dimanche, novembre 10, 2024
Recherches Lacan

LX L'angoisse 1962 – 1963 Leçon du 27 février 1963

Leçon du 27 février 1963

 

Bon. Ме Voilà de retour des sports d’hiver. La plus grande part de mes réflexions у était bien sûr, comme d’habitude, tournée а votre service. Non pas exclusivement pourtant. C’est pourquoi les sports d’hiver cette année, outre qu’ils m’ont réussi, се qui n’est pas toujours le cas, m’ont frappé par je-ne-sais-quoi qui m’est apparu et qui m’a ramené à un problème dont ils semblent une incarnation évidente, une matérialisation vive, c’est celui contemporain de la fonction du camp de concentration pour la vieillesse aisée, dont chacun sait qu’elle deviendra de plus en plus un problème dans l’avancement de notre civilisation, vu l’avancement de l’âge moyen avec le temps ; ça m’a rappelé qu’évidemment се problème du camp de concentration, et de sa fonction à cette époque de notre histoire, a vraiment été jusqu’ici intégralement 1оире, complètement masqué, par l’ère de moralisation crétinisante qui a suivi immédiatement la sortie de la guerre, et l’idée absurde  u’on allait pouvoir en finir aussi vite avec ça, je parle toujours des camps de concentration. Enfin, je n’épiloguerai pas plus longtemps sur les divers commis voyageurs qui se sont fait une spécialité d’étouffer l’affaire, au premier rang desquels il у en a eu un, Mme vous le savez, un qui a récolté le prix Nobel. On a vu à quel point il était а la hauteur de son héroïsme de l’absurde au moment où il s’est agi de prendre, sur une question actuelle, sérieusement parti.

Enfin tout ça pour nous rappeler, puisqu’aussi bien parallèlement а ces réflexions, je relisais, а votre service, mon séminaire sur l’Éthique d’il y у a quelques années, et се1а pour renouveler leе bien-fondé de ce que je crois у avoir articulé de plus essentiel après notre maître Freud, ce que je crois у avoir accentué d’une façon digne de la vérité dont il s’agit, que toute morale est а à chercher dans son principe, dans sa provenance, du côté du Réel. Encore faut-il savoir bien sûr ce qu’on entend par leа. Je pense que pour ceux qui ont entendu plus précisément ce séminaire, la morale est а à chercher du côté du réel et plus spécialement en politique. Ce n’est pas pour cela que ça doit vous inciter à le chercher du côté du Marché Commun !

Alors maintenant, je vais remettre, non seulement la parole, mais la présidence, comme on dit, ou plus exactement la position de chairman, а celui qui l’a occupée la dernière fois, Granoff, qui va venir ici, puisqu’il faudra bien qu’il réponde, puisqu’il а fait une introduction générale, aux trois parties, qu’il donne au moins un petit mot de réponse а Madame Aulagnier qui va finir aujourd’hui la boucle de ce qui avait été amorcé la dernière fois.

Donc, Granoff, ici, Aulagnier, ici. Aulagnier va nous dire ce qu’elle a extrait de son travail sur l’article de Margaret Little.

Aulagnier — Je rappellerai simplement que, quand Monsieur Granoff, dans le dernier séminaire, nous а donné un aperçu sur la façon dont, dans les dernières vingt ou trente années, а été traité par les analystes, le problème du contre-transfert, il nous а dit, si j’ai bonne mémoire, qu’à partir des différentes tendances, nous aurions pu voir une sorte de compas, une ouverture de 180 degrés, c’est ce que vous avez dit, je crois, et que les deux tendances extrêmes, qui devaient donc former, dans un certain sens, les deux pointes de ce compas, étaient ce qu’on pouvait retirer de l’article de Thomas Szasz, qui vous а été exposé par М. Perrier, et d’autre part, le point de vue opposé, l’article de Margaret Little dont je vais vous parler а mon tour. Dans cet article, il у а une partie théorique, une partie clinique. J’ajoute qu’il ne s’agit pas, bien sûr, d’en faire une analyse comme il le mériterait sans doute, c’est un article très riche, ce n’est pas ce que j’ai l’intention de faire mais, je dirai, de vous communiquer simplement les réflexions que certains points de cet article m’ont suggérées.

Et d’abord, quel en est le titre ? Dans le titre, Margaret Little se réfère а un premier article paru en 1951 où déjà il était question de ce R, ce symbole qui signifie pour elle ce que, je crois, on pourrait dire en français la totalité de la réponse de l’analyste aux besoins de ses patients. On est déjà intéressé ou alerté par le terme de besoin. C’est que, normalement, le mot réponse en français suggère comme vis à vis, comme répondant, le mot question ou demande. Rien de tel ici. Il s’agit bien de besoin et il est bien difficile de dire ce qu’elle entend par ce terme de besoin, que ce terme est assez vague, je crois que, dans tout 1’árticle, ce qui se dégage, c’est vraiment, on а envie de dire, le côté corporéité pour elle. Cette espèce, non pas de manque avec ce sens que nous а appris Monsieur Lacan а l’entendre, de vide, de gouffre au niveau du sujet, gouffre dans lequel s’engouffre ce que, dans cet article, nous pourrons définir comme le don en tant que dévoilement de ce qui apparaît, et qui en fait l’intérêt, c’est-à-dire le désir de l’analyste.

Ceci dit, si nous reprenons quelques-uns des points qui m’ont paru, à raison ou а tort, les plus importants, je commencerai par m’arrêter sur la définition qu’elle nous donne sur le terme de contre-transfert. Elle commence bien sûr par nous dire combien il est regrettable — et après tout c’est un regret que nous comprenons et que nous pouvons même а la rigueur partager — que très souvent dans notre éthique, dans notre domaine, certains termes soient employés par les différents auteurs, que les mêmes termes servent à définir des concepts assez différents, que cela risque de créer un dialogue de sourds. Tout ceci, nous le savons, mais, ce qui semble plus important, je vais vous lire la définition qu’elle nous donne de ce qu’est pour elle le contre-transfert. Voilà ce qu’il représente pour Margaret Little «… des éléments refoulés, donc non analysés jusqu’à ce moment dans l’analyste, qui les relie а son patient de la même façon… » — je m’excuse, ce n’est peut-être pas un français très correct, je traduis — «… que le patient transfère sur l’analyste des affects… etc. qui appartenaient а ses parents ou а des objets de son enfance, c’est-à-dire que l’analyste considère le patient d’une façon temporaire et variée comme il considérait ses propres parents ». Voilà ce que représente pour Margaret Little le contre-transfert. Donc le contre-transfert est quelque chose qui représente ce qui n’a pas été analysé, et dont en définitive l’analyse, c’est-à-dire les réactions qu’il provoquera, ne pourront être analysées par l’analyste que rétroactivement et devront être interprétées, je dirai, de façon rétroactive par l’analyste s’il en comprend le sens après-coup. Il s’agira, nous le verrons tout à l’heure, de façon simpliste, d’avoir une réaction qui parle de ça, de ces éléments non analysés, de cette partie donc qui а échappé а l’analyse personnelle de l’analyste, et ce n’est qu’ensuite que, parce qu’analyste, elle pourra ou ne pourra pas interpréter, en comprendre le sens. On peut у ajouter, qu’à partir de la, ce qui se dessine, est que par moments dans la cure nous nous trouverions face а nos patients exactement dans la même position qu’ils se trouvent face а nous, c’est-à-dire qu’ils prendraient dans un certain sens le rôle qu’a eu notre analyste, lors de notre propre analyse. C’est en tant que personnage, représentant les parents, qu’il provoquerait en nous certaines réponses. Nous verrons tout à l’heure ce qu’on doit en penser de ces réponses, le rôle que leur accorde Margaret Little, et les applications, ou plutôt qu’est-ce que cela donne dans la pratique, dans la clinique.

