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Recherches Lacan

LX L'angoisse 1962 – 1963 Leçon du 20 février 1963

Leçon du 20 février 1963

 

W. Granoff — On s’est un petit peu demandé la façon qu’on allait utiliser pour vous parler de ces choses-là, d’autant plus qu’on s’est trouvé en présence d’une difficulté pratique, c’est-à-dire, comment couper ça, comment séparer ça, en plusieurs articles ou en plusieurs courts numéros ; puis, finalement, nous n’avons arrêté aucun plan, c’est-à-dire, comme nous les connaissons en somme, ces articles, relativement inégalement parce que nous avons été également а courts de matériel bibliographique, nous nous sommes dit que la seule chose que nous pouvions vraiment faire, c’est d’en parler entre nous devant vous, de vous prendre plus ou moins а témoin.

Quand а la façon de s’y prendre, c’est-à-dire par où les entrevoir, par où les aborder, compte tenu du fait que c’est Lacan qui nous а a demandé de faire ça et qu’il nous l’a demandé dans un certain esprit, c’est-à-dire de voir dans ces articles ce qui était, comme on dit en anglais, relevant ou irrelevant а ce qu’il était en train de nous apprendre en ce moment ; ça nous а a paru finalement la voie la plus logique, c’est-à-dire que dans la mesure où ce dont il nous parle, c’est de l’analyse telle qu’il la conçoit, il va de soi qu’à peu près tous les articles qu’on peut trouver dans la bibliographie, pour peu qu’ils soient bien choisis, sont pertinents quant aux questions qu’il traite.

Certains d’entre eux, assurément, contiennent plus d’éléments qui ont alerté sa sensibilité et qui se trouvent avoir alerté la sensibilité de tel ou tel auteur, comme Margaret Little. Lorsque nous considérons que tel article est bon et tel article moins bon, c’est en dehors, évidemment, de ses qualités évidentes, de ses qualités littéraires et de sa valeur propédeutique, disons, C’est aussi le fait que dans tel article se trouvent précisément les éléments sur lesquels notre sensibilité est plus alertée, et plus alertée par la forme. Là, en l’occurrence, nous avons affaire а des articles excellents en prenant ceci comme critère, c’est-à-dire qu’ils sont excellents quant à leur insertion dans les formulations actuelles dominant dans ce séminaire. А considérer ce qui est en cours en ce moment, c’est-à-dire grosso modo, les diverses conceptions que l’on a  pu, que l’on peut, ou que l’on se fait encore de l’analyse, il est évident que ces conceptions étant des conceptions des analystes, elles se trouveront, au fond, exposées avec une particulière vivacité dans la littérature, restreinte, il est vrai, qui traite du contre-transfert.

C’est évidemment la une difficulté ; parler du contre-transfert, on peut dire que les choses ne sont, comme on dit, pas mûres, et pour diverses raisons, on s’y sentirait peu enclin. Or, cependant, quelque acrobatie que l’on fasse, а vouloir éviter de présenter les choses sous la rubrique du contre-transfert, je me suis aperçu que, finalement, c’était à peu près inévitable de le prendre comme les auteurs l’ont pris eux-mêmes, c’est-à-dire, tout au moins, en le prenant sous ce titre-là.

En matière de contre-transfert, par conséquent, c’est-à-dire, ultimement, des vues sur l’analyse, on peut considérer que dans le cours de l’histoire du mouvement analytique, on а affaire а quelque chose que l’on peut représenter comme étant le champ parcouru par un compas déployé sur 180 degrés ; et, si des positions initiales que je n’appellerai pas des positions freudiennes parce que celle-là, je l’ai relativement mal explorée, mais enfin au moins des positions initiales chronologiquement parlant, on les considère comme particulièrement bien représentées dans l’article de Barbara Low ; on peut dire qu’à l’autre bout de cet éventail, se trouve une tentative comme celle de Thomas Szasz, qui offre ceci de particulier qu’elle est, des tentatives contemporaines, je crois sinon la plus, du moins une des plus intéressantes, assurément, par sa rigueur, par les qualités de son exposition, par la recherche et la sévérité de l’auteur vis-à-vis du critère qu’il utilise, ce qui fait qu’elle а culmine dans cette sorte de fleur а la limite monstrueuse, mais dont on а le sentiment qu’au fond, il s’en serait fallu de bien peu pour que, de monstrueuse, cette fleur ne soit tout à fait autre chose.

