samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LX L'angoisse 1962 – 1963 Leçon du 23 janvier 1963

Leçon du 23 janvier 1963

 

Nous allons aujourd’hui continuer à parler de ce que je vous désigne comme le petit a.

Pour maintenir notre axe, autrement dit pour ne pas vous laisser par mon explication même, l’occasion d’une dérive, je commencerai de rappeler son rapport au sujet. Pourtant, ce que nous avons à dire, à accentuer aujourd’hui, c’est son rapport au grand Autre, l’autre connoté d’un A, parce que, comme nous le verrons, il est essentiel de comprendre que c’est de cet Autre qu’il prend son isolement, qu’il se constitue dans le rapport du sujet à l’Autre comme reste. C’est pourquoi j’ai reproduit ce schéma, homologue de l’appareil de la division. Le sujet, tout en haut à droite, en tant que par notre dialectique, il prend son départ de la fonction du signifiant, le sujet S, hypothétique, à l’origine de cette dialectique, se constitue au lieu de l’Autre comme marqué du signifiant, seul sujet auquel accède notre expérience ; inversement suspendant toute l’existence de l’Autre à une garantie qui manque, l’Autre barré. Mais de cette opération, il y a un reste ; c’est le a.

La dernière fois, j’ai amorcé, j’ai fait surgir devant vous par l’exemple, l’exemple non unique — car derrière cet exemple, celui du cas de l’homosexualité féminine, se profilait celui de Dora — j’ai fait surgir devant vous comme caractéristique structurale de ce rapport du sujet au a, la possibilité essentielle, la relation, on peut dire universelle concernant le a ; car à tous les niveaux, vous la retrouverez toujours ; et je dirai que c’en est la connotation la plus caractéristique, puisque justement liée à cette fonction de reste. C’est ce que j’ai appelé, emprunté du vocabulaire et de la lecture de Freud, à propos du passage à l’acte qui lui amène son cas d’homosexualité féminine, le laisser tomber, le niederkommen lassen.

Et vous vous rappelez sans doute que j’ai terminé par cette remarque, qu’étrangement, c’est ce qui, à propos de ce cas, avait marqué la réponse de Freud lui-même à une difficulté tout à fait exemplaire ; car dans tout ce que Freud nous a témoigné de son action, de sa conduite, de son expérience, ce laisser tomber est unique en même temps qu’il est presque, dans son texte si manifeste, si provoquant, que pour certains à la lecture il en devient quasi invisible.

Ce laisser tomber, c’est le corrélât essentiel, que je vous ai indiqué la dernière fois, du passage à l’acte. De quel côté est-il vu, ce laisser tomber, dans le passage à l’acte ? Du côté du sujet, justement. Le passage à l’acte, il est, si vous voulez, dans le fantasme, du côté du sujet, en tant qu’il apparaît au maximum effacé par la barre. C’est au moment du plus grand embarras, avec l’addition comportementale de l’émotion comme désordre du mouvement, que le sujet, si l’on peut dire, se précipite de la où il est, du lieu de la scène où, comme sujet fondamentalement historisé seulement il peut se maintenir dans son statut de sujet, qu’il bascule essentiellement hors de la scène ; c’est là, la structure même, comme telle, du passage à l’acte.

La femme de l’observation d’homosexualité féminine saute par-dessus la petite barrière qui la sépare du chenal où passe le petit tramway demi-souterrain à Vienne ; Dora, au moment d’embarras où la met — je vous l’ai fait remarquer depuis longtemps — la phrase piège, le piège maladroit de Monsieur Κ. « Ma femme n’est rien pour moi », passe à l’acte. La gifle, la gifle qui, ici, ne peut exprimer rien d’autre que la plus parfaite ambiguïté, est-ce Monsieur Κ ou Madame Κ qu’elle aime ? Ce n’est certes pas la gifle qui nous le dira. Mais une telle gifle est un de ces signes, de ces moments cruciaux dans le destin, que nous pouvons voir rebondir, de génération en génération, avec sa valeur d’aiguillage dans une destinée. Cette direction d’évasion de la scène, c’est ce qui nous permet de reconnaître, et, vous verrez, de le distinguer de ce quelque chose de tout autre qui est l’acting-out, le passage à l’acte dans sa valeur propre.

Vous en dirai-je un autre exemple combien manifeste ? Qui songe à contester cette étiquette de ce qu’on appelle la fugue ? Et qu’est-ce qu’on appelle la fugue chez le sujet toujours plus ou moins mis en position infantile qui s’y jette, si ce n’est cette sortie de la scène, ce départ vagabond dans le monde pur, où le sujet part à la recherche, à la rencontre de quelque chose de refusé partout ? Ι1 se fait mousse, comme on dit ; bien sûr, il revient, il retourne ; ce peut être l’occasion de se faire mousser ; et le départ, c’est bien ce passage de la scène au monde, pour lequel d’ailleurs il était si utile que dans les premières phases de ce discours sur l’angoisse je vous pose cette distinction essentielle des deux registres du monde, l’endroit où le réel se presse à cette scène, et l’Autre où l’homme comme sujet a à se constituer, a à prendre place comme celui qui porte la parole, mais qui ne saurait la porter que dans une structure, si véridique qu’elle se pose, qui est structure de fiction.