Ensuite, Margaret Little va nous parler de ce qu’elle définira en tant que réponse totale, c’est-à-dire quelque chose qui implique tout aussi bien, bien sûr, l’interprétation que ce qu’on peut appeler, d’un sens général, le comportement, que les sentiments… etc. Ce n’est pas sur ça que je vais m’arrêter. Je vais m’arrêter sur deux points dans cette partie théorique, d’une part, ce qu’elle nous dit а propos de la responsabilité, et d’autre part — c’est dans le dernier paragraphe qui est peut-être le plus important -, ce qu’elle nous dit, а propos de ce qu’elle appelle la manifestation de l’analyste en tant que personne réelle, en tant que personne.

Voyons ce qu’elle nous dit de la responsabilité. Tout cet article est, comment pourrait-on dire, dédié а un certain type de patients, ceux qu’elle appelle les patients borderline, personnalités psychopathiques et qui, en fait, sont ceux que, je crois, nous aurions intérêt à appeler des structures psychotiques. J’ajoute qu’on voit là l’intérêt qu’il у aurait а faire une différence entre structure psychotique et psychose clinique ou psychose symptomatique ; mais ceci… peu importe. Au moment où elle aborde le problème de la responsabilité, Margaret Little nous dit que, d’abord, il est bien entendu que personne ne nous oblige à être analyste, qu’ayant choisi de l’être, personne ne nous oblige à accepter un certain type de patients. Mais qu’à partir du moment où nous les avons acceptés, notre responsabilité vis-à-vis d’eux est complètement engagée ; il у а un engagement а cent pour cent où, bien sûr, il faut connaître ses limites, quand même ces limites on ne pourrait pas les respecter, etc. Mais, en définitive, avec une très grande honnêteté et un sentiment de voir les choses aussi près qu’elle le peut, ce sur quoi elle insiste, c’est ce qu’on pourrait appeler notre responsabilité vis-à-vis en particulier de ce type de patients.

Jusque-là, il n’y а rien que nous ne puissions partager, complètement accepter. Par contre, ce qui m’a particulièrement intéressée ou alertée, c’est quand elle nous dit qu’il est utile que nous rendions conscient l’analysé de cette responsabilité, de la responsabilité que nous prenons. Là, je dois dire que, si j’ai bien compris ce que dit Margaret Little — vraiment je me suis arrêtée en le lisant — parce que, qu’est-ce que nous dit Margaret Little ? Elle nous dit : « En général, ce type de patients ne se rend pas du tout compte de la responsabilité qui est la nôtre. Il faut donc que nous leur en fassions prendre conscience ». Bien sûr, la raison de tout ceci, elle nous l’explique en invoquant tout le mythe du Moi auxiliaire, de l’identification а l’analyste. Et, dans l’esprit de Margaret Little, devrait précéder avec le psychotique une autre période de la cure, celle dans laquelle on pourrait faire des interprétations transférentielles.

Je laisse de côté, ici, si vous voulez, tout ce que théoriquement, on pourrait dire а ce propos pour reposer la question que je me suis posée, qui est celle-ci : est-ce que nous pouvons, est-ce que nous devons, rendre le patient conscient de notre responsabilité ? Qu’elle existe, bien sûr, et qu’elle nous pèse lourdement sur les épaules, parfois, c’est tout aussi sûr. Mais je dirai qu’en lisant Margaret Little, j’ai eu l’impression, je me suis dit que j’aimerais bien quelquefois comme ça, j’aimerais, moi, parfois, pouvoir rendre le patient conscient de la responsabilité qui est la mienne, non pas qu’on ne puisse pas, qu’il ne soit pas capable de le comprendre, mais il me semble que ce n’est pas… Et ce poids qui est justement le nôtre, est justement ce que nous ne pouvons pas partager avec le patient. Dans tout ce que dit Margaret Little, il у а quelque chose de l’ordre de la séduction et de la gratification vis-à-vis du patient, qui me semble justement quelque chose а éviter, tout aussi bien avec le névrosé qu’avec le psychotique. Et je dirai que c’est un point qui m’a, bien sûr, intéressée, mais dans lequel je suis très loin de Margaret Little. Et je crois que tout à l’heure, nous verrons où ça la mène.

Et je voudrais, pour finir, vous décrire ce qui me semble être vraiment le condensé de tout l’article, c’est-à-dire comment Margaret Little définit la rencontre analyste-analysé. J’avoue que les tirets ne sont pas de moi, ils sont а Margaret Little

person-with-something-to-spare meets person-with-needs.

Ça veut dire exactement, une personne ayant quelque chose а donner, mais to spare en anglais, а une signification très particulière, c’est-à-dire quelque chose dont il puisse disposer, quelque chose qu’il а en plus, dans le sens, si vous voulez, je pense aller au théâtre et je suis seule, tout а coup quelqu’un me donne deux billets, il est évident que j’ai un billet а donner. C’est ça le sens de to spare en anglais. Rencontrer une personne avec des besoins. Voilà la façon dont Margaret Little définit la rencontre analytique. Je crois que simplement а partir de là, toute sa façon de concevoir l’analyse, et tout ce qui est de l’ordre de cette espèce de pivot, tellement toujours important, et qui est toujours difficile à saisir, qui est le désir de l’analyste, apparaît dans toute sa splendeur.

Avant de revenir là-dessus, nous allons voir ce que nous dit Margaret Little au niveau de la manifestation de l’analyste en tant que personne. Et la, je me disais, en le lisant, qu’entre les différentes choses — il у en а beaucoup -, que Monsieur Lacan nous apportait, il у en а une qui vraiment me semble précieuse en tant qu’analyste, c’est ce qu’il nous а appris sur ce que, entre nous, nous appellerons, il appellerait, je pense, la réalité. Mais, par hasard, il en а parlé, je crois, juste avant mon exposé, mon résumé plutôt. Qu’est-ce que la manifestation de l’analyste en tant que personne ? « Eh bien, nous dit Margaret Little, avec ce type de malades qui ne sont pas capables de symboliser, qui sont des structures psychotiques, etc. il est nécessaire que l’analyste soit capable de se manifester en tant que personne ». Il s’agit de deux choses : la première, c’est dans le domaine de ce qu’on peut appeler en général l’affectivité : « Il faut que l’analyste soit capable », nous dit-elle, « de montrer ses sentiments aux patients ». Mais il у а quelque chose qui va plus loin. Vous vous souvenez que, tout à l’heure, je vous ai défini ce qu’est, pour Margaret Little, le contre-transfert, ce noyau non analysé est juste а ce moment-là ce qui provoque un certain type, bien sûr, justement un certain type de paroles, qu’elles soient verbales ou gestuelles, peu importe, chez l’individu. Ce type de réponses, font-elles, pour Margaret Little, appel au reacting-impulse, c’est-à-dire aux réactions impulsives ? Ces réactions impulsives, nous dit-elle, elles existent toujours mais, surtout, enfin, elles sont absolument bénéfiques pour le patient, dans certains cas, bien sûr, ajoute-t-elle. Là, je dois dire que j’étais vraiment étonnée de lire cela.

