qu’elle soit fausse. Ça veut dire qu’elle n’a rien à faire avec ce dont il s’agit, à ce moment-là, comme vérité ; mais, quelquefois, elle ne tombe pas forcément pour autant à côté ; parce que… parce qu’il n’y a pas moyen, là, de ne pas le voir ressortir : parce que la vérité se rebelle ! Que toute inexacte qu’elle soit, on l’a tout de même chatouillée quelque part.

Alors, dans ce discours analytique destiné à captiver la vérité, c’est la réponse-interprétation, interprétative, qui représente la vérité, l’interprétation… comme étant là possible — même si elle n’a pas lieu — qui oriente tout ce discours. Et le discours que nous avons commandé comme discours libre a pour fonction de lui faire place. Il tend à rien d’autre qu’à instituer un               lieu de réserve pour qu’elle s’y inscrive, cette interprétation, comme lieu réservé à la vérité.

Ce lieu est celui qu’occupe l’analyste. Je vous fais remarquer qu’il l’occupe, mais que ce n’est pas là que le patient le met ! C’est là l’intérêt de la définition que je donne du transfert. Après tout, pourquoi ne pas rappeler qu’elle est spécifique ? Il est placé en position de sujet supposé savoir, et il sait très bien que ça ne fonctionne qu’à ce qu’il tienne cette position, puisque c’est là que se produisent les effets-mêmes du transfert ; ceux, bien sûr, sur lesquels il a à intervenir, pour les rectifier dans le sens de la vérité. C’est-à-dire qu’il est entre deux chaises : entre la position fausse, d’être le sujet supposé savoir (ce qu’il sait bien qu’il n’est pas) et celle d’avoir à rectifier les effets de cette supposition de la part du sujet, et ceci au nom de la vérité. C’est bien en quoi le transfert est source de ce qu’on appelle : résistance. C’est que, s’il est bien vrai, comme je dis, que la vérité dans le discours analytique est placée ailleurs, à la place, là, de celui qui entend, en fait celui qui entend ne peut fonctionner que comme relais par rapport à cette place ; c’est-à-dire que la seule chose qu’il sache, c’est qu’il est lui-même — comme sujet — dans le même rapport que celui qui lui parle, à la vérité. C’est ce qu’on appelle communément ceci : qu’il est obligatoirement — comme tout le monde — en difficulté avec son inconscient. Et que c’est là ce qui tait la fonction, la caractéristique boiteuse, de la relation analytique.

C’est que, justement, seule cette difficulté — la sienne propre – peut répondre, peut répondre dignement, là où l’on attend — où l’on attend et où quelquefois on peut attendre longtemps !- là où on attend l’interprétation !

Seulement, vous voyez, une difficulté — qu’elle soit d’être ou qu’elle soit de rapport avec la vérité ; c’est probablement la même chose — une difficulté, ça ne constitue pas un statut.

C’est bien pourquoi c’est sur ce point qu’on fait tout pour donner à ceci, qui est la condition de l’analyste : de ne pouvoir répondre qu’avec sa propre difficulté d’être… analyste, pourquoi pas ? -, on fait tout pour camoufler ça ; en racontant des trucs ; par exemple que, bien sûr, enfin… avec son inconscient c’est une affaire réglée, hein !…. Il y a eu psychanalyse et encore : didactique !…. Et, bien sûr, ça lui a tout de même permis, enfin… Là-dessus, enfin… d’être un peu plus à l’aise !

Alors que nous ne sommes pas dans le domaine du plus ou du moins. Nous sommes dans le fondement même de ce qui constitue le discours analytique.

Ça ne va pas vite, hein ? Eh bien, pourtant, c’est bien comme ça qu’il faut avancer.

Cette vérité, si elle se rapporte au désir, ça va peut, être nous rendre compté des difficultés que nous avons à manier, ici, cette vérité, de la même façon que les logiciens peuvent le faire. Qu’il me suffise d’évoquer que le désir, ce n’est pas quelque chose comme ça, en effet, dont il soit si simple de définir la vérité.

