samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LX L'angoisse 1962 – 1963 Leçon du 30 janvier 1963

Leçon du 30 janvier 1963

 

L’angoisse, nous enseigne-t-on depuis toujours, est une crainte sans objet. Chanson déjà, pourrions-nous dire ici où s’est énoncé un autre discours, chanson qui, pour scientifique qu’elle soit, se rapproche de celle de l’enfant qui se rassure. Car la vérité que j’énonce pour vous, je la formule ainsi : « Elle n’est pas sans objet ». Ce qui n’est pas dire par 1à que cet objet soit accessible par la même vole que les autres. Au moment de la dire, j’ai souligné que ce serait encore une autre façon de se débarrasser de l’angoisse que de dire qu’un discours homologue, semblable à toute autre part du discours scientifique, puisse symboliser cet objet, nous mettre avec lui dans ce rapport du symbole sur lequel, à son propos, nous allons revenir. L’angoisse soutient ce rapport de n’être pas sans objet à condition qu’il soit réservé que ce n’est pas la dire, ni pouvoir dire, comme pour un autre, de quel objet il s’agit.

Autrement dit, l’angoisse nous introduit, avec l’accent de communicabilité maximum, à la fonction du manque, en tant qu’elle est, pour notre champ, radicale. Ce rapport au manque est si foncier à la constitution de toute logique, et d’une certaine façon telle qu’on peut dire que l’histoire de la logique est celle de ses réussites à le masquer, ce par quoi elle apparaît comme parente à une sorte de vaste acte manqué, si nous donnons à ce terme son sens positif. C’est bien pourquoi vous me voyez, par une voie, toujours revenir à ces paradoxes de la logique, destinés à vous suggérer les voies, les portes d’entrée, par où se règle, s’impose à nous, le certain style par où cet acte manqué, nous pourrions, nous, le réussir, ne pas manquer au manque.

 

C’est pour ça que je pensai introduire une fois de plus mon discours, aujourd’hui, par quelque chose qui, bien sûr, n’est qu’un apologue, et où vous ne pouvez-vous fonder sur aucune analogie à proprement parler, pour y trouver ce qui serait le support d’une situation de ce manque mais qui pourtant est utile pour réouvrir en quelque sorte cette dimension que tout discours, tout discours de la littérature, analytique elle-même, vous fait, dans les intervalles je dirai de celui où ici, de huit jours en huit jours, je vous rattrape forcément retrouver l’ornière de quelque chose qui clorait dans notre expérience et de quelque béance qu’elle entende désigner, ce manque y trouverait quelque chose que ce discours pourrait combler.

Donc, petit apologue, le premier qui m’est venu. Ι1 y en aurait d’autres et après tout je ne désire ici qu’aller vite. Je vous ai dit, en somme, qu’il n’y a pas de manque dans le réel ; le manque n’est saisissable que par l’intermédiaire du symbolique. C’est, au niveau de la bibliothèque, ce qui fait qu’on peut dire, ici, le volume tant manque à sa place ; cette place est une place désignée déjà par l’introduction, dans le réel, du symbolique. Et ce manque dont je parle, ce manque que le symbole en quelque sorte comble facilement, il désigne la place, il désigne l’absence, il présentifie ce qui n’est pas là. Mais observez ; le volume dont il s’agit porte à la première page — volume que j’ai acquis cette semaine, et c’est ça qui m’a inspiré ce petit apologue — à la première page là notation : « les quatre gravures de tant à tant manquent ». Est-ce à dire pour autant que, selon la fonction de la double négation, parce que le volume manque à sa place, le manque des quatre gravures soit levé, que les gravures y reviennent. Ι1 saute aux yeux qu’il n’en est rien.

Ceci peut bien vous paraître un peu bêta, mais je vous ferai remarquer que c’est là toute la question de là logique, de la logique transposée dans ces termes intuitifs du schéma eulérien, du manque inclus. Quelle est sa position, de la famille dans le genre, de l’individu dans l’espèce, qu’est-ce qui constitue à l’intérieur d’un cercle planifié, le trou ? Si je vous ai fait faire l’année dernière tant de topologie, c’est bien pour vous suggérer que la fonction du trou n’est pas univoque. Et c’est bien ainsi qu’il faut entendre que toujours s’introduit dans cette voie de là pensée que nous appelons sous des formes diverses métaphoriques, mais toujours se référant à quelque chose, cette planification, cette implication du plan tout simple comme constituant foncièrement le support intuitif de la surface. Or, ce rapport à la surface est infiniment plus complexe et, bien sûr, à simplement vous introduire l’anneau, le tore, vous avez pu voir qu’il suffit d’élaborer cette surface, la plus simple en apparence à imaginer, pour voir s’y diversifier, à condition que nous là considérions bien comme elle est, comme surface, de voir s’y diversifier étrangement la fonction du trou.