Je viendrai, pour vous dire d’abord comment le plus caractéristiquement, ce reste comme tel se fait valoir, à vous parler aujourd’hui et d’abord, je veux dire avant d’aller plus loin dans la fonction de l’angoisse, de l’acting-out. Ι1 peut sans doute vous sembler, sinon étonnant, du moins encore un détour — un détour de plus, n’est-ce pas un détour de trop ? — de m’étendre en un discours sur l’angoisse, sur quelque chose qui d’abord semble plutôt de l’ordre de son évitement. Pourtant, observez que vous ne faites que retrouver là ce que déjà a ponctué dans mon discours une interrogation au départ essentielle. C’est à savoir, entre le sujet et l’Autre, si l’angoisse n’est pas le mode de communication si absolu qu’à vrai dire on peut se demander si l’angoisse n’est pas, au sujet et à l’Autre, ce qui est à proprement parler commun.

Je mets ici, pour la retrouver plus tard, une petite marque, une pierre blanche, un des traits qui nous fait le plus de difficulté et qu’il nous faut préserver. C’est qu’aucun discours sur l’angoisse ne peut méconnaître que nous avons à tenir compte du phénomène de l’angoisse chez certains animaux.

Et, après tout, qu’y a-t-il là, sinon une question, à savoir comment d’un sentiment, peut-être du seul, pouvons-nous chez l’animal être aussi sûrs ? Car c’est le seul dont nous ne puissions douter quand nous le rencontrons chez l’animal, retrouvant là, sous une forme extérieure, ce caractère que j’ai déjà noté que comporte l’angoisse d’être ce quelque chose qui ne trompe pas.

Ayant posé donc le graphique de ce que j’espère aujourd’hui parcourir, j’en rappelle d’abord, concernant ce a vers lequel nous nous avançons par sa relation à l’Autre, au Α, quelques remarques de rappel. Partons de ceci, qui était déjà indiqué dans ce que je vous ai dit jusqu’ici, que l’angoisse — vous le voyez poindre dans ce schéma qui ici reflète tachigraphiquement, je m’en excuse, s’il apparaît du même coup un peu approximatif -l’angoisse point, conformément à ce que nous indique la dernière pensée de Freud, l’angoisse est un signal dans le Moi ; s’il est signal dans le Moi, il doit être 1à quelque part, en ce lieu, dans le schéma, du Moi idéal ; et s’il est quelque part, je pense avoir déjà suffisamment pour vous amorcé qu’il doit être là, en Χ. C’est un phénomène de bord dans le champ imaginaire du Moi, ce terme de bord étant légitimé à s’appuyer sur l’affirmation de Freud lui-même, que le Moi est une surface, et même, ajoute-t-il, une projection de surface ; j’ai rappelé ça en son temps.

Disons donc que c’est une couleur, si je puis dire. Je justifierai plus tard, à l’occasion, l’emploi métaphorique de ce terme de couleur, qui se produit au bord de la surface spéculaire, elle-même inversion, en tant que spéculaire, de la surface réelle. Car, ici, ne l’oublions pas, c’est une image réelle que nous appelons i (a), et le Moi-Idéal est cette fonction par où le Moi est constitué par la série des identifications, à quoi ? À certains objets, ceux à propos de qui Freud nous propose dans Das Ich und das Es, essentiellement l’ambiguïté de l’identification et de l’amour. Vous savez que cette ambiguïté, il en souligne le problème comme le laissant, lui Freud, perplexe. Nous ne serons donc pas étonnés que cette ambiguïté, nous ne puissions l’approcher nous-mêmes qu’à l’aide des formules mettant à l’épreuve le statut même de notre propre subjectivité dans le discours, entendez dans le discours docte ou enseignant, ambiguïté que désigne le rapport de ce que, dès longtemps, J’ai accentué devant vous à cette place où il convient, comme le rapport de l’être à l’avoir.

Ce a, objet de l’identification, pour souligner d’un repère, dans les points saillants même de l’œuvre de Freud, c’est l’identification qui est au principe du deuil, par exemple, essentiellement ; ce a, objet de l’identification, n’est aussi a objet de l’amour que pour autant qu’il est ce a, ce qui fait de l’amant, — pour employer le terme médiéval et traditionnel — ce qui l’arrache métaphoriquement, cet amant, à se proposer comme aimable —. Ερομενος, en le faisant Εραστής, sujet du manque, donc ce par quoi il se

constitue proprement dans l’amour, ce qui lui donne, si je puis dire, l’instrument de l’amour, à savoir, nous y retombons, qu’on aime, qu’on est amant, avec ce qu’on n’a pas. Ce a s’appelle a dans notre discours, non seulement comme la fonction d’identité algébrique que nous avons précisée l’autre jour, mais, si je puis dire humoristiquement, pour ce que c’est, ce qu’on n’a plus. C’est pourquoi on peut le retrouver par voie régressive sous forme d’identification, c’est-à-dire à l’être, ce a qu’on n’a plus. C’est exactement ce qui fait par Freud mettre le terme de régression exactement à ce point où il précise les rapports de l’identification à l’amour. Mais dans cette régression où a reste ce qu’il est, instrument, c’est avec ce qu’on est qu’on peut, si je puis dire, avoir ou pas. C’est avec l’image réelle ici constituée, quand elle émerge, comme i(a), qu’on prend ou non dans l’encolure de cette image ce qui reste, la multiplicité des objets a représentée dans mon schéma par les fleurs réelles prises ou non dans la constitution, grâce au miroir concave du fond, du symbole de quelque chose, disons, qui doit se retrouver dans la structure du cortex au fondement d’un certain rapport de l’homme à l’image de son corps et aux différents objets constituables de ce corps; les morceaux du corps originel sont ou non pris, saisis au moment où i(a) a l’occasion de se constituer.