Le temps pour parcourir cet éventail est évidemment extrêmement limité. En prenant donc, dans l’ordre chronologique, l’article de Barbara Low, article qui а été donné par elle au Congrès de Lucerne, si je ne me trompe, ou au Congrès de Zurich, au septième congrès, qui а été repris dans l’International Journal en 1935, après avoir noté au passage qu’entre le texte allemand du Zeitschrift et le texte anglais, il у а quelques petites divergences, mais que cette fois-ci, je crois, nous devons faire abstraction de notre partialité habituelle, parce que l’auteur est de langue anglaise et nous n’avons pas de raisons cette fois de privilégier le texte allemand.

Nous voyons que la position de Low, grosso modo, vise а assimiler l’exercice de l’analyse а celui d’un art. Grosso modo et très précisément, c’est la position qu’elle exprime. Car, dit-elle, l’analyste est dans une position particulièrement difficile а soutenir sans que dans sa position, il n’ait а faire intervenir des satisfactions, plus exactement ce qu’elle appelle des compensations psychologiques, en allemand Entschädigung, quelque chose de l’ordre du dédommagement а proprement parler. Ces dédommagements qui introduisent évidemment l’idée du dommage qu’il est impossible à l’analyste de ne pas faire intervenir, sont amenés par trois privations essentielles. La première est celle qui а trait à l’inhibition du plaisir narcissique, surtout aux niveaux prégénitaux et alors là il faut évidemment remarquer qu’elle écrit а une époque où toutes les questions dites de la prégénitalité avaient encore ce développement moins poussé que plus tard.

Ensuite, point très important, presque central pour elle, l’inhibition de la certitude dogmatique dans la sphère intellectuelle ; troisièmement, le plus important sur le plan de ce qui est difficile а supporter, des méditations pénibles au niveau du surmoi de l’analyste. Où se passe ce drame ? Où se joue-t-il ? Eh bien, là, évidemment, on peut dire que l’effort de la génération de l’analyste nous… Du même coup, se retrouve également la sympathie que Lacan peut avoir а l’égard de cet article, c’est que, pour Barbara Low, tout ceci se joue, au fond, sur une deuxième scène, tout au moins, au niveau où elle présente la chose ; le fantasme dernier de Barbara Low, quant à la situation analytique, ne passe pas loin d’un fantasme plan, c’est assez probable. Et comme deuxième scène, c’est évidemment а la deuxième scène, c’est-à-dire la scène sur la scène d’Hamlet, qu’elle se réfère. Car, quelle doit être, d’après elle, là position de l’analyste ? Elle fait une brève citation de Milton dans le Paradis perdu, faisant cas de la tranquillité qu’elle recommanderait а l’analyste, pour en arriver aux conseils qu’Hamlet donne а la troupe d’acteurs qui vient jouer. Dans sa manière de citer Hamlet, elle s’y prend d’une façon assez curieuse ; car — je n’ai malheureusement pas d’édition française d’Hamlet, ce qui fait que je ne sais pas quelle est la traduction habituelle — enfin voilà ce qu’elle cite, elle : ne soyez pas trop tame, je ne sais pas comment on pourrait traduire ça, а vrai dire, ne soyez pas trop timide ; au fond tame, c’est l’apprivoisement.

– quelqu’un, dans la salle : timoré.