 

Je vous fais observer une fois de plus comment il faut l’entendre, car tout ce qu’il s’agit en effet de savoir, c’est comment un trou peut se remplir, peut se combler. Nous verrons que n’importe quel cercle dessiné sur cette surface du trou ne peut pas, car c’est là le problème, se rétrécir jusqu’à n’être plus que cette limite évanouissante, le point, et disparaître. Car bien sûr, il y a des trous sur lesquels nous pourrons ainsi opérer, et il suffit que nous dessinions notre cercle de la façon suivante — si je dessine, c’est pour ne pas autrement m’exprimer — ou de celle-ci, pour voir qu’ils ne peuvent pas venir à zéro. Il y a des structures qui ne comportent pas le comblement du trou. L’essence du cross-cap, tel que je vous l’ai montré l’année dernière, c’est que, quelque coupure que vous dessiniez sur sa surface — je ne m’y étendrai pas plus loin, je vous prie d’en faire vous-même l’épreuve — nous n’aurons pas apparemment cette diversité ; que nous dessinions cette coupure ainsi est l’homologue, au niveau du cross-cap, de la coupure qui sur le tore se répète ainsi, c’est-à-dire qui participe des deux autres types de cercle, qui les réunit en elle-même, les deux premiers que je viens de dessiner, que vous les dessiniez ainsi ici sur le cross-cap, que vous la dessiniez cette coupure, passant par ce point privilégié sur lequel j’ai attiré votre attention l’année dernière, vous aurez toujours quelque chose qui, en apparence, pourra se réduire à la surface minimum mais non sans qu’il ne reste à la fin, je vous le répète, quelle que soit la variété de la coupure, il ne reste à la fin que quelque chose qui se symbolise non pas comme une réduction concentrique, mais irréductiblement sous cette forme ou sous celle-ci qui est la même, et qu’on ne peut pas, comme telle, ne pas différencier de ce que j’ai appelé tout à l’heure la ponctification concentrique. C’est en quoi le cross-cap a été pour nous une autre voie d’abord en ce qui concerne la possibilité d’un type irréductible de manque. Le manque est radical. Il est radical à la constitution même de la subjectivité, telle qu’elle nous apparaît par la voie de l’expérience analytique. Ce que, si vous le voulez, j’aimerais énoncer en cette formule : dès que ça se sait, que quelque chose du Réel vient au savoir, il y a quelque chose de perdu et la façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir comme un morceau du corps.

Voilà la vérité qui, sous cette forme opaque, massive, est celle que l’expérience analytique nous donne et qu’elle introduit dans son caractère irréductible, dans toute réflexion possible dès lors sur toute forme concevable de notre condition. Ce point, faut-il le dire, comporte assez d’insoutenable pour que nous essayions sans cesse de le contourner, ce qui est sans doute à deux faces, à savoir que dans cet effort même nous faisons plus que d’en dessiner le contour et que nous sommes toujours tentés, à mesure même que nous nous rapprochons de ce contour, de l’oublier, en fonction même de la structure que représente ce manque. D’où il résulte, autre vérité, que nous pourrions dire que le tournant de notre expérience repose sur ceci que le rapport à l’Autre en tant qu’il est ce où se situe toute possibilité de symbolisation et le lieu du discours, rejoint un vice de structure et qu’il nous faut, c’est le pas de plus, concevoir que nous touchons là à ce qui rend possible ce rapport à l’Autre, c’est-à-dire que ce point d’où surgit qu’il y a du signifiant, est celui qui, en un sens, ne saurait être signifié. C’est là ce que veut dire, ce que j’appelle le point manque de signifiant.

Et récemment, j’entendais quelqu’un qui ne m’entend vraiment pas mal du tout, me répondre, m’interroger, si ce n’est pas là dire que nous nous référons à ce qui de tout signifiant est en quelque sorte la matière imaginaire, la forme du mot ou celle du caractère chinois, si vous voulez, ce qu’il y

a d’irréductible à ceci, qu’il faut que tout signifiant ait un support intuitif comme les autres, comme tout le reste. Eh bien ! Justement non. Car bien sûr, c’est là ce qui s’offre de tentation à ce propos. Ce n’est pas là ce dont il s’agit concernant ce manque. Et pour vous le faire sentir, je me référerai à des définitions que je vous ai déjà données et qui doivent servir. Je vous ai dit : « Rien ne manque qui ne soit de l’ordre symbolique. Mais 1a privation, elle, c’est quelque chose de réel ». Ce dont nous parlons, c’est de quelque chose de réel, ce autour de quoi tourne mon discours, quand j’essaie pour vous de représentifier ce point décisif pourtant que nous oublions toujours, non seulement dans notre théorie, mais dans notre pratique de l’expérience analytique, c’est une privation qui se manifeste tant dans la théorie que dans la pratique, c’est une privation réelle, et qui, comme telle, ne peut être réduite. Est-ce qu’il suffit pour la lever de la désigner ? Si nous arrivons à la cerner scientifiquement, ceci est parfaitement concevable, il nous suffit de travailler la littérature analytique, comme je vous en donnerai tout à l’heure un exemple, un échantillon. Pour commencer, ça ne peut se faire autrement, j’ai pris le premier numéro qui m’est tombé sous la main de l’International journal et je vous montrerai qu’à peu près n’importe où, nous pouvons retrouver le problème dont il s’agit ; qu’on parle de l’anxiété, de l’acting-out, ou de R, comme c’est le titre de l’article auquel je ferai allusion tout à l’heure — il n’y a pas que moi qui me serve de lettres -la réponse totale, The total response, de l’analyste dans la situation analytique de quelqu’un dont j’ai parlé dans là seconde année de mon séminaire, la nommée Margaret Little, nous retrouverons, très centré, ce problème, et nous pouvons le définir ainsi : où est-ce que se situe la privation, où est-ce que, manifestement, elle glisse, à mesure qu’elle entend serrer de plus près le problème que lui pose un certain type de patient ? Ce n’est pas cela, la réduction, la privation, la symbolisation, son articulation ici qui lèvera le manque. C’est ce qu’il faut que nous nous mettions bien dans l’esprit d’abord, et ne serait-ce que pour comprendre ce que signifie un mode d’apparition de ce manque, je vous l’ai dit, la privation est quelque chose de réel. Ι1 est clair qu’une femme n’a pas de pénis. Mais si vous ne symbolisez pas le pénis comme l’élément essentiel à avoir ou ne pas avoir, de cette privation elle n’en saura rien. Le manque, lui, est symbolique.