C’est pourquoi nous devons saisir qu’avant le stade du miroir, ce qui sera i(a) est 1à, dans le désordre, des petits a dont il n’est pas question encore de les avoir ou pas. Et c’est à cela que répond le vrai sens, le sens le plus profond à donner au terme d’auto-érotisme, c’est qu’on manque de soi, si je puis dire, du tout au tout. Ce n’est pas du monde extérieur qu’on manque, comme on l’exprime improprement, c’est de soi-même.

Ici est la possibilité de ce fantasme du corps morcelé que certains d’entre vous ont reconnu, ont rencontré chez les schizophrènes. Ce n’est pas d’ailleurs pour autant nous permettre de décider de son déterminisme, à ce fantasme du corps morcelé. C’est pourquoi j’ai pointé le mérite d’une recherche récente concernant les coordonnées de ce déterminisme des schizophrènes, recherche qui ne prétendait pas du tout l’épuiser, mais qui en connotait un des traits en remarquant strictement, et rien de plus, dans l’articulation de la mère du schizophrène, ce qu’avait été son enfant au moment où il était dans son ventre, rien d’autre qu’un corps diversement commode ou embarrassant, à savoir la subjectivation de a comme pur réel.

Observons encore ce moment, cet état d’avant que surgisse i(a), d’avant la distinction, entre tous les petits a, de cette image réelle par rapport à quoi ils vont être ce reste qu’on a ou qu’on n’a pas. Oui, faisons cette remarque; si Freud nous dit que l’angoisse est ce phénomène de bord, ce signal à la limite du Moi, contre cette autre chose Χ qui, ici, ne doit pas apparaître en tant que a, le reste est abhorré de l’Autre Α, comment se fait-il que le mouvement de la réflexion, les guides, les rails de l’expérience aient porté les analystes, Rank d’abord, et Freud, sur ce point le suivant, à trouver l’origine de l’angoisse à ce niveau pré-spéculaire, pré-autoérotique, à ce niveau de la naissance où qui donc songerait, personne n’y a songé dans le concert analytique, à parler de la constitution d’un Moi? Ι1 y a la quelque chose qui prouve qu’en effet, s’il est possible de définir l’angoisse comme signal, phénomène de bord dans le Moi, quand le Moi est constitué, ce n’est sûrement pas exhaustif. Ceci, nous le retrouvons bien clairement dans un des phénomènes les plus connus pour accompagner l’angoisse, ceux que l’on désigne, en les comprenant analytiquement de façon certainement ambiguë à en voir les divergences, car nous aurons à y revenir, ce sont les phénomènes justement les plus contraires à la structure du Moi comme tel, les phénomènes de dépersonnalisation. Ça soulève la question, que nous ne pourrons éviter de situer authentiquement, de la dépersonnalisation.

On sait la place que ce phénomène a pris dans certains repérages propres à un ou plusieurs auteurs de l’École française auxquels j’ai déjà eu à faire référence. Je pense qu’il sera facile de reconnaître les rapports de ces repérages à ce que je développe ici, je veux dire à présumer que ces repérages ne sont pas étrangers aux esquisses que j’ai pu préalablement en donner. La notion de la distance, ici presque sensible dans la nécessité que j’ai toujours marquée justement du rapport de cette distance avec l’existence du miroir, ce qui donne à ce sujet cet éloignement de lui-même que la dimension de l’Autre est faite pour lui offrir, mais ce n’est pas non plus pouvoir en conclure qu’aucun rapprocher puisse nous donner la solution d’aucune des difficultés qui s’engendrent de la nécessité de cette distance.

En d’autres termes, ce n’est pas que les objets soient envahissants si je puis dire dans la psychose, qui est ce qui constitue leur danger pour le Moi, c’est la structure même de ces objets qui les rend impropres à la moïsation. C’est ce que j’ai essayé de vous faire saisir à l’aide des références, des métaphores si vous voulez, mais je crois que cela va plus loin, topologiques, dont je me suis servi en tant qu’elles introduisent la possibilité d’une forme non spécularisable dans la structure de certains de ces objets. Disons que, phénoménologiquement, la dépersonnalisation commence – finissons notre phrase par quelque chose qui semble aller de soi – avec la non-reconnaissance de l’image spéculaire. Chacun sait combien ceci est sensible dans la clinique, avec quelle fréquence c’est à ne pas se retrouver dans le miroir ou quoi que ce soit qui soit analogue, que le sujet commence à être saisi par la vacillation dépersonnalisante. Mais articulons plus précisément que cette formule qui donne le fait est insuffisante, à savoir que c’est parce que ce qui est vu dans le miroir est angoissant que cela n’est pas proposable à la reconnaissance de l’Autre et que, pour se référer à un moment que j’ai marqué comme caractéristique de cette expérience du miroir comme paradigmatique de la constitution du Moi Idéal dans l’espace de l’Autre, qu’une relation à l’image spéculaire s’établit, relation telle que l’enfant ne saurait retourner la tête, selon ce mouvement que je vous décris comme familier, vers cet autre, ce témoin, cet adulte qui est là, derrière lui, pour lui communiquer son sourire, les manifestations de sa jubilation de quelque chose qui le fait communiquer avec l’image spéculaire, qu’une autre relation s’établit dont il est trop captif pour que ce mouvement soit possible en Χ; ici la relation duelle pure dépossède – ce sentiment de relation de dépossession marqué par les cliniciens pour la psychose – dépossède le sujet de cette relation au grand Autre. La spécularisation est étrange, et, comme disent les Anglais, odd, impaire, hors symétrie, c’est le Horla de Maupassant, le hors l’espace, en tant que l’espace est la dimension du superposable.