Parce que, la vérité du désir… (petit rire de J. Lacan), ça, c’est tangible ! Euh… Nous avons toujours à y faire, parce que c’est pour ça que les gens viennent nous trouver sur le sujet de ce qui se passe, pour eux, quand le désir… arrive… à ce qu’on appelle “l’heure de la vérité” ! Ça veut dire : j’ai beaucoup désiré quelque chose — quoique ce soit, mais je suis là devant : je peux l’avoir… c’est là qu’il arrive un accident !

Oui. Le désir j’ai déjà essayé de l’expliquer — est manque… ce n’est pas moi, ça, qui l’ai inventé, on le sait depuis très longtemps, on en a fait d’autres déductions, mais c’est de là qu’on est parti, parce qu’on ne peut partir que de là — c’est Socrate. Le désir est manque dans son essence même. Et ceci a un sens : c’est qu’il n’y a pas d’objet dont le désir se satisfasse, même s’il y a des objets qui sont cause du désir.

Que devient le désir à l’heure de la vérité ?

C’est bien à partir de ces accidents bien connus que la sagesse prend avantage et se targue de le considérer comme folie, et puis, d’instaurer toutes sortes de mesures diététiques pour en être préservée. Je dis : du désir.

Voilà. Seulement… le problème… le problème est qu’il y a un moment où le désir est désirable. C’est quand il s’agit de ce qui se passe, non sans raison, pour l’exécution de l’acte sexuel. Et alors, là, l’erreur, l’erreur considérable, est de croire que le désir a une fonction qu’on insère dans le physiologique. On croit que l’inconscient ne fait qu’y apporter le trouble. C’est une erreur ! C’est une erreur, qu’aujourd’hui, mon Dieu, je… je comme ça, je monte en épingle, puisque je vous fais comme ça, pour quelques mois, mes adieux. Mais on s’aperçoit fort bien que c’est, malgré tout, une erreur qui reste inscrite au fond… même des esprits les plus avertis, je veux dire des psychanalystes.

Il est très étrange qu’on ne comprenne pas que ce qui apparaît, enfin, comme la mesure, le test du désir, autrement dit, mon Dieu… l’érection ; eh bien, mon Dieu, ça n’a rien à faire avec le désir ! Le désir peut parfaitement fonctionner, jouer, avoir toutes ses incidences, sans en être aucunement accompagné. L’érection est un phénomène qu’il faut situer sur le chemin de la jouissance. Je veux dire que, d’elle-même, cette érection est jouissance, et que, précisément, il est demandé, pour que s’opère l’acte sexuel, qu’on ne s’y arrête pas : c’est jouissance auto-érotique. On ne voit pas pourquoi, s’il en était autrement, cette jouissance serait marquée de cette sorte de voile. Normalement, je veux dire quand l’acte sexuel — du moins faut-il le supposer — a toute sa valeur, eh bien, les… emblèmes priapiques s’élèvent à tous les carrefours ! Ce n’est un objet à soustraire à la contemplation commune que pour autant, précisément, que cette érection est questionnable, est questionnable au regard de l’acte sexuel comme acte.

Ce désir… — dont il s’agit, le désir in-con-scient, celui dont on parle dans la psychanalyse et pour autant qu’il a rapport avec l’acte sexuel — il faut d’abord, il convient, de bien le définir et de voir d’où ce terme surgit avant qu’il fonctionne.

