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Recherches Lacan

LX L'angoisse 1962 – 1963 Leçon du 12 juin 1963

Leçon du 12 juin 1963

L’angoisse gît dans ce rapport fondamental où le sujet est dans ce que j’ai appelé jusqu’ici désir de l’Autre. L’analyse a, a toujours eu et garde pour objet la découverte d’un désir. C’est, vous l’admettrez, pour quelques rai­sons structurales que je suis amené, cette année, à dégager, à faire fonction­ner comme telles, cernées, articulées, ceci autant par la voie d’une définition, disons, algébrique, d’une articulation où la fonction apparaît dans une sorte de béance, de résidu de la fonction signifiante comme telle, mais je l’ai fait aussi, touche par touche, c’est la voie que je prendrai aujourd’hui.

Dans toute avancée, dans tout avènement de ce a comme tel, l’angoisse apparaît justement en fonction de son rapport au désir de l’Autre. Mais son rapport au désir du sujet, quel est-il ? Il est situable absolument sous la forme que j’ai avancée en son temps, a n’est pas l’objet du désir, celui que nous cherchons à révéler dans l’analyse, il en est la cause. Ce trait est essen­tiel, car si l’angoisse marque la dépendance de toute constitution du sujet — sa dépendance de l’Autre — le désir du sujet se trouve donc appendu à cette relation par l’intermédiaire de la constitution première, antécédente du a. C’est là l’intérêt qui nous pousse à vous rappeler comment s’annonce cette présence du a comme cause du désir. Dès les premières données de la recherche analytique, il s’annonce d’une façon plus ou moins voilée, juste­ment, dans la fonction de la cause.

Cette fonction est repérable dans les données de notre champ, celui sur lequel s’engage la recherche, c’est à savoir le champ du symptôme. Dans tout symptôme, cette dimension que je vais essayer de faire jouer aujourd’hui devant vous, se manifeste. Pour vous le faire sentir, je partirai d’un symp­tôme dont ce n’est pas pour rien qu’il a — vous le verrez après coup — cette fonction exemplaire, c’est à savoir du symptôme de l’obsessionnel. Mais — je l’indique dès à présent — si je l’avance, c’est qu’il nous permet de rentrer dans ce repérage de la fonction de a, en tant qu’il se dévoile fonc­tionnant dans les premières données du symptôme en la dimension de la cause.

Qu’est-ce que l’obsessionnel nous présente sous la forme pathognomo­nique de sa position ? L’obsession ou compulsion, pour lui articulée ou non en une motivation dans son langage intérieur : « va faire ceci ou cela, véri­fier que la porte est ou non fermée, le robinet », nous le reverrons peut-être tout à l’heure, c’est ce symptôme qui, pris sous sa forme la plus exemplaire, implique que la non-suite, si je puis dire, de sa ligne, éveille l’angoisse. C’est là ce qui fait que le symptôme, je dirai, nous indique dans son phénomène même que nous sommes au niveau le plus favorable pour lier la position de a autant aux rapports d’angoisse qu’aux rapports de désir.

L’angoisse apparaît en effet, pour le désir, au départ, avant la recherche freudienne historiquement, avant l’analyse dans notre praxis, il est caché, et nous savons quelle peine nous avons à le démasquer, si nous le démasquons jamais ! Mais ici mérite d’être mise en valeur cette donnée de notre expé­rience qui apparaît dès les toutes premières observations de Freud et qui, je dirai, constitue, même si on ne l’a pas repérée comme telle, peut-être le pas le plus essentiel dans l’avancée dans la névrose obsessionnelle, c’est que Freud et nous-mêmes, tous les jours, avons reconnu, pouvons reconnaître ce fait, que la démarche analytique ne part pas de l’énoncé du symptôme tel que je viens de vous le décrire, c’est-à-dire selon sa forme classique, celle qui était déjà définie depuis toujours, la compulsion avec la lutte anxieuse qui l’accompagne, mais de la reconnaissance de ceci, c’est que ça fonctionne comme ça. Cette reconnaissance n’est pas un effet détaché du fonctionne­ment de ce symptôme, ça n’est pas épiphénomènalement que le sujet a à s’apercevoir que ça fonctionne comme ça, le symptôme n’est constitué que quand le sujet s’en aperçoit, car nous savons par expérience qu’il est des formes de comportement obsessionnel où le sujet, ce n’est pas seulement qu’il n’a pas repéré ses obsessions, c’est qu’il ne les a pas constituées comme telles. Et le premier pas, dans ce cas, de l’analyse — des passages de Freud là-dessus sont célèbres — est que le symptôme se constitue dans sa forme classique. Sans ça, il n’y a pas moyen d’en sortir, et non pas simplement parce qu’il n’y a pas moyen d’en parler mais parce qu’il n’y a pas moyen de l’attraper par les oreilles. Qu’est-ce que c’est que l’oreille en question ? C’est ce quelque chose que nous pouvons appeler le non-assimilé, par le sujet, du symptôme.

Pour que le symptôme sorte de l’état d’énigme qui ne serait pas encore formulée, le pas n’est pas qu’il se formule, c’est que, dans le sujet, quelque chose se dessine dont le caractère est qu’il lui est suggéré qu’il y a une cause à ça. C’est là, la dimension originale ici prise dans la forme du phénomène, dont je vous montrerai ailleurs qu’on peut la retrouver.