Mais enfin, revenons а la première partie. Ce que nous dit Margaret Little sur la manifestation de l’analyste en tant que personne réelle, а quoi devrait, dans son esprit, servir cela ? Ça doit servir а une autre définition que nous trouvons et qui, je ne vous la reproduis pas, mais enfin, je crois m’en souvenir assez bien, qui va dans le sens de permettre au sujet une absorption, une incorporation et je crois une digestion — tous les termes у sont — normative, qui va vers une normalisation de l’analyste au milieu d’une introjection magique. Moi, j’ajoute que cela se passe avec le psychotique. Que nous devenions tour а tour, pour le psychotique, le lieu de cette introjection, bien sûr aussi. Que cela soit nécessaire pour que nous puissions l’analyser, c’est encore bien sûr. Mais que nous devions dire que le fait qu’il nous introjecte, en tant que personne réelle, est différent de l’introjection magique, qui est son mode de relation d’objet, là, je dois dire qu’il у а une nuance qui m’échappe complètement, et je ne pense pas qu’elle existe.

Quoi qu’il en soit, on en revient а ce que Margaret Little nous dit sur la manifestation de l’analyste comme une personne. Une première question peut se poser : en quoi le fait de montrer à nos patients nos sentiments, qu’elle appelle notre affectivité, — et tout à l’heure nous parlerons d’une façon plus précise — en quoi cela introduirait-il une dimension de réalité dans la cure ? Et ceci pour deux raisons : la première — et la, alors, je m’excuse de me référer а moi-même mais en tant qu’analyste, je suis le seul dont je peux parler, je ne vois pas comment je pourrais parler d’un autre analyste que moi — c’est qu’il me semble que, pour tout analyste, la réalité n’est jamais aussi réelle qu’à partir du moment où il parle, justement, de sa place d’analyste et que plus cette place d’analyste sera correcte, plus elle sera loin des reacting-impulse, plus il me semble qu’il sera lui-même réel.

Si maintenant, nous laissons de côté la réalité par rapport а l’analyste, et que nous nous plaçons au niveau du sujet, de l’analysé, la même question se pose. Car, si vous vous rappelez ce que nous а dit M. Perrier par exemple, sur la position de М. Szasz avec ce qu’il у а d’absolument rigide et de lucide aussi dans sa façon de concevoir l’analyste, croyez-vous vraiment que ce type d’analyste puisse être pour le patient une sorte de machine qui dirait comme ça : « Hum… hum… » toutes les vingt minutes, ou quoi que ce soit. Je pense que l’analyste est toujours dans un certain sens, réel, et que dans un autre sens, il ne l’est jamais. Je veux dire que, que vous interprétiez ou que vous éternuiez, de toute façon, l’analysé l’entendra en fonction de sa relation transférentielle. Il ne peut у avoir dans l’analyse aucune autre réalité que celle-là. C’est la seule dimension où s’inscrit la cure, et c’est quelque chose, je crois, qu’il ne faut jamais oublier.

Quant à cette espèce de désir présent chez Margaret Little, ce qui fait qu’on pourrait passer sur une autre scène, justement, mais qui, cette fois, serait la scène de quoi ? La scène d’une réalité qui serait réalité pour autant justement qu’elle va au-delà, qu’elle est extérieure au paramètre de la situation analytique. Je crois que la, il у а vraiment quelque chose qui n’est pas acceptable, tout au moins dans notre optique. Je ne dis pas, qu’après tout, on ne puisse pas voir les choses comme ça, mais je crois que, dans ce qui est notre propre optique, cela semble pour le moins contenir, renfermer, un paradoxe.

Et alors j’en viens au dernier point dont je vais parler avant de passer au cas clinique. C’est, ceci va exactement dans la ligne de tout ce que j’ai dit jusqu’à maintenant, c’est ce que Margaret Little appelle les réactions impulsives. Les réactions impulsives, comme je l’ai dit, sont quoi ? Eh bien, ce sont les réactions qui sont motivées, qui viennent en ligne directe, non pas simplement du ça de l’analyste, mais je dirai de cette partie de son inconscient qu’il n’a jamais pu analyser. Là, je crois que ce n’est pas tellement au niveau théorique que nous allons essayer de voir ce que ça implique, mais au niveau de l’exemple qu’elle cite, qu’elle donne et où, en effet, on voit ce que peut déterminer, ce que peut provoquer ce type de comportement dans la pratique.

Le matériel clinique — C’est un cas, non, je ne vous parlerai pas du cas, simplement vous dire que c’est ce qu’on appelle, je crois, sans aucune équivoque possible, une structure psychotique. C’est une analyse qui dure depuis dix ans. Pendant les sept premières années, nous dit Margaret Little, il а été absolument impossible de lui faire admettre d’analyser de quelque façon que ce soit le transfert. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir parlé en tant que personne réelle.

Je dirai même qu’elle nous en donne de très beaux exemples. Ce sont les deux auxquels s’est référé Monsieur Lacan la dernière fois où il а parlé ici. Nous avions la fois où le sujet était venu et, étant le dernier d’une longue série qui continuait à critiquer le bureau de l’analyste, Margaret Little lui dit qu’en définitive, ça lui est bien égal, ce qu’elle peut en penser ou non ; et une autre fois, ceci se situe toujours pendant ces sept premières années, la fois où au fond le sujet lui racontant pour la énième fois des histoires avec sa mère et avec l’argent, Margaret Little lui dit qu’après tout, elle pense que tout ça c’est du bla-bla-bla, et qu’elle, l’analyste, est en train de faire un grand effort pour ne pas s’endormir. Réactions impulsives s’il у en а, réactions qui, peut-être, ne sont pas tellement, comme semble le croire Margaret Little, des manifestations de cette espèce de réalité réelle, vraie, de l’analyste, en tous les cas, interventions qui laissent exactement les choses dans leur statu quo, c’est-à-dire que, bien sûr, l’analysée est choquée, elle dit : « Ah bon, d’accord, excusez-moi, je ne le dirai plus ». Mais, en fait, les choses continuent exactement comme avant. Elles continuent tellement comme avant, qu’après sept ans d’analyse, Margaret Little et l’analysée pensent qu’elles feraient bien d’interrompre le traitement, tout en sachant bien, toutes les deux, qu’en fait le problème n’a jamais pu être abordé. C’est là que va se situer l’épisode de la mort de Ilse. Ce n’est pas l’analyse du cas dont je vais parler, parce qu’on pourrait dire que c’est le deuil, c’est le personnage qui est mort, puisque c’est simplement au niveau du contre-transfert que j’ai essayé de définir ou de parler aujourd’hui.

Je vais retourner un petit peu en arrière pour, а partir de la où nous verrons une certaine interprétation, pour revenir sur cette formule qui, dans l’esprit de Margaret Little, définit la rencontre. Est-ce qu’on peut — c’est une question que je pose, puisqu’en définitive, la réponse pour tous serait négative, sans même besoin de long discours là-dedans — est-ce qu’on peut vraiment définir l’analyste comme un être humain, un sujet qui aurait quelque chose de plus que les autres ? Je crois qu’il n’y а qu’à écouter parler Monsieur Lacan, et simplement qu’à se référer а notre propre expérience d’analyste, pour voir combien cette solution est absolument impensable.

Quant aux besoins de l’analysé, je ne sais pas s’il est besoin ici de rappeler tout le décalage, tout ce qu’on peut dire au niveau du besoin et de la demande. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que, dans cette simple formule, ce qui est inscrit, ce n’est pas seulement la façon dont Margaret Little voit la rencontre, mais c’est vraiment le désir de l’analyste, le désir de Margaret Little, c’est-à-dire d’être cette espèce de sujet qui а quelque chose en plus, quelque chose avec quoi elle peut nourrir — ce n’est pas par hasard si j’emploie ce qui appartient au vocabulaire oral — elle peut combler un vide, une sorte de béance réelle, qu’elle voit comme telle, au niveau du sujet qui vient en analyse.