Mais, ici, au point où nous en sommes, il faudrait faire une halte sur ce que signifie cette séparation, cette coupure liée à l’angoisse de la naissance, en tant que quelque chose d’imprécis y subsiste d’où s’engendrent toutes sortes de confusions. Le temps me manque à vrai dire, et je ne peux que l’indiquer. J’y reviendrai. Sachez pourtant qu’à cette place il convient de faire de grandes réserves concernant la structuration du phénomène de l’angoisse. Donc, il vous suffira de vous reporter au texte de Freud. Freud, vous le verrez, voit la commodité dans le fait qu’au niveau de l’angoisse de la naissance se constitue toute une constellation de mouvements principalement vaso-moteurs, respiratoires, dont il dit que c’est la une constellation réelle et que c’est ceci qui sera transporté dans sa fonction de signal, à la façon, nous dit-il, dont se constitue l’accès hystérique, lui-même reproduction de mouvements hérités pour l’expression de certains moments émotionnels.

Assurément, ceci est tout à fait inconcevable en raison justement de ce fait qu’il est impossible de situer au départ cette complexité dans un rapport avec le Moi qui lui permette de servir comme signal au Moi par la suite, sinon par l’intermédiaire de ce que nous avons à chercher de structural dans le rapport de i(a) avec ce a.

Mais alors la séparation caractéristique au départ, celle qui nous permet d’aborder, de concevoir le rapport, n’est pas la séparation d’avec la mère. La coupure dont il s’agit n’est pas celle de l’enfant d’avec la mère. La façon dont l’enfant originellement habite la mère pose tout le problème du caractère des rapports de l’œuf avec le corps de la mère chez les mammifères. Vous savez qu’il y a toute une face par où il est, par rapport au corps de la mère, corps étranger, parasite, corps incrusté par les racines villeuses de son chorion dans cet organe spécialisé pour le recevoir, l’utérus, avec la muqueuse duquel il est dans une certaine intrication. La coupure qui nous intéresse, celle qui porte sa marque dans un certain nombre de phénomènes reconnaissables cliniquement et pour lesquels donc nous ne pouvons pas l’éluder, c’est une coupure qui, Dieu merci pour notre conception, est beaucoup plus satisfaisante que la coupure de l’enfant qui naît, au moment où il tombe dans le monde avec quoi? avec ses enveloppes. Et je n’ai qu’à vous renvoyer à n’importe quel bouquin qui date de moins de 100 ans dans l’embryologie pour que vous puissiez y saisir que, pour avoir une notion complète de cet ensemble pré-spéculaire qu’est a, il faut que vous considériez les enveloppes comme éléments du corps. C’est à partir de l’œuf que les enveloppes sont différenciées, et vous y verrez très curieusement qu’elles le sont, d’une façon telle qu’elles illustrent – je vous fais assez confiance après nos travaux de l’année dernière autour du cross-cap pour que vous retrouviez très simplement à quel point, sur les schémas illustrant ces chapitres de l’embryologie sur l’enveloppe vous pouvez voir se manifester toutes les variétés de cet intérieur à l’extérieur, de cet externe dans lequel flotte le fœtus, lui-même enveloppé dans son amnios, la cavité amniotique elle-même étant enveloppée dans un feuillet ectodermique et présentant vers l’extérieur sa face en continuité avec l’endoblaste – bref, l’analogie de ce qui est détaché, avec la coupure entre l’embryon et ses enveloppes, avec, sur le cross-cap, cette séparation d’un certain a énigmatique sur lequel J’ai insisté, est là, sensible. Et si nous devons le retrouver par la suite, je pense que je l’aurai aujourd’hui suffisamment indiqué pour cela. Ι1 nous reste à faire donc aujourd’hui ce que je vous ai annoncé, concernant ce qu’indique l’acting-out, de ce rapport essentiel du a avec le Α.

Α l’opposé du passage à l’acte, tout ce qui est acting-out est présent avec certaines caractéristiques qui vont nous permettre de l’isoler. Le rapport profond, nécessaire, de l’acting-out avec ce a, c’est la dans quoi je désire vous mener en quelque sorte par la main, pour ne pas vous laisser tomber. Observez d’ailleurs dans vos repérages cliniques à quel point « se tenir par la main pour ne pas laisser tomber », est tout à fait essentiel d’un certain type de relations du sujet avec quelque chose que, quand vous rencontrerez ceci, vous pouvez absolument désigner comme étant pour lui un a. Ça fait des unions d’un type très répandu qui n’en sont pas pour cela plus commodes à manier car, aussi bien, le a dont il s’agit peut être pour le sujet le surmoi le plus incommode.

Le type de mère que nous appelons, non sans propriété, mais sans savoir absolument ce que nous voulons dire, femme phallique, je vous conseille la prudence avant d’en appliquer l’étiquette. Mais si vous avez affaire à quelqu’un qui vous dit qu’à mesure même qu’un objet lui est plus précieux, inexplicablement il sera atrocement tenté de ne pas, cet objet, le retenir dans une chute, s’attendant à je ne sais quoi de miraculeux de cette sorte de catastrophe, et que l’enfant le plus aimé est justement celui qu’un jour elle a laissé inexplicablement tomber. Vous savez que dans la tragédie grecque – ceci n’ayant pas échappé à la perspicacité de Giraudoux – c’est là le plus profond grief d’Electre à l’endroit de Clytemnestre, c’est qu’un jour elle 1’a laissée de ses bras tomber. Alors là, vous pouvez faire l’identification de ce qu’il convient d’appeler en l’occasion une mère phallique. Ι1 y a sans doute d’autres modes; nous disons que celui-là  nous paraît le moins trompeur.