Cette dimension — qu’il y a une cause à ça — où seulement l’implication du sujet dans sa conduite se rompt, cette rupture est cette complémentation nécessaire pour que le symptôme nous soit abordable. Ce que j’entends vous dire et vous montrer, c’est que ce signe ne constitue pas un pas dans ce que je pourrais appeler l’intelligence de la situation, mais il est quelque chose de plus, il y a une raison pour que ce pas soit essentiel dans la cure de l’obsessionnel. Ceci est impossible à articuler si nous ne manifestons pas d’une façon tout à fait radicale la relation de la fonction de a, cause du désir, à la dimension mentale, comme telle, de la cause. Ceci, je l’ai déjà indiqué dans les apartés, si je puis dire, de mon discours, et l’ai écrit quelque part en un point que je pourrais retrouver de l’article Kant avec Sade qui est paru dans le numéro d’avril de la revue Critique. C’est là-dessus que j’entends aujourd’hui faire jouer le principal de mon discours.

Dès maintenant, vous voyez l’intérêt qui est de marquer, de rendre vrai­semblable que cette dimension de la cause indique — et seule indique — l’émergence, la présentification dans des données de départ de l’analyse de l’obsessionnel, de ce a autour de quoi — c’est là l’avenir de ce que, pour l’instant, j’essaie de vous expliquer — autour de quoi doit tourner toute ana­lyse du transfert pour ne pas être obligée, nécessitée à tourner dans un cercle. Un cercle, certes, n’est pas rien, le circuit est parcouru mais il est clair qu’il y a — ce n’est pas moi qui l’ai énoncé — un problème de la fin de l’ana­lyse, celui qui s’énonce ainsi, l’irréductibilité d’une névrose de transfert. Cette névrose de transfert est ou n’est pas la même que celle qui était détec­table au départ. Assurément elle a cette différence d’être tout entière pré­sente, elle nous apparaît quelquefois en impasse, c’est-à-dire aboutit parfois à une parfaite stagnation des rapports de l’analysé à l’analyste. Elle n’a en somme de différence à tout ce qui se produit d’analogue au départ de l’ana­lyse que d’être tout entière rassemblée.

On entre dans l’analyse par une porte énigmatique, car la névrose de transfert chez tout un chacun, même chez Alcibiade, est là, c’est Agathon qu’il aime. Même chez un être aussi libre qu’Alcibiade, le transfert est évi­dent. Encore que cet amour soit ce qu’on appelle un amour réel, ce que nous appelons, trop souvent, transfert latéral, c’est là qu’est le transfert. L’étonnant, c’est qu’on entre dans l’analyse, malgré tout cela qui nous retient, dans le transfert fonctionnant comme réel. Le vrai sujet d’étonne­ment concernant le circuit de l’analyse, c’est comment, y entrant, malgré la névrose de transfert, on peut obtenir à la sortie la névrose de transfert elle-même. Sans doute est-ce parce qu’il y a quelque malentendu concernant l’analyse du transfert. Sans cela, on ne verrait pas se manifester cette satis­faction quelquefois que j’ai entendue exprimer, qu’avoir donné force à cette névrose de transfert, ce n’est peut-être plus la perfection, mais c’est tout de même un résultat ; c’est vrai, mais c’est tout de même un résultat, lui-même, assez perplexifiant.

Si j’énonce que la voie passe par a, seul objet à proposer à l’analyse du transfert, ceci ne veut pas dire que ça ne laissera pas ouvert, vous le verrez, un autre problème. C’est justement dans cette soustraction que peut appa­raître cette dimension essentielle, celle d’une question depuis toujours posée, en somme, mais certainement pas résolue — car chaque fois qu’on la pose, l’insuffisance des réponses est vraiment sensible, évidente, éclatante à tous les yeux — celle du désir de l’analyste.

Ce bref rappel pour vous montrer l’intérêt de l’enjeu présent, ce bref rap­pel étant fait, revenons à a. a est la cause, la cause du désir. Je vous ai indi­qué que ce n’est pas une mauvaise façon de le comprendre que de revenir à l’énigme que nous propose le fonctionnement de la catégorie de la cause. Car enfin, il est bien clair que quelque critique, que quelque effort de réduc­tion, phénoménologique ou pas, que nous lui appliquions, cette catégorie fonctionne, et non pas comme une étape seulement archaïque de notre développement. Ce qu’indique la façon dont j’entends le rapporter ici à la fonction originelle de l’objet a comme cause du désir, signifie le transfert de la question de la catégorie de la causalité, de ce que j’appellerai avec Kant l’Esthétique transcendantale, à ce que — si vous voulez bien y consentir — j’appellerai mon Éthique transcendantale. Et là, je suis obligé de m’avancer dans un terrain où je suis forcé de ne balayer que les côtés latéraux avec un projecteur, sans pouvoir même insis­ter. Il conviendrait, dirai-je, que les philosophes fissent leur travail et s’aper­çoivent par exemple, et osent formuler quelque chose qui nous permettrait de situer vraiment à sa place, cette opération que j’indique en disant que j’extrais la fonction de là cause du champ de l’Esthétique transcendantale, de celle de Kant. Il conviendrait que d’autres vous indiquent que ce n’est là qu’une extraction, en quelque sorte, toute pédagogique, parce qu’il y a bien des choses, d’autres choses qu’il convient d’extraire de cette Esthétique transcendantale.

