samedi, juillet 27, 2024
Recherches Lacan

LX L'angoisse 1962 – 1963 Leçon du 5 décembre 1962

Leçon du 5 décembre 1962

 

Je vous repose donc au tableau cette figure, ce schéma où je me suis engagé avec vous la dernière fois dans l’articulation de ce qui est notre objet, à savoir l’angoisse, je dis son phénomène, mais aussi par la place que je vais vous apprendre à désigner comme étant la sienne, à approfondir la fonction de l’objet dans l’expérience analytique.

Brièvement je veux vous signaler que va bientôt paraître quelque chose que j’ai pris la peine de rédiger d’une intervention, d’une communication que j’ai faite, il y a maintenant plus de deux ans, c’était le 21 septembre 1960, à une réunion hégélienne de Royaumont, sur laquelle j’avais choisi de traiter le sujet suivant : Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien. Je signale à ceux qui sont déjà familiarisés avec mon enseignement qu’en somme je pense qu’ils y trouveront toute satisfaction concernant les temps de construction et l’utilisation, le fonctionnement de ce que nous avons appelé ensemble le graphe. Ceci est publié à un centre qui est 173 boulevard Saint Germain et qui se charge de publier tous les travaux de Royaumont. Je pense que ce travail viendra bientôt au jour dans un volume qui comprendra également les autres interventions, qui ne sont pas toutes spécialement analytiques, qui ont été faites au cours de cette réunion, je le répète, centrée sur l’hégélianisme. Ceci vient à sa place aujourd’hui dans la mesure où subversion du sujet, comme dialectique du désir, c’est ce qui encadre pour nous cette fonction de l’objet dans laquelle nous allons avoir maintenant à nous avancer plus profondément.

Α Cet égard, spécialement pour ceux qui viennent ici en novices, je ne pense pas que je puisse rencontrer d’aucune façon la réaction je dois dire fort antipathique dont je me souviens encore qu’elle fut celle qui accueillit ce travail ainsi intitulé, je vous l’ai dit, au Congrès de Royaumont de la part, à mon étonnement, de philosophes que je croyais plus endurcis à l’accueil de l’inhabituel et qui assurément dans quelque chose qui était justement fait pour remettre très profondément devant eux la fonction de l’objet, et l’objet du désir nommément, aboutit de leur part à une impression que je ne peux pas qualifier autrement que comme ils l’ont qualifiée eux-mêmes, celle d’une sorte de cauchemar, voire d’élucubration sortie d’un certain diabolisme.

Est-ce qu’il ne semble pas pourtant que tout dans une expérience que j’appellerai moderne, une expérience au niveau de ce qu’apporte de modifications profondes dans l’appréhension de l’objet, l’ère, que je ne suis pas le premier à qualifier comme l’ère de la technique, est-ce que déjà ça ne doit pas vous apporter l’idée qu’un discours sur l’objet doit obligatoirement passer par des rapports complexes qui ne nous en permettent l’accès qu’à travers de profondes chicanes ? Est-ce qu’on ne peut pas dire que par exemple ce module d’objet si caractéristique de ce qui nous est donné, je parle dans l’expérience la plus externe, il ne s’agit pas d’expérience analytique, ce module d’objet qu’on appelle la pièce détachée, est-ce que ce n’est pas quelque chose qui mérite qu’on s’y arrête et qui apporte une dimension profondément nouvelle à toute interrogation noétique concernant notre rapport à l’objet ? Car enfin qu’est-ce que c’est qu’une pièce détachée ? Quelle est sa subsistance en dehors de son emploi éventuel par rapport à certain modèle qui est en fonction, mais qui peut aussi bien devenir désuet, n’être plus renouvelé comme on dit ? Α la suite de quoi, qu’est-ce que devient, quel sens a la pièce détachée ?