La castration apparaît au cours de l’analyse, pour autant que ce rapport avec l’Autre, qui n’a pas attendu l’analyse d’ailleurs pour se constituer, est fondamental. La castration, vous ai-je dit, est symbolique, c’est-à-dire qu’elle se rapporte à un certain phénomène de manque et au niveau de cette symbolisation, c’est-à-dire dans le rapport à l’Autre, pour autant que le sujet a à se constituer dans le discours analytique. Une des formes possibles de l’apparition du manque est ici, le — φ, le support imaginaire qui n’est qu’une des traductions possibles du manque originel, du vice de structure inscrit dans l’être au monde du sujet à qui nous avons affaire ; il est, dans ces conditions, concevable, normal de s’interroger pourquoi, à mener jusqu’à un certain point et pas au-delà l’expérience analytique, ce terme que Freud nous donne comme dernier du complexe de castration chez l’homme et du Penisneid chez la femme, ce terme peut être mis en question. Qu’il soit dernier n’est pas nécessaire. C’est bien pourquoi c’est un chemin d’approche essentiel de notre expérience de concevoir, dans sa structure originelle, cette fonction du manque. Et il faut y revenir maintes fois pour ne pas là manquer.

Autre fable. L’insecte qui se promène à la surface de la bande de Moebius — j’en ai, maintenant, je pense, assez parlé pour que vous sachiez tout de suite ce que je veux dire — cet insecte peut croire à tout instant, s’il a là représentation de ce que c’est qu’une surface, qu’il y a une face, celle toujours à l’envers de celle sur laquelle il se promène, qu’il n’a pas explorée, il peut croire à cet envers. Or, il n’y en a pas, comme vous le savez. Lui, sans le savoir, explore ce qui n’est pas les deux faces, explore là seule face qu’il y ait ; et pourtant, à chaque instant, il y a bien un envers. Ce qui lui manque pour s’en apercevoir qu’il est passé à l’envers, c’est la petite pièce manquante, celle que vous dessine cette façon de couper le cross-cap, et qu’un jour, j’ai matérialisé, pour vous la mettre dans la main, construite, cette petite pièce manquante. C’est une façon de tourner ici en court-circuit autour du point qui le ramène, par le chemin le plus court, à l’envers du point où il était l’instant d’avant. Cette petite pièce manquante, le a dans l’occasion, est-ce à dire que, parce que nous là décrivons sous une forme paradigmatique, l’affaire est pour autant résolue ? Absolument pas, car c’est qu’elle manque cette pièce qui fait toute la réalité du monde où se promène l’insecte. Le petit huit intérieur est bel et bien irréductible, c’est un manque auquel le symbole ne supplée pas. Ce n’est pas une absence donc au premier chef à quoi le symbole peut parer.

Ce n’est pas non plus une annulation, ni une dénégation, car annulation et dénégation, formes constituées de ce rapport que le symbole permet d’introduire dans le réel, à savoir la définition de l’absence, annulation et dénégation, c’est tentative de défaire ce qui, dans le signifiant, nous écarte de l’origine et de ce vice de structure. C’est tenter de rejoindre sa fonction de signe ; c’est ce à quoi pour autant s’efforce, s’exténue l’obsessionnel.

Annulation et dénégation visent donc ce point de manque, mais ne le rejoignent pas pour autant, car elles ne font, comme Freud l’explique, que redoubler la fonction du signifiant en se l’appliquant à elles-mêmes, et plus je dis que ça n’est pas là, plus ça est là. La tache de sang, intellectuelle ou pas, que ce soit celle à quoi s’exténue Lady Macbeth ou ce que désigne sous ce terme intellectuel Lautréamont, c’est impossible à effacer parce que la nature du signifiant est justement ceci de s’efforcer d’effacer une trace. Et plus on cherche à l’effacer pour retrouver la trace, plus la trace insiste comme signifiante.

D’où il résulte que nous avons à faire, concernant le rapport à ce comme quoi se manifeste le a, comme cause du désir, à une problématique toujours ambiguë ; en effet, quand on l’inscrit dans notre schéma, toujours à renouveler, il y a deux modes sous lesquels dans le rapport à l’Autre le petit a peut apparaître. Si nous pouvons les rejoindre, c’est justement par la fonction de l’angoisse, en tant que l’angoisse, où qu’elle se produise, en est le signal, et qu’il n’est pas d’autre façon de pouvoir interpréter ce qui, dans la littérature analytique, nous est dit de l’angoisse.