Et entrons maintenant dans l’acting-out. Dans le cas d’homosexualité féminine de Freud, si la tentative de suicide est un passage à l’acte, je dirai que toute l’aventure avec la dame de réputation douteuse, qui est portée à la fonction d’objet suprême, est un acting-out. Si la gifle de Dora est un passage à l’acte, je dirai que tout le comportement paradoxal, que Freud découvre tout de suite avec tellement de perspicacité, de Dora dans le ménage des Κ. est un acting-out. L’acting-out, c’est quelque chose, dans la conduite du sujet, essentiellement qui se montre. L’accent démonstratif, l’orientation vers l’Autre de tout acting-out est quelque chose qui doit être relevé.

Dans le cas d’homosexualité féminine, Freud y insiste, c’est aux yeux de tous, c’est dans la mesure même, et d’autant plus que cette publicité devient scandaleuse que la conduite de la jeune homosexuelle s’accentue. Et ce qui se montre, quand on avance pas à pas, se montre essentiellement comme autre, autre que ça n’est, ce que ça est personne ne le sait, mais que ce soit autre personne n’en doute.

Ce que ça est, dans le cas de la jeune homosexuelle, Freud le dit quand même : « Elle aurait voulu un enfant du père », nous dit-il. Mais si vous vous contentez de ça, c’est que vous n’êtes pas difficile, parce que cet enfant n’a rien à faire avec un besoin maternel. C’est bien pour cela que tout à l’heure, je tenais au moins à indiquer la problématique du rapport de l’enfant à la mère. Contrairement à tout le glissement de toute la pensée analytique, il convient de mettre, par rapport au courant principal élaboré, l’élucidation du désir inconscient dans un rapport, si je puis dire, en quelque sorte latéral. Ι1 y a dans ce rapport normal de la mère à l’enfant, en tout cas dans ce que nous pouvons en saisir par son incidence économique, quelque chose de plein, quelque chose de rond, quelque chose de fermé, quelque chose justement d’aussi complet pendant la phase gestatoire que l’on peut dire qu’il nous faut des soins tout à fait spéciaux pour le faire rentrer, pour voir comment son incidence s’applique à ce rapport de coupure de i(a) à a. Et après tout, il ne nous suffit que de notre expérience du transfert et de savoir à quel moment de nos analyses nos analysées tombent enceintes et à quoi ça leur sert, pour savoir parfaitement que c’est toujours le rempart d’un retour au plus profond narcissisme.

Mais laissons cela. Cet enfant, la jeune homosexuelle, c’est bien comme autre chose qu’elle a voulu l’avoir. Et aussi bien cette chose n’échappe pas, Dieu merci, à Freud, elle a voulu cet enfant comme phallus, c’est-à-dire, comme la doctrine l’énonce dans Freud de la façon la plus développée, comme substitut, ersatz de quelque chose qui tombe alors à plein dans notre dialectique de la coupure et du manque, du a comme chu, du a comme manquant. C’est ce qui lui permet, ayant échoué dans la réalisation de son désir, de le réaliser à la fois autrement et de la même façon, comme ερων. Elle se fait amant; en d’autres termes, elle se pose dans ce qu’elle n’a pas, le phallus, et pour bien montrer qu’elle l’a, elle le donne. C’est en effet une façon tout à fait démonstrative. Elle se comporte, nous dit Freud, vis-à-vis de la Dame avec un grand D, comme un cavalier servant, comme un homme, comme celui qui peut lui sacrifier ce qu’il a, son phallus.

Alors combinons ces deux termes, du montrer, du démontrer, et du désir, sans doute un désir dont l’essence, la présence, est d’être, de se montrer comme autre, et se montrant comme autre, pourtant, ainsi, de se désigner. Dans l’acting-out, nous dirons donc que le désir, pour s’affirmer comme vérité, s’engage dans une voie où, sans doute, il n’y parvient que d’une façon singulière. Et nous savons déjà par notre travail ici que d’une certaine façon, on peut dire que la vérité n’est pas de sa nature, à ce désir. Si nous nous rappelons la formule qu’essentiellement « il n’est pas articulahle encore qu’il soit articulé », nous serons moins étonnés du phénomène devant lequel ici nous sommes. Et je vous ai donné un chaînon de plus, il est articulé objectivement si cet objet qu’ici le désigne, c’est ce que j’ai appelé la dernière fois l’objet comme sa cause.

L’acting-out essentiellement, c’est la monstration, le montrage, voilé sans doute, mais qui n’est voilé que pour nous, comme sujet, en tant que ça parle, en tant que ça pourrait faire vrai, non pas voilé en soi, visible au contraire au maximum, et pour cela, pour cela même, dans un certain registre, invisible. Montrant sa cause, c’est ce reste, c’est sa chute, c’est ce qui tombe dans l’affaire qui est l’essentiel de ce qui est montré.