Là, il faut que je fasse, au moins à l’état d’indication, ce que j’ai réussi, par un tour de passe-passe, à éluder la dernière fois, quand je vous parlais du champ scopique du désir. Je ne peux pas y couper. Il faut tout de même bien que je dise, que j’indique ici, au moment même où je m’avance plus loin, ce qui était impliqué dans ce que je vous disais, à savoir que l’espace n’est pas du tout une catégorie a priori de l’intuition sensible, qu’il est très étonnant qu’au point d’avancement où nous en sommes de la science que personne ne se soit encore attaqué directement à ceci à quoi tout nous sollicite, à for­muler que l’espace n’est pas un trait de notre constitution subjective, au-delà de quoi la chose en soi trouverait, si l’on peut dire, un champ libre, à savoir, que l’espace fait partie du réel et qu’après tout, dans ce que j’ai énon­cé, articulé, dessiné ici devant vos yeux l’année dernière avec tout cette topologie, il y a quelque chose dont, heureusement, certains ont senti la note, cette dimension topologique, en ce sens que son maniement symbo­lique transcende l’espace, a évoqué à beaucoup, pas seulement à certains, tant de formes qui nous sont présentifiées par les schémas du développe­ment de l’embryon, formes singulières par cette commune et singulière Gestalt qui est la leur et qui nous porte bien, bien loin, de la direction où là Gestalt est avancée, c’est-à-dire dans la direction de la bonne forme ; elle nous montre, au contraire, quelque chose qui se reproduit partout et dont, dans une notation impressionniste, je dirai qu’elle est sensible dans une sorte de torsion à laquelle l’organisation de la vie semble l’obliger pour se loger dans l’espace réel.

La chose est partout présente dans ce que je vous ai expliqué l’année der­nière et aussi bien cette année, car c’est justement en ces points de torsion que se produisent aussi les points de rupture dont j’essaie de vous montrer la portée dans plus d’un cas d’une façon liée à notre propre topologie, celle du S, du A et du a, d’une façon qui soit plus efficace, plus vraie, plus confor­me au jeu des fonctions que tout ce qui est repéré dans la doctrine de Freud, de cette façon dont les différences, les vacillations sont elles-mêmes déjà indicatives de la nécessité de ce que je fais là, celle qui est liée à l’ambiguïté chez lui, par exemple, des relations moi-non moi, contenu-contenant, moi­-le monde extérieur. Toutes ces divisions, il saute aux yeux qu’elles ne se recouvrent pas. Pourquoi ?

Il faut avoir saisi de quoi il s’agit, et avoir trouvé d’autres repères de cette topologie subjective, qui est ici celle que nous explorons. J’en finis avec cette indication, dont je sais au moins que certains savent très bien la por­tée à m’avoir entendu, maintenant que la réalité de l’espace, en tant qu’es­pace à trois dimensions, c’est là quelque chose d’essentiel à saisir, pour défi­nir la forme que prend, au niveau de l’étage que j’ai essayé d’éclairer par ma première leçon, sous la fonction de l’étage scopique, la forme que prend la présence du désir, nommément comme fantasme ; c’est à savoir que ce que j’ai essayé de définir dans la structure du fantasme, à savoir la fonction du cadre, — entendez de la fenêtre — n’est pas une métaphore. Si le cadre exis­te, c’est parce que l’espace est réel.

Pour ce qui est de la cause, essayons d’appréhender dans ceci même qui est là broussaille commune de ces, chez vous, connaissances, qui vous sont léguées d’un certain brouhaha de discussions philosophiques par le passage à travers une classe désignée de ce nom, la philosophie, qu’il est bien clair qu’un indice sur cette origine de la fonction de la cause nous est très claire­ment donné dans l’histoire par ceci, c’est que c’est à mesure de la critique de cette fonction de la cause, de la tentative de remarquer qu’elle est insaisis­sable, que ce qu’elle est c’est forcément toujours au moins une cause der­rière une cause et qu’est-ce qu’il faut que ce soit d’autre pour équivaloir à cet incompréhensible sans quoi, d’ailleurs, nous ne pouvons même pas commencer à articuler quoi que ce soit ? Mais, bien sûr, cette critique a sa fécondité et on la voit dans l’histoire : plus la cause est critiquée, plus les exi­gences qu’on peut appeler celles du déterminisme se sont imposées à la pen­sée. Moins la cause est saisissable, plus tout apparaît causé, et jusqu’au der­nier terme, celui qu’on a appelé le sens de l’histoire.

On ne peut rien dire d’autre que tout est causé, à ceci près que tout ce qui s’y passe, préside et part toujours d’un assez causé au nom de quoi se reproduit, clans l’histoire, un commencement, un non-cause que je n’oserai pas appeler absolu mais qui était certainement inattendu et qui donne les classiques fils à retordre aux prophètes nachträglich, qui sont le pain quo­tidien, aux dits prophètes qui sont les interprétateurs professionnels du sens de l’histoire.