Il est très important de rappeler ceci, qui est pourtant, depuis toujours, tout mon enseignement, pour ceci c’est que si l’on ne se souvient pas, si l’on ne pose pas en ces termes l’opération indispensable à l’acte sexuel, si ce n’est pas au registre de la jouissance – et non pas du désir qu’on met l’opération de la copulation, sa possibilité de réalisation, on est absolument condamné à ne rien comprendre de tout ce que nous disons du désir féminin ; dont nous expliquons qu’il est, comme le désir masculin, dans une certaine relation à un manque, un manque symbolisé, qui est le manque phallique. Comment comprendre, comment situer avec justesse, le sens, la place de ce que nous disons-là concernant le désir féminin, si on ne part pas de ceci, qui — sur le plan de la jouissance — différencie fondamentalement les deux partenaires, fait entre eux l’abîme ; que je désignerai, je pense, suffisamment, en prenant deux repères : celui — pour l’homme — que j’ai défini à l’instant comme l’érection, sur le plan de la jouissance, et celui — pour la femme — pour lequel je ne trouverai pas mieux que ceci — dont heureusement je n’ai pas attendu d’être psychanalyste pour avoir la confidence et que vous pouvez avoir chacun — : c’est la façon dont les jeunes filles désignent entre elles ce qui leur paraît le plus proche de ce que je désigne à ce niveau, à savoir ce qu’elles appellent “le coup de l’ascenseur” ; quand ça leur fait quelque chose comme ça (1), comme ce qui se passe quand ça descend un peu brusquement elles savent, elles savent très bien, que c’est là quelque chose qui est de l’ordre, du registre, de ce dont il s’agit dans l’acte sexuel.

 

(1) J. Lacan mime la chose.

 

C’est de là qu’il faut partir pour savoir à quelle distance placer le désir — c’est-à-dire ce dont il s’agit dans l’inconscient — le désir dans son rapport à l’acte sexuel. Ce n’est pas un rapport d’endroit à l’envers. Ce n’est pas un rapport d’épiphénomènes. Ce n’est pas un rapport de choses qui collent. C’est pour ça qu’il est bien nécessaire de s’exercer pendant quelques années à savoir que le désir n’a rien à faire qu’avec la demande ; que c’est ce qui se produit comme sujet dans l’acte de la demande.

Et le désir n’est intéressé dans l’acte sexuel, que pour autant qu’une demande peut être intéressée dans l’acte sexuel ; ce qui, après tout, n’est pas forcé ; mais enfin, ce qui est courant !…. Ce qui est courant… dans la mesure où l’acte sexuel… — qui est ce que je vous ai défini : à savoir ce qui n’aboutit jamais, ce qui n’aboutit jamais à faire un homme ni une femme — enfin, disons ça pour vous provoquer : c’est que l’acte sexuel est inséré dans quelque chose qui s’appelle le marché ou le commerce — sexuel.

Alors, là, on a à faire des demandes. C’est de la demande — et foncièrement de la demande — que surgit le désir. C’est bien pour ça que le désir, dans l’inconscient, est structuré comme un langage. Puisqu’il en sort !

Il est malheureux qu’il faille que je gueule ces choses, qui sont absolument à la portée de n’importe qui. Et qui sont régulièrement omises et oubliées dans tout ce qui s’élucubre des théories les plus simples concernant la psychanalyse. Voilà. Ceci veut dire, — du même coup — que ce désir, qui n’est qu’un sous-produit de la demande (ça, je n’ai pas à vous en faire la théorie), c’est bien là qu’on saisit pourquoi il est de la nature de n’être pas satisfait.

Parce que si le désir surgit de la dimension de la demande, même si la demande est satisfaite sur le plan du besoin qui l’a suscitée, il est de la nature de la demande — parce qu’elle a été langagière — d’engendrer cette faille du désir qui vient de ce qu’elle est demande articulée et qui fait qu’il y a quelque chose de déplacé, qui rend l’objet de la demande impropre à satisfaire le désir. Tel le sein qui est tout… qui est ce qui déplace tout ce qui passe par la bouche pour un besoin digestif ; qui y substitue ce quelque chose qui est proprement ce qui est perdu, ce qui ne peut plus être donné. Il n’y a pas de chances que le désir soit satisfait ; on ne peut satisfaire que la demande.