Entre le sujet ici, si je puis dire, Autrifie dans sa structure de fiction et l’autre non authentifiable, ce qui surgit, c’est ce reste a, c’est la livre de chair $ en A, ce qui veut dire, je pense que vous savez ce que je cite, qu’on peut faire tous les emprunts qu’on veut pour boucher les trous du désir et de la mélancolie, il y a la le juif qui, lui, en sait un bout sur la balance des comptes, et qui demande à la fin la livre

de chair. C’est la le trait que vous retrouvez toujours dans ce qui est acting-out. Rappelez-vous un point de ce qu’il m’est arrivé d’écrire, de mon Rapport sur la direction de la cure, où je parle de l’observation d’Ernst Kriss à propos du cas de plagiarisme. Ernst Kriss, parce qu’il était dans une certaine voie que nous aurons peut-être à nommer, veut le réduire par les moyens de la vérité; il lui montre de la façon la plus irréfutable qu’il n’est pas plagiaire; il a lu son bouquin, son bouquin est bel et bien original, c’est au contraire les autres qui l’ont copié. Le sujet ne peut pas le contester. Seulement, il s’en fout. Et en sortant, qu’est-ce qu’il va faire ? Comme vous le savez – je pense qu’il y a tout de même quelques personnes, une majorité, qui lisent de temps en temps ce que j’écris -, il va bouffer des cervelles fraîches. Je ne suis pas en train de rappeler le mécanisme du cas. Je vous apprends à reconnaître un acting-out, et ce que ça veut dire, ce que je désigne comme le petit a ou la livre de chair.

Avec les cervelles fraîches, le patient simplement fait signe à Ernst Kriss. « Tout ce que vous dites est vrai, simplement ça ne touche pas à 1a question; il reste les cervelles fraîches. Pour bien vous le montrer, Je vais aller en bouffer en sortant pour vous le raconter à 1a prochaine séance ». J’insiste. On ne saurait en ces matières, aller trop lentement. Vous allez me dire, qu’est-ce que ça a d’original? Vous allez me dire, enfin, je fais les demandes et les réponses, je ne l’espère pas, mais comme vous pourriez me le dire quand même, si je ne l’ai pas assez accentué : « Qu’est-ce que ça a d’original, cet acting-out et cette démonstration de ce désir inconnu ? Le symptôme, c’est pareil. L’acting-out, c’est un symptôme qui se montre comme autre, lui aussi, la preuve, c’est qu’il doit être interprété ». Bon, alors, mettons bien les points sur les i. Vous savez qu’il ne peut pas l’être, interprété directement, le symptôme, qu’il y faut le transfert, c’est-à-dire l’introduction de l’Autre. Vous ne saisissez peut-être pas bien encore. Alors vous allez me dire « Bien, oui, c’est ce que vous êtes en train de nous dire de l’acting-out ». Non, ce dont il s’agit là, c’est de vous dire qu’il n’est pas essentiellement de la nature du symptôme de devoir être interprété; il n’appelle pas l’interprétation comme l’acting-out, contrairement à ce que vous pourriez croire. Ι1 faut bien le dire d’ailleurs, l’acting-out appelle l’interprétation et la question que je suis en train de poser, c’est de savoir si elle est possible. Je vous montrerai que oui. Mais c’est en balance dans la pratique comme dans la théorie analytique.

Dans l’autre cas, il est clair que c’est possible, mais à certaines conditions qui se surajoutent au symptôme, à savoir que le transfert soit établi dans sa nature; le symptôme n’est pas, comme l’acting-out, appelant l’interprétation. Car, on l’oublie trop, ce que nous découvrons dans le symptôme, dans son essence, n’est pas appel, dis-je, à l’Autre, il n’est pas ce qui montre à l’Autre, que le symptôme dans sa nature est jouissance, ne l’oubliez pas, jouissance fourrée, sans doute, untergebliebene Befriedigung. Le symptôme n’a pas besoin de vous comme l’acting-out, il se suffit. Ι1 est de l’ordre de ce que je vous ai appris à distinguer du désir, comme étant la jouissance, c’est-à-dire qu’il va, lui, vers la Chose ayant passé la barrière du Bien référence à mon séminaire sur l’Éthique, c’est-à-dire du principe du plaisir, et c’est pourquoi cette jouissance peut se traduire par un Unlust. Tout ceci, ce n’est pas moi, non seulement qui l’invente, mais ce n’est pas moi qui l’articule, c’est dit dans ces propres termes dans Freud, Unlust, déplaisir, pour ceux qui n’ont pas encore entendu ce terme en allemand.

Alors, revenons sur l’acting-out. Α la différence du symptôme, l’acting-out, lui, c’est l’amorce du transfert. C’est le transfert sauvage. Ι1 n’y a pas besoin d’analyse, vous vous en doutez, pour qu’il y ait transfert. Mais le transfert sans analyse, c’est l’acting-out; l’acting-out sans analyse, c’est le transfert. Ι1 en résulte qu’une des questions à poser, c’est, concernant l’organisation du transfert, j’entends l’organisation, la Handlung du transfert, de demander comment le transfert sauvage on peut le domestiquer, comment on fait entrer l’éléphant sauvage dans l’enclos, ou le cheval, comment on le met au rond, la où on le fait tourner, dans le manège.

C’est une des façons de poser le problème du transfert qui serait bien utile à poser par ce bout, parce que c’est la seule façon de savoir comment agir avec l’acting-out. Aux personnes qui auront à s’intéresser prochainement à l’acting-out, je signale l’existence, dans le Psychoanalytic Quarterly, de l’article de Phillis Greenacre, General Problems of acting-out. C’est dans le n° IV du volume 19 de 1950, et ce n’est donc pas introuvable. C’est un article bien intéressant à divers titres, pour moi évocateur d’un souvenir; c’était au temps déjà éloigné d’une dizaine d’années, où nous avions reçu la visite déjà de quelques enquêteurs. Phillis Greenacre, qui en faisait partie, me fut l’occasion d’observer un bel acting-out, à savoir la masturbation frénétique à laquelle elle se livra devant mes yeux d’une petite pêcheuse de moules japonaise qui était en ma possession et qui en porte encore les traces, je parle de cet objet. Je dois dire que cela a fourni l’occasion d’une conversation très agréable, bien meilleure que celle scandée de divers passages à l’acte, parmi lesquels, par exemple, des sauts qui la portaient presque au niveau du plafond, que j’ai eu avec Madame. Donc, cet article sur General Problems of acting-out, sur lequel il y a des remarques très pertinentes, encore que, vous le verrez, ceux qui le liront, elles gagnent à être éclairées des lignes originelles que j’essaie de dessiner devant vous.