Nous allons alors, а partir de là, revenir non pas а ces deux interprétations dont je vous ai parlé, mais revenir а cette première interprétation qui, en effet, est la première, je ne dirai pas qui fait aller l’analyse vers cette chose de positif qui pourrait, а la fin, déterminer la vraie guérison, mais qui fait aller l’analysé, le fait bouger, c’est ce qui vient au moment de la mort d’Ilse.

Ilse est un personnage, un substitut parental de l’âge de ses parents de la malade, qu’elle а connue étant enfant et qui est morte, qui vient de mourir en Allemagne ; le sujet vient de l’apprendre. Elle arrive chez l’analyste dans un état de détresse, de désespoir, état de désespoir qui dure, séance après séance, finit par affoler littéralement Margaret Little, qui nous dit

« J’avais l’impression que si je n’arrivais pas, d’une façon ou d’une autre, “to break through”, à faire irruption là-dedans, ma malade allait mourir, ma malade allait me manquer. Mourir pourquoi ? dit-elle. Pour deux raisons : ou bien parce qu’elle se serait suicidée, ou bien parce qu’elle serait morte d’épuisement, parce qu’elle ne pouvait plus manger, elle ne pouvait plus rien faire ». Donc, а un certain moment, au cours du traitement, Margaret Little, а ce moment précis, est absolument affolée par ce qui se passe. C’est là, je crois, qu’il faut se rappeler ce que nous а dit М. Lacan quand il а parlé de ça ; c’est-à-dire qu’à ce moment précis, un développement s’est produit, et l’analyste est devenue quoi ? Le lieu de l’angoisse, c’est-à-dire que, non seulement il est le lieu de l’angoisse, mais que l’objet de son angoisse, c’est justement la patiente qui le représente. C’est à ce moment-là que Margaret Little va intervenir, non pas du tout, comme elle le croit, pour montrer son affectivité, mais va intervenir vraiment а partir de son ça, résidu inconscient même pour elle, elle va lui dire qu’elle est vraiment, elle l’analyste, terriblement affectée par ce qui se passe, qu’elle ne sait plus quoi faire, qu’elle а l’impression du reste que personne ne pourrait supporter de la voir dans cet état-là, qu’elle souffre pour elle, enfin, vous n’aurez qu’à lire et vous verrez que, ce qu’elle fait, c’est vraiment l’instaurer, le sujet, elle, Frieda, en tant qu’objet de son angoisse.

Et qu’est-ce qui va se passer ? Il va se passer que le sujet entend les choses, comme exactement, cette fois-ci, comme l’analyste ; l’analyste, je ne dirai pas les comprend, mais les vit : « Je suis l’objet de ton angoisse ». « Eh bien, c’est très bien » se dit-elle, « c’est très bien, parce qu’en définitive, cet objet d’angoisse, j’ai essayé de l’être vis-à-vis de mon père ; mais ce n’était pas possible, puisqu’il était enfermé dans une espèce d’armure », c’était un mégalomaniaque, quelqu’un, dirait М. Lacan, а qui il n’est pas question qu’il puisse manquer quoi que ce soit. « Cet objet d’angoisse, j’ai bien essayé de l’être avec ma mère, et maintenant, je suis bien heureuse de l’être en effet, de pouvoir l’être pour vous ».

Et, а partir de là, qu’est-ce que nous allons voir ? Nous allons voir que le sujet, l’analysée, répond exactement de cette place, c’est-à-dire que vont se succéder toute une série de réponses, de réactions qui ont pour but, et comme seul but, de provoquer l’angoisse de l’analyste, afin qu’à chaque fois, l’analyste la rassure et lui dise qu’elle, l’analysée, est l’objet de son angoisse. En effet, c’est а partir de ce moment-là que vont surgir des crises d’hystérie, des réactions suicidaires extrêmement graves puisque l’analyste elle-même est très étonnée qu’à la suite d’un accident que la malade a eu, elle n’en soit pas morte, puisque par deux fois, des voisins vont lui dire : « Vous savez, la malade qui sort de chez vous, va certainement se faire tuer, parce qu’elle traverse la rue d’une façon absolument folle ». Et puis, non seulement elle va reprendre ses vols, mais va s’arranger pour voler alors qu’un détective est présent, et obliger l’analyste non seulement а lui faire un certificat — bon, des certificats, on peut être amené а en faire pour certains types de patients — mais un certificat dans lequel elle ne se contente pas de dire « Médicalement, elle n’est pas responsable », elle ajoute « car ce sujet est quelqu’un d’absolument digne de confiance et de profondément honnête ». Qu’est-ce que cela vient faire dans le certificat ? Ça, je me le demande encore. Peu importe. C’est peut-être au niveau du contre-transfert qu’on trouverait une réponse. Quoi qu’il en soit, les choses continuent comme ça. Et, en fait, si nous n’avions pas affaire а Margaret Little, c’est-à-dire а quelqu’un qui est un analyste, et probablement un bon analyste, elles auraient pu continuer comme ça, c’est-à-dire que la relation que l’analysée vivait avec la mère, elle la vit avec l’analyste et que, cette fois encore, elle refuse de façon totale, toute interprétation.

Alors, quand est-ce que les choses changent vraiment ? Les choses changent à partir du moment où Margaret Little est amenée а reconnaître ses propres limites. А ce moment-là, elle va parler, bien sûr, mais ce n’est pas du tout le reacting-impulse, mais ce n’est pas du tout une réaction affective elle va parler de sa place d’analyste. Dans un discours d’interprétation parfaitement conscient pour elle, et qui va amener la réponse que nous sommes en droit d’attendre ou d’espérer quand nous faisons ce type d’interprétation, c’est-à-dire que le sujet va lui faire cadeau, pourrait-on dire, car c’est plutôt de leur côté que du nôtre, de toute façon, va lui faire cadeau de son fantasme fondamental. Quelle est cette interprétation ? C’est le moment où l’analyste lui dit que, si les choses devaient continuer comme ça, elle serait, elle, l’analyste, amenée а interrompre le traitement.

Je crois que c’est là qu’il faut voir cette introduction de la fonction de la coupure, qui devrait toujours être présente en analyse, qui est le but même, et le pivot sur lequel tourne tout notre traitement, et qui, en fait, amène, comme je vous le disais, immédiatement en réponse, quoi ? C’est-à-dire que le sujet dit finalement а l’analyste ce qu’est son fantasme fondamental, c’est celui de la capsule ronde, sphérique, parfaite qu’elle а construite justement parce qu’incapable d’accepter une castration, un manque que personne n’avait jamais pu symboliser pour elle. C’est а partir de ce moment que nous pouvons espérer avec Margaret Little — et peut-être avec raison — que ce traitement aboutisse а cette dernière séance qui, que ce soit pour un névrotique, pour un futur analyste ou un psychotique, peu importe, est toujours la même, est celle où l’analyste répète pour la énième fois, et c’est en ça que, non pas l’analyse, mais l’auto-analyse n’est jamais finie et que le patient expérimente pour la première fois quelque chose, qui est la seule chose pour laquelle il а fait ce long chemin, la seule chose, le point auquel nous ayons а l’amener, qu’il est le sujet d’un manque, qu’il est marqué du sceau de la castration comme nous tous, et que c’est la séparation qu’il faut pouvoir assumer.

Lacan — Vous voulez faire ce petit mot conclusif que je suggérai, que vous vous étiez mis en place d’émettre parce que j’ai 1u — je dirai tout à l’heure dans quelles conditions j’ai eu connaissance de ce qui s’est dit la dernière fois — mais enfin, j’en sais assez pour savoir que vous avez annoncé, donc que vous deviez clore.