Car enfin, observez combien il est étrange de rapprocher ces deux faces du discours analytique : d’une part, que l’angoisse est là défense majeure la plus radicale et qu’il faut, ici, que le discours, à son propos, se divise en deux références

l. l’une au Réel pour autant que l’angoisse est la réponse au danger le plus originel, à l’insurmontable Hilflosigkeit, à la détresse absolue de l’entrée au monde,

2. d’autre part, elle va pouvoir, par la suite, par le moi, être reprise pour signal de dangers infiniment plus légers, de dangers, nous dit quelque part Jones, qui sur ce point fait preuve d’un tact et d’une mesure qui manquent souvent beaucoup à l’emphase du discours analytique, sur ce qu’on appelle les menaces de l’Id, du Ça, de l’Es, ce que simplement Jones appelle un buried desire, un désir enterré. Comme il le remarque est-ce bien après tout si dangereux, le retour d’un désir enterré, et cela vaut-il la mobilisation d’un signal aussi majeur que ce signal ultime, dernier que serait l’angoisse, si nous sommes obligés, pour l’expliquer, de recourir au danger vital le plus absolu.

Et ce paradoxe se retrouve un peu plus loin. Car il n’est pas discours analytique qui, après avoir fait de l’angoisse le corps dernier de toute défense, ne nous parle pas de défense contre l’angoisse. Alors, cet instrument si utile à nous avertir du danger, c’est contre lui que nous aurions à nous défendre, et c’est par 1à qu’on explique toutes sortes de réactions, de constructions, de formations, dans le champ psychopathologique. Est-ce qu’il n’y a pas là quelque paradoxe, qui exige de formuler autrement les choses, à savoir que la défense n’est pas contre l’angoisse, mais contre ce dont l’angoisse est le signal, et que ce dont il s’agit, ce n’est pas de défense contre l’angoisse, mais de ce certain manque, à ceci près que nous savons qu’il y a, de ce manque, des structures différentes et définissables comme telles, que le manque du bord simple, celui du rapport avec l’image narcissique, n’est pas le même que celui du bord redoublé dont je vous parle et qui se rapporte à la coupure là plus loin poussée, celle qui concerne le a comme tel, en tant qu’il apparaît, qu’il se manifeste, que c’est à lui que nous avons, que nous pouvons, que nous devons avoir à faire, à un certain niveau du maniement du transfert.

Ici apparaîtra, me semble-t-il mieux qu’ailleurs, que le manque du maniement n’est pas le maniement du manque, et que, ce qu’il convient de repérer que vous trouvez toujours, chaque fois qu’un discours est assez loin poussé sur le rapport que nous avons comme Autre à celui que nous avons en analyse, que la question est posée de ce que doit être notre rapport avec ce a. La béance est manifeste de la mise en question permanente, profonde, que serait en elle-même l’expérience analytique, renvoyant toujours le sujet à ce quelque chose d’autre part rapport à ce qu’il nous manifeste de quelque nature que ce soit. Le transfert ne serait, comme me disait, il n’y a pas longtemps, une de mes patientes : « Si j’étais sûre que c’était uniquement du transfert ». La fonction du « ne que », « Ce n’est que du transfert », est l’envers de : « Ι1 n’a qu’à faire ainsi », cette forme du verbe qui se conjugue mais pas, comme vous le croyez elle qui fait dire : « Ι1 n’avait qu’à », qu’on voit spontanément fleurir dans un discours spontané. C’est l’autre face de ce qu’on nous explique comme étant, semble-t-il, la charge, le fardeau du héros analyste, d’avoir à intérioriser ce a, le prendre en lui, bon ou mauvais objet, mais comme objet interne et que c’est de là que surgirait toute la créativité par où il doit restaurer du sujet l’accès au monde.

Les deux choses sont vraies, encore qu’elles ne soient pas rejointes ; c’est justement pour cela qu’on les confond, et, qu’à les confondre, rien de clair n’est dit sur ce qui concerne le maniement de cette relation transférentielle, celle qui tourne autour du a. Mais c’est ce qu’explique suffisamment la remarque que je vous ai fait que ce qui distingue la position du sujet par rapport à a, et la constitution comme telle de son désir, c’est que, pour dire les choses sommairement, qu’il s’agisse du pervers ou du psychotique, la relation du fantasme $ 0 a s’institue ainsi, c’est là que pour manier la relation transférentielle, nous avons, en effet, à prendre en nous, à là façon d’un corps étranger, une incorporation dont nous sommes le patient. Le a dont il s’agit, c’est à savoir l’objet, absolument étranger au sujet qui nous parle, en tant qu’il est la cause de son manque.

Dans le cas de la névrose, la position est différente pour autant que, je vous l’ai dit, quelque chose ici apparaît qui distingue la fonction du fantasme chez le névrosé.

Ici apparaît en Χ quelque chose de son fantasme qui est un a, et qui seulement le paraît. Et qui seulement le paraît parce que ce petit a n’est pas spécularisable, et ne saurait ici apparaître, si je puis dire, en personne, mais seulement un substitut. Et 1à seulement s’applique ce qu’il y a de mise en cause profonde de toute authenticité dans l’analyse classique du transfert.

Mais ce n’est pas dire que ce soit l’a qui est la cause du transfert, et nous avons à faire à ce petit a qui, lui, n’est pas sur la scène, mais qui ne demande à chaque instant qu’à y monter pour y introduire son discours, fût-ce à y jeter, dans celui qui continue à se tenir sur la scène, à y jeter la pagaille, le désordre, de dire « trêve de tragédie », comme même aussi bien « trêve de comédie », encore que ce soit un peu mieux. Ι1 n’y a pas de drame. Pourquoi est-ce que cet Ajax se met, comme on dit, la rate au court-bouillon, alors qu’après tout, s’il n’a fait qu’exterminer des moutons, c’est tant mieux ?