Pourquoi ce profil d’un certain rapport énigmatique à l’objet ne nous servirait-il pas aujourd’hui d’introduction, de rappel à ceci que ce n’est pas vaine complication qu’il n’y a ni à nous étonner, ni à nous raidir devant un schéma, devant un schéma du type de celui que je vous ai rappelé et déjà introduit la dernière fois, et qu’il résulte que c’est à cette place, à la place où dans l’Autre, au lieu de l’Autre, authentifiée par l’Autre se profile une image seulement réfléchie déjà problématique, voire fallacieuse, de nous-mêmes, que c’est à une place qui se situe par rapport à une image qui se caractérise par un manque, par le fait que ce qui est appelé ne saurait y apparaître, que profondément est orientée et polarisée la fonction de cette image même, que le désir est là, non pas seulement voilé, mais essentiellement mis en rapport à une absence, à une possibilité d’apparition commandée d’une présence qui est ailleurs et commande ça plus près, mais, là où elle est, pour le sujet insaisissable, c’est-à-dire ici, je l’ai indiqué, le a de l’objet, de l’objet qui fait notre question, de l’objet dans la fonction qu’il remplit dans le fantasme à la place où quelque chose peut apparaître. J’ai mis la dernière fois et entre parenthèses ce signe — φ vous indiquant qu’ici doit se profiler un rapport avec la réserve libidinale, avec ce quelque chose qui ne se projette pas, avec ce quelque chose qui ne s’investit pas au niveau de l’image spéculaire pour la raison qu’il reste investi profondément, irréductible au niveau du corps propre, au niveau du narcissisme primaire, au niveau de ce qu’on appelle auto-érotisme, au niveau d’une jouissance autiste, aliment en somme restant là pour éventuellement ce qui interviendra comme instrument dans le rapport à l’Autre, à l’Autre constitué à partir de cette image de mon semblable, cet Autre qui profilera avec sa forme et ses normes l’image du corps dans sa fonction séductrice sur celui qui est le partenaire sexuel.

Donc, vous voyez s’instituer un rapport, ce qui, vous ai-je dit la dernière fois, peut venir se signaler à cette place ici désignée par le — φ, c’est l’angoisse, et l’angoisse de castration dans son rapport à l’Autre. La question de ce rapport à l’Autre, c’est celle dans laquelle nous allons nous avancer aujourd’hui, Disons tout de suite que, comme vous le voyez, je vais droit au point nodal, tout ce que nous savons sur cette structure du sujet, sur cette dialectique du désir qui est celle que nous avons à articuler, nous analystes, ce quelque chose d’absolument nouveau, d’original, nous l’avons appris par quoi, par quelle voie ? Par la voie de l’expérience du névrosé. Et qu’est-ce que nous a dit Freud ? C’est que le dernier terme où il soit arrivé en élaborant cette expérience, le terme sur lequel il nous indique qu’à lui son point d’arrivé, sa butée, le terme pour lui indépassable, c’est l’angoisse de castration.

Qu’est-ce à dire ? Ce terme est-il indépassable ? Que signifie cet arrêt de la dialectique analytique sur l’angoisse de castration ? Est-ce que vous ne voyez pas déjà, dans le seul usage du schématisme que j’emploie, se dessiner la voie où j’entends vous conduire ? Elle part d’une meilleure articulation de ce fait de l’expérience, désignée par Freud dans la butée du névrosé sur l’angoisse de castration. L’ouverture que je vous propose consiste en ceci que la dialectique qu’ici je vous démontre permet d’articuler, c’est que ce n’est point l’angoisse de castration en elle-même qui constitue l’impasse dernière du névrosé, car la forme de la castration, dans sa structure imaginaire, elle est déjà faite ici dans l’approche de l’image libidinalisée du semblable en a et — φ, elle est faite au niveau de la cassure qui se produit à quelque temps d’un certain dramatisme imaginaire et c’est ce qui fait, cela on le sait, l’importance des accidents de la scène qu’on appelle pour cela traumatique ; il y a toutes sortes de variations, d’anomalies possibles, dans cette cassure imaginaire, qui déjà indiquent quelque chose dans le matériel, utilisable pour quoi ? pour une autre fonction qui, elle, donne son plein sens au terme de castration.