La question est de savoir comment agir avec l’acting-out. Ι1 y en a trois, dit-elle. Ι1 y a l’interpréter, il y a l’interdire, il y a renforcer le Moi.

L’interpréter ne fait pas grande illusion. C’est une femme très très bien, Phillis Greenacre. L’interpréter, avec ce que je viens de vous dire, est promis à peu d’effet, si je puis dire, ne serait-ce que parce que c’est pour ça qu’il est fait, l’acting-out. Quand vous regardez les choses de près, la plupart du temps vous vous apercevez que le sujet sait fort bien que ce qu’il fait, c’est pour s’offrir à votre interprétation dans l’acting-out. Seulement voilà, ce n’est pas le sens de ce que vous interpréterez qui compte, quel qu’il soit, c’est le reste. Alors, pour cette fois au moins, sans addition, c’est l’impasse. C’est très intéressant de s’attarder à scander les hypothèses.

L’interdire, naturellement, ça fait sourire, même l’auteur lui-même, qui dit quand même: on peut faire bien des choses, mais dire au sujet, pas d acting-out, voilà qui est tout de même difficile. Personne n’y songe d’ailleurs. Tout de même, à ce propos, on observe ce qu’il y a toujours de prohibition préjudiciable dans l’analyse. Beaucoup de choses évidemment sont faites pour éviter les acting-out en séance. Puis on leur dit de ne pas prendre de décisions essentielles pour leur existence pendant l’analyse. Pourquoi est-ce qu’on fait tout cela? Enfin, c’est un fait que la où on a de la prise a un certain rapport avec ce qu’on peut appeler le danger, soit pour le sujet, soit pour l’analyste. En fait, on interdit beaucoup plus qu’on ne croit. Si je dis, ce que j’illustrerai volontiers, ce que je viens de dire, c’est que essentiellement, et parce que nous sommes médecins, et parce que nous sommes bons, comme dit je ne sais plus qui, on ne veut pas qu’il se fasse bobo, le patient qui vient se confier à nous. Et le plus fort, c’est qu’on y arrive.

L’acting-out, c’est le signe quand même qu’on en empêche beaucoup. Est-ce que c’est la ce dont il s’agit, quand Madame Greenacre parle de laisser s’établir plus solidement un vrai transfert? Ce que je voudrais ici faire remarquer, c’est un certain côté qu’on ne voit pas de l’analyse, c’est son côté assurance-accident, assurance-maladie, car c’est très drôle quand même, combien les maladies de courte durée sont rares pendant les analyses, combien, dans une analyse qui se prolonge un peu, les rhumes, les grippes, tout ça s’efface, et même quant aux maladies de longue durée; enfin, s’il y avait plus d’analyses dans la société, je pense que les assurances sociales, comme les assurances sur la vie, devraient tenir compte de la proportion d’analyses dans la population pour modifier leurs tarifs.

Inversement, quand ça arrive, l’accident – l’accident, je ne parle pas simplement de l’acting-out – c’est mis au compte de l’analyse très régulièrement par le patient et par l’entourage, c’est mis au compte de l’analyse en quelque sorte par nature. Ils ont raison, c’est un acting-out, donc ça s’adresse à l’Autre. Et si on est analyste, donc ça s’adresse à l’analyste. S’il a pris cette place, tant pis pour lui. Ι1 a quand même la responsabilité qui appartient à cette place qu’il a accepté d’occuper.

Ces questions sont peut-être faites pour vous éclairer sur ce que je veux dire quand je parle du désir de l’analyste et quand j’en pose la question. Sans m’arrêter un instant à la question qui fait basculer, la question de la façon dont nous domestiquons le transfert, – car vous voyez que je suis en train de dire que ce n’est pas simple, et que c’est ce contre quoi je me suis toujours opposé, à savoir qu’il s’agit ici de renforcer le Moi – de l’aveu même de ceux qui s’y sont engagés dans cette voie, depuis beaucoup plus qu’une décade et plus exactement depuis tellement de décades qu’on commence à en parler moins maintenant, ceci ne peut vouloir dire que ce qui est, dans une littérature, mener le sujet à l’identification, non pas à cette image comme reflet du Moi idéal dans l’Autre, mais au moi de l’analyste avec ce résultat que nous décrit Balint, soit la crise terminale, véritablement maniaque, qu’il nous décrit comme étant celle de la fin d’une analyse ainsi caractérisée, et qui représente l’insurrection du a qui est resté absolument intouché.

Alors, revenons à Freud et à l’observation du cas d’homosexualité féminine, à propos duquel nous avons toutes sortes de notations tout à fait admirables, car en même temps qu’il nous dit qu’il est tout à fait clair que rien ici ne désigne que quelque chose se produit qui s’appelle le transfert, il dit en même temps, et dès cette époque, et dès ce cas que désigne je ne sais quelle pointe aveugle dans sa position, il dit quand même qu’il n’est pas question de s’arrêter un instant à cette hypothèse qu’il n’y a pas de transfert.