C’est quand même moins grave que s’il avait exterminé tous les Grecs, puisqu’il n’a pas exterminé tous les Grecs, il est d’autant moins déshonoré et s’il s’est livré à cette manifestation ridicule, tout le monde sait que c’est parce que Minerve lui a jeté un sort. La comédie est moins facile à exorciser. Comme chacun sait, elle est plus gaie, et même si on l’exorcise, ce qui se passe sur la scène peut fort bien continuer ; on recommence à la chanson du pied de bouc, à la vraie histoire dont il s’agit depuis le début, à l’origine du désir. Et c’est bien pour ça d’ailleurs que la tragédie porte en elle-même, dans son terme, dans son nom, sa désignation, cette référence au bouc et au satyre, dont d’ailleurs la place était toujours réservée à la fin d’une trilogie. Le bouc qui bondit sur la scène, c’est l’acting-out. Et l’acting-out dont je parle, à savoir le mouvement inverse de ce que vers quoi le théâtre moderne aspire, à savoir que les acteurs descendent dans la salle, c’est que les spectateurs montent sur la scène, et y disent ce qu’ils ont à dire.

Et voilà pourquoi, quelqu’un comme Margaret Little, prise parmi d’autres, et je vous l’ai dit, vraiment à la façon dont on peut se bander les yeux et placer en travers des pages pour faire de la divination, un couteau. Margaret Little, dans son article, sur La réponse totale de l’analyste aux besoins de son patient, de mai-août 1957, partie 111-IV du volume 38 de l’International Journal of Psychoanalysis, poursuit le discours auquel, déjà, je m’étais arrêté à un point de mon séminaire où cet article n’avait pas encore paru. Ceux qui étaient là se souviennent des remarques que j’avais faites, à propos d’un certain discours angoissé, chez elle, et à la fois, tentant de le maîtriser, à propos du contre-transfert. Ceux-là sans doute se souviennent que je ne me suis pas arrêté à l’apparence première du problème, à savoir des effets d’une interprétation inexacte, à savoir qu’un jour, un analyste à un de ses patients qui revient de faire un broadcast, un broadcast sur un sujet qui intéresse l’analyste lui-même, — nous voyons à peu près dans quel milieu ceci a pu se passer — lui dit : « Vous avez fort bien parlé hier, mais je vous vois aujourd’hui tout déprimé ; c’est sûrement de la crainte que vous avez de me voir blessé en empiétant sur mes plates-bandes ». Ι1 faut deux ans pour que le sujet s’aperçoive, à propos du retour d’un anniversaire, que ce qui avait fait sa tristesse était lié au sentiment qu’il avait, en ayant fait ce broadcast, d’avoir en lui ravivé le sentiment de deuil qu’il avait de la mort de sa mère toute récente qui, dit-il, ne pouvait pas voir ainsi le succès que représentait pour son fils d’être ainsi promu à la position momentanée de vedette.

Margaret Little est frappée, puisque c’est un patient qu’elle a repris de cet analyste, de ceci qu’effectivement l’analyste n’avait fait, dans son interprétation, qu’interpréter ce qui se passait dans son propre inconscient à lui, l’analyste, à savoir qu’effectivement il était fort marri du succès de son patient.

Ce dont il s’agit pourtant est bien ailleurs, c’est à savoir qu’il ne suffit pas de parler de deuil, et de voir même la répétition du deuil où était alors le sujet, de celui que deux ans plus tard il faisait de son analyste, mais de s’apercevoir de quoi il s’agit dans la fonction du deuil lui-même et ici, du même coup, pousser un peu plus loin ce que Freud nous dit du deuil en tant qu’identification à l’objet perdu. Ce n’est pas la définition suffisante du deuil. Nous ne sommes en deuil que de quelqu’un dont nous pouvons nous dire j’étais son manque. Nous sommes en deuil de personnes que nous avons ou bien ou mal traitées, et vis-à-vis de qui nous ne savions pas que nous remplissions cette fonction d’être à la place de son manque. Ce que nous donnons dans l’amour, c’est essentiellement ce que nous n’avons pas, et, quand ce que nous n’avons pas nous revient, il y a régression assurément, et en même temps révélation de ce en quoi nous avons manqué à la personne pour représenter son manque.

Mais ici, en raison du caractère irréductible de la méconnaissance concernant le manque, cette méconnaissance simplement se renversa, à savoir que cette fonction que nous avions d’être son manque, nous croyons pouvoir là traduire maintenant en ceci que nous lui avons manqué, alors que c’était justement en cela que nous lui étions précieux et indispensable.

Voilà ce que je vous demanderai de repérer s’il est possible, cela et un certain nombre d’autres points de références, de référer si vous voulez bien vous y mettre dans l’article de Margaret Little, c’est une phase ultérieure de réflexion, et assurément considérablement approfondie, sinon améliorée. Car améliorée, elle ne l’est pas. La définition si problématique du contre-transfert n’est absolument pas avancée et je dirai que jusqu’à certain point, nous pouvons lui en être reconnaissants ; car si elle s’y était avancée, c’était mathématiquement dans l’erreur. Elle ne veut, vous le verrez, considérer dès lors que la réponse totale de l’analyste, c’est-à-dire tout aussi bien le fait qu’il est là comme analyste que des choses qui, à lui analyste, comme l’exemple qui est là l’a promu, peuvent de son propre inconscient lui échapper, que le fait que, comme tout être vivant, elle éprouve des sentiments au cours de l’analyse, et qu’enfin, elle ne le dit pas comme ça, mais c’est de cela qu’il s’agit, étant l’Autre, elle est dans là position que je vous ai dite la dernière fois, à savoir, au départ, d’entière responsabilité.