Alors, cette fonction de là cause, disons sans plus comment nous l’envi­sageons. Nous l’envisageons, cette fonction partout présente dans notre pensée de la cause, je dirai d’abord pour me faire entendre, comme l’ombre portée, mais très précisément et mieux, la métaphore de cette cause primor­diale, substance de cette fonction de la cause qui est précisément le a en tant qu’antérieur à toute cette phénoménologie. a, nous l’avons défini comme le reste de la constitution du sujet au lieu de l’Autre, en tant qu’il a à se consti­tuer en sujet parlant, sujet barré, $.

Si le symptôme est ce que nous disons, c’est-à-dire tout entier implicable dans ce processus de la constitution du sujet en tant qu’il a à se faire au lieu de l’Autre, l’implication de la cause dans l’avènement symptomatique tel que je vous l’ai défini tout à l’heure fait partie légitime de cet avènement. Ceci veut dire que la cause, impliquée dans la question du symptôme, est littéralement, si vous le voulez, une question, mais dont le symptôme n’est pas l’effet. Il en est le résultat. L’effet, c’est le désir. Mais c’est un effet unique et tout à fait étrange en ceci que c’est lui qui va nous expliquer, ou tout au moins nous faire entendre toutes les difficultés qu’il a eues à lier la relation commune qui s’impose à l’esprit de la cause à l’effet. C’est que l’ef­fet primordial de cette cause, a au niveau du désir, cet effet qui s’appelle le désir, est cet effet que je viens de qualifier d’étrange puisque, remarquez-le, c’est justement un effet qui n’a rien d’effectué.

Le désir, pris dans cette perspective, se situe essentiellement comme un manque d’effet. La cause, ainsi, se constitue comme supposant des effets, de ce fait que, primordialement, l’effet y fait défaut. Et ceci se retrouve, vous le retrouverez, dans toute sa phénoménologie. Le gap entre la cause et l’ef­fet, à mesure qu’il est comblé — c’est bien cela ce qui s’appelle, dans une certaine perspective, le progrès de la Science — fait s’évanouir la fonction de là cause, j’entends là où il est comblé. Aussi bien l’explication de quoi que ce soit aboutit, à mesure qu’elle s’achève, à n’y laisser que des connexions signifiantes, à volatiliser ce qui l’animait dans son principe, ce qui a poussé à s’expliquer, ce qu’on ne comprend pas, c’est-à-dire la béance effective. Et il n’y a pas de cause qui se constitue dans l’esprit, comme telle, qui n’implique cette béance. Ça peut, en tout cas, vous sembler bien super­flu. Néanmoins, c’est ce qui permet de saisir ce que j’appellerai la naïveté de certaines recherches de psychologues, et nommément de celles de Piaget.

Les voies où je vous mène cette année — vous l’avez déjà vu s’annoncer — passent par une certaine évocation de ce que Piaget appelle le langage égocentrique. Comme Piaget le reconnaît lui-même — il l’a écrit, ici je ne l’interprète pas — son idée de l’égocentrisme d’un certain discours enfantin part de cette supposition, il croit avoir démontré que les enfants ne se com­prennent pas entre eux, qu’ils parlent pour eux-mêmes. Le monde de sup­positions qu’il y a là-dessous est, je ne dirai pas insondable ; on peut en pré­ciser la majeure, c’est une supposition excessivement répandue, c’est-à-dire que la parole est faite pour communiquer. Ça n’est pas vrai. Si Piaget ne peut pas saisir cette sorte de gap, là encore, qu’il désigne pourtant lui-même — et c’est vraiment l’intérêt de la lecture de ses travaux, je vous supplie, d’ici que j’y revienne, ou que je n’y revienne pas, de vous emparer du Langage et la Pensée chez l’enfant qui est, somme toute, un livre admirable, — il illustre ce gap à tout instant combien ce que Piaget recueille de faits, dans cette démarche, aberrante en son principe, et démonstrative de tout autre chose que de ce qu’il pense ; naturellement, comme il est loin d’être un sot, il arrive que ses propres remarques, à lui, Piaget, soient dans cette voie même, en tout cas, par exemple le problème de savoir pourquoi ce langage du sujet et fait essentiellement pour lui, ne se produit jamais en groupe.