Ce devant quoi le névrosé recule, ce n’est pas devant la castration, c’est de faire de sa castration, la sienne, ce qui manque à l’Autre, Α, c’est de faire de sa castration quelque chose de positif qui est la garantie de cette fonction de l’Autre. Cet Autre qui se dérobe dans le renvoi indéfini des significations, cet Autre où le sujet ne se voit plus que destin, mais destin qui n’a pas de terme, destin qui se perd dans l’océan des histoires, — et qu’est-ce que les histoires, sinon une immense fiction ? — qu’est-ce qui peut assurer un rapport du sujet à cet univers des significations sinon que quelque part il y ait jouissance ? Ceci il ne peut l’assurer qu’au moyen d’un signifiant, et ce signifiant manque forcément. C’est l’appoint à cette place manquante que le sujet est appelé à faire, par un signe, que nous appelons de sa propre castration. Vouer sa castration à cette garantie de l’Autre, c’est 1à ce devant quoi le névrosé s’arrête ; il s’y arrête pour une raison en quelque sorte interne à l’analyse, c’est que c’est l’analyse qui l’amène à ce rendez-vous. La castration n’est en fin de compte rien d’autre que le moment de l’interprétation de la castration.

J’ai peut-être été plus vite que je n’avais l’intention de le faire moi-même dans mon discours de ce matin. Aussi bien voyez-vous là indiqué que peut-être il y a possibilité de passage, mais bien sûr nous ne pouvons, cette possibilité, l’explorer qu’à revenir en arrière à cette place même où la castration imaginaire fonctionne, comme je viens de vous l’indiquer, pour constituer à proprement parler dans son plein droit ce qu’on appelle le complexe de castration. C’est donc au niveau de la mise en question de ce complexe de castration que toute notre exploration concrète de l’angoisse, cette année va nous permettre d’étudier ce passage possible, d’autant plus possible qu’il est déjà dans maintes occasions franchi. C’est l’étude de la phénoménologie de l’angoisse qui va nous permettre de dire comment et pourquoi.

L’angoisse, que nous prenons dans sa définition à minima comme signal, définition qui pour être au terme des progrès de la pensée de Freud n’est pas ce qu’on croit, à savoir le résultat d’un abandon des premières positions de Freud qui en faisait le fruit d’un métabolisme énergétique, ni d’un abandon, ni même d’une conquête nouvelle, car il y a déjà au moment où Freud faisait de l’angoisse la transformation de la libido, l’indication qu’elle pouvait fonctionner comme signal. Ceci, il me sera facile de vous le montrer au passage en nous référant au texte. J’ai trop à faire, à soulever cette année avec vous concernant l’angoisse pour stagner trop longtemps au niveau de cette explication de texte.

L’angoisse, vous ai-je dit, est liée à tout ce qui peut apparaître à cette place, et ce qui nous l’assure, c’est un phénomène dont c’est parce qu’on y a accordé trop peu d’attention qu’on n’est pas arrivé à une formulation satisfaisante, unitaire de toutes les fonctions de l’angoisse dans le champ de notre expérience. Ce phénomène, c’est 1′ Unheimlichkeit. Je vous ai priés de vous reporter au texte de Freud la dernière fois, ceci pour les mêmes raisons, c’est que je n’ai pas le temps de ré-épeler avec vous ce texte. Beaucoup d’entre vous, je le sais, s’y sont tout de suite portés, ce dont je les remercie. La première chose qui vous y sautera aux yeux même à une lecture superficielle, est l’importance qu’y donne Freud à une analyse linguistique. Si ce n’était pas éclatant partout, ce texte suffirait à lui seul à justifier la prévalence, dans mon commentaire de Freud, que je donne aux fonctions du signifiant. La chose qui vous sautera deuxièmement aux yeux, quand vous lirez ce par quoi Freud introduit la notion d’unheimlich, l’exploration des dictionnaires concernant ce mot c’est que la définition de 1’unheimlich, c’est d’être 1’unheimlichhar. C’est ce qui est heim au point qui est unheim. Puis comme il n’a que faire de nous expliquer pourquoi c’est comme ça, parce que c’est très évident à lire simplement les dictionnaires, il ne s’y arrête pas plus, il est comme moi aujourd’hui, il faut qu’il avance. Eh! bien, pour notre convention, pour 1a clarté de notre langage, pour la suite, cette place 1à désignée la dernière fois, nous allons l’appeler de son nom, c’est ça qui s’appelle heim. Si vous voulez, disons que si ce mot a un sens dans l’expérience humaine, c’est là la maison de l’homme. Donnez à ce mot maison toutes les résonances que vous voudrez, y compris astrologiques. L’homme trouve sa maison en un point situé dans l’Autre, au-delà de l’image dont nous sommes faits, et cette place représente l’absence où nous sommes.