Granoff — le ne pensais pas avoir annoncé que je devais clore. Mais enfin, sans même parler de clore, on peut effectivement dire quelques mots. Évidemment, ma position, telle qu’elle se définit, est différente de la vôtre, en ce sens que je n’ai pas а faire la critique d’un article, а a fortiori, pas en somme la critique du procédé ou des résultats de l’analyse de Margaret Little, mais plutôt а tenter une interprétation du cours général, tel que Margaret Little et Szasz en représentent des formes particulières d’aboutissement.

Certes, entre Little et Szasz, on peut voir, et je l’ai vu — je suis а l’origine de cette image, de ce secteur de 180 degrés — mais il faudrait ajouter que l’un et l’autre sont des auteurs contemporains, enfin qu’ils sont l’un et l’autre de la même période et qu’à ce titre, ils doivent, l’un et l’autre, être opposés а ce qui situe une fausse origine de cette méditation, relativement de ce contre-transfert, origine qui évidemment remonte а Freud, et а tous les auteurs de sa verve, pourrait-on dire. Très brièvement, une sorte de réflexion sur ce que vous venez de nous dire pourrait nous mener а deux sortes de considérations tout а fait générales ; d’une part, concernant l’ensemble de l’évolution, et plus particulièrement telle que Margaret Little en rend compte а sa façon, а sa façon qui, évidemment, а tout son prix car, assurément, vous n’avez pas été sans remarquer ce qu’elle laissait transparaître, on peut dire, de redoutable candeur…

Aulagnier -… à opposer aux pédants.

Granoff —… C’est bien ce que je veux dire du même coup. Car si cette candeur redoutable pouvait s’opposer а quelque chose, c’est assurément au pédantisme. Et, en ce sens, il est manifeste, je pense, pour vous, que cette candeur, elle la tient de celle qui l’a introduite а sa propre méditation, c’est-à-dire Mélanie Klein. Bien propre а épouvanter le pédant, dont nous aurions trouvé, dans le même journal, d’autres représentants qui, assurément ne se seraient pas présentés ou n’auraient pas présenté leur œuvre dans un pareil désarmement théorique, mais nous auraient donné à lire une littérature, disons а priori plus ennuyeuse, que ce que Margaret Little nous propose. Comme Barbara Low déjà а cette époque, c’est-à-dire vers les années trente, le soulignait, il у а des auteurs qui ne lui semblent pas pédants, au premier rang desquels elle situe Freud d’abord et Ferenczi ensuite.

Après cette petite parenthèse, on peut dire que l’ensemble de l’évolution, en tirant un petit peu les choses, et en prenant un peu le langage de Szasz et qui n’est pas, dirons-nous en anglais irrelevant, tout au moins а l’époque, on peut dire qu’il s’est passé la chose suivante : si Margaret Little, si certains analystes dont elle est, peuvent tout а fait présenter légitimement la situation analytique en mettant la rencontre de quelqu’un qui а des besoins, avec quelqu’un qui а something to spare que vous traduisez par ?

Aulagnier -… quelque chose dont il dispose.

Granoff -… Quelque chose dont il dispose, il faut peut-être compléter la, la notion du quelque chose dont il dispose. C’est assurément quelque chose en trop, mais а une nuance près tout de même assez particulière, c’est qu’à la limite, ce sont des pièces de rechange. Je veux dire que l’en-trop est tout de même marqué du signe de l’interchangeable, non pas tant parce que la pièce de rechange la plus courante est une roue de rechange, qui s’appelle en anglais а spare-wheel, mais parce que l’en-trop est là véritablement, comme l’on dit pour les billets de théâtre dont vous parliez vous-même, quelque chose dont, après tout, une inadvertance au guichet aurait pu faire venir dix, vingt, а la limite la salle toute entière, c’est-à-dire qu’au niveau de ce something to spare, se traduit un effet que Szasz, sans le nommer, mais nous le traduisons par ce que nous pourrions appeler un effet de politisation de l’analyse, ou encore comme les effets а distance de quelque chose comme la naissance dans la cité de l’analyse avec ses effets de politisation et, je dirai, de descente dans une certaine dimension économique qui est présente au niveau de la pièce de rechange.

Du même coup, surgit évidemment, on peut dire, une nouvelle éthique de cette cité analytique, mais cette nouvelle éthique, on peut dire qu’elle se caractérise essentiellement par, je dirai, le surgissement d’une dimension nouvelle de la délinquance. Car, c’est la notion d’une délinquance analytique dont il serait trop rapide de la référer purement et simplement а l’analyse sauvage -l’analyse sauvage n’en est même pas le premier aperçu, ce n’est pas а proprement parler de ça dont il est question — et cet aspect de délinquance est loin de n’être qu’un abord compréhensif de la situation. Il est tout de même ici tout а fait important, parce qu’après tout, la façon dont Margaret Little se sort de cette atmosphère de civisme analytique est quelque chose de l’ordre littéralement de l’acceptation du délit, pour autant que, dans toute la réfutation de Margaret Little, de la littérature antécédente sur le contre-transfert, littérature où la dénégation est finalement tout aussi tangible et tout aussi touchante que chez des auteurs comme celle qui j’ai citée la dernière fois, c’est-à-dire Lucy Tower, tout de même, la dimension du délit est tout de même particulièrement sensible. Ainsi, elle nous dit donc, en sollicitant les termes dans un sens szaszien, si on peut tolérer ce néologisme, que c’est accepter le délit, et de cette acceptation du délit ainsi assumée, que proviendra le renouvellement de l’éthique qui est prévalente dans le civisme analytique au moment où elle écrit.

En prenant les choses par un autre côté, c’est-à-dire celui de l’article, vous avez chiffonné plus qu’elle ne le mérite, je dirai sa formulation « L’analyste a-t-il quelque chose en plus ? » Certainement, encore que cet en plus n’est tout de même pas aussi révoltant qu’il pourrait le paraître, mais même si ce n’est pas quelque chose en plus, c’est une question qu’on peut se poser, le tout est de savoir quoi précisément. Et la, de nouveau, se situe ce secteur de 180 degrés. Car, en effet, pour les auteurs de la génération contemporaine, qu’est-ce que l’analyste а en plus ? Et là dans toutes les énumérations qui sont faites, soit sous la rubrique du contre-transfert, soit sous n’importe laquelle des rubriques techniques que l’on peut trouver dans la littérature, vous trouverez les têtes du chapitre suivant. Il у а en plus un savoir, ou bien un pouvoir, ou bien un grand cœur, ou une force, ou encore, dans une nomenclature plus spécifiquement anglo-saxonne, un skill, c’est-à-dire une aptitude, où alors, évidemment, la frontière devient plus difficile à définir avec le talent.

Chez les auteurs de la génération, non pas précédente mais antécédente, l’en plus serait défini comme chez Barbara Low, d’une autre façon. Qu’a-t-il en plus ? Chez Barbara Low, par exemple, il а une curiosité en plus, et le problème est de légitimer sa curiosité. Chez Barbara Low, déjà, ou encore, pourrait-on dire, ce qu’il а en plus n’est pas très différent de quelque chose comme une variété spéciale d’un désir de guérir. Mais est-ce un désir de guérir ? Je ne sais pas.