Timorés, ne soyez pas trop timorés. Dans le torrent, dans la tempête, même, pourrais-je dire, du tourbillon des passions, vous devez acquérir et obtenir une tempérance. Tempérance, évidemment, nous renvoie а la fois а tempérament et а abstinence aussi ; elle nous renvoie surtout а ce qui est le sens premier du mot en anglais, c’est-à-dire а un certain équilibre. Mais, dans la citation qu’elle fait : Be not too Lame, il manque tous les points de suspension. La ligne qui suit, elle procède а une sorte d’inversion parce que Ве not too Lame, c’est ce qui arrive dans le paragraphe qui suit, celui qu’elle cite en premier. Ceci а un intérêt, qui est un intérêt accessoire, mais qui est quand même assez curieux, parce que — et la, on trouve déjà quelque chose que nous retrouverons développé entièrement chez un auteur dont je vous parlerai tout à fait en dernier, c’est-à-dire Lucy Tower qui est un auteur contemporain alors, lui, une femme également — Hamlet, dans le premier paragraphe, c’est-à-dire, avant que de dire : Ne soyez pas trop timorés, lorsqu’il parle du tourbillon des passions, il en parle pourquoi ? Pour dire que l’acteur ne devrait pas exagérer et qu’en particulier, il ne devrait pas dépasser Termagant. Qui est ce personnage ? А vrai dire, je ne le sais pas avec précision. Tout ce que je sais, c’est que c’est une divinité que l’on faisait intervenir dans ces sortes de comédies, enfin de jeux de la passion, qui ont commencé par les églises а l’extérieur, qui ont fini par donner au Moyen-âge des troupes d’acteurs professionnels ambulants. On trouve ce personnage dans les Chesterwoodson Plays et dans les Country Plays. Or, quel rôle joue-t-il ? Dans les Chesterwoodson Plays, il parle de lui -même en disant qu’il est celui que le soleil n’ose pas éclairer. Et dans les Country Plays, il se présente comme étant maître de tout homme. C’est-à-dire qu’à cet endroit, Hamlet demande а ses acteurs de ne pas, dans le simulacre, dépasser un personnage qui est un personnage se présentant comme investi d’une toute puissance. Or, que ce soit une toute puissance, ou que ce soit un personnage qui ne contienne aucune lacune d’aucune sorte, ça nous renvoie а quelque chose qui est de l’ordre de la préoccupation du tout enfin d’une certaine totalité, et qui vient à son apogée dans un article récent justement dont je vous parlerai sous la rubrique des cent pour cent que nous verrons utiliser aussi bien chez Margaret Little que chez Lucy Tower. Évidemment, chez Margaret Little, il у а… où il n’est question que de cent pour cent, de la responsabilité en l’occurrence. Comment est-ce que Barbara Low termine ce qu’elle а а dire ? Eh bien, en assimilant l’exercice analytique а une activité artistique. Pourquoi ? Parce qu’elle est créatrice. En passant, elle nous donne mille signes de son goût pour ce qui n’est pas pédant. Elle parle du rapport de Freud avec son oeuvre, et elle le décrit, elle en parle comme d’une attitude joyeuse, communiquant sa joie au lecteur ; elle cite aussi les auteurs qui sont pour elle de là même veine. Évidemment, ce ne sont pas n’importe lesquels, c’est essentiellement Ferenczi, et je crois que nous nous accorderons volontiers avec elle pour dire que c’est bien la façon dont nous sentirions aussi les choses. Elle-même, du reste, écrit un anglais splendide, et lorsqu’elle donne un exemple clinique, il est tout а fait remarquable que le patient qu’elle cite est un patient qui est, dit-elle, lui-même un auteur de quelque excellence.

Donc, activité créatrice. Qu’est-ce qui rend cette activité créatrice possible ? C’est qu’au fond si, parmi les choses qui se satisfont dans l’activité analytique, il у а regarder, ce qui est propre, bien sûr, а lui donner toutes sortes de difficultés, essentiellement sur le plan de l’inhibition de notre certitude dogmatique, il у а, dit-elle, un moyen de transformer les embarras de… regarder, c’est-à-dire si au lieu de regarder notre position, c’est vivre de, (en anglais, living from, et en allemand Leben ги schöpfen). Donc ce living from, qui est une des formes diverses de notre intéressement, est à vrai dire le ressort même de là valeur créatrice de notre activité en tant qu’activité artistique ; et la, elle ira rejoindre un des articles de Szasz, un des articles de 1956, lequel faisait allusion aux satisfactions que l’on éprouve dans l’exercice de professions libérales et dans l’analyse en particulier. Elle fait cette remarque que, dans notre contexte culturel — sauf dans les activités artistiques, essentiellement dans l’entertainment, c’est-à-dire le spectacle — il ne se fait pas que l’on éprouve des satisfactions, au sens premier du terme, dans l’exercice même de l’activité en question.

Et ceci l’amène, d’une manière qui, а cet endroit-là, peut paraître inattendue, а donner une façon imagée dont elle conçoit cette satisfaction, ce vivre de. L’exemple qu’elle donne, plutôt l’illustration qu’elle en donne, c’est prendre un repas. C’est évidemment très frappant, parce que c’est ce que nous retrouverons dans un autre article publié vingt ans plus tard, prendre un repas. En d’autres termes, dit-elle, si manger, а côté de quelqu’un, son propre repas, c’est une chose, manger en commun avec quelqu’un, c’en est une autre. Pour elle, а ce niveau-là, l’issue, c’est une sorte de fraternité mystique qui résulte du repas pris en commun. Cette fraternité du bon repas, brotherhood, se retrouve vingt ans plus tard dans un article dont je ne sais pas si c’est le moment de parler maintenant; mais, en tout cas, puisque l’exemple clinique me vient а l’esprit, c’est l’article de Lucy Tower paru dans le Journal de l’Association psychanalytique américaine sous le titre de Contre-transfert dans le numéro d’avril 1956, je redirai, si j’ai le temps, quelques mots de cet article. Toujours est-il que voilà l’exemple clinique qu’elle nous donne : c’est une femme extrêmement embêtante, qui l’injurie au-delà de tout ce qu’elle peut endurer. « Un beau matin de printemps, je suis sortie de mon bureau vingt minutes avant le rendez-vous avec cette patiente, mon carnet de rendez-vous ouvert sur mon bureau ». Elle prit un repas délicieux, elle insiste sur le fait que c’est un repas délicieux, toute seule dans un restaurant; elle est rentrée, sans se presser; quand elle est rentrée dans son bureau, c’était pour se faire dire, par la secrétaire très probablement, que la patiente, très en colère, était repartie. Passent là-dessus 24 heures de rage fortement vécue. S’attendant а voir la patiente s’en aller, quitter le traitement, en tout cas l’injurier plus encore si même elle revenait, de manière а ce qu’elle soit obligée d’y mettre fin, elle а la surprise de voir qu’après avoir essayé effectivement d’entrer dans cette voie, la patiente lui dit : « Franchement, je ne peux pas vous blâmer ». Et là, se situe un de ces virages extraordinaires dont l’article de Margaret Little nous donnera de nombreux exemples; encore que cette dame Tower en donne, elle-même, trois par la suite, de ces virages, а là suite, ainsi d’une découverte consécutive а un passage а l’acte, ou а un acting-out, selon le cas, de l’analyste. Ici, il s’agit manifestement d’un acting-out, ce repas délicieux qu’elle prend а la suite véritablement de toutes les vertus empoisonnantes de l’objet que lui propose son patient.