Ce qu’il manque, je vous prie de lire ces pages, parce que je ne peux pas les dépouiller avec vous, mais, à chaque instant, vous verrez comment sa pensée glisse, adhère à une position de la question qui est justement celle qui voile le phénomène, par ailleurs très clairement manifesté, et l’essentiel en est ceci qu’une chose est de dire que la parole a essentiellement pour effet de communiquer, alors que l’effet de la parole, l’effet du signifiant, est de faire surgir, dans le sujet, la dimension du signifié, je vais y revenir, s’il le faut, une fois de plus que ce rapport à l’autre qu’on nous dépeint ici comme la clé, sous le nom de socialisation du langage, la clé du point tournant entre langage égocentrique et le langage achevé, dans sa fonction ce point tour­nant n’est pas un point d’effet, d’impact effectif, il est dénommable comme désir de communiquer. C’est bien d’ailleurs parce que ce désir est déçu chez Piaget — la chose est sensible — que toute sa pédagogie, ici, vient dresser ses appareils et ses fantômes, assez pincés en somme. Que l’enfant lui apparaisse, ne le comprendre qu’à demi, il ajoute : « Ils ne se compren­nent même pas entre eux ». Mais est ce que c’est là la question ? La ques­tion, on voit très bien dans son texte, comment elle n’est pas là. On le voit à la façon dont il articule ce qu’il appelle compréhension entre enfants. Vous le savez, voilà comme il procè­de : il commence par prendre, par exemple, le schéma suivant, qui va être celui dépeint sur une image qui va être le support des explications, le schéma d’un robinet. Ça donnera quelque chose d’à peu près comme ça, ceci étant la tranche du robinet, on dira à l’enfant, autant de fois qu’il le faudra : « Tu vois, le petit tuyau, ici — qu’on appellera aussi la porte -, il est bouché ce qui fait que l’eau qui est là ne peut pas couler au travers pour venir couler ici dans ce qu’on appellera aussi, d’une certaine façon, l’issue, etc. ». Il explique. Voilà ce schéma, si vous voulez le contrôler. Il a cru d’ailleurs — je vous le signale en passant — devoir compléter lui-même, par la présence de la cuvette, et qui n’inter­viendra absolument pas dans les six ou neuf, sept points qu’il nous donne de l’explication. Il va être tout à fait frappé de ceci, c’est que l’enfant répète fort bien tous les termes de l’explication que, lui, Piaget, lui a donnée. Cet enfant, il va s’en servir comme d’explicateur pour un autre enfant, qu’il appellera, bizarrement, le reproducteur.

Premier temps : il remarque, non sans quelque étonnement, que ce que l’enfant a si bien répété, ce qui, pour Piaget, veut dire qu’il a compris — je ne dis pas qu’il a tort, je dis que Piaget ne se pose même pas la question — que ce que l’enfant lui a répété, à lui, Piaget, dans l’épreuve qu’il a faite dans la perspective de voir ce que l’enfant a compris, ne va pas du tout être iden­tique à ce qu’il va expliquer alors. À quoi Piaget fait cette très juste remarque que ce qu’il élide, dans ses explications, c’est justement ce que l’enfant a compris, sans s’apercevoir qu’à donner cette explication, ça impli­querait qu’il n’explique, lui, rien du tout à l’enfant, s’il a vraiment tout com­pris, comme le dit Piaget. Ce n’est, bien entendu, pas vrai, qu’il ait tout compris — vous allez le voir — non plus que personne.

Avec ces explications, très insuffisantes, que donne l’explicateur au reproducteur, ce qui étonne Piaget, c’est que, dans un champ comme celui de ces exemples, c’est-à-dire le champ qu’il appelle des explications, car je vous laisse de côté, faute de temps, le champ qu’il appelle celui des histoires.

Pour les histoires, ça fonctionne autrement. Mais qu’est-ce que Piaget appelle des histoires ? Je vous assure qu’il a une façon de transcrire l’histoi­re de Niobé, qui est un pur scandale. Car il ne semble pas lui venir à l’esprit que, quand on parle de Niobé, on parle d’un mythe, et qu’il y a peut-être une dimension du mythe qui s’impose, qui colle absolument au seul terme qui s’avance, sous ce nom propre Niobé et qu’à le transformer, en une sorte de lavasse émolliente — je vous prie de vous reporter à ce texte qui est tout simplement fabuleux — on propose peut-être à l’enfant quelque chose qui n’est pas simplement de l’ordre de sa portée, qui est simplement quelque chose qui signale un profond déficit de l’expérimentateur, Piaget lui-même, au regard de ce que sont les fonctions du langage. Si on propose un mythe, que c’en soit un, et non pas cette vague petite histoire : « Il y avait une fois une dame qui s’appelait Niobé, qui avait douze fils et douze filles, elle a ren­contré une fée qui n’avait qu’un fils et qu’une fille ; alors la dame s’est moquée de la fée parce qu’elle n’avait qu’un garçon ; la fée alors s’est fâchée et a attaché la dame à un rocher. La dame a pleuré pendant dix ans, alors elle a été changée en ruisseau, ses larmes ont fait un ruisseau qui coule encore ».

Ceci n’a vraiment d’équivalent que les deux autres histoires que propose Piaget, celle du petit Noir qui casse son gâteau à l’aller et fait fondre la motte de beurre au retour, et celle — pire encore — des enfants transformés en cygnes, qui restent toute leur vie séparés de leurs parents par ce maléfi­ce, mais qui, quand ils reviennent, non seulement trouvent leurs parents morts, mais retrouvent leur première forme — ceci n’est pas indiqué dans la dimension mythique — en retrouvant leur première forme, ont néan­moins vieilli. Je ne sache pas qu’il y ait un seul mythe qui laisse courir pen­dant la transformation le cours du vieillissement… Pour tout dire, les inven­tions de ces histoires de Piaget ont ceci de commun avec celles de Binet qu’elles reflètent la profonde méchanceté de toute position pédagogique. Je vous demande pardon de m’être laissé égaré sur cette parenthèse. Revenons à mes explications. Au moins y aurez-vous conquis cette dimen­sion notée par Piaget lui-même de cette sorte de déperdition, d’entropie, si je puis dire, de la compréhension qui va nécessairement se dégrader, à sa grande surprise, qu’il y a un contraste énorme entre les explications, quand il s’agit d’un thème comme celui-là explicatif, et ce qui se passe dans ses his­toires, histoires que je mets entre guillemets, je vous le répète. Car il est très probable que si les histoires confirment sa théorie concernant l’entropie, si je puis m’exprimer ainsi, de la compréhension, c’est justement parce que ce ne sont pas des histoires, et que, si c’était des histoires, comme dans le vrai mythe, il n’y aurait probablement pas cette déperdition.