Ce qui fait qu’entre les exemples choisis, enfin, les expressions les plus révélatrices chez ces auteurs-là, après tout, quand Freud parle de contre-transfert, finalement de quoi parle-t-il comme exemple particulièrement corsé de difficultés ? C’est de la patiente très émouvante, disant des choses très émouvantes, et belles de préférence. Barbara Low, elle, de quoi parle-t-elle quand elle parle de la position de l’analyste ? D’un de ces problèmes que j’ai essayé de souligner l’année dernière, est-ce que l’analyste ne doit pas essayer d’être le lover, c’est-à-dire l’amant du matériel du patient ? Quant à l’autre auteur auquel elle se réfère, c’est-à-dire Ferenczi, son œuvre est maintenant trop connue pour qu’on revienne sur quelque chose qui est en passe de devenir un bateau. C’est chez Ferenczi, certainement, que la question sur le désir de l’analyste est peut-être articulée de la façon la plus pathétique. Donc, entre la présence chez l’analyste de quelque chose de particulier, est-ce en plus, est-ce une différence, est-ce une spécialité d’un désir ? Dans la génération contemporaine, une définition de l’en plus, indissociable de ce que l’on peut appeler, ainsi que j’ai tenté de le faire, une politisation de l’analyste, c’est une des façons dont, pour conclure en sept minutes, on pourrait tenter de rendre compte de l’évolution de la méditation а l’intérieur du milieu analytique, sur les problèmes dits du contre-transfert, et du même coup, et corrélativement, du maniement de ce qu’on appelle la relation d’objet.

Lacan — Je n’ai pas du tout été mal inspiré de demander à Granoff de conclure, non pas seulement parce qu’il me décharge d’une partie de ma tâche de critique, mais parce que je crois qu’il а bien complété, et du même coup éclairé ce que j’ai cru percevoir а une lecture rapide du discours d’introduction qu’il avait fait la dernière fois, et qui — peut-être, pas а juste titre, mais enfin, je dis а une lecture rapide — m’avait laissé un peu sur ma faim.

Je dois vous dire que je l’avais trouvé à l’endroit de la tâche qui lui était réservée, nommément de l’article de Barbara Low, un peu en arrière de la vérité, pour tout dire, n’ayant pas épuisé tout ce qu’on peut tirer de cet article, certainement de beaucoup le plus extraordinaire et le plus remarquable des trois dont il s’agit. J’y ai vu, un petit peu, le signe d’une évasion dans le fait qu’il nous ait rejeté, renvoyé а la forme la plus moderne d’intervention sur ce sujet, sous la forme de cet article de Lucy Tower ; je lui en suis, d’autre part, assez reconnaissant puisque le voilà introduit, cet article, je ne l’aurais, pour de multiples raisons, pas fait moi-même cette année, mais nous ne pouvons plus maintenant l’éviter. Il faudra trouver un moyen pour que cet article de Lucy Tower, qu’il n’a pas pu résumer, soit disponible, au moins а la connaissance d’un certain nombre qu’il peut intéresser au plus haut point. Ceci, pour orienter les choses comme je désire les prendre maintenant pendant la demi-heure ou les 35 minutes qui nous restent. Je ne vais pas vous en dire beaucoup plus long que ce que je sais qu’a pu apporter chacun, encore que je sois très reconnaissant а Perrier de m’avoir envoyé hier un petit résumé de ce qu’il а apporté de son côté. Je n’ai même pas pu avoir а temps, même un compte rendu tapé de ce qui а été dit la dernière fois. Effet du hasard ou de mauvaise organisation, ce n’est certainement pas de mon fait que les choses se sont produites ainsi ; car j’ai, pendant tout ce travail d’intervalle, essayé de prendre toutes les précautions pour qu’un pareil accident ne se produise pas.

Donc, je me laisse le temps. Et peut-être même pour une meilleure information, pour faire allusion а des points de détail que j’aurai à relever, les auteurs de ces interventions ne perdent donc rien pour attendre un peu. Je pense que, massivement, vous en savez assez de ce que je désirais apporter, par la référence а ces articles qui paraissent d’abord et qui sont effectivement tous centrés sur le contre-transfert. C’est justement un sujet que je ne prétends même pas vous l’avoir, d’aucune façon, précisé comme il le mérite, et donc, d’avoir fait ceci dans la perspective de ce que j’ai а vous dire sur l’angoisse, plus exactement de la fonction que doit remplir cette référence а l’angoisse dans la suite générale de mon enseignement.

C’est qu’effectivement ce propos sur l’angoisse ne saurait se tenir plus longtemps éloigné d’une approche plus précise de ce qui vient, d’une façon toujours plus insistante depuis quelque temps dans mon discours, а savoir le problème du désir de l’analyste. Car, en fin de compte, au moins cela ne peut manquer d’échapper aux oreilles les plus dures, c’est que, dans la difficulté de l’abord de ces auteurs concernant le contre-transfert, c’est ce problème du désir de l’analyste qui fait obstacle, qui fait obstacle parce qu’en quelque sorte, prise massivement, c’est-à-dire non élaborée comme ici nous l’avons fait, toute intervention de cet ordre, si surprenant que cela paraisse après 60 ans d’élaboration analytique, semble participer d’une foncière impudence.

Les personnes dont il s’agit, qu’il s’agisse de Szasz, qu’il s’agisse de Barbara Low elle-même, qu’il s’agisse bien plus encore de Margaret Little — et je dirai tout à l’heure en quoi consiste а cet égard l’avancement de la chose, dans les prodigieuses confidences dont Lucy Tower, dernier auteur en date, а parlé très profondément а ce sujet, plus précisément, а fait un aveu très profond de son expérience -, aucun de ces auteurs ne peut éviter de mettre les choses sur le plan du désir. Le terme de contre-transfert, là où il est visé, [est] à savoir en gros, massivement, la participation de l’analyste, mais, n’oublions pas, plus essentielle que l’engagement de l’analyste а propos duquel vous voyez se produire dans ces textes les vacillations les plus extrêmes, depuis la responsabilité cent pour cent jusqu’à la plus complète extraction de l’épingle du jeu.

Je crois qu’à cet égard le dernier article, celui dont vous n’avez malheureusement qu’une connaissance sous une forme indicative, celui de Lucy Tower, pointe bien, non pas pour la première fois, mais pour la première fois d’une manière articulée, ce qui dans cet ordre est beaucoup plus suggestif, а savoir ce qui, dans la relation analytique, peut survenir du côté de l’analyste, de ce qu’elle appelle un petit changement pour lui, l’analyste. Cette réciprocité de l’action elle а quelque chose dont je ne dis pas du tout que c’est là le terme essentiel, mettons, la seule évocation bien faite pour rétablir la question au niveau où il s’agit qu’elle soit posée. Il ne s’agit pas en effet de définition, même d’une exacte définition du contre-transfert qui pourrait être donnée très simplement définition qui n’est tout simplement que ceci, qui n’a qu’un inconvénient comme définition, c’est de décharger complètement la question qui se pose de sa portée, c’est-à-dire qu’est contre-transfert tout ce que, de ce qu’il reçoit dans l’analyse comme signifiant, le psychanalyste refoule. Ce n’est rien d’autre, et c’est pourquoi cette question du contre-transfert n’est pas véritablement la question. C’est dans l’état de confusion où elle nous est apportée qu’elle prend sa signification. Cette signification seule est celle а laquelle aucun auteur ne peut échapper, justement, dans la mesure où il l’aborde et c’est ça qui l’intéresse, c’est le désir de l’analyste. Si cette question n’est non seulement pas résolue, mais finalement pas même commencée d’être résolue, c’est simplement pour ceci qu’il n’y а jusqu’à présent dans la théorie analytique, je veux dire jusqu’à ce séminaire précisément, aucune exacte mise en position de ce que c’est que le désir.