Pour quitter Barbara Low et passer au premier ou au deuxième article de Margaret Little, et а un article de Szasz, qui n’est pas celui que tu as eu en lecture, on s’aperçoit qu’à l’autre bout, chez Szasz par conséquent, les inévitables gratifications de l’analyste consistent finalement dans quelque chose

qu’il а beaucoup de mal а accepter. Il en cite un certain nombre, et celles-là sont courantes. Ça ne vaudrait pas la peine de gâcher un temps qui va en s’épuisant а les énumérer. Toujours est-il que lui, personnellement, sa contribution а cette énumération, il là conçoit, voilà comment: c’est qu’il у en а une, dit-il, sur laquelle les auteurs n’ont peut-être pas tellement attiré l’attention parce que, pour eux-mêmes, c’est une chose extrêmement difficile. C’est tout ce ‘qui dérive de l’application du savoir, c’est-à-dire de là possibilité de se prouver qu’on voit correctement les choses.

La distance d’avec Low est énorme. D’une part, il est évident que l’application du savoir prend appui sur la satisfaction d’être celui dont on а besoin. La distance d’avec Low, on peut la représenter de la manière suivante. Low dit : « Ma position par rapport а l’analysée est que je suis curieuse, c’est légitime, parce que je suis intéressée ». La position de Szasz, c’est « J’ai le droit de voir parce que vous avez besoin de moi en raison de ce que j’ai, mon savoir ». Et ce qui est le point auquel Szasz aboutit, c’est que, pour lui, là question n’est pas tant celle – ça ne l’émeut pas du tout – du désir de l’analyste, mais, dans la préoccupation ultimement politique qui l’anime, toute la question est du pouvoir de l’analyste avec tout ce que naturellement une pareille position doit au contexte dans lequel il travaille, c’est-à-dire le contexte américain.

La résistance, d’après Szasz, а reconnaître les satisfactions liées а l’exercice d’un certain pouvoir – dont le tout est pour lui de faire que ce pouvoir soit légitime, donc développé dans une rigueur scientifique extrême, et non pas illégitime, comme c’est le cas dans ce qu’il considère comme les inconvénients de la formation actuelle, qu’il assimile tout bonnement а de l’espionnage, ce qui lui vaut d’ailleurs d’être refusé dans toute publication analytique а l’heure actuelle -, la résistance а accepter ceci tient au fait que l’analyste occupe une position parentale; et le parent, il n’est pas question qu’il ait des satisfactions, étant donné qu’il fait une œuvre en soi. Et, а ce sujet, de façon assez amusante, il parle de l’intérêt de ses concitoyens par rapport а leur président de l’époque, c’est-à-dire Eisenhower; combien de temps consacre-t-il au travail? Combien de temps consacre-t-il au jeu? car il est évident qu’il faut qu’il joue, cependant pas trop, parce qu’on va dire qu’il у prend du plaisir, et s’il travaille, il ne faut pas qu’il travaille trop parce qu’après il crèverait et, par conséquent, on le perdrait comme substitut parental.