En tout cas, moi, je vous propose un petit signe, c’est que, quand l’un de ces enfants, quand il a à répéter l’histoire de Niobé, fait surgir, au point où Piaget nous dit que la dame a été attachée à un rocher — jamais, sous aucu­ne forme, le mythe de Niobé n’a articulé un tel temps — bien sûr, c’est faci­le jouant, vous dira-t-on, sur une faute d’audition et sur le calembour, mais pourquoi justement, celui-là, fait surgir la dimension d’un rocher qui a une tache, restituant les dimensions que, dans mon séminaire précédent, je vous faisais surgir comme essentielles à la victime du sacrifice, celles de n’en pas avoir. Mais laissons. Ceci n’est bien entendu pas preuve, mais seulement suggestion.

Je reviens à mes explications et à la remarque de Piaget que, malgré le défaut d’explication, je veux dire le fait que l’explicateur explique mal, celui auquel on explique comprend beaucoup mieux que l’explicateur ne se témoigne, par son insuffisance d’explications, avoir compris. Bien sûr, ici l’explication surgit toujours, il refait le travail lui-même. Parce que le taux de compréhension entre enfants, comment le définit-il ?

 

Ce que le reproducteur a compris

ce que l’explicateur a compris

 

Je ne sais si vous remarquez qu’il n’y a qu’une chose là dont on ne parle jamais, c’est de ce que Piaget, lui, a compris ! Il est pourtant essentiel, puisque nous ne laissons pas les enfants en langage spontané, c’est-à-dire à voir ce qu’ils comprennent. Or, il est clair que ce que Piaget semble n’avoir pas vu, c’est que, son explication à lui, du point de vue de quiconque, de quelque autre tiers, ça ne se comprend pas du tout. Car je vous l’ai dit tout à l’heure, si ce petit tuyau, ici bouché, est mis, grâce à ceci auquel Piaget donne toute son importance, l’opération des doigts qui font tourner le robi­net de façon telle que l’eau puisse couler, est-ce que ça veut dire qu’elle coule ? Il n’y a pas la moindre précision là-dessus, dans Piaget qui, bien entendu, sait bien que s’il n’y a pas de pression, le robinet ne donnera rien, même si vous le tournez, mais qui croit pouvoir l’omettre parce qu’il se met au niveau du soi-disant esprit de l’enfant. Laissez-moi poursuivre. Ça a l’air tout à fait bête, tout ça, mais vous allez voir. Le surgissement, le jaillisse­ment, le sens de toute l’aventure, ne sort pas de mes spéculations, mais de l’expérience. Vous allez le voir.

Il ressort tout de même de cette remarque que je vous fais — moi je ne prétends pas avoir exhaustivement compris — il y a une chose très certaine, c’est que l’explication du robinet n’est pas bien donnée, s’il s’agit du robi­net comme cause, à dire que sa manœuvre, tantôt ouvre et tantôt ferme. Un robinet, c’est fait pour fermer. Il suffit qu’une fois, du fait d’une grève, vous deviez ne plus savoir à quel moment la pression doit revenir pour savoir que, si vous l’avez laissé ouvert, c’est plein d’inconvénients, qu’il convient donc qu’il soit fermé même quand il n’y a pas de pression. Or, qu’est-ce qui se marque dans ce qui se passe dans la transmission de l’explicateur au reproducteur ? C’est quelque chose que Piaget déplore, c’est que l’enfant reproducteur, soi-disant, ne s’intéresse plus du tout à tout ce dont il s’agit concernant ces deux branches, l’opération des doigts et tout ce qui s’ensuit. Pourtant, fait-il remarquer, l’autre lui en a tout de même transmis une cer­taine partie. La déperdition de compréhension lui semble énorme ; mais je vous assure, si vous lisez les explications du petit tiers, du petit reproduc­teur, du petit Rib dans le texte en question, vous vous apercevrez que ce sur quoi justement il met l’accent, c’est sur deux choses : à savoir, l’effet du robinet comme étant quelque chose qui se ferme, et le résultat, à savoir que grâce à un robinet, on peut remplir une cuvette sans qu’elle déborde, le jaillissement comme tel de la dimension du robinet comme cause. Pourquoi est-ce que Piaget manque si bien le phénomène qui se produit, si ce n’est parce qu’il méconnaît totalement que ce qu’il y a pour un enfant, dans un robinet comme cause, ce sont les désirs que, chez lui, le robinet provoque, à savoir que, par exemple, ça lui donne envie de faire pipi ou, comme chaque fois qu’on est en présence de l’eau, qu’on est, par rapport à cette eau, un vase communiquant et que ce n’est pas pour rien que, pour vous parler de la libido, j’ai pris cette métaphore de ce qui se passe entre le sujet et son image spéculaire.