C’est sans doute que le faire n’est pas petite entreprise. Aussi bien pouvez-vous constater que je n’ai jamais prétendu le faire d’un seul pas. Exemple, la façon dont je l’ai introduit, de distinguer, de vous apprendre à situer dans sa distinction le désir par rapport а la demande. Et nommément, au début de cette année, j’ai introduit ce quelque chose de nouveau, vous le suggérant d’abord pour voir votre réponse, ou vos réactions comme on dit, qui n’ont pas manqué, а savoir l’identité, ai-je dit, du désir et de la loi. Il est assez curieux qu’une pareille évidence — car c’est une évidence, inscrite aux premiers pas de la doctrine analytique elle-même — qu’une pareille évidence ne puisse tout de même être introduite, ou réintroduite si vous voulez, qu’avec de telles précautions.

C’est pourquoi je reviens aujourd’hui sur ce plan pour en montrer quelques aspects, voire implications. Le désir donc, c’est la loi. Ce n’est pas seulement que, dans la doctrine analytique, avec son corps central de l’Œdipe, il est clair que ce qui fait la substance de la loi, c’est ce désir pour la mère, qu’inversement ce qui normative le désir lui-même, ce qui le situe comme désir, c’est la loi dite d’interdiction de l’inceste.

Prenons les choses par le biais, par l’entrée qui définit ce mot qui а un sens présentifié à l’époque même que nous vivons, l’érotisme. On le sait, sa manifestation sadienne disons, sinon sadique, est celle qui est la plus exemplaire. Le désir s’y présente comme volonté de jouissance par quelque biais qu’il apparaisse, j’ai parlé du biais sadien, je n’ai pas dit sadique, c’est aussi vrai pour ce qu’on appelle masochisme. Il est bien clair que, si quelque chose est révélé par l’expérience analytique, c’est que, même là, dans la perversion où le désir, en somme, apparaîtrait en se donnant pour ce qui fait la loi, c’est-à-dire pour une subversion de loi, il est en fait bel et bien le support d’une loi. S’il у а quelque chose que nous savons maintenant du pervers, c’est que ce qui apparaît du dehors comme satisfaction sans frein est défense, et bel et bien mise en jeu, en exercice, d’une loi en tant qu’elle freine, qu’elle suspend, qu’elle arrête, précisément sur ce chemin de la jouissance. La volonté de jouissance chez le pervers comme chez tout autre, est volonté qui échoue, qui rencontre sa propre limite, son propre freinage, dans l’exercice même comme tel du désir pervers. Pour tout dire, le pervers ne sait pas, comme l’a très bien souligné une des personnes qui а parlé aujourd’hui sur ma demande, il ne sait pas au service de quelle jouissance s’exerce son activité. Ce n’est, en tous les cas, pas au service de la sienne.

C’est ce qui permet de situer ce dont il s’agit au niveau du névrosé. Le névrosé se caractérise en ceci — et c’est pourquoi il а été le lieu de passage, le chemin pour nous mener а cette découverte, qui est un pas décisif en morale — que la véritable nature du désir, en tant que ce pas décisif n’est franchi qu’à partir du moment où, ici l’attention а été pointée sur ce que je suis expressément en train d’articuler devant vous, pour l’instant, le névrosé а été ce chemin exemplaire en ce sens qu’il nous montre, lui, que c’est dans la recherche, l’institution de la loi elle-même qu’il а besoin de passer pour donner son statut а son désir, pour soutenir son désir. Le névrosé, plus que tout autre, met en valeur ce fait exemplaire qu’il ne peut désirer que selon la loi. Il ne peut, lui, soutenir, donner son statut а son désir que comme insatisfait de lui, ou comme impossible. Il reste que je me fais la partie belle en ne vous parlant que de l’hystérique ou de l’obsessionnel, puisque c’est laisser complètement en dehors du champ de la névrose ce dont, а travers tout ce chemin parcouru, nous sommes encore embarrassés, а savoir la névrose d’angoisse sur laquelle j’espère, cette année, pour ce qui est engagé ici, vous faire faire le pas nécessaire. N’oublions pas que c’est de la que Freud est parti et que, si la mort, sa mort, nous а privés de quelque chose, c’est de ne pas lui avoir pleinement laissé le temps d’y revenir. Nous sommes donc placés, aussi paradoxalement que cela vous paraisse, concernant ce sujet de l’angoisse, nous sommes placés, nous sommes ramenés sur ce plan crucial, sur ce point crucial que j’appellerai le mythe de la loi morale, а savoir que toute position saine de la loi morale serait à chercher dans le sens d’une autonomie du sujet.

L’accent même de cette recherche, l’accentuation toujours plus grande, au cours de l’histoire, de ces théories éthiques, de cette notion d’autonomie, montre assez ce dont il s’agit, а savoir d’une défense. Ce qu’il s’agit d’avaler, c’est cette vérité première et d’évidence que la loi morale est hétéronome, c’est pourquoi j’insiste sur ceci qu’elle provient de ce que j’appelle le réel en tant qu’il intervient essentiellement, comme Freud nous le dit, en élidant le sujet, en déterminant, de par son intervention même, ce qu’on appelle le refoulement, et qui ne prend son plein sens qu’à partir de cette fonction synchronique, en tant que je l’ai articulée devant vous, en vous faisant remarquer ce qu’est, dans une première approximation, effacer les traces. Ce n’est évidemment qu’une première approximation puisque chacun sait justement que les traces ne s’effacent pas. C’est ce qui fait l’aporie de cette affaire, aporie qui n’en est pas une pour vous, puisque c’est très précisément pour cela qu’est élaborée devant vous la notion de signifiant, que ce dont il s’agit est, non pas l’effacement des traces, mais le retour du signifiant а l’état de traces ; l’abolition de ce passage de la trace au signifiant qui est constituée par ce que j’ai essayé de vous faire sentir, de vous décrire par une mise entre parenthèses de la trace, un soulignage, un barrage, une marque de la trace. C’est çà qui saute avec l’intervention du réel. Le réel renvoyant le sujet а la trace, abolit le sujet aussi du même coup, car il n’y а de sujet que par le signifiant, que par ce passage au signifiant, un signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant.

Pour saisir le ressort de ce dont il s’agit ici, non pas dans cette perspective toujours trop facile de l’histoire et du souvenir, parce que l’oubli, ça paraît une chose trop matérielle, trop naturelle pour qu’on ne croie pas que ça va tout seul, encore que ce soit la chose la plus mystérieuse au monde, à partir du moment où la mémoire est posée pour exister. C’est pour ça que j’essaie de vous introduire dans une dimension qui soit transversale, pas encore autant synchronique que l’autre.

Prenons le masochiste. Le maso — comme on dit, paraît-il, quelque part -, c’est-à-dire le plus énigmatique а mettre en suspens de la perversion, lui, allez-vous me dire, il sait bien que c’est l’autre qui jouit. Ce serait donc le pervers venu au jour de sa vérité. Il ferait exception а tout ce que j’ai dit tout à l’heure, que le pervers ne sait pas jouir ; bien sûr, c’est toujours l’autre, et le maso le saurait. Eh bien, j’y reviendrai sans doute. Dès maintenant, je tiens à accentuer que ce qui échappe au masochiste, et qui le met dans le même cas que tous les pervers, c’est qu’il croit, bien sûr, que ce qu’il cherche, c’est la jouissance de l’autre, mais justement, parce qu’il le croit, ce n’est pas cela qu’il cherche. Ce qui lui échappe а lui, encore que ce soit vérité sensible, vraiment traînant partout et а la portée de tout le monde, mais pour autant jamais vue а son véritable niveau de fonction, c’est qu’il cherche l’angoisse de l’autre. Ce qui ne veut pas dire qu’il cherche à l’embêter. Car faute de comprendre ce que ça veut dire, chercher l’angoisse de l’autre — naturellement, c’est а son niveau grossier, voire stupide, que les choses sont ramenées par une sorte de sens commun — faute de pouvoir voir la vérité qu’il у а derrière cela, bien sûr, on abandonne cette coquille dans laquelle quelque chose de plus profond est contenu, qui se formule ainsi que je viens de vous le dire.