Et c’est pour cela qu’il est juste de dire que le désir, c’est le désir de l’Autre ; sa faille se produit au lieu de l’Autre, en tant que c’est au lieu de l’Autre que s’adresse la demande. C’est là qu’il se trouve devoir cohabiter avec ce dont l’Autre est aussi le lieu, au titre de la vérité ; en ce sens qu’il n’est nulle part d’abri pour la vérité sinon où a place le langage et que le langage, c’est au lieu de l’Autre qu’il trouve sa place.

Alors ?…. Alors, c’est là qu’il faudrait un petit peu comprendre ce dont il s’agit, concernant ce désir dans son rapport au désir de l’Autre.

J’ai essayé, pour ça, de construire pour vous un petit apologue, que j’ai emprunté, non pas certes par hasard, mais pour des raisons qui sont bien essentielles à ce qu’on appelle l’art du vendeur. C’est-à-dire l’art de l’offre, dans son dessein de créer la demande. Il faut faire désirer à quelqu’un un objet dont il n’a aucun besoin, pour le pousser à le demander.

Alors, je n’ai pas besoin de vous décrire tous les trucs qu’on emploie pour ça. On lui dit qu’il va lui manquer, par exemple de ce qu’un autre le prenne, qui, de ce fait, aura barre sur lui. J’emploie des mots qui vont en écho à mes symboles habituels. C’est pourtant littéralement comme ça que ça fonctionne dans l’esprit de ce qu’on appelle un bon vendeur. Ou bien encore on va lui montrer que ce sera là, vraiment un signe extérieur tout à fait majeur pour le décor qu’il entend donner à sa vie. Nous y croyons… En somme, c’est par le désir de l’Autre que tout objet est présent quand il s’agit… de l’acheter.

L’acheter, l’acheter… lâcheté. Tiens, tiens !…. C’est assez curieux, c’est un mot… lâcheté, Feigheit… Vous êtes un lâche, Monsieur ! Tua tes agitur : il s’agit bien, en effet, de lâcheté ; mais c’est de toi-même qu’il s’agit. Oui. C’est bien de cela qu’il s’agit… Ce qui se voit, à ceci que le résultat principal — tu le sais très bien — qui surgit de cette série de malversations… — qui sont celles que la vie résume sous le signe du désir — ce résultat principal sera celui qui te poussera toujours plus loin dans le sens de te racheter. De te racheter de la lâcheté.

J’ai pris soin, quand même, avant d’amener cette dimension toujours bien sûr masquée dans l’intervention analytique, mais qu’eux, les autres, que ceux qui sont dans le coup — je veux dire celui qui tient le discours analytique — ne mâchent pas. Il sait très bien que la dimension de la lâcheté est intéressée, mais, je ne sais pas… j’ai pris soin de rouvrir pour vous, enfin… comme ça, n’importe laquelle des grandes observations de Freud, je suis tout de suite tombé dans L’homme aux rats, sur le fait que le patient amène tout de suite cette dimension de sa lâcheté ! Seulement, ce qui n’est pas clair, c’est où elle est, la lâcheté. C’est comme pour la dimension de tout à l’heure, celle de la vérité. Le courage du sujet, c’est. peut-être justement de jour le jeu du désir, et du désir de l’Autre. C’est de donner la – prime ä quelque chose qui est aussi bien, peut-être, la lâcheté de l’Autre qui l’achète et de s’y trouver à la fin, de s’y retrouver. Car, en fin de compte, le problème est bien là quand il s’agit de la névrose.

Mais, pour ça, il est important de bien saisir, ou plus exactement de rappeler, de ramener au premier plan ce que j’ai dit du désir, ce que j’ai dit dans son temps du désir, quand j’ai dit : le désir, c’est son interprétation.

Hein ? On pourrait tout de même objecter. Parce qu’après tout, ce désir… ce désir inconscient – dont personne ne veut bien savoir ce que ça veut dire, un désir inconscient ! Qu’est-ce qui doit, en principe, être plus conscient que le désir ? Si l’on parle de désir inconscient, c’est bien en effet parce que c’est le désir de l’Autre que c’est possible ; s’il y a justement ce que je viens d’évoquer, par un rappel de la métaphore de l’achat, dont on ne sait pas sur qui il a prise, de cette captivation dans le désir de l’Autre… c’est qu’il y a un pas à franchir.