Si, d’un côté, nous avons cette perspective-là, de l’autre, nous avons tout ce qui circule dans le cadre présenté par Low. Comment se remplit le champ parcouru par ce compas dont on pourrait peut-être préciser, en prenant la une référence plus freudienne, que si, а un bout, chez Freud, le transfert est, on peut dire, dans une sorte d’équation analogue а l’amour, que c’est bien ce qui est difficile, que c’est la difficulté du contre-transfert, que sur ce qui est de cet ordre-là des choses que nous connaissons sa position sur le deuil d’une part et sur le choix de l’objet pour l’homme contemporain, c’est-à-dire le Malaise dans la civilisation. А l’autre bout, nous trouvons un certain optimisme dans l’analyse actuelle, particulièrement illustré aux États-Unis, la dégradation corrélative du statut de l’angoisse, là promotion, sur laquelle Lacan insiste beaucoup, de l’armure génitale et une corrélative oblativité. Naturellement, l’inconscient comme « autre scène » est ce qui ne se retrouve plus; car, entretemps, concurremment avec tous les efforts puissants de la collectivité analytique aux États-Unis, intervient, facteur essentiel, vingt ans de ego psychology avec tout ce que nous trouverons après, de la façon la moins pédante, la plus candide, en raison de son appartenance kleinienne, chez Margaret Little, et jusque même dans sa sensibilité а un certain choix de matériel clinique, je pense là а ce dont je vous parlerai, j’espère, c’est-à-dire la capsule, tous ces fantasmes sphériques qui, а ce moment-là, se mettent а affleurer comme fantasmes de remplacement du fantasme plan. Je passe vite, mais on s’est donné vraiment très très peu de temps…

La constance des problèmes auxquels а а faire face l’analyste est donc absolue. Qu’est-ce qui change ? Pas là dimension du champ depuis l’origine, mais l’éclairage, parce que ce qui а changé, c’est véritablement là nature du faisceau éclairant. C’est ce que je voulais dire en disant que, 1à, intervient l’ego psychology. C’est donc simultanément, au moment où l’ego-psychology va prendre tout son essor et donner tous ses fruits que se situe la discussion concernant le contre-transfert; c’est а ce moment-là qu’elle prend droit de cité.

Là, on ne peut que vous épargner les longues statistiques finalement de thèmes partiels qui, eux également, parcourent un certain secteur de 180 degrés depuis une certaine dignité donnée au contre-transfert, jusqu’à l’opposé le contre-transfert, pur et simple source de difficultés. Lucy Tower s’en fait le collecteur particulièrement soigneux. On s’aperçoit qu’il у а finalement, dans cette collection, dans ce passage des 180 degrés de cet éventail, et dans l’ironie même qui peut se déployer а cet endroit un certain malentendu, parce qu’au fond, le paradoxe de la question du contre-transfert, est il respectable ?, comme c’est finalement la position de Lucy Tower, il est respectable parce qu’il est inévitable. Ou une position а l’extrême, comme celle de Spitz, extrême, pourquoi? Simplement а cause de la sûreté dont il semble faire preuve а cet endroit, en disant que si c’est très regrettable, si c’est très ennuyeux, c’est pas trop ennuyeux parce qu’on s’en tire finalement très bien, enfin c’est un petit accident. Je force un peu, je le pousse, mais c’est tout de même un peu de cet ordre-là.

Donc, qu’il soit admis, voire glorifié, ou nié, il semble malgré tout que toute la discussion soit un malentendu. Car je crois qu’il у а une grande vanité а parler de lâcheté ou d’hypocrisie, parce qu’après tout, les analystes ne sont ni plus vains ni plus lâches nécessairement que quantité d’autres types d’auteurs а cet endroit-là, et que si l’on peut dire que sous ce rapport, après tout, apparemment tout au moins, seraient-ils un petit peu moins hypocrites, car lorsqu’il s’agit d’autres personnes, elles semblent se promettre d’aller un petit peu plus loin que les gens qui ne sont pas analystes.

Or, je crois que la, il у а tout de même quelque chose qui joue sur un plan historique. Car s’il у а eu un mouvement sur le plan de l’interprétation et du rôle а donner au contre-transfert, qui est allé jusqu’à faire du contre-transfert cette chose qu’il faut étouffer а tout prix, d’où proviennent les tentatives, actuelles, au contraire, de le réhabiliter, c’est que si, au début, analystes et analysés étaient dans des conditions grosso modo analogues, je veux dire, en tout cas, pour ce qui est d’avoir eu un analyste, et la intervient toute la question du surmoi analytique, ils ne se sentiraient pas liés а tant d’obligations, sinon celle de leur allégeance а Freud.