C’est pourquoi il est nécessaire que nous revenions sur la théorie de l’angoisse, de l’angoisse-signal, et que nous fassions la différence, ou plus exactement, sur ce qu’apporte de nouveau la dimension introduite par l’enseignement de Lacan concernant l’angoisse en tant que ne s’opposant pas а Freud, mais mise pour l’instant sur deux colonnes. Nous dirons que Freud au terme de son élaboration parle d’angoisse-signal se produisant dans le Moi concernant quoi ? Un danger interne. C’est un signe, représentant quelque chose pour quelqu’un, le danger interne pour le Moi. La transition, le passage essentiel qui permet d’utiliser cette structure même en lui donnant son plein sens est de supprimer cette notion d’interne, de danger interne ; il n’y а pas de danger interne pour la raison — comme paradoxalement aux yeux d’oreilles distraites, je dis, comme ce fut paradoxalement que je sois revenu là-dessus quand je vous ai fait mon séminaire sur l’Éthique, à savoir sur la topologie de 1’Entwurf — il n’y а pas de danger interne, pour la raison que cette enveloppe de l’appareil neurologique, en tant que c’est une théorie de cet appareil qui est donnée, cette enveloppe n’a pas d’intérieur puisqu’elle n’a qu’une seule surface, que le système V comme Aulbau, comme structure, comme ce qui s’interpose entre perception et conscience, se situe dans une autre dimension, comme Autre en tant que lieu du signifiant, que dès lors, l’angoisse est introduite d’abord, comme je l’ai fait avant le séminaire de cette année, dès l’année dernière, comme manifestation spécifique а ce niveau du désir de l’Autre comme tel.

Que représente le désir de l’Autre en tant que survenant par ce biais ? C’est là que prend sa valeur le signal, le signal qui, s’il se produit dans un endroit qu’on peut appeler topologiquement le Moi, concerne bien quelqu’un d’autre. Le Moi est le lieu du signal. Mais ce n’est pas pour le Moi que le signal est donné. C’est bien évident. Si ça s’allume au niveau du Moi, c’est pour que le sujet, on ne peut pas appeler ça autrement, soit averti de quelque chose. Il est averti de ce quelque chose qui est un désir, c’est-à-dire une demande qui ne concerne aucun besoin, ni ne concerne rien d’autre que mon être même, c’est-à-dire qui me met en question, disons qu’il l’annule en principe, ça ne s’adresse pas а moi comme présent ; qui s’adresse а moi, si vous voulez comme attendu, qui s’adresse а moi, bien plus encore comme perdu, et qui, pour que l’Autre s’y retrouve, sollicite ma perte. C’est cela qui est l’angoisse, le désir de l’Autre ne me reconnaît pas comme le croit Hegel, ce qui rend la question bien facile. Car s’il me reconnaît, comme il ne me reconnaîtra jamais suffisamment, je n’ai qu’à user de violence. Donc, il ne me reconnaît ni ne me méconnaît. Car ce serait trop facile, je peux toujours en sortir par la lutte et la violence. Il me met en cause, m’interroge à la racine même de mon désir а moi comme а, comme cause de ce désir et non comme objet ; c’est parce que c’est là qu’il vise, dans un rapport d’antécédence, dans un rapport temporel, que je ne puis rien faire pour rompre cette prise sauf а m’y engager. C’est cette dimension temporelle qui est l’angoisse, et c’est cette dimension temporelle qui est celle de l’analyse. C’est parce que le désir de l’analyste suscite en moi cette dimension de l’attente que je suis pris dans ce quelque chose qui est l’efficace de l’analyse. Je voudrais bien qu’il me vît comme tel ou tel, qu’il fît de moi un objet. Le rapport а l’autre, hégélien ici, est bien commode, parce qu’alors, en effet, j’ai contre ça toutes les résistances, et contre cette autre dimension, disons une bonne part de la résistance glisse. Seulement, pour cela, il faut savoir ce que c’est que le désir, et voir sa fonction, non pas seulement sur le plan de la lutte, mais là où Hegel, et pour de bonnes raisons, n’a pas voulu aller le chercher, sur le plan de l’amour.

Or, si vous у allez — et peut-être irez-vous avec moi, parce qu’après tout, plus J’y pense et plus j’en parle et plus je trouve indispensable d’illustrer les choses dont je parle — si vous lisez l’article de Lucy Tower, vous verrez cette histoire, deux bonshommes, pour parler comme on parlait après la guerre, quand on parlait des bonnes femmes dans un certain milieu, vous verrez deux bonshommes avec qui, ce qu’elle raconte, qui est particulièrement illustratif et efficace, ce sont deux histoires d’amour. Pourquoi la chose a-t-elle réussi ? Dans un cas, où elle а été touchée elle-même, ce n’est pas elle qui а touché l’autre, c’est l’autre qui l’a mise, elle, sur le plan de l’amour ; et dans l’autre cas, l’autre n’y est pas arrivé, et ce n’est pas de l’interprétation, car c’est écrit et elle dit pourquoi. Et ceci est fait pour nous induire а quelques réflexions sur le fait que, s’il у а quelques personnes qui ont dit sur le contre-transfert quelque chose de sensé, ce sont uniquement des femmes.

Vous me direz, Michael Balint ? Seulement il est assez frappant que s’il а fait son article, c’est avec Alice. Е11а Sharp, Margaret Little, Barbara Low, Lucy Tower, pourquoi est-ce que ce sont des femmes qui, déjà, disons simplement, aient osé parler de la chose avec une majorité écrasante, et qui aient dit des choses intéressantes ? C’est une question qui s’éclairera tout à fait, si nous la prenons sous le biais dont je parle, а savoir la fonction du désir, la fonction du désir dans l’amour, а propos de quoi, je pense, vous êtes mûrs pour entendre ceci — qui d’ailleurs est une vérité depuis toujours bien connue, mais а laquelle on n’a, depuis toujours, jamais donné sa place — c’est que, pour autant que le désir intervient dans l’amour et en est, si je puis dire, un enjeu essentiel, le désir ne concerne pas l’objet aimé. Tant que cette vérité première autour de quoi seulement peut tourner une dialectique valable de l’amour, sera mise pour vous au rang d’un accident, Erniedrigung, de la vie amoureuse, d’un Œdipe qui se prend les pattes, eh ! Bien, vous ne comprendrez absolument rien а ce dont il s’agit, а la façon dont il convient de poser la question concernant ce que peut être le désir de l’analyste. C’est parce qu’il faut partir de l’expérience de l’amour, comme je l’ai fait l’année de mon séminaire sur Le transfert, pour situer la topologie où ce transfert peut s’inscrire, c’est parce qu’il faut partir de la, qu’aujourd’hui je vous у ramène.

Mais sans doute mon discours prend-il, du fait que je vais le terminer maintenant, un aspect interrompu. Ce que j’ai produit là, au dernier terme, comme formule, peut ne passer que pour une pause, tête de chapitre ou conclusion, comme vous l’entendrez. Après tout, il vous est loisible de le prendre comme pierre de scandale ou а votre gré pour banalité. Mais c’est là que j’entends que nous reprenions, la prochaine fois, la suite de ce discours, pour у situer exactement la fonction indicative de l’angoisse, et ce а quoi elle nous permettra ensuite d’accéder.

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