Si l’homme avait tendance à oublier qu’il est, en présence de l’eau, un vase communiquant, il y a dans l’enfance de la plupart le bec à lavement pour lui rappeler qu’effectivement ce qui se produit chez un enfant de l’âge de ceux que nous désigne Piaget, en présence d’un robinet, c’est cet irré­sistible type d’acting-out qui consiste à faire quelque chose qui a les plus grands risques de le démonter ; moyennant quoi, le robinet se trouve, une fois de plus, à sa place de cause, c’est-à-dire au niveau aussi de la dimen­sion phallique, comme ceci qui introduit nécessairement que le petit robi­net est quelque chose qui peut avoir rapport avec le plombier, qu’on peut dévisser, démonter, remplacer, etc.. c’est -φ. Ce n’est pas d’omettre ces éléments de l’expérience — qu’aussi bien Piaget, très informé des choses analytiques, n’ignore pas — que j’entends souligner le fait, c’est qu’il ne voit pas le rapport de ces relations que nous appelons, nous, complexuelles avec toute constitution originelle de ceci qu’il prétend interroger, de la fonction de la cause.

Nous reviendrons sur ce langage de l’enfant. Je vous ai indiqué que de nouveaux témoignages de travaux originaux, dont on s’étonne qu’ils n’aient pas été faits jusqu’ici, nous permettent maintenant de saisir vraiment in statu nascendi le premier jeu du signifiant dans ces monologues hypno­pompiques du très petit enfant à la limite de deux ans, et d’y saisir-je vous lirai ces textes en leur temps — sous une forme fascinante le complexe d’Œdipe lui-même d’ores et déjà articulé, donnant ici la preuve expérimen­tale de l’idée que j’ai toujours avancée devant vous que l’inconscient est essentiellement effet du signifiant.

J’en finirai, à ce propos, avec la position des psychologues, car l’ouvrage dont je vous parle est préfacé par un psychologue, au premier plan fort sympathique, en ce sens qu’il avoue qu’il n’est jamais arrivé qu’un psycho­logue s’intéresse à ces fonctions, à partir, nous dit-il, aveu de psychologue, de la supposition que rien n’est notable d’intéressant concernant l’entrée en jeu du langage dans le sujet, sinon au niveau de l’éducation ; en effet, ça s’ap­prend.

Mais qu’est-ce qui fait le langage, en dehors du champ de l’apprentissa­ge ? Il a fallu la suggestion d’un linguiste, pour commencer d’y prendre intérêt et nous croyons qu’ici, le psychologue rend les armes. Car c’est cer­tainement avec humour qu’il pointe ce déficit jusqu’ici dans les recherches psychologiques. Eh ! bien, pas du tout. Dans la fin de sa préface, il fait deux remarques qui montrent à quel point l’habitude du psychologue est vérita­blement invétérée. La première, c’est que, puisque ceci fait un volume d’en­viron trois cents pages, et qui pèse lourd pour avoir recueilli ces monologues pendant un mois, et d’en avoir fait une liste chronologique complète ; de ce train-là, qu’est-ce que ça va nous coûter comme enquêtes ! Première remarque. Et la seconde est plus forte encore. C’est fort intéressant de noter tout cela, mais il me semble, moi, dit-il, ce psychologue qui s’appelle Georges Miller, que la seule chose qui serait intéressante, c’est de savoir « What of that he knows ? Qu’est-ce qu’il en sait, l’enfant, de ce qu’il vous dit ? » Or, c’est justement là la question. C’est justement, s’il ne sait pas ce qu’il dit, qu’il est très important de noter qu’il le dit tout de même, ce qu’il saura ou ne saura pas plus tard, à savoir les éléments du complexe d’Œdipe.

Il est deux heures dix. Je voudrais quand même vous donner le petit sché­ma de ce sur quoi je m’avancerai aujourd’hui concernant l’obsessionnel. En cinq minutes, la question, comme elle se présente.

Si les cinq étages, si je puis m’exprimer ainsi, de la constitution de a dans cette relation de S à A dont vous voyez ici la première opération, le second temps, qui est ici, n’étant pas hors de portée de votre compréhension à par­tir de la division que j’ai déjà ajoutée comme étant celle-ci, — elle est loin de la transformation de S en $ quand il passe de cette partie à celle-là, le cercle d’Euler étant à préciser évidemment -, si les cinq étages donc de cette définition de a sont définissables comme je vais vous le dire mainte­nant, si je pense, se pose suffisamment de ce résumé de ce sur quoi j’ai avan­cé pas à pas dans les leçons précédentes au niveau du rapport à l’objet oral qu’il est, disons pour être clair aujourd’hui, non pas besoin de l’Autre — cette ambiguïté est riche et nous ne nous refusons certes pas à nous en servir — mais besoin dans l’Autre, au niveau de l’Autre, c’est en fonction de la dépendance à l’être maternel que se produit la fonction de la disjonc­tion de ce sujet à a, la mamelle dont vous ne pouvez vous apercevoir de la véritable portée que si, comme je vous l’ai très suffisamment indiqué, vous voyez que la mamelle fait partie du monde intérieur du sujet et non pas du corps de la mère. Je passe…

Au deuxième étage, de l’objet anal, vous avez la demande dans l’Autre, la demande éducative par excellence, en tant qu’elle se rapporte à l’objet anal. Aucun moyen d’attraper, de saisir quelle est la véritable fonction de cet objet anal, si vous ne le sentez pas comme étant le reste dans la demande de l’Autre, que j’appelle ici, pour bien me faire entendre, demande dans l’Autre.