A supposer, ce qui arrive, qu’elle se révèle pour ce qu’elle est, la présence ailleurs qui fait cette place comme absence; alors elle est la reine du jeu. Elle s’empare de l’image qui la supporte et l’image spéculaire devient l’image du double avec ce qu’elle apporte d’étrangeté radicale et, pour employer des termes qui prennent leur signification de s’opposer aux termes hégéliens, en nous faisant apparaître comme objet de nous révéler la non-autonomie du sujet. Tout ce que Freud a repéré comme exemple dans les textes hoffmanniens qui sont au cœur d’une telle expérience, L’homme au sable et son atroce histoire dans laquelle on voit le sujet rebondir de captation en captation devant cette forme d’image qui à proprement parler matérialise le schéma ultra réduit qu’ici je vous en donne, mais la poupée dont il s’agit, que le héros du conte guette derrière la fenêtre du sorcier qui autour d’elle trafique je ne sais quelle opération magique, c’est proprement cette image dans l’opération de la compléter par ce qui en est dans la forme même du conte absolument distingué, à savoir l’œil. Et l’œil dont il s’agit ne peut être que celui du héros du conte. Le thème de ce qu’on veut lui ravir cet oeil est ce qui donne le fil explicatif de tout le conte.

Il est significatif de je ne sais quel embarras, lié au fait que c’était la première fois que le soc entrait dans cette ligne de la révélation de la structure subjective, que Freud nous donne en quelque sorte cette référence en vrac. Il dit « lisez Les élixir du Diable ». Je ne peux même pas vous dire à quel point c’est complet, à quel point il y a toutes les formes possibles du même mécanisme où s’explicitent toutes les incidences où peut se produire cette fonction, où peut se produire cette réaction, l’Unheimlich. Manifestement il ne s’y avance pas, il est comme en quelque sorte débordé par la luxuriance que présente effectivement ce court et petit roman dont il n’est pas tellement facile de se procurer un exemplaire, encore que par la bonté de toujours de je ne sais qui des personnes présentes, je me trouve en avoir trouvé un, et je vous en remercie ou bien j’en remercie la personne en question, sur ce pupitre. Il est bien utile d’en avoir à sa disposition plus d’un exemplaire.

En ce point heim ne se manifeste pas simplement, ce que vous savez depuis toujours, à savoir que le désir se révèle comme désir de l’Autre, ici désir dans l’Autre, mais je dirai que mon désir entre dans l’autre où il est attendu de toute éternité sous la forme de l’objet que je suis, en tant qu’il m’exile de ma subjectivité en résolvant par lui-même tous les signifiants à quoi cette subjectivité est attachée. Bien sûr ça n’arrive pas tous les jours, et peut-être même que ça n’arrive que dans les contes d’Hoffmann. Dans Les élixir du Diable c’est tout à fait clair. A chaque détour, de cette longue et si tortueuse vérité, on conçoit, à là note que donne Freud qui laisse entendre que quelque peu l’on s’y perd et même ce s’y perdre fait partie de là fonction du labyrinthe qu’il s’agit d’animer. Mais il est clair que, pour prendre chacun ce détour, le sujet n’arrive, n’accède à son désir qu’à se substituer toujours à un de ses propres doubles.

