vendredi, avril 19, 2024
Recherches Lacan

PERCEPTION

PERCEPTION

Leclaire a très finement noté ce moment où le fantasme primitif de Philippe réalise cette approche de la corporéité originaire dans cette jubilation du type s’enrouler – se déplier éternellement recommencée, moment existentiel punc­tiforme où vraiment le verbe s’incarne au plus profond de l’expérience corpo­relle. Langage du corps, certes, mais surtout langage avec un corps statique et kinétique, récepteur et émetteur d’une ligne temporelle et mélodique, à travers le plaisir jaculatoire d’un corps enfin signifiant. Philippe semble être ici au plus près d’un représentant de cette répétition circulaire des chaînes inconscientes primitives, forme originelle de la demande, mais où la retrouvaille de la dimen­sion de l’être va le mettre sur le chemin d’un pouvoir assumer la perte, effet de la mise en place du signifiant.

Je verrais volontiers alors, dans la perception de la barre qui sépare la loi pho­nétique de la loi sémantique en même temps qu’elle les lie indissolublement, un moment privilégié où s’introduit pour le sujet, dans l’expérience auditive vécue, la perception du fondement même de la découverte analytique, le sens du sens, plus clairement, de la structure du signifiant. L’on serait ici au plus près de la rupture vécue entre le phonétique et le sémantique, expérience se constituant dans une mystérieuse déhiscence du champ auditif et vocal, qui introduit le sujet à l’approche de la signifiance de son discours, le conduisant ainsi dans son expérience subjective même de l’acte de la parole, à cette connotation de l’anti­nomie dont parlait Leclaire.

L’avènement au sens du son va conduire le sujet à pouvoir placer son dis­cours au niveau de son image spéculaire enfin placée et reconnue. Le sens creux de la demande, béance radicale jusque-là angoissante, va pouvoir s’ancrer au corps du sujet enfin reconnu et lui permettre de passer de la parole vide à la parole pleine. C’est de là que la communication d’un fantasme primitif tel que celui de Philippe, en analyse, me parait tirer sa valeur inaugurale pour le sujet. Le fait que l’appréhension d’un tel niveau est rare dans l’analyse de l’obses­sionnel, ne fait que nous rappeler ce que nous savons sur les difficultés de sa cure. Cette dimension phonématique, toujours résiduelle, ne va-t-elle pas constituer pour le sujet le rappel de l’inconscient même, référence à l’identité des perceptions du niveau primaire, perçant au niveau d’une différence exquise, rompant le fil du discours, et que percevra parfois le patient ou le psychanalys­te ?

Enfin la question se pose de savoir comment éviter, à ce niveau d’étude pho­nématique, une distorsion jungienne, en précisant bien la structure d’une éven­tuelle prématuration phonétique dans l’articulation du signifiant au premier discours du sujet.

Comme vous le voyez, j’ai réintroduit – mais ne faut-il pas toujours la réin­troduire ? – la question du statut topologique de la dimension phonématique dans le champ de l’analyse. Le phonème ne nous mène-t-il pas, comme le dit Jacques Lacan, au plus près des sources subjectives de la fonction symbolique [La psychanalyse, 1, 129]

 

C’est dans le fort-da, OH de l’absence, AH de la présence, dans un couple symbolique de deux jaculations élémentaires, que l’objet s’enferre et se piège. C’est ainsi que le symbole se manifeste d’abord comme meurtre de la chose et cette mort constitue pour le sujet l’éternisation de son désir. (J. Lacan, La psychanalyse, 1, 123).