Or, vingt ou trente ans après, il se fait que l’un des partenaires n’est pas encore analysé, alors que l’autre l’a déjà été. Ce qui fait qu’à ce niveau-là, la mise en cause du contre-transfert n’est rien d’autre que la mise en cause de toute l’entreprise dans la mesure où l’un des partenaires est déjà supposé analysé alors que l’autre ne l’est pas. C’est une mise en cause de son action; car une chose est de dire: « Évidemment, les analyses ne réussissent pas; moi, j’en loupe une bonne moitié, tout le monde aussi, on se les échange…» ; une chose est de parler de l’échec de l’entreprise, ce qui se rapporterait essentiellement а une dialectique qu’on pourrait rattacher а quelque chose de l’ordre du complexe de castration, et autre chose est pour l’analyste de manquer, lui, а l’être ou а être le parfait analysé. Car là, il у а une différence notable qui se rapporte а l’angoisse dont nous apprenons qu’elle n’est pas sans objet. Dans cette fermeture, qui est passée а l’état de fermeture quasi complète, les articles de Little, celui de 51 et celui de 56 sont particulièrement remarquables. Ils sont remarquables parce que, d’une part, Little tourne autour du thème de la totalité, c’est-à-dire de ces cent pour cent qui sont la coincés en travers de sa gorge, et que d’autre part, il ne lui reste plus, pour introduire ce qui, en ce moment, se développe ici dans le séminaire de Lacan, sous la rubrique du manque, ce quelque chose qui est très désarmant, en tout cas chez elle, très désarmée, mais qui, assurément, fait intervenir là coupure, comme quand elle dit « voilà ». La grosse difficulté dans l’analyse, c’est de laisser les choses dans un état général d’inattendu, unexpectedness, ce n’est pas, dit-elle, une perte de contrôle, mais c’est un état où ça peut arriver aussi, la perte de contrôle, mais en tant que contrôlée, tout de même d’une certaine manière, c’est-à-dire en tant qu’acceptée.

Entre l’article de 51 dont j’aurais aimé vous parler, mais dont je ne vous parlerai pas parce que c’est de celui de 56 dont on doit vous parler, et celui de 56, il у а une grande distance qui se franchit rien qu’en six ans. C’est qu’en 51, la position de Margaret Little, son analyse restera incomplète, mais il у а tout de même chez le patient un certain désir du workingthrough. Si j’avais eu beaucoup plus de temps, je vous aurais, en me citant alors moi-même, renvoyés а une conférence faite en 1958 et qui est parue en 1960 où, dans les dernières pages d’un bref travail sur Ferenczi, je ne parlais de rien d’autre que précisément du désir, du bon vouloir de guérir en le prenant chez Ferenczi qui, d’une certaine manière, est tout de même le père spirituel de Margaret Little par le truchement de Mélanie Klein, du fort désir de guérir d’une part, et du désir de l’analyste.

En 1956, au lieu de l’incomplétude de l’analyse, Margaret Little а fait du chemin. Elle préconise – contrairement а Szasz qui insiste dans tout ce dont il parle sur le fait qu’il n’est absolument pas question de se détacher des études classiques – Margaret va très loin; elle préconise, tout а fait ouvertement, l’impulsion, le passage а l’acte, enfin, enfin des choses d’un caractère assurément expérimental. Je pourrais encore dire tout un tas de choses qui sont très intéressantes, très amusantes. Je vais terminer en vous disant que cette infiltration de l’agir dans la procédure n’est pas toujours aussi ouverte et aussi candide que chez Margaret Little.

Dans un article tout а fait récent, dans le même journal de l’Association psychanalytique américaine, de Frederick Krapp, on а là surprise de trouver une technique nouvelle qu’il préconise, qu’il conseille pour l’auto-analyse de l’analyste en action. Cet article n’est pas tellement pire qu’un autre, ce n’est absolument pas une cochonnerie. Tout de même, ça а même cet intérêt que la technique qu’il préconise consiste, lorsque le patient raconte un rêve, а stimuler en soi les associations visuelles, suivre le rêve du patient. Il faut а cet endroit une remarque, évidemment : se fouetter ainsi du côté de l’image visuelle, ce n’est pas aller а proprement parler dans le sens de la verbalisation. C’est assurément quelque chose qui est tout de même plus du côté de l’acting-out mais а tout prendre c’est tout de même plus analysable que l’acting-out.