Le désir inconscient, s’il est inconscient, nous dit-on, c’est que, dans le discours qui le supporte, on a fait sauter un chaînon pour que le désir de l’Autre… soit quoi ?…. méconnaissable ! C’est le truc le meilleur qu’on a trouvé, pour stopper cette mécanique : il y a un pas, eh bien, nous créons, en deçà de ce pas, non pas le non-désir, mais le désir-pas. La définition du désir inconscient : c’est ça — que nous permettent d’exprimer les subtilités de la négation, en français — à savoir ce point de chute que nous désigne le pas le point, dont j’ai fait déjà usage sur le sujet du pas de sens.

Ce désir : pas, j’irai même – si vous me laissez un tout petit peu la bride sur le cou — jusqu’à en faire un nom écrit d’une seule tenue et ce désir, qui le commande, de lui donner le même accent que désespoir, ou que désêtre, et dire que le désir inconscient du désirpas, c’est quelque chose qui déchoit par rapport à je ne sais quel irpas. Irpas qui désigne très précisément le désir de l’Autre ; par rapport à quoi l’interpréter se verbaliserait assez bien d’un irpassé (1).

 

(1) Il est loisible d’adopter la graphie de J Nassif : désir pas, désirpas, irepas, y repasser. La nôtre ne fait         que suivre le modèle : désespoir, espoir, espéré. Elle interprète aussi : désir passé, par où on repasse.

 

C’est cela autour de quoi peut se faire l’inversion. C’est que l’interprétation, en effet, c’est elle qui prend la place du désir, au sens où, tout à l’heure, vous m’objectiez qu’il est là — tout inconscient qu’il soit — d’abord. Mais il est là, aussi, tel qu’on y repasse, parce qu’il est là déjà articulé et que l’interprétation, quand elle a pris sa place… Heureusement ça n’arrange rien ! Car il n’est pas du tout sûr que le désir que nous avons interprété ait son issue ; nous comptons même bien qu’il ne l’aura pas, et qu’il restera toujours et d’autant mieux un désirpas.

Ça nous donne même, pour l’interprétation du désir, des coudées assez larges.

Mais alors, il conviendrait quand même de savoir ici ce que veut dire ce qui est son support sous le nom du fantasme, et quel jeu nous jouons en interprétant ces désirs inconscients, nommément ceux du névrosé. C’est là qu’il s’agit de poser la question concernant le fantasme. Nous l’avons posée sans arrêt ; reposons-la ici, au terme, une dernière fois.

Quand les logiciens — d’où tout ce discours aujourd’hui est parti — se limitent aux fonctions formelles de la vérité, je vous l’ai dit : ils trouvent un gap, ils trouvent un espace singulier, entre ce principe de non-contradiction et celui de la bivalence. Et vous le trouvez dès Aristote, précisément dans le livre qui s’appelle De l’Interprétation et qui — Pour être commode je vous le signale — est au paragraphe 19-a, dans la notation qui désigne les manuscrits classiques d’Aristote et que vous trouvez à la page 100 (c’est facile à retenir), dans la très mauvaise traduction que je vous recommande celle de Tricot, qui est courante.

Aristote met en cause la fonction que comporte la bivalence du vrai et du faux dans ses conséquences. Je veux dire dans ce qu’elle comporte quand il s’agit du contingent, dans ce qui va arriver. Ce qui va arriver, si oui ou non, si nous posons que c’est vrai ou faux ; c’est donc vrai ou faux tout de suite, c’est-à-dire que c’est déjà décidé. Naturellement, ça ne peut pas marcher.