Toute la dialectique de ce que je vous ai appris à reconnaître dans la fonc­tion du — φ, fonction unique par rapport à toutes les autres fonctions de a, en tant qu’elle est définie par un manque, par le manque d’un objet, ce manque se manifeste, comme tel, dans ce rapport effectivement central — et c’est ce qui justifie toute l’axation de l’analyse sur la sexualité — que nous appelle­rons ici jouissance dans l’Autre. Le rapport de cette jouissance dans l’Autre, comme tel, à toute introduction de l’instrument manquant que désigne — φ est un rapport inverse. Tel est ce que j’ai articulé dans mes deux dernières leçons et ce qui est la base assez solide de toute situation assez efficace de ce que nous appelons l’angoisse de castration.

À l’étage scopique, qui est proprement celui du fantasme, ce à quoi nous avons affaire au niveau de a, c’est la puissance dans l’Autre, cette puissance dans l’Autre qui est le mirage du désir humain, que nous condamnons dans ce qui est, pour lui, la forme dominante majeure de toute possession, la pos­session contemplative, à méconnaître ce dont il s’agit, c’est-à-dire un mira­ge de puissance.

Vous le voyez, je vais très vite. Le cinquième et dernier étage, qu’est-ce qu’il y a au niveau du a ? Provisoirement, nous dirons que c’est là que doit émerger sous une forme pure — je dis que ce n’est là qu’une formulation provisoire — ce qui, bien sûr, est présent à tous les étages, à savoir le désir dans l’Autre. Ce qui nous le confirme, en tout cas, ce qui nous le signale dans l’exemple dont nous sommes partis, à savoir l’obsessionnel, c’est la dominance apparente de l’angoisse dans sa phénoménologie. C’est le fait structural dont nous seuls nous apercevons, jusqu’à un certain moment de l’analyse, que, quoi qu’il fasse, à quelque raffinement qu’aboutissent en se construisant ses fantasmes et ses pratiques, ce que l’obsessionnel en saisit, — vérifiez la portée de cette formule — c’est toujours le désir dans l’Autre. C’est dans la mesure du retour de ce désir dans l’Autre, en tant qu’il est, chez lui, essentiellement refoulé, que tout est commandé dans la sympto­matologie de l’obsessionnel, et nommément dans les symptômes où la dimension de la cause est entr’aperçue comme angoissante. La solution, on la connaît : pour couvrir le désir de l’Autre, l’obsessionnel a une voie, c’est le recours à sa demande. Observez un obsessionnel dans son comportement biographique, ce que j’ai appelé tout à l’heure ses tentatives de passage à l’endroit du désir. Ses tentatives, fussent-elles les plus audacieuses, elles sont toujours marquées d’une condamnation originelle à rejoindre leur but. Si raffinées, si compliquées, si luxuriantes et si perverses que soient ses tenta­tives de passage, il lui faut toujours se les faire autoriser, il faut que l’Autre lui demande ça. C’est là le ressort de ce qui se produit à un certain tournant de toute analyse d’obsessionnel.

Dans toute la mesure où l’analyse soutient une dimension analogue, celle de la demande, quelque chose subsiste jusqu’à un point très avancé — est il même dépassable ? — de ce mode d’échappe de l’obsessionnel. Or, voyez quelles en sont les conséquences. C’est, dans la mesure où l’évitement de l’obsessionnel est la couverture du désir dans l’Autre par la demande dans l’Autre, c’est dans cette mesure que a, l’objet comme cause, vient se situer là où la demande domine, c’est-à-dire au stade anal où a est, non pas seule­ment l’excrément purement et simplement, mais comme ça, c’est l’excré­ment en tant que demandé.

Or, rien jamais n’a été analysé de ce rapport à l’objet anal dans ces coor­données-ci qui sont les coordonnées véritables. Pour comprendre la source de ce qu’on peut appeler l’angoisse anale, en tant qu’elle sort d’une analyse d’obsessionnel poursuivie jusque-là — ce qui n’arrive jamais — la véritable dominance, le caractère de noyau irréductible et presque, en cas certains cas, immaitrisable de l’apparition de l’angoisse à ce point, qui doit apparaître un point terme, c’est ce que nous ne pourrons repérer que la prochaine fois, à condition d’articuler tout ce qui résulte du rapport à l’objet anal, comme cause du désir, avec la demande qui le requiert et qui n’a rien à faire avec ce mode de désir qui est, par cette cause, déterminant.

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