Voilà donc le point où se trouvent ces deux auteurs qui ne manquent pas de sensibilité, qui certainement ne manquent pas de scrupules, parce qu’ils proposent de manipuler ça dans des conditions de contrôle. Mais le matériel clinique qu’ils donnent а l’appui, comme étant celui qui siéra tout particulièrement а cette technique, c’est évidemment lorsque le patient raconte des rêves et, comme tout le monde sait que c’est plutôt dans les rêves que se trouvent éventuellement des choses un peu scabreuses, voire franchement cochonnes, c’est quand même а cet endroit-là, dans tout ce qui а trait а ce qui, chez Barbara Low, recevait encore un tout autre traitement, c’est-à-dire le désir et le manque, pour parler le langage actuel, que ces auteurs recommandent cette technique tout а fait contemporaine, c’est-à-dire en prenant les choses au niveau de ce que nous pouvons appeler le congrès d’Edimbourg. Et c’est au fond la que vous allez vous situer, que nous nous trouvons au niveau d’une discussion qui, finalement, je crois, est la plus importante du congrès entre deux auteurs, Gitelson et Heimann Paula, qui disent : « Il n’est évidemment pas question de se faire le bon objet de son patient, ce n’est tout de même pas ça, espérons-nous, que Nacht а voulu dire ». L’autre auteur qui entre dans cette série d’articles, Nacht, déclare avec une légitimité absolue : « Eh bien, figurez-vous, si. Si vous ne comprenez pas ce que je veux dire, je n’y peux rien, mais c’est exactement ce que je préconise ». Si vous réussissez а bien nous raconter ce qu’il у а dans l’article de Margaret Little, а bien nous parler des cent pour cent, et de tout ce qui tourne autour de ces points importants, nous serons tous en état de voir pourquoi, quelle que soit la position des auteurs en question, Gitelson, Heimann Paula ou Nacht, aucune d’entre elles ne nous paraît plus condamnable, plus erronée que l’autre. Elles me semblent avoir toutes les trois le mérite de présenter les choses dans une espèce de radicalisme qui donne vraiment le sentiment qu’aucun de ces trois auteurs, même si on le pousse très fort, ne pourra aller au-delà de la formulation où il se trouve véritablement acculé.

C’était François, je crois, qui, dans notre amorce de planning, devait parler de la fleur, c’est-à-dire de l’article de Szasz.

Е Perrier – Cette analyse du contrôle se réfère а deux conceptions opposées du champ analytique, celles de Barbara Low et celle de Szasz. Ceci tient au mode de référence а l’ego-thérapie et а l’évolution de la théorie analytique. Nous tournons autour de Analyse terminée et interminable. Dans cet article, des vues dépassent ce qu’on voit dans Szasz avec ce roc final, l’instinct de mort, et le désir en filigrane, sur lequel viennent échouer les efforts thérapeutiques. Du jour où les psychanalystes ont été analysés, le problème du contre-transfert pose le problème de la formation de l’analyste, de la théorie analytique. Dans Analyse terminée…, Freud а vu se profiler а travers l’instinct de mort une structure du désir au-delà du narcissisme. Margaret Little fait la différence entre le névrosé, le psychotique, et le déséquilibré, le caractériel, qui pose le plus de problèmes а l’analyste. C’est а cela que Lacan se réfère а propos du а dans la théorie de l’angoisse, et au-delà, dans le transfert et le contre-transfert.

Chez Szasz, on retourne а l’analyse de la situation psychanalytique. Cet article est très rigoureusement mené et nous déçoit finalement en retombant dans l’ego psychology. Il fonde la discipline analytique sur des bases scientifiques, avoir des termes exacts, à savoir pour définir la situation analytique, il ne faut pas s’en tenir а ce qui est dit dans les derniers travaux, mais au contraire il faut en revenir au moment de son invention par Freud, avec la prise de distance par rapport aux thérapeutiques hypnotique et cathartique et par rapport а sa formation médicale, comprendre scientifiquement, ne pas être ce médecin qui veut а tout prix aider le patient. Il faut ramener l’analyse а un champ précis, celui du traitement analytique, au sens restrictif de ce terme. Il conçoit l’analyse comme élément de conquête, sans у annexer tous les problèmes psychiatriques. Il prend le modèle du jeu d’échec; il faut définir les règles qui structurent la situation et la visée de l’analyse. C’est l’ensemble des règles du jeu qui détermine là nature du jeu et qui fonde l’identité même du jeu. Cette restriction des règles se retrouve dans l’analyse; mais le talent des joueurs permet d’inventer un nombre de coups d’autant plus nombreux qu’il sera plus grand. Si les règles structurent la situation, si le but est inhérent а ces règles, а savoir faire échec et mat, prendre le roi, en analyse, cette visée est incluse dans les règles du jeu. А cette occasion, Szasz montre un aspect de sa propre position et de ses propres désirs; pour pouvoir jouer, il faut que les joueurs soient de force а peu près comparable, il faut que l’analysé ait un moi solide, qu’il puisse s’accorder sur les règles de l’analyse. Certains sujets sont а rejeter; qu’ils jouent aux dames, c’est-à-dire qu’ils fassent une psychothérapie! Il s’agit d’éviter ainsi un glissement vers la psychothérapie.