Ce n’est pas pour rien que Freud insiste sur la dimension essentielle que donne à notre expérience de l’Unheimlich le champ de là fiction. Dans la réalité, elle est trop fugitive et là fiction là démontre bien mieux, là produit même d’une façon plus stable parce que mieux articulée. C’est une sorte de point idéal, mais combien précieux pour nous, puisque, à partir de ce point, nous allons pouvoir voir là fonction du fantasme. Cette possibilité articulée jusqu’au ressassement dans une couvre comme Les élixirs du diable, mais repérable dans tant d’autres de l’effet majeur de la fiction, cet effet dans le courant efficace de l’existence, nous pouvons dire que c’est lui qui reste à l’état de fantasme. Et le fantasme pris ainsi, qu’est-ce que c’est, sinon, ce dont nous nous doutions un peu, ein Wunsh, un vœu et même, comme tous les vœux, assez naïf. Pour l’exprimer assez humoristiquement, je dirai que $ désir de a, formule du fantasme, ça peut se traduire, dans cette perspective, que l’Autre s’évanouisse, se pâme, dirais-je, devant cet objet que je suis, déduction faite de ce que je me vois.

Alors là, parce qu’il faut bien que je pose les choses d’une façon comme ça apodictique, et puis après vous verrez comment ça fonctionne je vous dirai tout de suite pour éclairer ma lanterne que les deux phases dont j’ai écrit les rapports du $ avec le a en le situant différemment par rapport à la fonction réflective du A, par rapport à ce miroir A, ces deux façons correspondent exactement, à la façon, à la répartition des termes du fantasme chez le pervers et chez le névrosé; les choses sont, si je puis dire pour m’exprimer grossièrement, me faire entendre, à leur place, le a est là où il est, là où le sujet ne peut pas le voir, comme vous le savez, et le $ est à sa place. C’est pourquoi l’on peut dire que le sujet pervers, tout en restant inconscient de la façon dont ça fonctionne, s’offre loyalement à là jouissance de l’Autre. Seulement, nous. n’en aurions jamais rien su, s’il n’y avait pas les névrosés pour qui le fantasme n’a absolument pas le même fonctionnement. De sorte que c’est à là fois lui qui vous le révèle dans sa structure à cause de ce qu’il en fait, mais avec ce qu’il en fait, par ce qu’il en fait, il vous couillonne comme il couillonne tout le monde. Car comme je vais vous l’expliquer, il se sert de ce fantasme à des fins particulières. C’est ce que j’ai déjà exprimé devant vous d’autres fois, en disant que ce qu’on a cru percevoir comme étant sous la névrose, perversion, c’est simplement ceci que je suis

en train de vous expliquer, à savoir un fantasme tout entier situé au lieu de l’Autre, l’appui pris sur quelque chose qui, si on le rencontre, va se présenter comme perversion.

Les névrosés ont des fantasmes pervers, et c’est bien pourquoi les analystes se cassent la tête depuis fort longtemps à s’interroger sur ce que ça veut dire. On voit tout de même bien que ce n’est pas la même chose, que ça ne fonctionne pas de là même façon. D’où là question qui s’engendre et les confusions qui se multiplient sur le fait de savoir, par exemple, si une perversion est bien vraiment une perversion, c’est-à-dire si elle ne fonctionne pas comme question qui redouble celle-ci, c’est à savoir à quoi le fantasme pervers peut bien servir au névrosé ? Car il y a tout de même une chose qu’à partir de la position de la fonction que je viens devant vous de dresser du fantasme, il faut bien commencer par dire, c’est que ce fantasme dont le névrosé se sert, qu’il organise au moment où il en use – il y a bien en effet quelque chose de l’ordre du a qui apparaît à la place du heim, au-dessus de l’image que je vous désigne le lieu d’apparition de l’angoisse – eh! bien, il y a une chose tout à fait frappante, c’est que justement, c’est ce qui lui sert le mieux, à lui, à se défendre contre l’angoisse, à recouvrir l’angoisse.