La solution qu’il en donne, celle qui est de mettre en doute la bivalence, n’est pas ce qui est ici en cause. Je ne pousserai pas ici la discussion. Mais, par contre, ce que je ferai remarquer, c’est que la solution logicienne — banale, courante, celle qui est donnée par exemple dans le volume des Kneale (je crois bien que je prononce correctement leur nom)           Développements de la logique — celle qui consiste à dire que ce qui est vrai, ce ne saurait être l’articulation signifiante, mais ce qu’elle veut dire : cette solution est fausse.

Cette solution est fausse, comme tout le développement de la logique le montre ; je veux dire que ce qui se déduit de toute instauration formelle ne saurait, en aucun cas, se fonder sur la signification, pour la simple raison qu’il n’y a pas de possibilité de fixer aucune signification qui soit univoque, et que, quels que soient les signifiants que vous avancez pour l’épingler vrai ou faux, il est toujours possible de l’impliquer dans une circonstance où la vérité, la plus clairement énoncée au titre du contenu signifié, sera fausse, voire plus que fausse : une caractéristique tromperie.

Il n’est possible d’instaurer un ordre, qu’à attribuer – je parle de logique – qu’à attribuer la fonction de la vérité à un groupement signifiant. C’est pourquoi cet usage — logique — de la vérité ne se rencontre que dans la mathématique, où, comme le dit Bertrand Russel, on ne sait en aucun cas de quoi l’on parle. Et si l’on croit le savoir, on est vite détrompé : il faudra rapidement faire le ménage et faire sortir l’intuition.

Je rappelle ceci pour interroger ce qu’il en est de la fonction du fantasme.

Je dis -modèle : Un enfant est battu – que le fantasme n’est qu’un arrangement signifiant, dont j’ai donné la formule, il y a longtemps, en y couplant le petit a, à l’ S barré . Ce qui veut dire qu’il a deux caractéristiques ; la présence d’un objet petit a et, d’autre part, rien d’autre que ce qui engendre le sujet comme S barré à savoir : une phrase. C’est pourquoi Un enfant est battu est typique : Un enfant est battu n’est rien d’autre que l’articulation signifiante : un enfant est battu ; à ceci près, (lisez le texte, reportez-vous-y) que, là-dessus erre, que, là-dessus vole, rien d’autre que ceci – mais impossible à éliminer- qui s’appelle : le regard

Avant de faire jouer les trois temps de la genèse de ce produit qui s’appelle le fantasme, il importe quand même de désigner ce qu’il est !

Ce n’est pas parce que Freud avait affaire à des illettrés que ça ne reste pas intéressant de poser les arêtes fermes du statut du fantasme et de dire : ce n’est strictement

rien d’autre – conformément à ce que je vous ai apporté au début de cette année, concernant le couplage : d’une part, du je ne pense pas, avec la structure grammaticale – de vous dire que c’est à la place même de cette structure grammaticale qu’au quatrième sommet du quadrangle surgit l’objet petit a

et d’ajouter – puisque nous venons déjà d’en désigner deux, les deux à gauche – que l’angle, en bas et à droite, celui d’où je ne suis pas laisse la place, qu’il écorne au niveau de l’inconscient, à ceci , qui est le complément de la structure purement grammaticale signifiante du fantasme; à savoir ce dont je suis parti aujourd’hui et qui s’appelle : UNE SIGNIFICATION DE VERITE.

Ce qui est à retenir, à monter en épingle, dans tout ce qu’énonce Freud concernant le fantasme, c’est simplement ce petit trait clinique, -que celui ici qu’il avance pour certes nous démontrer tellement de choses, de son usage, à le manipuler – mais ce qu’il faut retenir, c’est un trait comme celui-ci : que ce fantasme, le même, se rencontre dans des structures névrotiques très différentes ; mais aussi bien, vous le savez, que – ce fantasme – il reste à une distance singulière de tout ce qui se débat, de tout ce qui se dispute dans les analyses, pour autant qu’il s’agit d’y traduire la vérité des symptômes.