C’est donc avec cette classe, cet immense total, comme elle dit, de sa position d’analyste, qu’elle entend devant nous répondre et répondre honnêtement sur ce qu’elle conçoit qu’est la réponse de l’analyste. Ι1 en résulte qu’elle va aller jusqu’à prendre les positions les plus contraires, ce n’est pas dire qu’elles soient fausses, aux formulations classiques, c’est à savoir que loin de rester hors du jeu, il faut que l’analyste s’y suppose, en principe, engagé jusqu’à la garde, se considère à l’occasion effectivement comme responsable et, en tout cas, ne se refusant jamais à témoigner si, concernant ce qui se passe dans l’analyse, elle est, par exemple, appelée, de son sujet, devant une cour de justice, à répondre.

Je ne dis pas là que ce soit une attitude soutenable, je dis que l’évoquer, placer à l’intérieur de cette perspective la fonction de l’analyste est quelque chose qui, assurément, vous paraîtra d’une originalité qui prête à problème ; que les sentiments, j’entends tous les sentiments de l’analyste, peuvent être en quelque occasion mis en demeure, si je puis dire, de se justifier, non seulement au propre tribunal de l’analyste, ce que chacun admettra, mais même à l’endroit du sujet, et que le poids de tous les sentiments que peut éprouver l’analyste à l’égard de tel ou tel sujet engagé avec lui dans l’entreprise analytique peuvent avoir, non seulement à être invoqués, mais à être promus dans quelque chose qui ne sera pas une interprétation, mais un aveu, entrant par-là dans une voie dont on sait que la première introduction dans l’analyse par Ferenczi a fait l’objet, de la part des analystes classiques, des plus extrêmes réserves.

Assurément, notre auteur fait trois parts parmi les patients auxquels il a à faire. Comme elle semble admettre le plus large éventail des cas dont elle se charge, nous avons d’une part les psychoses, où il faut bien qu’elle admette, quand ne serait-ce que pour quelques fois l’hospitalisation nécessaire, qu’il faut bien qu’elle se décharge d’une part de ses responsabilités sur d’autres supports ; les névroses, dont elle nous dit que la plus grande part de responsabilité dont nous nous déchargeons aussi dans les névroses, c’est pour la mettre sur les épaules du sujet, preuve de remarquable lucidité ; mais entre les deux, les sujets qu’elle définit comme une tierce classe, névroses de caractère ou personnalité réactionnelle, comme on voudra, ce qu’Alexander définit comme neurotic character, bref, tout ce autour de quoi s’élaborent de si problématiques imitations ou classifications, alors qu’en réalité il ne s’agit pas d’une espèce de sujet, mais d’une zone de rapport, celle que je définis ici comme acting-out, et c’est bien, en effet, ce dont il s’agit, dans le cas qu’elle va nous développer qui est le cas d’un sujet qui est venu à elle parce qu’elle fait des actes que l’on classifie dans le cadre de la kleptomanie qui pendant un an, d’ailleurs, ne fait pas la moindre allusion à ces vols, et qui déroule tout un long moment de l’analyse, sous le feu entier et acharné, de la part de notre analyste, des interprétations actuelles de transfert les plus répétées au sens considéré dans la voie généralement adoptée, comme ce qui doit, à partir d’un certain moment, être étanché, être épongé, sans arrêt, tout au cours de l’analyse. Aucune des interprétations, si subtiles, si variées qu’elle les élabore, n’effleure même un instant la défense de son sujet.

Si quelqu’un, je vais terminer là-dessus, veut bien me rendre le service, à une date que nous allons fixer, d’entrer dans l’exposé détaillé de ce cas, de faire ce quelque chose que je ne puis faire devant vous parce que c’est trop long et que j’ai d’autres choses à vous dire, vous verrez, dans tous ses détails, se manifester la pertinence des remarques que je suis en train de vous faire maintenant.

L’analyse ne commence à bouger, nous dit-elle, qu’au moment où, un jour, sa patiente arrive la face tuméfiée par les pleurs, et les pleurs qu’elle verse sur la perte, la mort, dans un pays qu’elle a quitté depuis longtemps avec ses parents, à savoir l’Allemagne d’alors, l’Allemagne nazie, d’une personne qui ne se distinguait pas autrement parmi ceux qui avaient veillé sur son enfance, si ce n’est que c’était une amie de ses parents, et sans doute une amie avec qui elle avait des rapports bien différents de ceux avec ses parents, car il est un fait qu’elle n’a jamais, de personne, porté un pareil deuil. Devant cette réaction déchaînée, surprenante, quelle est la réaction de notre analyste ? Assurément celle d’interpréter, comme on fait toujours. Elle les varie, là encore, histoire de voir celle qui marche. L’interprétation classique, à savoir que ce deuil est un besoin de rétorsion contre l’objet, que ce deuil est peut-être adressé à elle, l’analyste, que c’est une façon, à travers l’écran de la personne dont elle porte le deuil, de lui apporter à elle, l’analyste, tous les reproches qu’elle a à lui faire. Rien ne fonctionne.