Il y a donc – ça ne peut se concevoir naturellement qu’à partir des présupposés que j’ai bien dû dans leur extrême poser d’abord, mais comme tout discours nouveau, il faudra bien que vous le jugiez sur le moment où il se forme et voir s’il recouvre, comme je pense vous n’en aurez pas de doute, le fonctionnement de l’expérience – cet objet a qu’il se fait être dans son fantasme, le névrosé, eh! bien je dirai qu’il lui va à peu près comme des guêtres à un lapin. C’est bien pourquoi le névrosé de son fantasme n’en fait jamais grand-chose. Ça réussit à le défendre contre l’angoisse justement dans là mesure où c’est un a postiche. C’est là fonction que dès longtemps je vous ai illustrée du rêve de la belle bouchère. La belle bouchère aime le caviar; seulement elle n’en veut pas parce que ça pourrait bien faire trop plaisir à sa grosse brute de mari qui est capable de bouffer ça avec le reste, c’est même pas ça qui l’arrêtera. Or ce qui intéresse là belle bouchère, ce n’est pas du tout bien entendu de nourrir son mari de caviar parce que, comme je vous l’ai dit, il y ajoutera tout un menu, qu’il a gros appétit, le boucher. La seule chose qui intéresse là belle bouchère, c’est que son mari ait envie du petit rien qu’elle tient en réserve.

Cette formule tout à fait claire quand il s’agit de l’hystérique, faites-moi aujourd’hui confiance, elle s’applique à tous les névrosés. Cet objet a en fonctionnant dans leur fantasme, et qui leur sert de défense pour eux contre leur angoisse, est aussi, contre toute apparence, l’appât avec lequel ils tiennent l’autre, et Dieu merci, c’est à cela que nous devons là psychanalyse.

Il y a une nommée Anna O. qui en connaissait un bout comme manœuvre du jeu hystérique et qui a présenté toute sa petite histoire, tous ses fantasmes, à Messieurs Breuer et Freud qui s’y sont précipités comme des petits poissons dans l’eau. Freud à là page je ne sais plus quoi, 271 des Studien über Hystérie s’émerveille du fait que chez Anna O. quand même il n’y avait pas là moindre défense. Elle donnait tout son truc comme ça. Pas besoin de s’acharner pour avoir tout le paquet. Évidemment il se trouvait devant une forme généreuse du fonctionnement hystérique. Et c’est pour ça que Breuer, comme vous le savez, l’a rudement bien senti passer, car lui, avec le formidable appât il a avalé, le petit rien aussi et il a mis un certain temps à le régurgiter. Il ne s’y est plus frotté dans là suite.

Heureusement Freud était névrosé. Et comme il était à là fois intelligent et courageux, il a su se servir de sa propre angoisse devant son désir, laquelle était au principe de son attachement ridicule à cette impossible bonne femme qui d’ailleurs l’a enterré et qui s’appelait Madame Freud. Il a su s’en

servir pour projeter sur l’écran radiographique de sa fidélité à cet objet fantasmatique, pour y reconnaître sans ciller même un instant ce qu’il s’agissait de faire, à savoir dé comprendre à quoi tout ça servait et à admettre bel et bien qu’Anna O. le visait parfaitement, lui Freud; mais il était évidemment un petit peu plus dur à avoir que l’autre, Breuer. C’est bien à ceci que nous devons d’être entrés par le fantasme dans le mécanisme de l’analyse et dans un usage rationnel du transfert.

C’est peut-être aussi ce qui va nous permettre de faire le pas suivant et de nous apercevoir que ce qui fait là limite du névrosé et des autres – nouveau saut dont je vous prie de repérer le passage, puisque comme pour les autres nous aurons à le justifier par là suite – ce qui fonctionne effectivement chez le névrosé, c’est qu’à ce niveau déjà, chez lui, déplacer a de l’objet, c’est quelque chose qui s’explique déjà suffisamment du fait qu’il a pu faire ce transport de là fonction du a dans l’autre. La réalité qu’il y a derrière cet usage de fallace de l’objet dans le fantasme du névrosé a un nom très simple, c’est là demande.

Le vrai objet que cherche le névrosé, c’est une demande, il veut qu’on lui demande, il veut qu’on le supplie. La seule chose qu’il ne veut pas c’est payer le prix. Ça, c’est une expérience grossière dont les analystes ne sont sans doute pas assez écartés, éclairés par les explications de Freud pour qu’ils n’aient pas cru devoir là-dessus revenir à là pente savonnée du moralisme et en déduire un fantasme qui traîne dans les plus vieilles prédications moralistico-religieuses, celles de l’oblativité.