Il semble qu’il soit là comme une sorte de béquille ou de corps étranger, quelque chose à l’usage, après tout, vous le savez, qui a une fonction bien déterminée : c’est de subvenir à ce qu’après tout on peut bien appeler par son nom une certaine carence du désir. Pour autant qu’il est mis en jeu, intéressé – il faut bien qu’il le soit, ne serait-ce que pour faire les pas de l’entrée, mettre de l’ordre dans la pièce – à l’entrée de l’acte sexuel.

Cette distance du fantasme, par rapport à la zone où se joue ce que j’ai mis en valeur tout à l’heure comme primordial, de la fonction du désir et de son lien à la demande et de ceci

– si évident que c’est de cela que résulte l’inflexion tout entière de l’analyse autour des registres dits de la frustration et des termes analogues – c’est ceci qui nous permet de faire le point de la différence qu’il y a de la structure perverse à la structure névrotique.

Qu’est-ce que je veux dire quand je dis que le fantasme y a rôle de signification de vérité ? Eh bien, je vais vous le dire ! Je dis la même chose que disent les logiciens, à savoir : vous loupez la commande à vouloir à tout prix, ce fantasme, l’insérer dans ce discours de l’inconscient, quand, de toute façon, il vous résiste fort bien, à cette réduction. Et quand vous devez dire qu’au temps médian, le temps deux d’ Un enfant est battu -celui où c’ est le sujet qui y est, à la place de l’enfant – celui-là, vous ne l’obtenez que dans des cas exceptionnels. C’est qu’à la vérité la fonction du fantasme … je veux dire : dans votre interprétation et plus spécialement encore dans l’interprétation générale que vous donnerez de la structure de telle ou telle névrose, (qui devra toujours, au dernier terme, s’inscrire dans les registres qui sont ceux que j’ai donnés, à savoir – pour la phobie : le désir prévenu – pour l’hystérie ; le désir insatisfait – pour l’obsession : le désir impossible. Quel est le rôle du fantasme dans cet ordre du désir névrotique ? Eh bien, signification de vérité ai-je dit : ça veut dire la même chose que quand vous affectez d’un grand V-pure convention dans la théorie donnée par exemple de tel ensemble – quand vous affectez de la connotation de vérité quelque chose que vous appellerez un axiome : dans votre interprétation le fantasme n’a aucun autre rôle, vous avez à le prendre, aussi littéralement que possible et ce que vous avez à faire, c’est à trouver dans chaque structure, à définir les lois de transformation qui assureront à ce fantasme, dans la déduction des énoncés du discours inconscient, la PLACE D’UN AXIOME.

Telle est la seule fonction possible qu’on puisse donner au rôle du fantasme dans l’économie névrotique. Que ça advienne, que son arrangement soit emprunté au champ de détermination de la jouissance perverse, c’est cela, vous l’avez vu, que j’ai démontré et dont je crois, dans nos entretiens précédents avoir suffisamment fixé la formule ; au regard de la disjonction, au champ de l’Autre, du corps et de la jouissance, et de cette part préservée du corps où la jouissance peut se réfugier.

Que le névrosé trouve, dans cet arrangement, le support fait pour parer à la carence de son désir dans le champ de l’acte sexuel, c’est là – dès lors – ce qui est moins fait pour nous surprendre. Et si vous voulez que je vous donne quelque chose qui vous serve à la fois de lecture – je ne peux pas dire que ce doive être pour vous lecture bien agréable (c’est emmerdant comme la fumée  !) – mais, tout de même, comme exemple d’une véritable saloperie en matière scientifique, je vous recommanderai la lecture, dans Havelock Ellis, du cas célèbre de Florie. On ne peut mieux voir à quel point un certain mode d’abord d’un champ dont on se targue – au nom de je ne sais quelle objectivité – de forcer les portes, alors qu’on en est intégralement serf, et serf d’une façon vraiment très singulière… il n’y a pas une des lignes de cette observation célèbre qui ne porte en quelque sorte les marques de la lâcheté du professeur.