Un tout petit quelque chose commence à se déclencher quand l’analyste, littéralement — vous le verrez, c’est très visible dans le texte -, avoue devant le sujet qu’elle y perd son latin et que, là voir comme ça, ça lui fait de la peine, à elle, l’analyste. Et aussitôt, notre analyste d’en déduire que c’est là le positif, le réel, le vivant d’un sentiment qui a donné à l’analyse son mouvement. Tout le texte en témoigne assez, et le sujet choisi, et le style, et l’ordre de son développement, pour que nous puissions dire ce dont il s’agit et qui atteint assurément le sujet, qui lui permet de transférer, à proprement parler, dans sa relation à l’analyste, la réaction dont il s’agissait dans ce deuil, à savoir l’apparition de ceci, qu’il y avait une personne pour qui elle pouvait être un manque, c’est ce que l’intervention de l’analyste lui fait apparaître, chez l’analyste, ceci qui s’appelle l’angoisse. C’est en fonction de ce que nous sommes sur la limite de quelque chose qui désigne dans l’analyse la place du manque que cette insertion, que cette greffe, si je puis dire, ce marcottage, qui permet à un sujet dont toute la relation avec les parents est définie, vous le verrez dans l’observation, par ceci que sous aucun rapport, il n’a pu se saisir, ce sujet féminin, comme un manque, trouve ici à s’ouvrir.

Ce n’est pas en tant que sentiment positif que l’interprétation, si on peut l’appeler ainsi, puisqu’on nous le décrit. bien dans l’observation, le sujet ouvre les bras et lâche à cette place, que cette « interprétation », si on veut l’appeler ainsi, a porté, c’est en tant qu’introduction, par une voie involontaire, de quelque chose qui est ce qui est en question, et qui doit toujours venir en question à quelque point que ce soit, fût-ce à son terme, dans l’analyse, à savoir la fonction de la coupure. Et ce qui va vous permettre de le repérer, de le désigner, c’est que les tournants et ceux-là décisifs de l’analyse sont deux moments, le moment où l’analyste s’armant de courage, au nom de l’idéologie, de la vie, du réel, de tout ce que vous voudrez, fait tout de même l’intervention la plus singulière, à situer comme décisive par rapport à cette perspective que j’appellerai sentimentale. Un beau jour que le sujet lui ressasse toutes ses histoires de différends d’argent, — si mon souvenir est bon, avec sa mère, elle y revient sans cesse — l’analyste lui dit en propres termes : « Écoutez : finissons-en avec ça, parce que, littéralement, je ne peux plus l’entendre ! Vous m’endormez ». La seconde fois, — je ne vous donne pas ça comme un modèle de technique, je vous demande de suivre les problèmes qui se posent à une analyste manifestement aussi expérimentée que brûlante d’authenticité – la seconde fois, il s’agit de légères modifications qui ont été faites chez l’analyste, à ce qu’elle appelle la décoration de son cabinet — si nous en croyons ce qu’est la décoration, en moyenne, chez nos confrères, ça doit être joli — déjà notre Margaret Little a été tannée toute la journée par les remarques de ses patients : « C’est bien, c’est mal, ce brun est dégoûtant, ce vert est admirable… », et voilà notre patiente qui rapplique vers là fin de la journée, nous dit-elle, et qui remet ça en termes un tout petit peu plus agressifs que les autres, et elle lui dit textuellement

« Écoutez, le me fiche totalement de ce que vous pouvez en penser ».

La patiente, je dois dire, comme la première fois, est profondément choquée, estomaquée. Après quoi, elle ressort de son silence avec des cris d’enthousiasme : « Tout ce que vous avez fait là, c’est formidable ». Je vous passe les progrès de cette analyse. Ce que je voudrais simplement ici désigner, c’est, à propos d’un cas favorable et choisi dans une partie du champ particulièrement favorable à cette problématique, ce qui est décisif, dans ce facteur de progrès qui consiste à introduire essentiellement la fonction de la coupure. C’est pour autant qu’elle lui dit, dans sa première interprétation, ceci : « Vous me faites l’effet, littéralement du bouchon de carafe, vous m’endormez », que, dans l’autre cas, elle l’a littéralement remise à sa place

« Pensez ce que vous voudrez de ma décoration, de mon cabinet, moi, je m’en balance ! » que quelque chose de décisif a été, dans la relation transférentielle, ici en cause, mobilisé.

Ceci nous permet de désigner ce dont il s’agit chez ce sujet, le problème pour elle, un de ses problèmes est qu’elle n’avait jamais pu faire la moindre ébauche de sentiment de deuil à l’égard d’un père qu’elle admirait. Mais les histoires, vous le verrez, qui nous sont rapportées, nous montrent que, s’il y a quelque chose d’accentué dans ses rapports avec son père, c’était bel et bien qu’en aucun cas, il ne saurait s’agir à son propos d’aucune façon de représenter quelque chose qui pouvait, sous quelque angle que ce soit, à son père, manquer. Ι1 y a une petite promenade avec lui et une scène bien significative à propos d’un petit bâton de bois, bien symbolique du pénis, puisque, la malade elle-même le souligne, et de façon, semble-t-il, assez innocente, le père lui balance cette petite badine à l’eau de la façon la moins commentée. Nous ne sommes pas aux dimanches de Ville d’Avray dans cette histoire.