 

Pourquoi ne pas conclure maintenant comme le faisait Jacques Lacan dans son rapport de Rome en appelant sur nous la parole des dieux hindous : Da… Da… Da…

Jacques Lacan – Le désir que j’ai que notre réunion d’aujourd’hui remplisse le programme que je m’en étais donné, à savoir d’introduire un nouvel aiguilla­ge dans notre travail du séminaire fermé par le texte que Madame Aulagnier va…

L14  10 mai 1967

Ceci, assurément, n’est pas sans être de nature in­quiétante et ne pas nous paraître, à l’occasion, à pointer, pour remarquer que telle ou telle chose qui peut se passer dans le monde, et par exemple, tout simplement, pour l’ins­tant, dans un certain petit district de l’Asie du Sud-Ouest. Mais de quoi s’agit-il ? Il s’agit de convaincre certaines gens qu’ils ont bien tort de ne pas vouloir être admis aux bienfaits du capitalisme ! Ils préfèrent être rejetés ! C’est à partir de ce moment-là, semble-t-il, que devraient se poser les questions sur certaines significations. Et nommément celle-ci, par exemple, qui nous montrerait – qui nous montrerait sans doute, mais ce n’est pas aujourd’hui que je ferai dans cette direction même les premiers pas – que si Freud a écrit quelque part que “l’anatomie c’est le destin”, il y a peut-être un moment où, quand on sera reve­nu à une saine perception de ce que Freud nous a découvert, on dira – je ne dis même pas “la politique c’est l’incons­cient” – mais, tout simplement : l’inconscient c’est la politi­que!

 

points que nous avons à mettre en relief à ce propos, con­cernant ce qu’il en est, de ce qui rapporte au sexe; tout ce qui est du symptôme et dont, cette année, j’entends poser – certes d’une façon répétée et je ne saurais trop répéter les choses quand il s’agit de catégories nouvelles – répé­ter ce qui va nous servir de base :

Le Un (pour commencer par le milieu) est le plus li­tigieux. Le Un concerne cette prétendue union sexuelle, c’est-à-dire le champ où y est mis en question de savoir s’il peut se produire l’acte de partition que nécessiterait la répartition des fonctions définies comme mâle et femelle. Nous avons dit déjà, avec la métaphore du chaudron, que j’ai rappelée la dernière fois, qu’il y a en tout cas ici, provisoirement, quelque chose que nous ne pouvons dési­gner que de la présence d’un gap, d’un trou si vous voulez. Il y a quelque chose qui ne colle pas, qui ne va pas de soi et qui est précisément ce que je rappelais tout à l’heure de l’abîme qui sépare toute promotion, toute proclamation, de la bipolarité mâle et femelle, de tout ce que nous donne  l’expérience concernant l’acte qui la fonde.

Je veux ici pour aujourd’hui, dans le temps qui m’est imparti, souligner, que c’est de là, de ce champ Un, de ce Un fictif – de ce Un auquel se cramponne toute une théorie analytique dont vous m’avez entendu les dernières fois, à maintes reprises, dénoncer la fallace – il importe de poser que c’est de là, de ce champ désigné Un, numéroté Un,  non assumé comme unifiant -au moins jusqu’ à ce que nous en ayons fait la preuve – que c’est ce là que parte toute vérité; en tant que pour nous, analystes, (et pour bien d’autres, avant même que nous soyons apparus – quoique pas bien long­temps – pour une pensée qui date de ce que nous pouvons ap­peler de son nom après tout : le tournant marxiste) : LA VERI­TE N’A PAS D’AUTRE FORME QUE LE SYMPTOME.

La ( ?) symptôme , c’est-à-dire : la signifiance des discor­dances entre le réel et ce pour quoi il se donne. L’idéolo­gie, si vous voulez. Mais là une condition : c’est que, pour ce terme, vous alliez jusqu’à y inclure la perception elle-même.

La perception, c’est le modèle de l’idéologie. Puis-que c’est un crible par rapport à la réalité. Et d’ailleurs, pourquoi s’en étonner ? Puisque tout ce qui existe d’idéolo­gies, depuis que le monde est plein de philosophes, ne s’est après tout jamais construit que sur une réflexion première, qui portait sur la perception.