C’est un texte sensationnel, ce cas de Florie. Assurément, il vous apparaîtra avec toutes les caractéristiques après les repères que je vous ai donnés – d’être une névrose. D’aucune façon, le moment où Florie franchit -dans le sens de ce quelque chose qui peut en quelque sorte arriver au névrosé sans que jamais il y ait rien pour lui d’équivalent à la jouissance perverse, mais “franchit” dans le sens ambigu qui en fait à la fois un passage à l’acte et, pour nous qui lisons, un acting-out – quelque chose qui fait que Florie, affectée de ses fantasmes de flagellation, arrive, une fois, à en franchir l’interdit qu’ils représentent pour elle. Ceci vaut d’être confronté avec les carences absolument manifestes de cette observation, et jusqu’au point bù – Florie, lui ayant confessé que ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle fait entrer dans ses fantasmes une personne réelle, quelqu’un qu’elle admire et qu’elle vénère – il est vraiment incroyable de voir la plume d’Havelock Ellis inscrire : “De qui il s’agit, je ne le lui ai pas demandé”… Alors qu’il est clair… – comme dans le cas du Père Ubu, quand vous lui voyez encore la queue du cochon entre les dents – que, bien entendu, c’est d’Havelock Ellis, qui est là roulé dans la farine de bout en bout par cette patiente, naturellement, qu’il s’agit  ! Et, après ça, il faut mieux avoir à faire le grand personnage pour reprendre les membres de la communauté analytique, qui se sont permis d’opiner sur ce même cas, avec un respect d’ailleurs complètement injustifié, pour le recueil de cette observation par Havelock Ellis. Ceci, quand même, est bien de nature à vous montrer à la fois, tout ensemble, toutes les difficultés que j’ai voulu mettre en relief aujourd’hui, concernant ce qu’il en est de l’appréciation du fantasme.

Si l’on peut dire, je dirai, que du fantasme – tel que nous l’imaginons, nous autres, pauvres névrosés – du fantasme dans sa fonction au niveau dit pervers, à celui de sa fonction dans le registre névrotique ; il y a exactement la distance -je finis là-dessus, pour faire clinique – de la chambre à coucher  !

Est-ce qu’il y a des chambres à coucher ? Il n’y a pas d’acte sexuel…, ça laisse, sur la chambre à coucher, hein ? – mise à part celle d’Ulysse, où le lit est un tronc enraciné dans le sol – ça laisse, sur le sujet des chambres à coucher – et puis surtout à notre époque, hein, où toutes les choses se …se…se balancent dans le mur ! – ça laisse un sérieux doute ; mais enfin c’est une place qui, au moins théoriquement, existe.

Il y a quand même une distance entre la chambre à coucher et le cabinet de toilette. Faites bien attention que tout ce qui se passe de névrotique se passe essentiellement dans

le cabinet de toilette (c’est très important ces questions d’arrangement de logique), dans le cabinet de toilette ou dans l’antichambre, c’est la même chose.

L’homme du plaisir au dix-huitième siècle aussi, lui… tout se passait dans le boudoir. Chacun a son lieu !

Si vous voulez des précisions, hein ? : La phobie, ça peut se passer dans l’armoire à vêtements… ou dans le couloir, dans la cuisine.

L’hystérie, ça se passe dans le parloir ; le parloir des couvents de nonnes, bien entendu. Quoi  ? ! L’obsession : dans les chiottes.

Faites très attention à ces choses-là, c’est tout à fait important.

Oui… tout ceci nous amène à la porte de ce que je vous inviterai à franchir, l’année prochaine, à savoir : une chambre… à coucher ! … où il ne se passe… rien, si ce n’est que l’acte sexuel s’y présente comme forclusion, à proprement parler : Verwerfung. C’est ce qu’on appelle communément le cabinet de l’analyste.

Le titre que je donnerai à mes leçons de l’année prochaine, s’appellera : L’acte psychanalytique.

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