Ils se sont évidemment aperçus que, comme il ne veut rien donner, ça a une certaine relation aussi avec le fait que sa difficulté est de l’ordre du recevoir. Il veut qu’on le supplie, vous disais-je, et ne veut pas payer le prix. Alors que, s’il voulait bien donner quelque chose, peut-être ça marcherait. Seulement, est-ce que les analystes en question, les beaux parleurs de là maturité génitale, comme si c’était là le lieu du don, ne s’aperçoivent pas que ce qu’il faudrait lui apprendre à donner au névrosé, c’est cette chose qu’il n’imagine pas, c’est rien, c’est justement son angoisse. C’est cela qui nous mène à notre point de départ d’aujourd’hui désignant là butée sur l’angoisse de castration. Le névrosé ne donnera pas son angoisse. Nous en saurons plus, nous saurons pourquoi. C’est tellement vrai que c’est de ça qu’il s’agit, que tout de même tout le procès, toute là chaîne de l’analyse consiste en ceci qu’au moins, il en donne l’équivalent; qu’il commence par donner un peu son symptôme. Et c’est pour ça qu’une analyse, comme disait Freud, ça commence par une mise en forme des symptômes. Nous sommes bien à là place dont il s’agit et on s’efforce de le prendre, mon Dieu, à son propre piège. On ne peut faire jamais autrement avec personne. Il vous fait une offre en somme fallacieuse, eh! bien on l’accepte. De ce fait, on entre dans le jeu par où il fait appel à là demande. Il veut que vous lui demandiez quelque chose; comme vous ne lui demandez rien – c’est comme ça là première entrée dans l’analyse – lui, u commence a moduler les siennes, ses demandes qui viennent là à la place heim. Et je vous le dis en passant, je vois mal, en dehors de ce qui s’articule presque de soi-même sur ce schéma, comment on a pu justifier jusqu’ici, sinon par une espèce de fausse compréhensibilité grossière,  la dialectique frustration-agression-régression. C’est dans la mesure où vous laissez sans réponse la demande qui vient ici s’articuler, que se produit quoi? L’agression dont il s’agit, où avez-vous jamais vu, si ce n’est hors de l’analyse, dans des pratiques dites de psychothérapie de groupe dont nous avons entendu parler quelque part, qu’aucune agression ne se produit? Mais par contre la dimension de l’agressivité entre en jeu pour remettre en question ce qu’elle vise par sa nature, à savoir la relation à l’image spéculaire. C’est dans la mesure où le sujet épuise contre cette image ses rages, que se produit cette succession des demandes qui va toujours à une demande plus originelle historiquement parlant, et que se module la régression comme telle.

Le point auquel nous arrivons maintenant et qui, lui aussi, n’a jamais été expliqué d’une façon satisfaisante jusqu’ici, c’est comment il se fait que ce soit par cette voie régressive que le sujet soit amené à un temps que nous sommes bien forcés de situer historiquement comme progressif. Il y en a qui, placés devant ce paradoxe de savoir comment c’est en remontant jusqu’à la phase orale qu’on dégage la relation phallique, ont essayé de nous faire croire qu’après la régression il fallait remonter la voie en sens contrai-re, ce qui est absolument contraire à l’expérience. Jamais on n’a vu une analyse, si réussie qu’on la suppose dans le procès de la régression repasser par les étapes contraires, comme il serait nécessaire s’il s’agissait de quelque chose comme d’une reconstruction génétique. Au contraire c’est dans la mesure où sont épuisées jusqu’à leur terme, jusqu’au fond du bol, toutes les formes de la demande, jusqu’à la demande zéro, que nous voyons au fond apparaître la relation de la castration. La castration se trouve inscrite comme rapport à la limite de ce cycle régressif de la demande. Elle apparaît là tout de suite après et dans la mesure où le registre de la demande est épuisé. C’est cela qu’il s’agit de comprendre topologiquement.