J’y reviens : ce que Freud appelle “le fleuve de boue”, concernant le plus vaste champ de la connaissance ; toute cette part de la connaissance absolument inondante dont nous émergeons à peine, pour l’épingler du terme de connaissance mystique : à la base de tout ce qui s’est manifesté au monde, de cet ordre, il, n’y a QUE l’acte sexuel. Envers de ma formule : it n’y a pas d’acte sexuel.

La position freudienne, il est tout à fait superflu de prétendre s’y rapporter en quoi que ce soit, si ce n’est pas prendre à la lettre ceci : à la base de tout ce qu’a apporté, jusqu’à présent, mon Dieu, de satisfaction, la connaissance… (je dis : la connaissance, je l’ai épinglée mystique pour la distinguer de ce qui est né de nos jours sous la forme de  la science ) … de tout ce qui est de la connaissance, il n’y a, à son principe, que l’acte sexuel.

Lire, dans Freud, qu’il y a, dans le psychisme, des fonctions désexualisées, ça veut dire – dans Freud – qu’il faut chercher le sexe à leur origine. Ca ne veut pas dire qu’il y a ce qu’on appelle en tels lieux, pour des besoins politiques, la fameuse “sphère non conflictuelle”, par ex­emple : un moi plus ou moins fort, plus ou moins autonome, qui pourrait avoir une appréhension plus ou moins asepti­que de la réalité.

Dire qu’il y a des rapports à la vérité (je dis la vérité) que l’acte sexuel n’intéresse pas, ceci est pro­prement ce qui n’est pas vrai. Il n’y en a pas.

Je m’excuse de ces formules, à propos desquelles je suggère que leur tranchant peut être un peu trop vivement ressenti. Mais je me suis fait à moi-même cette observation: d’abord que tout ça est impliqué dans tout ce que j’ai énon­cé jamais, pour autant que je sais ce que je dis ; mais aus­si cette remarque : que le fait que je sache ce que je dis, ça ne suffit pas ! Ca ne suffit pas pour que vous l’y recon­naissiez. Parce que, dans le fond, la seule sanction de ce que je sais ce que je dis, c’est ce que je ne dis pas ! Ce n’est pas mon sort propre ; c’est le sort de tous ceux qui savent ce qu’ils disent.

C’est ça qui rend la communication très difficile. Ou bien; on sait ce qu’on dit et on le dit. Mais, dans bien des cas, il faut considérer que c’est inutile, parce que per­sonne ne remarque que le nerf ‘de ce que vous avez à faire en­tendre, c’est justement ce que vous ne dites jamais. C’est ce que les autres disent et qui continue à faire son bruit et, plus encore, qui entraîne des effets. C’est ce qui nous force, de temps en temps, et même plus souvent qu’à notre tour, à nous employer au balayage. Une fois qu’on s’est en­gagé dans cette voie, on n’a aucune raison de finir. Il y a eu, autrefois, un nommé Hercule, qui a, parait-il, achevé son travail dans les écuries d’un nommé Augias. C’est le seul cas que je connaisse de nettoyage des écuries, au moins quand il s’agit d’un certain domaine !

Il n’y a qu’un seul domaine, semble-t-il – et je n’en suis pas sûr -qui n’ait pas de rapport avec l’acte se­xuel en tant qu’il intéresse la vérité : c’est la mathémati­que, au point où elle conflue avec la logique. Mais je crois que c’est ce qui a permis à Russel de dire qu’on ne sait ja­mais si ce qu’on y avance est vrai. Je ne dis pas!vraiment vrai ! Vrai, tout simplement.

En fait, c’est vrai, à partir d’une position défini­tionnelle de la vérité : si tel et tel et tels axiomes sont vrais, alors un système se développe, dont il y a à juger s’il est ou non consistant.

Quel est le rapport de ceci avec ce que je viens de dire, à savoir avec la vérité, pour autant qu’elle nécessi­terait la présence, la mise en question comme telle de l’ac­te sexuel ?

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