Et quant à la mère, celle dont il s’agit de la façon la plus proche dans le déterminisme des vols, c’est qu’assurément elle n’a jamais pu faire de cette enfant autre chose qu’une sorte de prolongement d’elle-même, de meuble, cet instrument de menace et de chantage à l’occasion, mais, en aucun cas, quelque chose qui, par rapport à son propre désir, au désir du sujet, aurait pu avoir un rapport causal.

C’est pour désigner ceci, à savoir que son désir, elle ne sait pas lequel bien entendu, pourrait être pris en considération, que chaque fois que la mère se rapproche, entre dans le champ d’induction où elle peut avoir quelque effet, le sujet se livre très régulièrement à un vol, à un vol qui, comme tous les vols de kleptomane n’a aucune signification d’intérêt particulier, qui veut simplement dire : « je vous montre un objet que j’ai ravi par la force ou par la ruse et qui veut dire qu’il y a quelque part un autre objet, le mien, le “a “, celui qui méritait qu’on le considère, qu’on le laisse un instant s’isoler ». Cette fonction de l’isolement, de l’être-seul, a le rapport le plus étroit, est en quelque sorte le pôle corrélatif de cette fonction de l’angoisse, vous le verrez dans la suite. « La vie, nous dit quelque part quelqu’un qui n’est pas analyste, Etienne Gilson, l’existence est un pouvoir ininterrompu d’actives séparations ». Je pense que vous ne confondrez pas, après le discours d’aujourd’hui, cette remarque avec celle qui est faite d’habitude sur les frustrations. Ι1 s’agit d’autre chose. Ι1 s’agit de la frontière, de là limite où s’instaure la place du manque.

Une réflexion continue, je veux dire variée, avec les formes diverses, métonymiques, où apparaissent dans la clinique les points foyers de ce manque, fera la suite de notre discours. Mais nous ne pouvons pas ne pas le traiter sans cesse avec la mise en question de ce qu’on peut appeler les buts de l’analyse. Les positions prises à cet égard sont si instructives, enseignantes, que je voudrais, au point où nous en sommes, que, outre cet article sur lequel il y aurait lieu, pour le suivre dans les détails, de revenir, vous lisiez un autre article d’un nommé Szasz, sur les buts du traitement analytique, On the theory of psychanalytic treatment, dans lequel vous verrez qu’est avancé ceci, c’est que les buts de l’analyse sont donnés dans sa règle, et que du même coup ses buts ne peuvent se définir que promouvant comme fin dernière de l’analyse, de toute analyse, qu’elle soit didactique ou pas, l’initiation du patient, à un point de vue scientifique, c’est ainsi que s’exprime l’auteur, concernant ses propres mouvements.

Est-ce là une définition ? Je ne dis pas que nous puissions l’accepter ou la repousser, c’est une des positions extrêmes, c’est une position assurément très singulière et spécialisée ; je ne dis pas, est-ce là une définition que nous ne puissions accepter ? je dis, qu’est-ce que peut nous apprendre cette définition ? Vous avez ici entendu assez pour savoir qu’assurément, s’il y a quelque chose que j’ai mis maintes fois en cause, c’est justement le rapport, du point de vue scientifique, en tant que sa visée est toujours de considérer le manque comme comblable, en tout cas, avec là problématique d’une expérience, incluant, elle, de tenir compte du manque comme tel.

Ι1 n’en reste pas moins qu’un tel point de vue est utile à repérer, surtout si on le rapproche d’un article d’une autre analyste, d’un article plus ancien de Barbara Low, concernant ce qu’elle appelle les Entschädigungen, les compensations de la position de l’analyste. Vous y verrez produite une référence toute opposée, qui est non pas celle du savant, mais celle de l’artiste, et qu’aussi bien ce dont il s’agit dans l’analyse, c’est quelque chose de tout à fait comparable, nous dit-elle, — ce n’est pas certes une analyste moins remarquable pour la fermeté de ses conceptions — tout à fait comparable à la sublimation qui préside à la création artistique.

Est-ce qu’avec ces trois textes — le troisième qui est dans l’Internazionale Zeitschrift de l’année 20, enfin de la 20e année de l’Internazionale Zeitschrift für Psychoanalyse, en allemand, je le tiens, malgré sa rareté, à là disposition de celui qui voudrait bien s’en charger -, est ce que nous ne pourrions pas décider que le 20 février qui est le jour où ma rentrée… Puisque je vais m’absenter maintenant -, est possible, mais non pas certaine, est-ce que nous ne pourrions pas décider que 2 ou 3 personnes, 2 personnes qui sont ici et que j’ai interrogées tout à l’heure, pourraient en répartissant entre elles les rôles comme bon leur semblerait, l’un d’exposer, l’autre de critiquer ou de commenter, ou au contraire alternant, comme le chœur, les deux parties que constitueraient ces deux exposés, est-ce que ces deux personnes, s’en adjoignant à l’occasion une troisième pour le troisième article, ce n’est pas impensable, ne pourraient pas s’engager à ne pas laisser trop longtemps ici cette tribune vide et à reprendre, à ma place si je ne suis pas là, avec moi dans l’assistance si je reviens, ce problème, à savoir s’occuper exactement des trois articles dont je viens de parler.

Je crois avoir obtenu d’eux — il s’agit respectivement de Granoff et de Perrier — leur consentement tout à l’heure ; je vous donne donc rendez-vous pour les entendre, le 20 février, ici, c’est-à-dire dans exactement trois semaines.

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