C’est tout à fait méconnaître ce qu’il en est de la relation du transfert. Nous le trouvons, dans ce discours de Freud sur son cas d’homosexualité féminine, expressément formulé. Il n’en reste pas moins que Freud, le jour où il a eu une patiente qui, la chose est articulée comme telle, qui lui mentait en rêve, car c’est comme ça que Freud caractérise le cas, l’αγαλμα, le précieux de ce discours sur l’homosexualité féminine, c’est que Freud s’arrête un instant, estomaqué, devant ceci – lui aussi fait les demandes et les réponses -, il dit : « Alors quoi, l’inconscient peut mentir? », car les rêves, vous le savez, de cette patiente, marquent tous les jours de plus grands progrès vers le sexe auquel elle est destinée. Freud n’y croit pas un seul instant, et pour cause!, car la malade qui lui rapporte ses rêves lui dit en même temps: « Mais oui, bien sûr, ça va me permettre de me marier, et ça me permettra en même temps, de plus belle, de m’occuper des femmes ». Donc, elle lui dit elle-même qu’elle ment. Et d’ailleurs Freud n’en doute pas. C’est justement l’absence de toute apparence de relation de transfert. Mais à quoi s’arrête-t-il alors, cet inconscient, que nous avons l’habitude de considérer comme étant le plus profond, la vérité vraie ? Lui, peut donc nous tromper? Et c’est ce autour de quoi tourne tout son débat, c’est autour de cette Zutrauen, de cette confiance à faire, pouvons-nous la conserver? dit-il. Ι1 l’affirme dans une phrase qui est très caractéristique parce qu’elle est tellement elliptique et concentrée, qu’elle a ce caractère presque de trébuchement de parole; il s’agit bien, je vous relirai la phrase, je ne l’ai pas apportée là, je l’apporterai la prochaine fois, elle est très belle, il s’agit toujours d’un accrochage.

Cet inconscient mérite toujours la confiance. Le discours du rêve, nous dit-il, est autre chose que l’inconscient; il est fait par un désir venant de l’inconscient, mais il admet du même coup que c’est ce désir qui s’exprime, jusqu’à, lui, le formuler; c’est donc alors que le désir vient de quelque chose, et venant de l’inconscient, et que c’est ce désir qui s’exprime par ces mensonges. Elle lui dit, elle-même, que ses rêves sont menteurs. Ce devant quoi Freud s’arrête, est le problème de tout mensonge symptomatique. Voyez ce qu’est le mensonge chez l’enfant, c’est ce que le sujet veut dire en mentant. L’étrange, c’est que Freud laisse tomber devant ce grippage de tous les rouages, il ne s’intéresse pas à ce qui les fait justement gripper, c’est-à-dire le déchet, le petit reste, ce qui vient tout arrêter et qui est la ce qui vient en question. Sans voir de quoi il est embarrassé, il est ému, comme il le montre assurément, devant cette menace à la fidélité de l’inconscient il passe à l’acte. C’est le point où Freud refuse de voir dans la vérité qui est sa passion la structure de fiction comme à l’origine.

Où il n’a pas assez médité sur ce sur quoi, parlant de fantasme, j’avais porté l’accent devant vous dans un discours récent sur le paradoxe d’Epiménide, sur le je mens et sa parfaite recevabilité, pour autant que ce qui ment, c’est le désir dans le moment où, s’affirmant comme désir, il livre le sujet à cette annulation logique sur quoi s’arrête le philosophe quand il voit la contradiction du je mens. Mais, après tout, ce que Freud manque là, nous le savons, c’est ce qui manque dans son discours. C’est ce qui est toujours resté pour lui à l’état de question : Que veut une femme ? L’achoppement de la pensée de Freud sur quelque chose que nous pouvons appeler provisoirement…, ne me faites pas dire que la femme est menteuse en tant que telle, mais que la féminité se dérobe et que quelque chose y soit de ce biais.

Pour employer des termes du liquide, cette douceur fluente, quelque chose devant quoi Freud a failli périr étouffé de cette promenade nocturne que sa fiancée, le jour même où ils échangeaient les deux derniers vœux, fit avec un vague cousin, – je ne me rappelle plus bien, je n’ai plus regardé la bibliographie, je l’appelle un vague cousin, c’est n’importe quoi d’autre, c’est un de ces godelureaux à l’avenir, comme on dit, assuré, ce qui veut dire qu’ils n’en ont aucun, – avec lequel il a découvert, peu après, qu’elle avait fait une petite balade, et c’est la qu’est le point aveugle, Freud veut qu’elle lui dise tout. La femme, eh! bien, elle l’a faite, la talking cure et pour le chimney-weeping, on a bien ramoné! Pendant un certain temps, on ne s’est pas entêté là-dedans; l’important, c’est d’être ensemble dans la même cheminée. La question, quand on en sort – vous le savez, elle a été rappelée à la fin d’un de mes articles, la question empruntée au Talmud – quand on sort ensemble d’une cheminée, lequel des deux va-t-il aller se débarbouiller? Oui, je vous conseille de relire cet article, et pas seulement celui-là, mais aussi celui que j’ai fait sur La Chose Freudienne. La Chose freudienne – vous pourrez l’y voir désignée, si j’ose dire avec quelque accent – c’est cette Diane que je désigne comme montrant la suite de cette chasse qui continue. La Chose freudienne, c’est ce que Freud a laissé tomber, mais c’est elle encore qui emmène, sous la forme de nous tous, toute la chasse après sa mort. Nous continuerons cette poursuite la prochaine fois.

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