De quelle façon cette visée est incluse dans les règles mêmes de l’analyse, en respectant la liberté de choix? Maturation émotionnelle, développement non entravé de la personnalité sont nécessaires. Faut-il une harmonie, une bonne adaptation du sujet а la société ? Quelle est la visée ? Prenons un bon tireur et une cible; la visée peut être la cible, mais aussi la situation elle-même de tenter de faire mouche. En analyse, on peut vouloir guérir le symptôme ou s’intéresser а la situation elle-même. Il critique ainsi la visée médicale de la psychanalyse qui aboutit а un déplacement de la technique et de la discipline. Il met finalement les deux joueurs en position de symétrie. L’objet de l’étude est ce qui se passe dans le champ, définissant ainsi la position du tiers, analyste; mais il faut qu’il ait un moi aussi solide que celui de l’analysé. La visée de l’analyse sera une attitude scientifique, dans l’étude toujours plus approfondie du sujet par rapport а lui-même; ses objets internes, son passé, son présent et ceci est bien inhérent aux règles. L’analyse n’est pas une méthode d’application d’un savoir, mais une recherche du vrai, définie comme science exacte, vérité objective, а savoir vérité du désir. Il faut démythifier les leurres du transfert, trouver dans sa propre vie une attitude scientifique, c’est-à-dire que le sujet bien analysé sera scientifique dans une attitude objectivante par opposition aux leurres du transfert. En ce sens la fin de l’analyse se pose en ces termes :le processus analytique ne se termine jamais, l’analyse est interminable. C’est une recherche toujours plus scientifique, plus objectivante, qui est la clé de l’étude du patient, sinon de sa guérison. Donc, il s’agit d’éviter tout exercice d’un pouvoir envers l’analysé, de ramener l’ensemble а une situation scientifique rigoureuse. Mais c’est, en fait, un énorme fantasme obsessionnel, un des pôles où peut nous ramener l’analyse. Il se défend contre toutes les pratiques qui pourraient lui donner l’exercice de son pouvoir comme savoir, car la pourrait naître son contre-transfert, d’où une situation typiquement obsessionnelle. En fait, Szasz ne répond pas а la visée de l’analyse; son critère n’est guère satisfaisant. Ce qui le gêne, c’est sa conception de l’ego. Quand il parle de la finitude de la vie par rapport а la science où le mot dernier n’est jamais prononcé, il nous laisse sur l’impression que ce qui s’oppose а cette béance, c’est le moi scientifique de l’analysé. Ceci amène а une structure obsessionnelle. C’est au niveau du pouvoir de son propre savoir que se trouve l’obsessionnel. Nous sommes au niveau d’un « je pense ». Ce que Szasz propose, c’est une promotion d’une structure signifiante en elle-même; c’est un savoir, son moi, qui structure la structure, ce qui est le propre de l’obsédé. Il а besoin d’un analysé en situation, d’un alter ego, ce qui repose le problème du désir.

Il évite la question que pose Freud а propos du roc et de ce refus de féminité de la sexualité féminine. Ceci nous ramène а cet objet а. Pour Lacan, dans Analyse terminée…, l’objet que l’Eromenos l’analyste, est prétendu avoir aux yeux de l’analysé qui en manque est, pour Freud,… Dans cette mesure, ce refus de féminité, cette Spaltung dans laquelle peuvent surgir le sujet de l’inconscient et le а, qui n’existe en tant que perdu qu’au moment où un i(a) crée le réel en raison de l’impossibilité de symbolisation par un objet spéculatrice. La question du désir d’un certain nombre de sujets comme l’Homme aux loups, une patiente hystérectomie qui rechute de façon inanalysable, fait reposer la question de ce manque, de ce vide féminin que Freud ne pouvait pas viser. Que le а puisse se mobiliser, c’est ce que nous propose Lacan.

W. Granoff – Est-ce que l’analyste ne devrait pas se faire l’amoureux éternel de son patient? se demande Barbara Low, à l’opposé de Szasz. S’engager а cent pour cent, recommande Margaret Little. Ceci n’est nullement différent de la position de Nacht, c’est-à-dire renoncer а ses droits et donner quelque chose, а condition que l’analyste ne tombe pas amoureux. Là, elle rejoint Barbara Low. Comment se débloquer si la bipolarité amour-haine joue, passer а l’acte ? Si l’on ne passe pas а l’acte, c’est la position de Lucy Tower qui, par rapport à son patient homme, finit par dire

« Le patient m’a pliée а ses besoins, j’ai pu avoir en lui confiance en tant que femme ». Dans la mesure où elle se situe comme une femme devant un homme, elle rejoint Freud; il n’y а pas de différence entre une situation d’amour vrai et une situation de contre-transfert. L’amour de contre-transfert n’est pas moins une situation d’amour pur.

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