Je ne veux pas aujourd’hui pousser les choses beaucoup plus loin. Mais tout de même, je terminerai sur une remarque qui, pour converger avec celle par laquelle j’ai terminé mon dernier discours, portera votre réflexion dans un sens qui peut vous faciliter le pas suivant, tel que je viens maintenant de le pointer. ri là encore je ne vais pas m’attarder a de vains détours; je vais prendre les choses en plein milieu du bassin. Dans Inhibition, symptôme, angoisse, Freud nous dit, ou a l’air de nous dire que l’angoisse est là réaction, réaction-signal à là perte d’un objet; il énumère celle, qui se fait à là naissance, du milieu utérin enveloppant, celle éventuelle de là mère considérée comme objet, celle du pénis, celle de l’amour de l’objet et celle de l’amour du super ego.

Or qu’est-ce que je vous ai dit là dernière fois pour déjà vous mettre sur une certaine voie essentielle à saisir ? C’est que l’angoisse n’est pas le signal d’un manque, mais de quelque chose qu’il faut que vous arriviez à concevoir à ce niveau redoublé d’être le défaut de cet appui du manque. Eh! bien reprenez là liste même de Freud que je prends ici arrêtée à son terme, en plein vol, si je puis dire, est-ce que vous ne savez pas que ça n’est pas là nostalgie de ce qu’on appelle le sein maternel qui engendre l’angoisse, c’est son imminence, c’est tout ce qui annonce quelque chose qui nous permettrait d’entrevoir qu’on va y rentrer. Qu’est-ce qui provoque l’angoisse ? Ce n’est pas contrairement à ce qu’on dit, le rythme ni l’alternance de là présence absence de là mère et ce qui le prouve, c’est que ce jeu, présence-absence, l’enfant se complait à le renouveler; cette possibilité de l’absence, c’est ça là sécurité de là présence. Ce qu’il y a de plus angoissant pour l’enfant, c’est que justement ce rapport sur lequel il s’institue du manque qui le fait désir, ce rapport est le plus perturbé quand il n’y a pas de possibilité de manque, quand là mère est tout le temps sur son dos et spécialement à lui torcher le cul, modèle de là demande, de là demande qui ne saurait défaillir. Et à un niveau plus élevé au temps suivant; celui de là prétendue perte du pénis, de quoi s’agit-il? Qu’est-ce que nous voyons au début de là phobie du petit Hans ? Ceci, que ce sur quoi on met un accent qui n’est pas bien centré, à savoir que soi-disant l’angoisse serait liée à l’interdiction par là mère des pratiques masturbatoires, est vécu, perçu par l’enfant comme présence du désir de là mère s’exerçant à son endroit. Qu’est-ce que l’angoisse en général dans le rapport avec l’objet du désir qui est ce que nous apprend ici l’expérience, si ce n’est qu’elle est tentation, non pas perte de l’objet, mais justement présence de ceci que les objets ça ne manque pas ? Et pour passer à l’étape suivante, celle de l’amour du Surmoi avec tout ce qu’il est censé poser dans là voie dite de l’échec, qu’est-ce que ça veut dire, sinon que ce qui est craint, c’est là réussite, c’est toujours le ça ne manque pas ?

Je vous laisserai aujourd’hui sur ce point destiné pour vous à faire tourner une confusion qui repose justement toute entière sur là difficulté d’identifier l’objet du désir. Et ce n’est pas parce qu’il est difficile à identifier qu’il n’est pas là; il est là et sa fonction est décisive pour ce qui est de l’angoisse. Considérez que ce que je vous ai dit aujourd’hui n’est encore qu’accès préliminaire, que le mode précis de sa situation où nous entrerons dès là prochaine fois est donc à situer entre trois thèmes que vous avez vu dessiner dans mon discours d’aujourd’hui: l’un est là jouissance de l’Autre, l’autre là demande de l’Autre, le troisième n’a pu être entendu que par les oreilles les plus fines. C’est celui-ci, cette sorte de désir qui se manifeste dans l’interprétation, dont l’incidence même de l’analyste dans là cure est là forme là plus exemplaire et là plus énigmatique, celle qui me fait depuis longtemps poser pour vous là question : que représente, dans cette économie essentielle du désir, cette sorte privilégiée du désir que j’appelle le désir de l’analyste ?

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